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La question anglophone : Depuis la Prison Principale de Yaoundé, Kondengui, Sisiku Julius AyukTabe dévoile les vérités cachées

La question anglophone : Depuis la Prison Principale de Yaoundé, Kondengui, Sisiku Julius AyukTabe dévoile les vérités cachées

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 Voici bientôt six ans que le conflit dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun dure. Le bilan de celui-ci, particulièrement lourd, varie selon les sources. Toujours est-il que des milliers de nos compatriotes, civils innocents, militaires des forces de défense et de sécurité camerounaise, combattants pour la restauration du Southern Cameroons, ont perdu la vie. Depuis 2017, selon des sources autorisées, plus de 6 000 personnes y ont perdu la vie, près de 800 000 personnes y ont été déplacées en raison de cette crise et 600 000 enfants n’ont pas pleinement accès à l’éducation. Des leaders luttant pour la restauration de l’indépendance du Southern Cameroons ont été arrêtés au Nigeria, ramenés au Cameroun, emprisonnés, traduits devant les tribunaux et condamnés à des peines d’emprisonnement à vie. De nombreux militants et sympathisants de cette cause ont été tués, les armes à la main. D’autres croupissent dans les prisons camerounaises. Les exactions des terrains de combats, les exécutions et autres assassinats abominables, les arrestations, les condamnations, rien de tout cela n’a pas mis fin à la crise.

Au contraire, cela a accentué le conflit et a renforcé la détermination de beaucoup parmi les défenseurs de la cause dite ambazonienne à aller jusqu’au bout.
Tous les Camerounais, et les observateurs honnêtes et crédibles affirment depuis longtemps que seule une solution politique, résultat des négociations entre les différentes parties, peut mettre fin à cette crise. Des tentatives de rapprochement entre les parties ont déjà été amorcées (médiation suisse ou initiatives locales), mais elles se sont toujours heurtées aux réticences de fanatiques et intolérants de tous bords qui, de l’avis de personnes averties, tirent les dividendes d’une économie de crise installée dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest.
Le 20 janvier 2023, la ministre des Affaires étrangères du Canada, l’honorable Mélanie Joly a, dans une déclaration sur la paix au Cameroun, révélé que son pays avait accepté d'agir comme facilitateur dans le processus de résolution de cette crise. Elle nous a également appris que toutes les parties au conflit ont également accepté d'entrer dans un processus de négociation pour une résolution globale, pacifique et politique de la crise. Selon cette déclaration, les parties à cet accord, qui ont aussi exprimé l’espoir que d’autres groupes se joignent à ce processus de paix, sont la République du Cameroun, le Conseil de gouvernement de l’Ambazonie et les Forces de défense de l’Ambazonie, le Mouvement populaire de libération de l’Afrique et les Forces de défense du Sud-Cameroun, le gouvernement intérimaire, ainsi que l’Équipe de coalition de l’Ambazonie.
Cette annonce a suscité beaucoup d’espoir aussi bien du côté du gouvernement camerounais et des militants ou combattants pour la Restauration de l’indépendance du Southern Cameroons que des populations camerounaises et des acteurs divers impliqués dans la recherche des solutions au conflit.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette crise, et, d’une certaine manière, aider à débroussailler les chemins de son éventuelle résolution pacifique, nous avons rencontré, à la prison principale de Yaoundé, Kondengui, Sisiku Ayuk Tabe, président du Gouvernement intérimaire et ses compagnons d’infortune, aujourd’hui présentés sous l’appellation des « Nera 10 », c’est-à-dire les 10 personnes enlevées à l’hôtel Nera au Nigeria. Avec lui, nous avons fait le tour de la question anglophone au Cameroun. Lisez plutôt !
Pour la version anglaise, cliquez sur ce lien: Ambazonian crisis: The unspoken truth: Sisiku AyukTabe Speaks from Prison

Germinal: La plupart de Camerounais savent très peu de choses de votre arrestation au Nigeria. Pouvez-vous nous résumer les circonstances de votre arrestation ?
Sisiku AyukTabe : Merci beaucoup de vous intéresser au conflit et à la nécessité de comprendre notre propre version de l'histoire. Votre journal n'est pas le premier à le faire, mais nous ne pouvons pas nous lasser de raconter notre histoire. Nous espérons que cette interview informera d'avantage le peuple Camerounais et qu'il comprendra par conséquent pourquoi nous avons choisi de nous retirer, et qu'il demandera à son gouvernement de prendre conscience de cette réalité et d'arrêter de gaspiller ses maigres ressources pour tenter de nous retenir.
Pour répondre à votre question de départ, le mot juste à utiliser est kidnapping ou enlèvement, et non "arrestation", étant donné que toutes les procédures requises pour une arrestation, locale ou internationale, ont été grossièrement violées. En se prononçant sur notre pétition, le Groupe de Travail sur les Arrestations et Détentions Arbitraires du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies (UN-HRC-WGAD), dans sa communication n° 59/2022 du 14 octobre 2022, souligne clairement que ce que vous appelez "arrestation" était une violation flagrante de nos droits humains.
Le 5 janvier 2018, alors que nous étions assis dans les jardins de l'hôtel Nera à Abuja avec plus de 500 autres clients, environ 20 hommes armés non identifiés ont enlevé 12 d'entre nous. Les personnes enlevées étaient : Sisiku AyukTabe, Tassang Wilfred, Nfor Ngala Nfor, Barr Shufai Blaise Sevidzem Berinyuy, Barr Eyambe Elias, Dr Egbe Ogork, Dr Fidelis Ndeh Che, Dr Kimeng Henry, Dr Cornelius Kwanga, Prof Cheh Awasum Augustine et deux autres. Nous avons été emmenés dans un centre souterrain de détention que nous avons identifié plus tard comme étant l’Agence de renseignement militaire (Defense Intelligence Agency (DIA)), à Abuja, et détenus au secret pendant 20 jours. Ensuite, nous avons été illégalement remis (refoulement) au Secrétariat d'État à la Défense (SED) de Yaoundé, au Cameroun le 25 janvier 2018, où nous avons été détenus au secret pendant 10 mois. Le 22 novembre 2018, nous avons été transférés à la prison principale de Kondengui, à Yaoundé. Nous avons finalement été, lors d'un simulacre de procès d'une journée, condamnés à l'emprisonnement à vie.
 

Avec le recul, comprenez-vous ce qui s'était passé ?
En 2016, il faut le rappeler, il y avait des grèves soutenues, sur le territoire du Southern Cameroons, par les enseignants et les avocats qui avaient adressé une pétition au gouvernement du Cameroun contre une pléthore de problèmes qui affectaient leur pratique professionnelle, notamment les contraintes linguistiques. Plutôt que d'écouter et de résoudre les problèmes, le gouvernement camerounais avait décidé de s'en prendre à eux par la force brutale et la torture, ce qui avait entraîné plusieurs décès. Le Consortium, qui avait été créé en tant qu'organisation faitière pour défendre la cause, avait été interdit, en même temps que le Southern Cameroons National Council (SCNC), qui faisait campagne pour la restauration de l’Etat du Southern Cameroons. Les têtes de leurs dirigeants ont été mises à prix par le gouvernement Camerounais. Certains d'entre eux ont été arrêtés et d'autres ont fui au Nigeria où ils ont demandé et obtenu le statut de réfugié. Avec le recul, nous pouvons dire que les services de sécurité du Cameroun et du Nigeria ont comploté, planifié et orchestré l'enlèvement des dirigeants qui s'étaient réfugiés au Nigeria et d'autres. En vertu de notre statut de réfugiés, nous n'aurions pas dû être extradés vers le Cameroun sans procédure régulière. La complicité entre les services de sécurité nigérians et les services de renseignement du gouvernement camerounais est évidente dans la mesure où nous avons été détenus dans la DIA - une institution militaire nigériane où une délégation du HCR nous a rencontrés en présence d'un général de brigade nigérian. Une autre preuve de cette complicité est le fait qu'un avion militaire camerounais avait reçu l'autorisation d'atterrir à Abuja au Nigeria, le 25 janvier 2018, où nous avons été illégalement remis au Cameroun.

Quelle appréciation portez-vous sur les relations Cameroun-Nigeria, aujourd'hui et demain, à la lumière de ces arrestations ?
En ce qui nous concerne, le Cameroun et le Nigeria ont perpétré le terrorisme d'État, au regard de ce qu'ils nous ont fait. Ce sont des États qui ont conspiré pour violer nos droits humains fondamentaux et pour nous déshumaniser complètement. Ils le resteront jusqu'à ce qu'ils prennent les mesures appropriées internationalement acceptées pour nous réhabiliter et nous indemniser légalement et légitimement, surtout qu'aujourd’hui, en plus du jugement de la Haute Cour fédérale d'Abuja de mars 2019 qui a ordonné notre libération, le Groupe de travail sur la détention arbitraire (WGAD) du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies les a également déclarés coupables de ces violations flagrantes, a ordonné notre libération immédiate et notre indemnisation par les deux pays.

Après votre arrestation, vous avez été transporté à Yaoundé dans un avion militaire. Quel était votre état d'esprit pendant le vol ?
L'avion militaire en question était un cargo. Nos bras ont été menottés dans le dos, puis nous avons été jetés dans l'avion comme des colis. Nous étions assis sur des sièges de fortune, sans ceinture de sécurité et avec des fusils pointés sur nous pendant tout le voyage. C'était un signe flagrant que tout n'allait pas bien. Cependant, nous sommes restés calmes et sereins tout au long du voyage. Personne n'était visiblement alarmé, car nous savions alors, comme nous le savons aujourd'hui, qu'il n'y a pas de prix trop lourd à payer pour la liberté de notre peuple.
Vous était-il venu à l'esprit que vous pouviez être tué, que l’on pouvait vous faire disparaitre, comme ce fut le cas dans le passé, avec un opposant au régime en exil, le capitaine Guerandi Mbara?
Oui, avec des fusils pointés sur nos visages, et avec les soldats camerounais disant ouvertement qu'ils allaient nous exécuter, nous avons imaginé que cela pouvait être notre dernier jour sur terre. La plupart d'entre nous ont fait leurs dernières prières et se sont assis tranquillement en attendant toute éventualité. C'est le prix que nous sommes tous prêts à payer pour la libération de notre peuple. La volonté de sauver notre peuple l'emporte sur toute peur et ce courage ne nous est pas propre. Chaque Southern Cameroonian engagé est prêt à payer ce prix.
 

Arrivés au Cameroun, vous avez passé 7 mois au SED. Décrivez-nous vos conditions de détention. Comment évaluez-vous ces conditions par rapport aux textes nationaux et internationaux garantissant et protégeant les droits humains ?
Précisons d’abord que nous avons passé 10 mois au SED et non 7 comme vous l'indiquez. Le prétexte de ces 10 mois était que les enquêteurs cherchaient des preuves du crime que nous avions commis. La question que l'on peut se poser est celle de savoir : pourquoi enlever des gens et les présenter comme des terroristes sans preuve ? Nos conditions de détention au SED étaient inhumaines, en totale violation de toutes les lois protégeant les droits humains. C'est au SED qu'ils ont dit de nous : "ils sont pires que des esclaves" et nous avons été traités comme tels.
À notre arrivée au SED, on nous a tous demandé de nous déshabiller et de nous aligner nus. Une équipe de gendarmes nous a molestés en tenant et en se moquant de nos parties intimes. Avec des personnes âgées parmi nous comme Pa Nfor Ngala, ils ont fait de nos pénis des objets de moquerie et nous ont touchés à des endroits très gênants. Par la suite, on nous a remis une paire de survêtements que nous avons portés comme seuls vêtements pendant 46 jours avant que de nouveaux survêtements ne nous soient offerts. Ces deux vêtements, nous les avons portés de janvier à novembre. On nous avait également donné du matériel de couchage constitué de matelas et d’oreillers tachés de sang, peut-être pour nous préparer à ce qui nous attendait dans les jours à venir. Les abus de routine étaient réguliers et fréquents. Pénétrations anales avec les doigts, compressions agressives de nos pénis et testicules lors des fouilles de routine étaient courants. À deux reprises, tout en nous maintenant à l’intérieur, les pièces ont été pulvérisées d'acaricides et de rodenticides. Les conditions de détention étaient horribles. Par exemple : une grave pollution sonore due à l'utilisation intensive, de jour comme comme de nuit, de machines lourdes et bruyantes ; les murs des cellules dans lesquelles nous étions détenus étaient renforcés ; les fenêtres des portes métalliques des cellules ont été réduites afin de réduire la visibilité et l'entrée de l’air. Cette opération a été réalisée à l'aide de lourdes machines à souder qui ont pollué davantage nos cellules par le bruit et l'odeur âcre de la peinture brûlée qui nous accompagnait dans les cellules. La couleur de l'eau du robinet dans les cellules était constamment rougeâtre. Les 37 autres détenus de Taraba et 9 des 11 (Y compris un bébé de 15 mois - Caleb) détenus de Calabar, au Nigéria, qui ont été transférés avec nous, ont été fréquemment torturés et flagellés. En agissant ainsi, ils ont constamment torturé physiquement nos frères et nous ont ainsi traumatisés psychologiquement. Tous les jours, généralement entre 20h00 et 4h00 du matin, les 37 de Taraba et les 11 de Calabar (comme on les appelle communément) étaient encagoulés, menottés et conduits par des chemins sinueux et caillouteux, pour être torturés et interrogés en l'absence de leurs avocats. Caleb n'a pas reçu de nourriture pour enfants et il a été détenu dans presque les mêmes conditions inhumaines que nous. C'était particulièrement traumatisant de l'entendre pleurer et quand les gendarmes lui ont crié dessus en le traitant de terroriste. Nous avons été transférés à la prison principale de Kondengui à Yaoundé (PPKY) le 22 novembre 2018. Les 10 mois que nous avons passés au SED ont été vraiment déshumanisants.

Par la suite, vous avez été condamnés à vie. Quelles appréciations faites-vous de la procédure judiciaire ayant conduit à votre condamnation ?
Le processus judiciaire qui a abouti à la très contestée condamnation à la prison à vie que le tribunal militaire de Yaoundé nous a infligée était une imposture, un abus total et une parodie absolue de justice. Ce que nous avons vu devant les tribunaux était dépourvu de toute crédibilité.
 

