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Elections au Cameroun: Transparence opaque - Page 8

Elections au Cameroun: Transparence opaque - Page 8

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Index de l'article
Elections au Cameroun: Transparence opaque
Un jeu au dé pipé et à l’enjeu vicié
Les élections bancales au Cameroun de A à Z
L’impartiale dépendance
Nécessité d’un code électoral unique et consensuel
Le fichier électoral virusé
La réalité diverse des commissions électorales nationales
Mathias Eric Owona Nguini
Toutes les pages

Mathias Eric Owona Nguini

“Elecam ne peut agir et opérer comme une structure indépendante, crédible, neutre et impartiale d’organisation des élections”

Germinal : Au début des années 90, des États africains ont engagé des processus de libéralisation politique caractérisée par l’émergence d’institutions nouvelles telles que les conférences nationales souveraines, les gouvernements d’union nationale, les Commissions électorales nationales indépendantes (Ceni), etc. Ces institutions, notamment les Ceni, qui laissent transparaître l’idée de cogestion, étaient-elles ou sont-elles devenues une manière de consolider les régimes post-transition ?
Mathias Eric Owona Nguini : Effectivement, ces différentes institutions et instances (Conférences nationales souveraines gouvernements d’union nationale, commissions électorales nationales indépendantes) étaient envisagées comme des organes avisés permettant de réorienter et de restructurer la gouverne étatique dans les sociétés étatiques d’Afrique postcoloniale. Il s’agissait de mettre en place le cadre politico-institutionnel de régimes post-parti unique devant effectivement assurer une transition réussie et maîtrisée vers la démocratie pluraliste-constitutionnelle. Pour ce faire, il s’agissait de mettre en place des techniques de gouvernement basé sur le power-sharing (partage au pouvoir) qui introduisaient la co-gestion pluraliste dans la gouvernance des Etats longtemps restés à l’ombre de l’Etat présidentiel de parti unique comme modèle institutionnel paradigmatique. La cogestion électorale était particulièrement recherchée et a fondé la mise en place des Commissions électorales nationales indépendantes (Ceni).

Comment comprendre ou interpréter la diversité des Ceni ? A quoi servent-elles ?

La diversité des formules organiques et fonctionnelles qui ont été juridiquement fixées à propos de ces commissions électorales nationales appelés à gérer le réapprentissage politique de la concurrence politique par le vote, est une situation liée à la trajectoire historique singulière de la transition post-parti unique dans chaque société étatique africaine. Elle a aussi à voir avec la variété des rapports de force et des équilibres d’intérêts caractérisant les jeux et les échanges politiques entre groupes partisans, citoyens, communautaires et corporatifs selon les pays. Cet état de choses caractérisé par une multiplicité d’arrangements institutionnels a également partie liée avec la capacité de négociation des forces socio-politiques prioritairement intéressés par les choix juridico-politiques d’institutionnalisation de l’arbitre électoral. Les commissions électorales nationales indépendantes, telles qu’envisagées dans l’échange politique entre les groupes gouvernants et les groupes d’opposition, étaient des instances censées assurer un rééquilibrage libéral des pratiques dominantes de régulation des élections hérités du parti unique qui étaient caractérisées par un biais politique et institutionnel monopoliste favorable à l’élite de pouvoir installée au cœur de l’Etat, profitant de ses privilèges à titre de rétribution du soutien apporté à un leader central présidentiel placé en dehors de toute mise en concurrence électorale.

