• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 3

La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 3

Envoyer Imprimer PDF
Index de l'article
La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas
Prémonition d’une fin de génération
La stratégie du caméléon
Gilbert Andzé Tsoungui: Le bourreau des nationalistes
L’aloi du sérail
La fin des espérances
La décimation du dernier carré présidentiel
Les empêcheurs de piller et de tuer en rond
Mongo Beti: le voltaire camerounais
Mgr Paul Verdzekov: Un Grand Homme de Dieu
Mgr André Wouking
Samuel Eboua : le sage
Engelbert Mveng: Itinéraire prométhéen d’un prophète incompris
Pierre Meinrad Hebga: la dialectique de la foi et de la raison
Toutes les pages
La stratégie du caméléon

Parmi les hommes de la génération post indépendance qui ont déjà tiré leur révérence, il y en a qui sont restés dans le sérail politique, malgré le changement de régime en 1982, en prenant juste la couleur du milieu. Comme de véritables caméléons
Ils ont presque tous cassé leur pipe, mais s’il est une chose qui caractérise ces serviteurs caméléons, c’est bien cet égal dévouement et cette remarquable fidélité avec lesquels ils ont été au service de la nation sous les deux régimes, à savoir celui d’Ahmadou Ahidjo (1958 – 1982) et celui de Paul Biya qui dure depuis 28 ans.
D’abord John Ngu Foncha, celui dont le nom est associé à la réunification des deux Cameroun. Né le 21 juin 1916 à Bamenda, celui qui deviendra plus tard un acteur clé de l’arène politique camerounaise fait ses études primaires et secondaires dans sa région natale avant d’aller au Nigéria les poursuivre. Dans l’État de Cross River où il achève ces études, "Pa John" devient, en 1939, instituteur à l’école Saint Charles d’Onitsa, après un an de vacation. En 1942, le département fédéral de l’Éducation le nomme enseignant d’Agriculture au Centre d’éducation agricole de Moore Plantation d’Ibadan.
Cette promotion sera le déclic d’une vie publique pleine, mais qui ne sera pas de tout repos. Fondateur de plusieurs associations civiles, John Ngu Foncha est aussi militant politique. Il est élu en 1951 député du Parlement d’Enugu, à l’est du Nigéria, sous la bannière de la National Council of Nigeria and the Cameroons (Ncnc), parti politique dont il était le représentant local.  Au Cameroun, le jeune instituteur de Bamenda crée deux partis politiques dont il se sert pour mener la bataille de la réunification. Une bataille qui se solde, en 1961, par le rattachement du Cameroun occidental au Cameroun francophone ; les deux entités formeront un État fédéral, conformément aux Accords de Foumban. Conséquence logique de cette fusion : le père de la réunification devient premier ministre de la République fédérale dès 1962, mais est marginalisé par le président Ahidjo lorsque ce dernier organise, à son insu, un référendum qui aboutit à l’instauration d’un État unitaire, en 1972.
Se sentant trahi, il se retire de la vie politique, en 1970, avant d’être rappelé 9 ans plus tard, comme grand chancelier des ordres nationaux, poste qu’il occupera jusqu’en 1990, date de son retrait des affaires publiques. Il décède le 10 avril 1999 à l’âge de 83 ans. Mais le moins que l’on puisse retenir de ce grand compatriote est qu’il est et sera toujours perçu, dans la communauté anglophone du Cameroun comme celui qui les a trahis, en les poussant à choisir de se rallier au Cameroun au lieu du Nigéria, ce dont il avait  d’ailleurs exprimé des regrets publics à Buéa en avril 1993.

Bâtisseurs de la nation
L’autre figure de proue dont la vie politique symbolise la continuité entre les deux régimes, est Salomon Tandeng Muna. Véritable force tranquille, c’est ce natif de Ngyenmbo dans le département de la Momo (province du Nord-Ouest) qui remplace, en 1972, le démissionnaire John Ngu Foncha en devenant président de l’Assemblée nationale. Il y reste jusqu’en 1988, date de son retrait de la vie publique.
Né en 1912, il a fait une bonne partie de ses études au Cameroun avant de s’envoler pour Londres où celui qui était toujours major de sa promotion devait poursuivre ses études supérieures en sciences de l’Éducation. À son retour au Cameroun, il mène de nombreuses activités. Enseignant puis directeurs de plusieurs écoles pendant 15 ans. C’est en 1951 que cet instituteur de première heure entre en politique, comme député à l’Assemblée régionale du Nigéria oriental. Un an plus tard, commence alors une riche carrière politique. Ministre plusieurs fois, il forme un tandem avec l’honorable Foncha dans la lutte pour la Réunification.

