Les observateurs pensaient que les revendications des syndicats d’enseignants d’expression anglaise étaient professionnelles ou catégorielles. Erreur. En réalité, c’était un stratagème pour soulever des questions d’ordre politique et remettre en cause la forme de l’Etat du Cameroun.
Le 30 décembre 2016, le ministre de l’Enseignement supérieur a présidé, dans la salle 1036 de son département ministériel, la troisième session du comité interministériel chargé de proposer des solutions aux préoccupations soulevées par les syndicats des enseignants. Ont pris part à cette réunion, outre les ministres en charge des secteurs de l’éducation et de la formation, les organisations de la société civile (syndicats, associations, fédération) œuvrant dans le secteur de l’Éducation au Cameroun. Un communiqué, signé par tous les participants a été signé et rendu public à la fin des travaux (lire ci-contre).
Comme il fallait s’y attendre, les responsables ou les représentants des syndicats d’enseignants anglophones ou d’expression anglaise n’ont pas pris part à cette réunion.
Deux jours après la tenue de ladite réunion, précisément le 1er janvier 2017, un communiqué du "consortium" de la société civile
du Cameroun anglophone était publié. Dans ce communiqué, les signataires que sont Tassang Wilfred, Fontem A. Neba et Barrister Khongo Félix A., indiquaient clairement leur intention qui est celle de la lutte pour le retour au fédéralisme de 1961. Aussi ont-ils décrété l’annulation, sur l’ensemble du « Cameroun occidental » l’annulation des fêtes du 11 février et du 20 mai. Ils sont revenus à la charge, le 4 janvier 2017, dans un autre communiqué dans lequel ils appellent les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest à la résistance pacifique jusqu’à ce que les exigences des enseignants et des avocats soient satisfaites et les invitent à observer une journée ville morte le lundi 9 janvier 2017. D’après nos informations, cette journée villes mortes a été diversement suivie dans les deux régions du pays. Selon des sources dans les Nord-Ouest et le Sud-Ouest, le mouvement était plus suivi dans les villes que dans des zones rurales.
Pour en savoir plus sur la tournure que prennent les événements à Bamenda, Germinal s’est rapproché de Tassang Wilfred, membre du "consortium" qui a accepté d’éclairer notre lanterne sur des questions que nous nous posons. Selon lui, et parlant du "consortium", « Cette nouvelle structure est créée pour gérer les problèmes que nous avons soulevés. Les problèmes évoqués par les enseignants et ceux évoqués par les avocats. Les deux problèmes sont ceux de la communauté anglophone. Les problèmes éducatifs évoqués ne sont pas ceux concernant uniquement les enseignants. Ce sont les problèmes de la communauté éducative anglophone. Ils touchent tout le monde, enseignants, parents, commerçants, avocats, mototaximan, etc. Les avocats aussi sont des parents. Les problèmes évoqués par les avocats, les problèmes d’ordre juridique ne touchent pas seulement les avocats. Quand on met ces problèmes ensemble, ce sont des problèmes politiques. Tous ces problèmes sont des problèmes politiques et il faut les gérer politiquement. […] Et la création du consortium signifie que les structures existantes (les syndicats qui avaient lancé le mot d’ordre de grève en novembre 2016, Ndlr) n’étaient plus à mesure de porter ces revendications. Dans le consortium, nous avons convenu que concernant les affaires éducatives que ce soit les enseignants qui négocient au nom du consortium. Et qu’en ce qui concerne le domaine juridique que ce soit les avocats qui négocient en notre nom. »
À la question de savoir pourquoi le nom du Cattu n’apparait pas sur les communiqués du "consortium", autrement dit si c’est le Cattu qui l’a délégué pour signer en son nom, s’il le représente ou s’il signe en son nom propre, Tassang Wilfred déclare agacé : « Je n’aime pas ce genre d’interrogation. C’est comme si tu étais de la police. Ce n’est pas normal que tu poses ce genre de question. Même si c’est un communiqué que j’ai signé, vous n’avez pas le droit de m’interroger là-dessus. N’interrogez pas ma signature ». Après plusieurs relances il déclare, toujours irrité : « Je ne réponds pas à cette question camarade. » Avant de poursuivre : « J’ai signé comme membre du bureau du Consortium. Et en signant, je représente les syndicats d’enseignants.?»
Selon certaines sources proches du Cameroon Teachers Trade Union (Cattu), cet agacement est révélateur des dissensions intestines au sein de cette organisation, certains membres reprochant à leur secrétaire général d’avoir changé l’orientation de leurs revendications et ne se reconnaissant plus dans ses prises de position.
Pour conclure, Tassang Wilfred dévoile l’objectif de leur démarche : « Nous luttons pour le retour au fédéralisme. Nous avons dit au ministre Jean Ernest Ngalle Bibehe qui est à présent au Nord-Ouest que si l’État fédéral n’avait pas été détruit, Yaoundé n’aurait jamais eu l’occasion de s’immiscer dans le système éducatif anglophone pour le détruire. Il faut le retour au fédéralisme pour nous protéger. C’est de cela qu’il s’agit. Nous n’avons pas les moyens pour contraindre les populations de respecter notre décision d’annulation des fêtes du 12 février et du 20 mai, mais nous comptons sur leur compréhension. Je dois dire que depuis le début, notre grève est politique. C’est la politique qui nous a mis dans cette situation, c’est elle qui tue les gens. Même si ce n’était pas formulé ainsi au début, on sait que l’éducation est politique. Tout est politique. »
Jean-Bosco Talla
Source: Germinal, n°100, du 10 janvier 2017