Cette condamnation vous semble-t-elle juste et en quoi ? Vous dissuade-t-elle ou renforce-t-elle dans votre détermination à aller jusqu’au bout de votre logique ?
Notre condamnation à la prison à vie reste très injuste à bien des égards et a violé tous les canons d’un procès juste et équitable. Nous n'en soulignerons que quelques-uns ici :
i) La Cour elle-même, étant un tribunal militaire, n'avait pas la compétence pour nous juger ou entendre notre cas, étant donné que nous sommes tous les 10 des civils, des demandeurs d'asile et des réfugiés enlevés au Nigeria. L'article 45 de la Constitution camerounaise stipule que les obligations internationales priment sur la législation nationale. Conformément au droit international, le tribunal militaire était incompétent pour nous juger.
ii) La collégialité qui nous a condamnés, dirigée par le lieutenant-colonel Misse Njone Jacques Baudouin, avait été formellement récusée, mais elle s'est imposée contre toutes les normes d’un État civilisé et a poursuivi le procès.
iii) Nous sommes tous originaires des régions où on applique la Common Law. Aucun d'entre nous ne résidait ni n'avait de famille à Yaoundé, mais nous avons été enlevés et remis à Yaoundé où nous avons été jugés, condamnés et incarcérés selon le droit civil.
iv) Nous avons été accusés de plusieurs chefs d'accusation, mais nous avons été jugés sans être assistés par de conseils, et le tribunal ne nous a même pas affecté des avocats d'office comme l'exigent les lois camerounaises dans de tels cas.
v) Nous avons été jugés en français - une langue que nous ne comprenons ni ne parlons.
vi) Le tribunal nous a imposé la citoyenneté camerounaise malgré le fait que nous l'avions dénoncé. Il s'agissait d'une violation flagrante de leur code de la nationalité de 1968 et de notre droit à la citoyenneté de notre choix.
vii) Le tribunal nous a jugés et condamnés sans mise en accusation.
viii) Les témoins de l'accusation n'ont pas été renvoyés hors du tribunal et hors de la salle d’audience comme l'exigent la pratique courante et même la loi camerounaise.
ix) Le tribunal a fait usage de systèmes de sonorisation sans procédures légales ni justifications appropriées.
x) L'un d'entre nous a eu un malaise et s'est effondré pendant la procédure, mais le tribunal a poursuivi le procès, alors qu'il était prostré sur un banc, luttant pour sa survie, tandis que la procédure se poursuivait toute la nuit, jusqu'au jugement à son encontre.
xi) Le tribunal n'a pas fait preuve de diligence dans des délais raisonnables avant d'admettre des tonnes de prétendues pièces à conviction fabriquées et introduites clandestinement dans le dossier de procédure engagée contre nous. Pire encore, la cour n'a touché ou examiné aucun de ces éléments avant de rédiger et prononcer le jugement de condamnation à perpétuité, ici même, devant nous.
xii) C’était un procès marathon (environ 19 heures non-stop) qui s'est déroulé depuis le 19 août 2019 dans la mi-journée jusqu'à environ 5h30, au petit matin du 20 août 2019, quand le jugement de la cour a été rendu et nos mandats de détention signés.
Avec ces violations et abus, le Jugement du Tribunal est sans conséquence. La décision du Groupe de travail du Conseil des droits de l'homme de l'ONU (WGAD) dans sa communication 59/2022 du 14 octobre 2022, demandant notre libération immédiate et notre indemnisation, met en lumière les failles du jugement du tribunal militaire de Yaoundé.
En ce qui concerne notre résolution, nous restons imperturbables, déterminés et engagés dans la lutte pour la restauration de la légalité et de la vérité dans les relations entre « La République du Cameroun » et le Southern Cameroons (Ambazonie), pour la restauration de l'État d'Ambazonie.

Avant de poursuivre, décrivez-nous vos conditions de détention ici à la prison principale de Yaoundé, Kondengui.
Nos conditions de détention ici à la Prison principale de Kondengui Yaoundé peuvent être qualifiées de sordides. Les cellules mal ventilées sont surpeuplées et infestées de rongeurs, de punaises de lit, de moustiques, de cafards, etc. Nous payons littéralement pour tous nos besoins médicaux. Nous ne mangeons pas la nourriture offerte aux prisonniers, car elle est de très mauvaise qualité. Certains aspects du règlement intérieur de la prison sont déshumanisants. Les directives et principes internationaux qui régissent les prisons, comme les Règles Mandela ratifiées par le Cameroun, ne sont pas respectés et ne seraient pas applicables dans la prison. Lorsque des fouilles sont effectuées, certaines sont menées en totale violation des pratiques standard. La discrimination culturelle et linguistique dont nous faisons l'objet en tant qu'êtres humains et personnes est visible de manière flagrante dans la façon dont nos visiteurs sont maltraités et exploités financièrement, et dans les multiples préjugés dont nous faisons l'objet. Cependant, nous considérons que c'est le prix à payer pour la libération de notre patrie.

 

Abordons le nœud ou fond du problème. Quel est le problème de fond, celui qui vous amène à réclamer l’indépendance du Southen Cameroons que vous appelez désormais Ambazonie ? Autrement dit, comment en est-on arrivé là ?
Permettez-nous de corriger la fausse prémisse avec laquelle vous avez commencé. Nous ne cherchons pas à obtenir l'indépendance, mais à restaurer notre indépendance que l'Assemblée générale des Nations Unies a votée le 19 avril 1961, mais que le Comité tripartite qu’il avait mis en place, composé des gouvernements de la Grande-Bretagne, de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) et du Southern Cameroons, ne s'est jamais réuni pour concrétiser.
Le nœud du problème est le rétablissement de la légalité, de la vérité et de la justice dans les relations entre l'ancien territoire du Southern Cameroons sous tutelle de l'ONU, aujourd'hui appelé Ambazonie, qui était sous la tutelle de la Grande-Bretagne, et « La République du Cameroun » (en français dans le texte), confiée à la France. Nous avons été préparés pour l'indépendance comme tous les autres territoires sous tutelle de l'ONU, y compris le Cameroun oriental, conformément à l'art. 76(b) de la Charte des Nations Unies. Nous avions même une quasi-autonomie, avec un Premier ministre comme responsable ou chef des affaires gouvernementales, un Parlement bicaméral multipartite avec des ministres nommés par le Parlement, un système judiciaire stable et une économie dynamique avec une balance commerciale positive de 1954 à 1961. Notre peuple voulait une indépendance totale, mais les Nations unies lui ont imposé un plébiscite sur la base d'un document parrainé par l'ONU intitulé "Les deux alternatives". Ce document définissait clairement ce que serait la situation si nous votions pour l'indépendance en rejoignant le Nigeria ou « La République du Cameroun » (en français dans le texte). Bien que nous ayons voté pour rejoindre « La République du Cameroun » (en français dans le texte), et que notre décision ait été confirmée par la résolution 1608 (XV) de l'ONU du 21 avril 1961, les gouvernements de « La République du Cameroun » (en français dans le texte), avec l'aide de la France et le silence de la Grande-Bretagne, ont réduit les "Deux Alternatives" et la résolution 1608 (XV) à une lettre morte. Ainsi, après l'échec des tentatives de la Conférence de Foumban du 21 juillet 1961 d'aboutir à une Constitution fédérale, « La République du Cameroun » (en français dans le texte) a unilatéralement amendé sa Constitution au Parlement Camerounais les 24 et 25 août 1961 et l'a fait promulguer par son Président le 1er septembre 1961. Cela a été suivi par l'envoi de gendarmes dans le Southern Cameroons dans la nuit du 30 septembre 1961 pour imposer la soi-disant Constitution fédérale à notre peuple à partir du 1er octobre 1961, date à laquelle notre indépendance était censée prendre effet conformément à la résolution 1608 (XV) des Nations Unies. Cette imposition illégale de la Constitution et de la gouvernance du Cameroun français et l'émasculation judiciaire, sociale, culturelle et économique du Southern Cameroons qui l'accompagnent constituent le cœur du problème. Notre peuple cherche à restaurer un passé et un patrimoine volés pour lesquels nous n'avons pas d'autre alternative. Nous résisterons jusqu'à ce que nous récupérions ce qui nous appartient de droit et légitimement. Le projet de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) d'assimiler complètement le Southern Cameroons, comme l'a confirmé M. Paul Biya lors de l'entretien accordé à la Fondation Moh Ibrahim en 2019 à Paris, a lamentablement échoué.
Voici un bref aperçu de la manière dont l'assimilation dans le secteur de l'éducation a été menée par « La République du Cameroun » (en français dans le texte) :
Tout d'abord, Yaoundé s'est délibérément abstenu de tout projet destiné à favoriser le développement des esprits et des compétences des ressortissants du Southern Cameroons, et a également tout fait pour démanteler les institutions et infrastructures éducatives anglo-saxonnes héritées qui étaient très solides et pleines de ressources.
En 1962, le gouvernement américain a offert une assistance financière pour la construction du Cameroon College of Arts, Science and Technology (CCAST) à Bambili. Ce collège était censé jeter les bases de la première université anglo-saxonne du Cameroun occidental. Yaoundé s'est assis sur les finances et a étouffé le projet. Cela a conduit à la migration de nos meilleurs cerveaux vers d'autres pays en quête de connaissances.
En 1972, après le simulacre de référendum, M. Mongo Soo, ministre de l'Éducation nationale, a nommé le premier francophone à la tête du GTC (Government Trade Centre) d'Ombe avec pour mission de le réduire à un Government Technical College. En conséquence, en 1973, Yaoundé avait remplacé tous les programmes d'enseignement professionnel anglo-saxons par les programmes d'enseignement technique français de l'époque coloniale, tandis que les prestigieux certificats d'enseignement professionnel administrés depuis Londres étaient remplacés par des examens de certificats techniques francophones locaux.
En 1975, tous les équipements des ateliers ont été démantelés et emportés vers l'est du Cameroun et Ombe est devenu l'ombre de lui-même. Les projets de transformation en école polytechnique ont été abandonnés.
De manière très agressive, des instructeurs d’expression française ont été introduits dans les collèges techniques publics anglophones, dans le seul but de décourager et de tuer l'enseignement technique et la formation professionnelle dans le territoire.
À plusieurs reprises, les étudiants et les parents sont descendus dans la rue entre 1980 et 1994 pour protester et bloquer les tentatives persistantes d'assimilation complète et d'anéantissement de notre système éducatif anglo-saxon. Le gouvernement camerounais a répondu à chaque fois par la force brute et des mesures de répression qui ont entraîné plusieurs arrestations, détentions, tortures, blessures et décès.
Le pic de la francophonisation a été atteint en 2004 lorsque les candidats d’expression anglaise au Baccalauréat Technique, option mécanique automobile, ont été invités à "donner les fonctions d'une bougie dans le moteur d'une automobile". Dans la question, « Candle » était censé signifier "bougie d'allumage". Les enquêtes menées sur ce scandale par la CATTU (syndicat des enseignants du Cameroun) ont abouti à des recommandations pour la création du HTTTC, du HTTC et d'une université à Bamenda. Il a fallu six ans de plaidoyer, de lobbying et de torsion de bras pour que ces institutions soient créées. Cependant, l'objectif de leur création a été rapidement battu en brèche, car les francophones les ont envahis à tous les niveaux : étudiants, universitaires et personnels administratifs.
En 2011, la CATTU a demandé la tenue des États Généraux (ou forum sur l'éducation), dans le but de trouver des solutions durables au problème désormais permanent de l'interférence culturelle. L'appel a été entendu et ledit forum a été programmé pour 2013 par le Premier ministre de l'époque qui a chargé le ministre de l'Enseignement supérieur de superviser son organisation. Jusqu'à la grève de l'éducation 2016/17, ledit forum ne s'est pas tenu ; le ministre de l'Enseignement supérieur, d'origine camerounaise, a délibérément snobé le Premier ministre originaire du Southern Cameroons.
En 2014, l'impact négatif des élèves enseignants francophones stagiaires des écoles normales des universités de Bamenda et de Buea ne pouvait plus être ignoré. Toutes les tentatives pour résoudre le problème se sont heurtées à une résistance.
En 2015, environ 80 % des enseignants diplômés affectés dans les collèges anglophones, tant ceux de l’enseignement général que technique, étaient des francophones. Les syndicats d'enseignants du sous-système éducatif anglophone sur le territoire du Southern Cameroons n'ont eu d'autre choix que d'appeler à la grève illimitée qui a débouché et s'est cristallisée sur le mouvement de restauration de l'indépendance suite au refus de Yaoundé de se pencher sur le problème et à son approche autoritaire qui a entraîné la mort de cinq (5) jeunes à Bamenda le 8 décembre 2016. Le degré d'adhésion à la grève qui a conduit à l’arrêt des activités économiques, la fermeture des entreprises et des activités de transport pendant des jours aurait dû faire comprendre aux autorités de Yaoundé que notre peuple était prêt à se sacrifier, à donner sa vie pour l'éducation de ses enfants. La mort par balles des cinq jeunes a marqué le point de non-retour. Il valait mieux mourir en essayant de restaurer une nation que de mourir en suppliant d'être acceptés là où nous n'étions clairement pas désirés depuis 1961. Le refus des syndicats d'enseignants francophones de se joindre à la grève et de la soutenir malgré le fait que la plupart des enfants de leurs dirigeants fréquentaient des écoles du sous-système anglophone était très révélateur. Le problème était donc circonscrit à notre territoire et pour cause, ce sont nos enfants qui étaient spécifiquement visés par l'anéantissement, pas les leurs.
Sans entrer dans les détails, le système judiciaire du Southern Cameroons a souffert d'abus et de bâtardise similaires de la part du gouvernement de Yaoundé, qui était déterminé à éliminer notre système juridique anglo-saxon indépendant, bien développé et éprouvé, en faveur du système de droit civil francophone, proclamé supérieur, mais qui laissait beaucoup à désirer. Nos procédures et nos lois qui avaient régi nos institutions politiques, socio-culturelles et économiques stables depuis la tutelle britannique ont été progressivement remplacées par des lois francophones et des officiers de justice et d'application de la loi francophones qui étaient une épine dans la chair des avocats et des personnes qui se présentaient devant eux pour être jugés.

En 2016, plus de 70% des magistrats et présidents de tribunaux étaient francophones et ne faisaient aucun effort pour apprendre la langue ou les pratiques juridiques anglo-saxonnes. Ils étaient plutôt de plus en plus oppressifs dans leur façon de traiter les affaires dans les tribunaux. D'où la grève des avocats à partir d'octobre 2016 qui a donné le coup d'envoi de la crise qui a rapidement évolué vers le conflit actuel.
Avec tout ce qui précède et plus encore, nous croyons fermement en la restauration de l'État du Southern Cameroons (appelé Ambazonie, après le 1er octobre 2017) comme la seule solution viable parce que c'est une question d'identité. Nous avons été constamment détestés pour ce que nous sommes et non pour ce que nous avons fait. Le conflit porte sur la restauration de la légalité, de la vérité et de la justice.

 

Vous pensez que la solution à ce problème est la sécession, c’est-à-dire l’avènement d’un petit État (en termes de territoire) à un moment où, dans le monde, la tendance est au rassemblement des nations. En quoi cette position à contre-courant vous semble-t-elle bénéfique pour le Cameroun et la partie du Cameroun que vous voulez séparer ?
L’emploi du mot "sécession" nécessite une autre clarification, car elle présuppose la rupture d'une patrie d'un tout alors que vous savez qu’à aucun moment de son histoire le Southern Cameroons n'a fait partie de « La République du Cameroun » (en français dans le texte). « La République du Cameroun » (en français dans le texte) a obtenu son indépendance le 1er janvier 1960 et le 20 septembre 1960, elle a été admise au sein de l'ONU et de la communauté internationale avec une constitution, une population et un territoire clairement définis dont les frontières étaient gelées en vertu du droit international. Elle est restée ainsi jusqu'à ce qu'elle envahisse et occupe militairement le Southern Cameroons britannique dans la nuit du 30 septembre 1961 pour y imposer sa Constitution et sa gouvernance.
Une fois de plus, vous utilisez des termes désobligeants de "...petit État (en termes de territoire) ..." pour qualifier le Southern Cameroons. Permettez-moi d'attirer votre attention sur le fait que le Southern Cameroons (Ambazonie) avec environ 43.000km² de territoire, avec des frontières internationales clairement reconnues et démarquées depuis 1931, est plus grand que 21 États indépendants membres de l'Union Africaine et de nombreux États d'Europe occidentale, et presque tous les nouveaux pays d'Europe de l'Est. Ici, nous ne parlons que de territoire et non de population et de ressources naturelles.
Vous semblez également ne pas avoir compris l'intérêt et la signification de la mondialisation. Vous n'avez pas encore cité un seul pays qui a renoncé à son indépendance pour être absorbé par un autre au nom de la mondialisation. Et pourtant, rappelez-vous l'expérience de la Sénégambie et, plus récemment, du Brexit. Alors, qu'y a-t-il de mal à ce que le Southern Cameroons se retire également d'une union illégale qui ne sert manifestement pas les intérêts de son peuple ? Lorsque nous sortirons complètement de cette union, le Cameroun et le Southern Cameroons pourraient relever plus facilement leurs défis en matière de développement, sans être gênés par les deux identités culturelles fortes et opposées héritées de notre passé colonial, ce que nous ne pouvons prétendre. Ils seraient en meilleure position pour favoriser la coopération bilatérale et multilatérale qui repoussera les frontières de la mondialisation. L'unité doit être consensuelle et jamais imposée.

Quand vous dites que le Southern Cameroons n'a jamais fait partie de « La République du Cameroun » (en français dans le texte), On peut vous rétorquer que le Southern Cameroons n’existait pas quand le Cameroun était sous protectorat allemand
La tentative de lier le Southern Cameroons à « La République du Cameroun » (en français dans le texte) sur la base d'un Kamerun allemand est un cliché et une erreur. Il s'agit d'un argument erroné pour justifier pourquoi nous sommes dans cette impasse et pourquoi le Cameroun sème le chaos au sein de notre peuple. Il met également en évidence deux choses : soit il s'agit d'une tentative délibérée de dissimuler des faits historiques à leur propre société, soit cela révèle avec consternation, un manque total de maîtrise de leur propre réalité historique.
Le Kamerun sous protectorat allemand était sous la tutelle des Allemands de 1884 à 1916. Durant cette période, ni le Cameroun français ni le Southern Cameroons n'existaient. Rappelons que « La République du Cameroun » (en français dans le texte) n'est pas l'État qui succède au Kamerun allemand. Le Kamerun allemand a cessé d'exister après la Première Guerre mondiale, qui a vu la défaite de l'Allemagne. À la fin de la guerre, le butin de guerre dont il est question ici - le Kamerun allemand - a été partagé entre la Grande-Bretagne et la France. Dans le traité de paix de Versailles, en France, en 1922, l'article 22 du pacte de la Société des Nations a confirmé la division du Kamerun allemand en Cameroun britannique et Cameroun français en tant que territoires sous mandat et leurs limites territoriales ont été clairement établies et définies. Ensuite, le traité de délimitation anglo-français a établi les frontières sur lesquelles le Cameroun sous tutelle française a obtenu son indépendance le 1er janvier 1960 sous le nom de « La République du Cameroun » (en français dans le texte). En 1946, le Cameroun sous mandat britannique et le Cameroun sous mandat français sont devenus des territoires sous tutelle de la Grande-Bretagne et de la France, respectivement.
Le 1er janvier 1960, le Cameroun sous tutelle française a obtenu son indépendance de la France et est devenu une personnalité juridique sous le nom de "« La République du Cameroun » (en français dans le texte)" avec des frontières clairement définies. Lors de l'accession à l'indépendance de « La République du Cameroun » (en français dans le texte), le Southern Cameroons n'en faisait pas partie. Plus tard, le Southern Cameroons a obtenu sa propre indépendance de la Grande-Bretagne le 1er octobre 1961, sur la base du traité de 1931 sur les frontières franco-anglaises.
Une fois l'indépendance acquise, les frontières de « La République du Cameroun » (en français dans le texte)ont été gelées. La résolution de l'UA signée par les États qui demande le maintien et le respect des frontières existant au moment de l'accession à l'indépendance est inscrite dans la Charte de l'UA (résolution ahg/r.s. 16(1)) ; l'Acte constitutif de l'UA (article 4b). À notre connaissance, il n'existe aucun traité qui étende les frontières de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) au-delà de son territoire tel qu'il était au moment de l'indépendance pour inclure le Southern Cameroons : Si vous en connaissez, faites-le savoir. Ainsi, nous demandons simplement à « La République du Cameroun » (en français dans le texte) de respecter ces instruments internationaux et de mettre fin à ce conflit.
Pour étayer notre propos, au moment où nous nous entretenons, le territoire qui constitue le Kamerun allemand était composé du Southern Cameroons, de « La République du Cameroun » (en français dans le texte), de certaines parties du Tchad, de la République centrafricaine, du Congo Brazzaville, du Gabon et du Nigeria. Si on s’en tient à la logique de ceux qui parlent du Kamerun Allemand, la République du Cameroun revendique-t-elle la propriété des territoires susmentionnés qui constituaient le Kamerun allemand ou revendique-t-elle uniquement le Southern Cameroons? Pourquoi l'idée du Kamerun allemand se limite-t-elle à l'occupation/annexion du Southern Cameroons britannique ? La tentative de reconstruire le Kamerun allemand est appelée irrédentisme, un crime en droit international. La revendication de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) sur le Southern Cameroons pour ce motif est donc un sophisme et doit être considéré comme tel. 

 

Ailleurs, un tel projet passe par une consultation populaire ou référendum. Mais, vous avez choisi une approche verticale et autoritaire. En quoi cela vous diffère-t-il du pouvoir de Yaoundé et ses méthodes que vous combattez ? Quel pourcentage (proportion) d’anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pensez-vous avoir de votre côté dans cet affrontement ?

Votre question est basée sur une prémisse erronée selon laquelle nous avons commencé la guerre. Rappelez-vous que M. Biya, à son retour du Sommet de la Francophonie d'Abidjan et alors qu'il était encore à l'aéroport international de Yaoundé Nsimalen, le 30 novembre 2017, a déclaré la guerre au peuple du Southern Cameroons. Depuis lors, nous n'avons fait qu'agir en légitime défense, qui est un droit inaliénable internationalement reconnu. Cependant, notre volonté d'accepter une résolution pacifique du conflit sous médiation internationale n'exclut pas la tenue d'un référendum sous l’égide d’une facilitation et une supervision internationale mutuellement acceptable.
En ce qui concerne la proportion de notre population qui soutient notre cause, une enquête menée par l'équipe d'experts du Cardinal Tumi en 2020/21 a révélé que plus de 69% de notre population soutient notre quête de restauration. Notez que l'enquête de Tumi n'incluait pas l'option de l'indépendance : les personnes interrogées ont ajouté cette option de leur propre chef et c'est la réponse la plus significative de cette étude. Une autre enquête réalisée par la Coalition pour le dialogue et la négociation (CDN), basée aux États-Unis, a révélé que plus de 86 % de notre population est favorable à la restauration de l'indépendance de notre nation. En outre, la mobilisation massive le 22 septembre 2017 et le 1er octobre 2017 de notre peuple en réponse à l'appel de Sisiku Julius AyukTabe à la restauration de notre indépendance démontre à suffisance qu'une grande majorité de notre peuple aspire à une indépendance totale et complète.

N'y a-t-il pas d'autres solutions qui permettraient d'atténuer les souffrances infligées aux populations prises entre deux feux ?
Pour mettre fin au conflit, nous avons toujours été favorables à une médiation internationale que « La République du Cameroun » (en français dans le texte) a toujours ignorée. La façon dont l'armée camerounaise commet un génocide de notre peuple nous attriste. Il n'y a clairement pas d'autre solution, compte tenu des violations flagrantes des droits de l'homme et de la souffrance infligée à nos populations. En fait, il est dans l'intérêt du Cameroun de mettre fin de toute urgence à son assaut militaire injustifié contre notre peuple afin que nos relations, en tant que voisins incontournables, ne se transforment pas à ce qui peut ressembler au conflit israélo-palestinien, en raison des souffrances de cette guerre, qui a été menée exclusivement sur notre territoire.

Quel bilan faites-vous, en termes de pertes en vies humaines, de destructions des biens matériels, des populations déplacées et d’enfants qui ne vont pas à l’école ?
Le Cameroun aborde la gouvernance avec l'attitude que toutes les vies humaines n'ont pas la même valeur. Cette attitude est palpable quand on voit comment les militaires camerounais ont traité les populations du Southern Cameroons avant et surtout pendant cette crise. Notre peuple est particulièrement exposé à la discrimination, à la déshumanisation, à la torture et aux exécutions extrajudiciaires, notamment des femmes, des enfants, des personnes handicapées et même des aliénés.
Il existe de nombreux exemples de violations des droits de l'homme qui ont eu lieu au cours de cette guerre. Certains exemples sont particulièrement écœurants : la réduction en cendres d'une mère de 80 ans, Mami Api, dans sa maison à Kwa-Kwa, le meurtre d'un bébé de 3 mois, Martha, par des militaires camerounais à Muyuka et la décapitation de Sam Soya de Belo-Kom sur une place publique. D'autres exemples incluent l'exécution à bout portant d'enfants par les militaires, comme le bébé Carol à Buea et d'autres enfants à Ndop et Bamenda qui se rendaient à l'école, ou qui revenaient de la ferme avec leurs mères. Dans certains cas, leurs crânes ont été fracassés par des balles devant leurs mères impuissantes qui ont assisté douloureusement aux souffrances atroces de leurs enfants avant qu’ils ne rendent l’âme. En outre, les souvenirs des massacres de Ngarbuh, Mautu et autres, où les militaires ont délibérément tiré et tué des familles entières sans sommation et en l’absence de provocation, restent vivaces dans nos esprits. Des "enquêtes spéciales" menées par le gouvernement camerounais lui-même ont établi sans ambiguïté que leurs militaires ont perpétré ces atrocités sur des civils innocents à Ngarbuh. Leur seul tort était d'être nés Ambazoniens.
Les violations des droits de l'homme commises par l'armée camerounaise à l'encontre de notre peuple sont flagrantes et stupéfiantes. Le gouvernement camerounais n'a cessé d'intimider, de harceler, d'arrêter et de détenir des travailleurs de la santé, des enseignants, des avocats, des journalistes, etc. Les militaires camerounais ont, en toute impunité, incendié des écoles et des hôpitaux dans le Southern Cameroons. Ils ont occupé les locaux des écoles et des hôpitaux en violation totale du statut inviolable de ces institutions. Entre 2018 et 2022, les militaires camerounais ont incendié des écoles et des hôpitaux à Kumba, Muyuka et plus récemment l'hôpital général de Mamfe, pour n'en citer que quelques-uns. À Mamfe par exemple, les militaires camerounais ont évacué les patients qui avaient été admis à l'hôpital avant de mettre le feu à l'hôpital. Nous savons également que l'hôpital général de Kumba a également été incendié par l'armée camerounaise. De même, l'armée camerounaise a attaqué des écoles à Kumba, Bamenda, comme ailleurs, où des élèves ont été tués de manière horrible sans qu'aucun délit n'ait été commis. Ces enfants ont quitté leur maison avec enthousiasme comme leurs pairs partout dans le monde, excités de poursuivre leurs rêves, laissant derrière eux leurs parents et leurs frères et sœurs et ont malheureusement été retrouvés morts dans leur propre mare de sang, perforés par des balles que seuls les militaires de Yaoundé pouvaient tirer. Ce qui est le plus vexant, c'est que les auteurs de ces crimes odieux contre notre jeunesse sont toujours en liberté, sans qu’on leur demande de rendre de comptes.
Les ramifications de ces violations des droits de l'homme dans le Southern Cameroons (Ambazonie) affectent de manière disproportionnée les habitants des zones urbaines et rurales. En résumé, depuis que M. Biya a déclaré la guerre au peuple du Southern Cameroons le 30 novembre 2017, on estime que l'armée camerounaise a tué plus de 40 000 civils, rasé plus de 550 villages et communautés, provoqué le déplacement de plus de 1,7 million de personnes, dont plus de 150 000 réfugiés au Nigeria uniquement. Plus de 4 000 femmes et jeunes filles ont été violées, des milliers de personnes ont été mutilées, y compris des personnes âgées, des femmes, des enfants et des handicapés physiques, et plus de 3 000 personnes sont incarcérées dans des prisons et autres centres de détention, qu'il s'agisse d'installations officielles ou de fortune.

 

N’exagérez-vous pas ? Quelle est la part de responsabilité de vos combattants dans ce bilan ? L'armée camerounaise est-elle seule responsable de cette tragédie ?
Il n'est pas exagéré de dire que l'armée camerounaise est la seule responsable des atrocités que nous avons mentionnées ci-dessus. Vous pouvez énumérer les massacres de Ngarbuh, Kwakwa, Kumba, Aba, etc., qu’elle a commis mais vous ne pouvez citer aucune atrocité attribuée à nos combattants. Rappelez-vous également que l'afflux de réfugiés au Nigeria en décembre 2017 était le résultat de l'ordre administratif émis par l'officier divisionnaire colonial de Manyu Mr Oum II qui avait ordonné aux villageois d'évacuer leurs villages de Manyu, s’ils ne voulaient pas être traités comme des chiens et des terroristes. Rappelez-vous que la République du Cameroun est l'agresseur ; Rappelez-vous qu'en 2017, en tant que peuple pacifique, nous avons manifesté en brandissant l’arbre de paix et puis le 30 novembre 2017, M. Biya nous a déclaré la guerre. Depuis lors, nos combattants ne sont qu'en légitime défense. N’oubliez pas que cette guerre d'autodéfense est menée exclusivement sur notre territoire. Il n’est pas possible pour nos forces de la Restauration d'infliger ce type de douleur au peuple qu'elles défendent. Pour étayer le fait que nos forces de restauration sont civiles, vous serez surpris de constater qu'aucun civil francophone n'a été attaqué ou tué en Ambazonie. Il convient de noter que l'armée camerounaise et certains de ses hauts responsables gouvernementaux parrainent des milices et de faux Ambaboys. Il est donc évident que la responsabilité du génocide cité ci-dessus incombe entièrement aux militaires camerounais.
L'IRA existait mais, ce n'est que lorsqu'elle est arrivée à Londres qu'elle a été reconnue et respectée au niveau international.

Les populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne paient-elles pas un lourd tribut ?
D'après les statistiques ci-dessus, le peuple ambazonien paie un lourd tribut relatif aux atrocités commises par les militaires camerounais. Cela semble faire partie du programme d'assimilation concocté depuis 1961. Rappelez-vous le massacre d'Ebubu en 1962, au cours duquel, sous prétexte de chasser les maquisards qui se cachaient dans la forêt, notre peuple à Ebubu, un village près de Tombel, a été pratiquement massacré. Nous avons appris que la liberté ne se donne pas, elle s’arrache, et que le prix à payer pour être une nation est la capacité de son peuple à se défendre contre toute forme d'assimilation, d'annexion ou de recolonisation. Nous sommes tous prêts à payer le prix nécessaire pour restaurer notre indépendance au profit des générations futures.

Quel bilan politique faites-vous de cette crise ?
Le conflit a révélé deux choses à propos de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) : i) Elle n’est pas digne de confiance pour aucun accord. ii) Elle considère les populations du Southern Cameroons comme des sous-hommes et pense qu'elle peut achever sa politique de son annexion ou l'anéantir et effacer l'histoire comme l'a confirmé M. Biya en 2019 à Paris. La vérité est très têtue. Elle l'emportera dans ce conflit.
M. Biya pense que c’est par une victoire militaire qu'il peut achever sa politique d'annexion. À cet égard, il a échoué. Depuis six ans et plus, ayant commencé à lutter à mains nues, notre peuple a, dans une large mesure, été capable de se défendre contre les assauts militaires de « La République du Cameroun » (en français dans le texte). Le Cameroun ne peut pas et ne gagnera pas cette guerre. Aucune armée n'a jamais vaincu un peuple déterminé sur son territoire ; nous ne serons pas l'exception. Nous ne ferons pas exception. Nous sortirons victorieux dans cette quête.

 

Vous semblez être de plus en plus isolé par la communauté internationale. S'intéresse-t-elle de nouveau à la crise ? Si oui, pourquoi pensez-vous cela ?
De notre point de vue, nous pensons le contraire, car la vérité et le droit international sont de notre côté, et la prise de conscience sur le conflit est croissante. Le récent statut de protection temporaire (TPS) accordé aux personnes fuyant ce conflit aux États-Unis en dit long. En outre, la mise en exergue permanente du conflit par les groupes de défense des droits et la couverture médiatique croissante en disent long. La roue du droit international et de la diplomatie est peut-être lente, mais elle rattrapera toujours tous les crimes contre l'humanité.

Venons-en aux perspectives. L’existence de plusieurs mouvements revendiquant l’indépendance des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne fragilise-t-elle pas cette quête?
Nous sommes d'accord avec vous sur le fait qu'il existe de nombreux groupes qui cherchent à restaurer l'indépendance du Southern Cameroons. Cependant, nous vous faisons remarquer que l'existence de nombreux groupes dans une révolution n'est pas spécifique à notre cas. Si les nombreux groupes peuvent signifier quelque chose, c'est plutôt que notre peuple est de plus en plus à la recherche d'options qui pourraient être explorées pour que nous atteignions notre objectif le plus rapidement possible. L’existence de nombreux groupes est révélatrice de leur désir et de leur zèle croissants, à participer et à contribuer à la lutte. Les nombreux mouvements qui existent dans notre lutte témoignent de notre soif de démocratie, car chacun d'eux sert de contrepoids à l'autre, puisque nous connaissons l'adversaire auquel nous avons affaire. La multiplicité des mouvements de libération qui mènent tous le même combat est moins notre faiblesse que notre force. Le moment venu, tous les mouvements surmonteront leurs différences et se dresseront comme un seul homme pour chanter "Hail, Hail ... We the Ambazonians pledge our loyalty ... !".

La multiplicité des acteurs avec des visions et des stratégies différentes ne joue-t-elle pas contre votre quête d'indépendance ?
Les différences n'existent que dans l'approche pour arriver à la fin. L'objectif principal de tous les groupes est la restauration de l'indépendance de notre patrie. Nous sommes soudés autour de cet objectif commun, même si on peut noter des différences dans les approches stratégiques. Nous sommes convaincus que nous nous rassemblerons au moment opportun et que nous entrerons, comme un seul homme, dans la ville de Buea.

Quelles relations avez-vous avec les autres leaders qui luttent pour la même cause ?
Nous avons de bonnes relations avec tous les autres groupes qui partagent le même objectif et les mêmes aspirations que nous, à savoir libérer notre patrie. Nos relations sont très cordiales, respectueuses, malgré le bruit sur les réseaux sociaux.

Y a-t-il déjà eu un rapprochement entre les dirigeants des différents mouvements séparatistes ? Si oui, à quel niveau se situent les discussions ?
Absolument oui. Nous échangeons fréquemment des notes les uns avec les autres sur les domaines critiques de collaboration. Nous ne visons pas l'uniformité, mais l'unité et la collaboration. Jusqu'à présent, nous enregistrons des progrès significatifs dans ces domaines.

Ne pensez-vous pas que le temps joue contre vous, étant donné que visiblement, le gouvernement joue sur l’usure et la lassitude des populations ? Ne voyez-vous pas la nécessité d'envisager une autre stratégie ?
Pour nous, le temps n'a pas d'importance dans ce conflit. Que le temps soit court ou long, notre objectif reste le même, la restauration de notre nation. Si « La République du Cameroun » (en français dans le texte) compte sur le temps pour gagner la guerre, alors elle fait une grosse erreur. Elle a besoin de ressources plus que suffisantes (qu'elle n'a pas) pour soutenir la guerre pendant une très longue période. Rappelez-vous que lorsque M. Biya a déclaré la guerre le 30 novembre 2017, certains ont déclaré que nous serions écrasés en deux (2) semaines. Cela fait maintenant 6 ans et plus. Qui donc subit la pression du temps ? Étant donné notre détermination, notre résolution et notre résilience, notre peuple ne sera pas fatigué de sitôt. Étant donné que la justice et la vérité doivent prévaloir avec le temps, nous pouvons dire avec certitude que le temps joue en notre faveur.

Les arrestations et l'inculpation devant les tribunaux de certains de vos partisans aux États-Unis ne sont-elles pas un nouveau message du gouvernement américain afin que vous envisagiez une autre solution à cette crise qui dure ?
Il est vrai que des arrestations ont eu lieu aux États-Unis et que le Cameroun jubile, mais nous pouvons affirmer en toute confiance que ces arrestations ne traduisent pas une opposition américaine à notre quête pour la restauration de notre État.
Il convient de préciser que les récentes arrestations de nos 3 compatriotes aux États-Unis ne sont pas dues au fait qu’ils soutiennent notre cause, mais parce qu'il est allégué qu'en tant que citoyens américains, ils ont enfreint les lois américaines. Les États-Unis, contrairement au Cameroun, respectent l'État de droit. Les personnes en question ont seulement été arrêtées et des charges ont été retenues contre elles alors que les enquêtes sont en cours. Elles n'ont pas encore été condamnées. Elles sont présumées innocentes, en fait, au moment où nous parlons. L'un d'entre eux a été libéré sous caution et les deux autres le seront bientôt, en attendant leur procès. Leur arrestation n'a rien à voir avec la politique américaine vis-à-vis du conflit, comme l'insinue le Cameroun. Il n'y a donc aucune raison pour nous de nous alarmer ou pour que le Cameroun de jubiler.

Que pensez-vous des actions entreprises par le gouvernement de Yaoundé en réponse à vos revendications, à savoir l’organisation du Grand Dialogue national, la décentralisation qui accorde un statut spécial aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les centres de DDR avec pour mission de désarmer les personnes armées et de ramener la paix ?
Ce conflit ne prendra pas fin sans que les deux parties s'asseyent autour d’une table pour discuter. Tous les conflits se terminent toujours autour d’une table de négociation. Celui-ci ne fera pas exception. Pour autant que nous le sachions, (de 1961 à aujourd'hui) en essayant d’occulter le problème, « La République du Cameroun » (en français dans le texte) a toujours parlé à elle-même. En 1975, le Président Ahmadou Adhijo a créé une Commission d'enquête présidée par le Premier ministre de l'époque, M. Paul Biya, avec M. Abouem á Tchoyi comme Secrétaire. Jusqu’à ce jour, les recommandations de cette Commission n'ont jamais été rendues publiques. Elles ont été mises de côté. Il y a eu plusieurs autres appels comme : l'appel des élites, l'appel de la AAC1, l'appel de la AAC2, la décision de Banjul 2009, les appels de la communauté internationale, y compris l'ONU. « La République du Cameroun » (en français dans le texte) n’a jamais organisé une assise pour discuter avec le peuple du Southern Cameroons. Citez un seul exemple pour nous contredire, si nous avons tort ou nous trompons. Donc pour nous, tout ce que vous avez cité ci-dessus comme actions du gouvernement camerounais sont des non-événements, c’est-à-dire est sans conséquence.
 