Au Cameroun, sous la pression des bailleurs de fonds et des partis politiques de l’opposition, les pouvoirs publics ont d’abord opté pour l’Observatoire national des élections, puis ils sont passés à Elections Cameroon (Elecam). Qu'est-ce qui change fondamentalement entre les deux structures ?
Ce qui a changé au niveau politico-institutionnel-formel dans le passage entre l’Observatoire national des élections (Onel) et Elections Cameroon (Elecam), c’est que le régulateur électoral ne se contente plus d’observer et de superviser mais doit de manière plus englobante organiser et gérer. La question qui persiste est de savoir si le nouveau gendarme électoral qu’est Elecam s’est organiquement et fonctionnellement doté de l’indépendance lui permettant normativement et matériellement de conduire le processus électoral de manière impartiale, neutre, franche, sincère, sérieuse et honnête. Telle qu’Elecam a été conçu et mis en place, il est difficile d’établir clairement l’indépendance de cette structure par rapport à l’Etat central en général et au pouvoir exécutif en particulier. Le groupe gouvernant a une nouvelle fois recouru à un art juridico-politique de la ruse et de la duplicité, en faisant notamment de la Direction générale des élections, le dispositif moteur dans la conduite de la régulation électorale.

Elecam peut-elle être considérée comme une structure indépendante, crédible et impartiale ou neutre susceptible d’organiser des élections crédibles, transparentes, équitables et justes au Cameroun lorsqu’on sait que la plupart de ses principaux dirigeants étaient membres soit du comité central, soit du bureau politique du Rdpc ?
Clairement, non. Il n’y a objectivement pas de chances sérieuses qu’Elecam puisse effectivement agir et opérer comme une structure indépendante, crédible, neutre et impartiale d’organisation des élections. Cet état de choses prévaut parce que le groupe gouvernant a imperturbablement et impérieusement choisi de faire nommer les membres du Conseil électoral et de la Direction générale des élections par l’institution-clef du système étatique gouvernant, le Président de la République, sans que cet organe soit juridiquement contraint à procéder à ces nominations en dehors d’un cadre discrétionnaire. Elecam est d’autant moins crédible que les membres du Conseil électoral ont été nommés dans des conditions de forme, de procédure et de fond qui n’ont pas respectées les dispositions légales prévues à cet effet qui posaient des critères d’objectivité, d’impartialité, de neutralité. Au plan aussi bien de l’éthique juridique attachée à l’esprit et la lettre de la loi qui au plan d’une éthique politique basée sur la tolérance pluraliste, la nomination exclusive de membres même démissionnaires du Comité central et du Bureau politique du Rdpc au sein du Conseil électoral n’est pas un gage de loyauté, ni d’honnêteté et de sincérité. Très clairement, cette nomination a été  délibèrément effectuée en violation des dispositions de la loi et dans un esprit qui souligne le refus (cynique) du groupe gouvernant de tout dialogue électoral sérieux,loyal et franc avec les forces d’opposition. Par ailleurs, le groupe gouvernant qui avait négocié avec le Commonwealth en vue de la mise en œuvre d’une commission électorale impartiale et non partisane, a délibérément choisi une stratégie de tromperie sur la marchandise en faisant comme si Elecam était une commission électorale politiquement paritaire.

Elecam est-elle en mesure de remplir les missions qui sont les siennes sans l’intervention du Minatd ?
Non. Elecam ne peut pas raisonnablement ni concrètement remplir ses missions sans une intervention massive du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, intervention qui pourrait effectivement et empiriquement mettre en question la capacité de cette commission électorale à organiser de manière autonome et indépendante le cadre logistique et opérationnel de tenue du scrutin. Elecam ne dispose pas de moyens budgétaires et financiers qui puissent lui permettre de contrôler l’organisation matérielle et opérationnelle des élections et de cantonner l’implication du Minatd à un appui en évitant que celui-ci ne conduise en pratique à une véritable action de substitution de l’administration territoriale à Elecam.
Elecam verra également sa tâche difficultée parce que le délai confié à cette structure en vue de l’organisation du prochain cycle-électoral, de l’élection présidentielle en particulier, paraît court, compte tenu de l’importance de ce scrutin et de la capacité matérielle limitée de ce régulateur électoral.

Les querelles autour de l’Onel et de Elecam ne traduisent-elles pas un déficit de confiance entre les acteurs politiques ?
Bien entendu, oui. La controverse politique récurrente sur l’organisation et la gestion des opérations électorales au Cameroun s’exprime de manière continue depuis les querelles concernant l’Onel jusqu’aux disputes relatives à Elecam. Cela révèle que le système institutionnel camerounais et la superstructure politique constituée autour des appareils de parti ou des associations civiques ne sont pas capables d’entretenir un dialogue politique à la fois sérieux et fructueux autour de la nécessité d’un consensus électoral pluraliste soulignant l’accord des acteurs politiques sur les règles du jeu.
En raison de l’inconsistance et de l’insignifiance du dialogue entre les principaux acteurs politiques, les processus électoraux organisés au Cameroun sont et demeurent marqués par une forte méfiance et une nette méfiance, toutes choses qui révèlent la faible qualité démocratique et pluraliste des pratiques électorales en cours. Dans de telles conditions, le système institutionnel camerounais ne peut pas fonder et construire une légitimité et une crédibilité électorales sérieuses en termes de sincérité et de représentativité démocratiques.

Ces querelles préfigurent des contestations des résultats des urnes. Si on admet à la suite des observateurs avertis que les fraudes électorales sont normales et sont un élément constitutif du « marché politique » et que la violence électorale, forme déviante de participation politique, n’est pas l’indice d’un refus des procédures démocratiques, ces contestations des résultats des urnes ne correspondent-elles pas, le plus souvent, à l’absence de stratégies de remplacement pour les perdants plutôt qu’à une incompréhension démocratique?
Sauf à encourager de manière systématique et systémique, la pratique frauduleuse et licencieuse des élections, on ne peut pas considérer les irrégularités et les déviances électorales comme des pratiques conformes. En effet, même si ils peuvent matériellement et pratiquement  être observés et constatés, ces conduites et comportements n’en deviennent pas pour autant légitimes, sauf à enlever tout sens sérieux à l’exercice libre intègre, honnête, transparent et sincère du suffrage universel qui fonde canoniquement la pratique électorale légitime de la démocratie pluraliste. Les fraudes, déviances et irrégularités électorales sont des distorsions et des perversions de l’acte et du jeu légitimes, légaux et conformes de la mise en concurrence démocratico-électorale. En conséquence de quoi, la qualité d’un processus électoral et la crédibilité d’un régulateur électoral s’apprécieront à leur capacité effective d’user de tous les moyens légaux institutionnels, procéduraux, formels, matériels et substantiels pour juguler ces sources et ressources d’inconduite qui alimentent la contestation des résultats électoraux. On ne peut légitimer ni justifier ces pratiques abusives de fraude et de violence électorales qui entravent l’exercice authentique, sérieux ou méticuleux de la démocratie par le vote concurrentiel, pacifique libre et indépendant. Il n’est alors pas possible de réduire les contestations des résultats à l’inefficacité des stratégies de remplacement des groupes électoraux perdants, sauf si il est prouvé que les groupes électoraux gagnants ont effectivement arrêté un accord avec leurs concurrents sur les règles du jeu électoral et les ont concrètement respectées.