Lorsqu’il répond à l’appel du destin le 22 janvier 2002, le Cameroun ne pleure pas seulement un des grands artisans de la réunification des deux entités anglophone et francophone, ou le grand serviteur de la nation, mais aussi, le père (beaucoup l’ignorent) du mouvement des scouts du Cameroun et même d’Afrique. Son départ, autant que celui de son acolyte John Ngu Foncha, est la fin d’une vie de bâtisseur de la nation camerounaise.

À côté de ces architectes du Cameroun uni, figure un certain Enock Kwayep Kate. Il n’est certainement pas trop connu des générations actuelles, pourtant Enock Kwayep fait partie des premiers hauts commis de la République s’étant fait remarquer par leur fidélité inconditionnelle au premier président du Cameroun indépendant. Plusieurs fois ministre, ministre d’État, ambassadeur sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, Enock Kwayep se révélera comme une pièce maîtresse du dispositif politique de ce régime qui, à un moment, suscitait peur et terreur chez les Camerounais.

Lorsque Paul Biya, l’"illustre successeur", accède à la magistrature suprême le 6 novembre 1982, suite à la démission de son tout aussi "illustre prédécesseur", parmi les anciens barons qui sont maintenus, il y a ce fils du Ndé dans la région de l’Ouest. Avec ce nouveau régime auquel il est d’une égale fidélité, il occupe aussi de nombreuses fonctions aussi bien dans les cercles du pouvoir qu’au sein de l’appareil politique.  La confiance que M. Biya a pour ce compatriote est si grande qu’il fera de lui le tout premier président de l’Observatoire national des Elections (Onel) devenu Elections Cameroon (Elecam).

La mort, le 9 août 2002, de cet octogénaire de 79 ans, constitue pour le régime du renouveau une énorme perte.  Que retiendra-t-on de lui ? Certainement beaucoup de choses. Mais la plus marquante est sans doute cette anecdote relative à la prison de Bazou. Il se dit en effet que sous Ahidjo, chaque fidèle du régime devait proposer un projet à réaliser dans sa région. Enock Kwayep, à l’époque ministre des prisons, choisit de faire construire une prison à Bazou sous le prétexte que le grand banditisme avait pris de l’ampleur dans cette région. Mais, cette initiative a été vivement critiquée et l’est encore par les populations de cette localité. Cette image, heureusement, n’ausculte en rien ces œuvres : création de nombreuses unités administratives, création du Centre africain du travail  (Cradat), prise de position contre l’exécution d’Ernest Ouandié, leader upéciste, etc.

Les autres symboles de la continuité
Dans ce lugubre tableau, Maïdadi Sadou et Luc Loé ont un parcours presque identique. Hommes du commandement, les deux ont occupé, sous le régime d’Ahidjo, de hautes fonctions dans l’administration, comme préfet  pour le premier et gouverneur, pour le second. Plus tard, sous le régime de Biya, Maïdadi, l’aîné des deux, sera promu ministre chargé des relations avec les Assemblées, tandis que Luc Loé atterrira sur le toit de la Délégation générale à la sureté nationale (Dgsn). Du fait du poids de l’âge, Paul Biya nomme chacun d’eux Délégué du gouvernement à Garoua pour Maïdadi et à Edéa pour Luc Loé qui tirera sa révérence le 7 septembre 2001, quelques années seulement après homologue de Garoua.
Les autres personnages de légende ayant servi les deux régimes et dont la mort constitue le symbole d’une fin de génération sont, par exemple, François Sengat Kuoh et Ayissi Mvondo, anciens secrétaires politiques de l’Unc. À propos du premier, une certaine opinion pense que c’est lui qui avait mobilisé quelques intellectuels camerounais pour la rédaction du livre-programme intitulé "Pour le libéralisme communautaire" qui porte le nom de Paul Biya. C’est d’ailleurs pour cette raison, soutient-on de ce côté, que le promoteur du Renouveau a du mal à traduire en acte toutes les bonnes intentions contenues dans ce chef-d’œuvre politique. Charles Assalé et Simon Pierre Tsoungui, anciens premiers ministres, Christian Tobie Kuoh, ancien Délégué du gouvernement de Douala, Henri Bandolo, ancien ministre de la Culture, Kamé Samuel, ancien secrétaire permanent à la Défense nationale, etc., complètent la liste des légendaires serviteurs caméléons, des personnalités ayant su tirer leur épingle du jeu en prenant la couleur du milieu ou en s’adaptant au nouveau contexte politique.
Comme on peut le constater, la saignée est importante et annonce certainement la fin des temps pour les chantres de l’immobilisme politique.
S. P. D et J.E.L



Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir