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Hommages académiques au Professeur André-Norbert Ntonfo

Hommages académiques au Professeur André-Norbert Ntonfo

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Index de l'article
Hommages académiques au Professeur André-Norbert Ntonfo
Allocution du Président de l'AED, par Henti Njomgang
Hommage au Pr André Norbert Ntonfo, par Jean Pierre Chaungueu
Requiem pour André-Norbert Ntonfo, par Ambroise Kom
Toutes les pages

M. le Préfet,
Chers collègues,
Distingués invités,
Ailleurs, on dit : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante »
Ici nous dirons : Aux grands professeurs, aux grands maîtres, aux grands bâtisseurs, la communauté universitaire reconnaissante.
Ailleurs, l’énoncé de ce devoir de reconnaissance est affiché sur le fronton d’un édifice dédié, d’un lieu transformé en lieu de mémoire.
Ici, en attendant que l’AED/UdM érige ses propres lieux de reconnaissance et de mémoire, notre panthéon, c’est notre cœur, c’est notre pensée, c’est notre parole qui exprime cette reconnaissance.
Je l’ai dit tout à l’heure et je le redis avec une emphase que nous impose la stature de la personne qui nous a rassemblés ici ce jour : Aux grands professeurs, aux grands maîtres, aux grands bâtisseurs, la communauté universitaire reconnaissante.
J’insiste sur ces mots parce que non seulement ils expriment de manière synthétique la signification de notre présence ici, mais aussi ils me donnent la structure de mon discours.

« Aux grands professeurs, aux grands maîtres… »
André Norbert Ntonfo, c’est le nom d’un grand professeur,

d’un professeur dont la grandeur résidait, paradoxalement, dans la simplicité, dans l’humilité. Saint Augustin a écrit : « Désires-tu t’élever ? Commence par descendre. Tu planifies une tour qui percera les nuages ? Pose d’abord la fondation de l’humilité ». Ces mots s’appliquent avec perfection au Pr André Ntonfo. Il incarnait par sa simplicité, la signification profonde de la grandeur.
Nous parlons d’un grand professeur, qui a eu une longue carrière universitaire.
Celle-ci commence en effet à l’Université de Bangui en 1978 pour s’achever à l’Université des Montagnes en 2022, en passant par de nombreuses universités africaines, européennes et américaines. C’est donc une carrière de 44 ans durant lesquels il a dispensé des enseignements ou donné des conférences dans les universités suivantes : Université Catholique d’Afrique Centrale à Yaoundé, Université de Ouagadougou, Université de Port-au-Prince (Haïti) où il s’est d’ailleurs rendu plusieurs fois, Université de Brasilia (Brésil), State University of New York, City University of New York, Columbia University, New York, University of Rochester New York, Freie Universität Berlin , United States International University, Nairobi, Kenya, Université Michel de Montaigne de Bordeaux, Université de Pau et des Pays de l'Adour, France, Michigan State University, Ohio State University, l’Université Humboldt de Berlin etc.
André Ntonfo c’est aussi le nom d’un grand maître, notamment dans le domaine de la littérature antillaise et caribéenne. Dès ses premiers grands travaux, avec notamment sa thèse de doctorat de 3e cycle qui sera ensuite publiée sous le titre Lhomme et l’identité dans le roman des Antilles et Guyane françaises (1982), André Ntonfo s’intéresse à la littérature antillaise. Il est d’ailleurs le premier chercheur Camerounais à s’intéresser à l’étude de la littérature haïtienne, et plus largement à la littérature antillaise.
Il étudie les auteurs dont on parle peu dans l’univers académique africain : si la plupart des chercheurs africains s’intéressent beaucoup plus à Aimé Césaire ou à Léon Gontran Damas, ce sont plutôt les œuvres romanesques des auteurs comme Joseph Zobel, Edouard Glissant, Salvat Etchart, Michèle Lacrosil, et Bertène Juminer qui seront l’objet de ses travaux.
Ce que le livre de Ntonfo (Lhomme et l’identité dans le roman des Antilles et Guyane françaises) contribue à faire comprendre, c’est la question importante de l’identité d’un peuple qui a connu la condition d’esclave, qui dans cette condition a perdu ses repères, et qui essaie de se reconstruire, de retrouver ses racines, ses sources. Pour Ntonfo, comprendre la condition des Noirs dans les caraïbes ne consiste pas à comprendre les autres, qui se trouveraient ailleurs, là-bas dans les Antilles, mais c’est comprendre la condition des Africains ou des Noirs du continent. C’est comprendre que la condition d’esclave est une condition partagée, quelle qu’en soit la forme.
On peut mentionner parmi ses travaux sa thèse d’Etat, intitulée Le Roman indigéniste haïtien : esthétique et idéologie, soutenue à l’Université de Bordeaux III, en 1987. Il s’agit là d’un temps fort, d’un moment essentiel dans les œuvres d’André Ntonfo.
Le roman indigéniste permet certes de comprendre la culture et le folklore haïtiens, mais surtout de poser Haïti comme un laboratoire pour comprendre la condition des Africains en général. Il permet aussi de poser Haïti comme modèle de lutte pour la libération du joug insidieux et tentaculaire de la colonialité.
Il convient ici de souligner qu’André Ntonfo avait été particulièrement sollicité lors de la célébration en 2004 du bicentenaire de l’indépendance de Haïti, pays qui, comme nous le savons, est le tout premier pays noir à accéder à l’indépendance. Pour Ntonfo, Haïti est un miroir qui nous a été offert par les péripéties de l’histoire pour nous aider à nous regarder nous-même, à comprendre notre condition d’esclave, notre situation de dépendance dramatique à l’égard des puissances coloniales et de nos propres puissances néocoloniales. Enfin, dans son étude de la littérature caribéenne, il y a comme un plaidoyer pour la culture, pour l’identité africaine, pour le retour aux sources.
Il a publié près de 40 articles, 8 livres et organisé et participé à près de 30 colloques scientifiques nationaux et internationaux où il a toujours porté haut la réflexion sur la problématique de la construction de l’identité africaine contemporaine à travers l’expérience du peuple haïtien.
André Ntonfo, c’est le nom d’un grand bâtisseur, qui fait partie des pères fondateurs de l’Université des Montagnes. Toujours porté par son sens de l’humilité et de l’abnégation, il aura été aux côtés du Professeur Lazare Kaptué de tous les combats de fondation, de reconnaissance légale et d’ouverture de l’UdM. Il faut bien souligner que l’UdM lui doit sa devise : « Semper Altissime Ascendere » (Toujours rechercher l’excellence). La devise parle d’elle-même : au moment de créer cette université, il fallait être porté par la quête permanente de l’excellence.
Conscient que l’UdM est une œuvre appelée à s’inscrire dans l’histoire, il a mis une énergie particulière pour documenter les moments mémorables de la marche de l’institution. C’est ainsi qu’il coordonna la publication en 2014 d’une véritable anthologie des principaux documents produit autour de la mise en œuvre de l’AED et de l’UdM. Le livre est intitulé : Si l’Université des Montagnes était contée, enjeux des textes fondateurs. A l’occasion des 20 ans de l’UdM, il a à nouveau pensé à nous laisser, tel un bréviaire, son dernier livre intitulé : L’université des Montagnes, du concept à la mise en œuvre d’un projet atypique, publié aux éditions du Schabel en 2021.
Ces publications sont une invitation, adressée à toutes les personnes qui travaillent à l’UdM, à ne pas perdre de vue ces moments de fondation. Toute institution qui s’éloigne de ses fondations s’effondre. Au moment où il s’en va, il nous a évité de subir la situation d’une bibliothèque qui brûle. Il a consigné par écrit, dans ces deux livres, la mémoire de cette institution. Il lance cet appel à la postérité pour conclure son dernier livre, je cite : « Eh bien, je conclurai définitivement en invitant tous ceux qui hésitent encore à mettre la main à la pâte de l’UdM, laquelle reste une œuvre collective, à se réveiller, et à s’impliquer pour n’avoir pas à exprimer de regret… »
Il a œuvré aussi en particulier pour la mise en place de l’Institut des Études africaines, des sciences sociales et de Management. Le démarrage effectif de cet institut n’a pu être possible que grâce à ses convictions profondes par rapport à la place des cultures africaines dans la formation de nos étudiants, grâce à son dévouement exceptionnel, grâce à ses sacrifices.
Le parcours académique que je viens de brosser à grands traits est, comme nous le voyons tous, celui d’un grand professeur, d’un grand maître et d’un grand bâtisseur.
Je l’ai entendu au moins à deux reprises, ces deux dernières années, citer le Nunc dimitis, appelé aussi le Cantique de Syméon, personnage biblique qui fait une petite prière d’action de grâce en ces mots : « Maintenant O Maître souverain, tu peux laisser s’en aller ton serviteur, en paix selon ta parole ». Le Pr Ntonfo a en quelque sorte « demandé la route » comme on dit en Afrique de l’Ouest), il a revendiqué lui-même son droit de partir, convaincu d’avoir accompli sa mission, convaincu, comme dirait Paul Ricoeur, d’être resté « vivant jusqu’à la mort ».
Ses étudiants de l’Université de Yaoundé, il y a plus de trente ans, l’avaient surnommé Aimé Césaire. Aussi je voudrais vous faire entendre une courte déclamation de quelques vers du poème « Partir » extrait du Cahier d’un retour au pays natal. Pour cette déclamation, j’emprunte la voix de l’un de ses anciens étudiants, M. Jean-Paul Tientcheu.
Je termine en jetant une petite bouteille à la mer, avec un petit billet contenant le petit message suivant : puisse l’IEASSM porter, un jour, le nom de son fondateur, et s’appeler par exemple Institut André Ntonfo.
Que la terre de nos ancêtres te soit légère, cher Professeur, cher Maître, cher Bâtisseur.
Ernest-Marie Mbonda