Question à deux volées : au cours des élections précédentes, les acteurs politiques et certains observateurs ont très souvent dénoncé le clientélisme et l’achat des voix. Ces pratiques ne constituent-elles pas les bases de l’échange électoral et non sa perversion ? S’il n’y a pas un monopole qui empêche la compétition, autrement dit si le marché politique est libre et privatisé, ces pratiques empêchent-elles le fonctionnement de la démocratie électorale?
Si le clientélisme et l’achat des voix sont des réalités observables de la vie et de l’échange socio-politiques, on ne peut pas se suffire de cela pour considérer que ces pratiques sont des conduites conformes et régulières à l’axiologie et à la déontologie politico-morales de la démocratie pluraliste. En effet, l’exercice de la concurrence politique n’a de sens démocratique et pluraliste que quand il se fait à travers l’observance effective et décisive des règles de la concurrence politique pluraliste-électorale. Si à la pratique on peut constater de telles conduites, passé un certain stade, on ne peut sérieusement y voir que des comportements de perversion du jeu politique démocratico-électoral ; Il convient alors que soient organisés et institutionnalisés des régulateurs éthiques et juridiques à même de détecter et de sanctionner de tels comportements déloyaux et/ou illégaux ou tout au moins de les canaliser. La démocratie électorale a besoin de garde-fous institutionnels (Conseil constitutionnel ou Cour constitutionnelle, Cour suprême, Commission électorale, Commissions sur le financement des partis et/ou des campagnes électorales,Comissios indépendaéntes de lutte contre la corruption).
Ces gardes-fous moraux et/ou institutionnels ne seront pertinents que si ils peuvent être activés ou actionnés à travers des procédures interpellatives et inquisitoriales ou judiciaires et disciplinaires visant à dévoiler et à sanctionner ou faire sanctionner de tels écarts à la morale républicaine et démocratique. Dans cette optique, ces mécanismes de régulation et de protection sont appelés à agir pour contrecarrer la constitution douteuse, pernicieuse, licencieuse et frauduleuse de monopoles politiques et sociaux de représentation électorale qui résulte paradoxalement de l’exercice déréglé, privatisé et patrimonialisé de la concurrence politique pluraliste-électoraliste.

D’après vous, pourquoi jusqu'ici au Cameroun le consensus sur la question électorale n'intervient pas  ni entre le gouvernement et le reste des acteurs sociaux, ni entre les "opposants", comme en Afrique de l'Ouest ?
La vie sociopolitique camerounaise telle qu’organisée des années 1990 à 2010, est effectivement marquée de manière emblématique et paradigmatique, par l’absence et l’inexistence d’un consensus politique et institutionnel sur la question électorale. Un tel état de choses est révélateur de la disposition d’esprit illibérale et autoritaire qui prévaut dans les milieux politiques aussi bien gouvernants qu’oppositionnels. Cette situation souligne également la persistance d’une mentalité politique hégémoniste et intégriste chez les acteurs de la société politique ou même de la société civile, laquelle mentalité s’exprime dans le refus dogmatique ou fanatique de la discussion et de la remise en question. La difficulté à instaurer et à installer un dialogue politico-électoral soutenu, approfondi, élargi et partagé, montre la persistance dominante d’une vision rentière du pouvoir qui le fait considérer comme un jeu à somme nulle. Un tel état d’esprit prévaut surtout chez les élites gouvernantes, même si les acteurs de l’opposition et de la société civile ne sont pas exempts de tout reproche en la matière.

Quelle loi électorale et quelle constitution pour la crédibilité des élections et de la démocratie au Cameroun ?
Pour que les élections et le système de démocratie pluraliste soient crédibles et fiables au Cameroun, il convient de sortir d’un cadre politique et institutionnel dominé par le centralisme, le patrimonialisme et l’unilatéralisme, toutes caractéristiques qui demeurent prégnantes en raison de la prévalence persistante d’une empreinte étatique présidentialiste dont les ressorts sont plus bureaucratiques et hiérarchiques que démocratiques et polyarchiques. Dans un tel système de facture et de structure monopolistes et absolutistes, la constitution présidentialiste réprime le pluralisme et le parlementarisme démocratiques-constitutionnels et invalide toute division pluraliste sérieuse du pouvoir, favorisant plutôt le centralisme princier et bureaucratique. Un tel système est peu disposé à permettre une véritable concurrence politique pluraliste et démocratique parlementaire, concurrence qui menace les privilèges viagers (à vie) ou semi-viagers (durables) qui profitent respectivement au président perpétuel et aux couches présidentialistes accompagnant le leader central présidentiel dans sa carrière de gouvernant perpétuel. C’est seulement avec une Constitution de démocratie polyarchique basée sur le parlementarisme pluraliste et intégrant comme en Afrique du Sud, la Commission électorale effectivement indépendante dans la loi fondamentale, que le système institutionnel et la structure des élections peuvent devenir vraiment libres et indépendants. Pour y arriver, il convient de se libérer du catenaccio présidentialiste.
Propos recueillis par:
Jean-Bosco Talla



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