Ces mesures gouvernementales ont-elles une possibilité ou une chance de réussite ? et pourquoi ?
Les mesures auxquelles vous faites référence ci-dessus, si elles étaient destinées à résoudre ce conflit, sont des non-événements, sans conséquence et mort-nées. Cela fait près de 3 ans qu'un tel bruit a été fait. Qu'est-ce qui a changé sur le terrain ? Absolument rien. Elles n'ont rien résolu ! Au contraire, elles n’ont été qu’un gaspillage de ressources.

Nous avons appris à deux reprises que vous étiez en négociations avec le gouvernement. Confirmez-vous ces informations ?
Non, il n'y a pas eu de réunion pour une négociation. Cependant, en avril et juillet 2020, nous avons rencontré des représentants du gouvernement camerounais pour explorer les voies et moyens pour un cessez-le-feu et pour des pourparlers.

Qu'est-ce qui a alors arrêté ou bloque ces pourparlers ou ces négociations ?
Encore une fois, les rencontres n'étaient pas pour des négociations. Notez que pour notre part, nous avons toujours été ouverts à la négociation pour mettre fin à ce conflit. Nous ne sommes pas responsables du blocage. Il est évident que le gouvernement camerounais est de mauvaise foi, quand il est question de négociation pour la recherche des solutions pour mettre fin au conflit. Nous pensons qu'il existe dans ses rangs ce que les spécialistes des conflits appellent des "entrepreneurs de conflits" qui perpétuent les cercles de violence dans le seul but d'en tirer profit. Les membres de cette catégorie ne souhaitent pas que le conflit prenne fin. C'est pourquoi ils attirent malhonnêtement l’attention des autres par le biais des appareils de propagande de l'État en leur faisant croire qu'une victoire militaire est en vue. Ce sont ces personnes qui entretiennent le conflit et bloquent les initiatives en faveur d'un règlement négocié.

Vous semblez dire ou croire que vous avez atteint le point de non-retour. Mais, nous savons aussi que les vérités politiques sont circonstancielles. En d'autres termes, ce qui est vrai aujourd'hui peut ne pas l'être demain. Dites-nous ce qui, à la rigueur, pourrait vous amener à modifier votre position et envisager un avenir commun pour tous les Camerounais, anglophones comme francophones.
De 1961 à ce jour, le gouvernement de « La République du Cameroun » (en français dans le texte) a fait preuve de mauvaise foi et d'une extrême barbarie envers notre peuple. Les exemples abondent. Si vous détestez un peuple pour ce qu'il est, aucune loyauté ou apaisement ne changera la façon dont il vous perçoit ou entre en relation avec vous. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'honnêteté et la confiance ne sont pas inscrites dans l'ADN du gouvernement camerounais. Nous avons donc consciemment choisi la voie de l'autodétermination pour notre souveraineté en tant que nation. Attention, c'est un droit inaliénable qui ne peut nous être refusé. En fait, la Charte de l'UA oblige les États membres à apporter leur aide aux territoires comme le nôtre qui luttent pour mettre fin au colonialisme dans toutes ses manifestations.
Afin d’alléger les souffrances des populations, de favoriser le retour des déplacés internes et des exilés, surtout afin de permettre aux enfants de reprendre le chemin de l’école, ne pensez-vous pas qu’un accord de paix devrait être signé entre tous les mouvements séparatistes et l’État du Cameroun ? Quelles seraient les conditions pour parvenir à un tel accord ?
On ne saurait trop insister sur la nécessité d'un accord de paix entre le Southern Cameroons (Ambazonie) et « La République du Cameroun » (en français dans le texte). Les choses n’ont que trop tardé. La communauté internationale le réclame depuis longtemps, mais M. Biya n'a prêté aucune attention à ces appels. Rappelez-vous que le jugement de Banjul de 2009 dans la Communication 266/2003 a appelé le Cameroun à s'engager dans un dialogue constructif avec le peuple du Southern Cameroons, mais le gouvernement camerounais s'est jusqu'à présent dérobé. Nous avons toujours exprimé notre volonté de dialoguer avec le Cameroun afin de résoudre le conflit, en s'attaquant à ses causes profondes. Cependant, nous avons clairement indiqué que pour parvenir à un accord de paix, les mesures de confiance suivantes devraient être mises en place :
- Que M. Biya, qui a déclaré la guerre au peuple du Southern Cameroons, déclare un cessez-le-feu ;
- Que M. Biya retire son armée des rues et des quartiers du Southern Cameroons.
- Que toutes les personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées dans le cadre de ce conflit soient libérées ;
- Qu’un accès sans entrave, sans crainte de harcèlement, de torture, d'arrestation ou d'emprisonnement, soit accordé aux Southern Cameroonians (Ambazoniens) qui souhaitent rentrer chez eux ou qui souhaitent rendre visite à leurs roches.
- Que « La République du Cameroun » (en français dans le texte) s'engage dans un processus de négociation international, sous la médiation d'un médiateur neutre choisi d'un commun accord par les deux parties et dans un lieu neutre.
- Qu'une mission d'enquête du Conseil de sécurité des Nations Unies soit mandatée dans le Southern Cameroons pour déterminer le niveau des atrocités et traduire les auteurs en justice.
Si ces mesures sont mises en place et que des pourparlers francs commencent, nous donnerons une chance à la paix et notre peuple pourra à nouveau et sans crainte reprendre ses activités normales.

Nous venons d'apprendre de sources bien informées que le Canada a accepté d'agir comme facilitateur dans cette crise. Nous apprenons également que toutes les parties au conflit ont également accepté d'entrer dans un processus de négociation pour une résolution globale, pacifique et politique de la crise. Confirmez-vous ces informations ? Que pensez-vous de tout cela ?
Il est trop tôt pour faire des commentaires sur ce sujet.

 

Quel message adressez-vous aux populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en cette nouvelle année 2023 ?
Pourquoi les appelez-vous systématiquement les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ? Ils devraient être appelés à juste titre le peuple du Southern Cameroons, ou ancien Southern Cameroons britannique maintenant connu sous le nom d'Ambazonie.
Cher peuple d'Ambazonie, notre combat pour restaurer l'indépendance de notre État est un bon combat. La vérité et le droit international sont de notre côté. Notre combat est enraciné dans l'histoire, le droit, la culture et la géographie. Une poule n'est jamais trop petite pour ses œufs et, encore moins, pour ses poussins. Par-dessus tout, l'autodétermination est un droit fondamental. Nous savons tous ce que nous avons subi entre les mains de « La République du Cameroun » (en français dans le texte). Nous savons qui ils sont vraiment. C'est l'indépendance totale que nous voulons. La victoire est à portée de main. Nous serons traités pires que des esclaves si nous ne faisions qu'effleurer l'idée d’indépendance, pour l'abandonner par la suite. Nous ne devons donc jamais renoncer à ce qui nous appartient légalement et légitimement.
À la communauté internationale, il semble que l'engagement "Plus jamais ça" pris après le génocide rwandais n'ait été que du bout des lèvres. Le monde ferme les yeux alors qu’un génocide, perpétré par les militaires camerounais depuis 2017, est en cours dans le Southern Cameroons! Qu'en est-il de la responsabilité de protéger (R2P) ? Est-elle réservée à des races ou des continents particuliers ? La vie des habitants du Southern Cameroons compte aussi. Faites appel à ces instruments et sauvez la population du Southern Cameroons. Par-dessus tout, nous appelons les Nations Unies et la Grande-Bretagne à achever le processus de décolonisation du Southern Cameroons, pour que la paix règne dans le Golfe de Guinée.
Entretien mené par :
Jean-Bosco Talla
&
Roger Kaffo Fokou

Cette entretien a été mené en anglais. La traduction est de la rédaction.