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Livres Le syndicalisme à la croisée des chemins - Propos du préfacier sur le syndicalisme

Le syndicalisme à la croisée des chemins - Propos du préfacier sur le syndicalisme

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Index de l'article
Le syndicalisme à la croisée des chemins
Propos du préfacier sur le syndicalisme
Caractéristiques actuelles du mouvement syndical africain
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Propos du préfacier sur le syndicalisme
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Centrale Syndicale du Secteur public,
Monsieur le Président du Groupe Samory,
Mesdames,
Messieurs,
Je remercie les organisateurs de cette cérémonie de m'avoir invité, non seulement à y participer, mais également à prendre la parole.
Je remercie également, et de manière toute particulière, Monsieur Jean- Marc Bikoko, aujourd'hui Président de la Centrale syndicale du Secteur Public, pour avoir pensé à moi pour être le préfacier de l'ouvrage (alors en projet) qu'il vient de commettre, Le syndicalisme à la croisée des chemins : 50 ans après les débuts des indépendances, honorant ainsi ma modeste personne.
Mesdames, Messieurs,
Par cette œuvre, je crois que Monsieur Jean-Marc Bikoko a choisi de marquer d'un sceau particulier et original son activité de syndicaliste.
Il montre aussi également que, bien qu'étant parmi les leaders syndicaux qui comptent le plus aujourd'hui, tant au Cameroun qu'en Afrique, il n'a pas cessé d'être l'enseignant que nous avons connu. Car en effet, avec cet essai, le professeur Bikoko pose un acte de pédagogue afin de pérenniser son expérience de syndicaliste en la faisant partager par tout le corps social.
Pour en revenir à mon rôle de préfacier.
Passé ma première surprise après la sollicitation de l'auteur, je me suis rappelé le tout petit parcours que nous avons fait ensemble ; lui, comme jeune syndicaliste à la sensibilité « d'écorché vif », et moi, tantôt comme Proviseur du Lycée Général Leclerc, tantôt comme Ministre d'État en charge de l'Éducation nationale.
Je pense bien que c'est ce petit bout de chemin qui m'a probablement valu d'être là aujourd'hui.
C'était lors de la période de braise où les enseignants étaient en grève permanente et où les établissements étaient plutôt fermés qu'ouverts et où les enseignants ne trouvaient aucun interlocuteur acceptant de les rencontrer. Ils avaient tous été versés dans le lot des opposants politiques. Nous y reviendrons.
Cette précision une fois apportée, mon activité de préfacier a été soutenue par des préoccupations portant sur le Syndicat, le Syndicalisme et la politique, la Spécificité du syndicalisme du Secteur Public.
Il m'a semblé en effet que pour comprendre la quête de l'auteur, il était important de situer les préoccupations ci-dessus évoquées ; lesquelles constituent les pulsions d'énergie ayant « enfanté » l'ouvrage, tout comme le magma en fusion au cœur de la terre devient lave avec l'éruption, lave que le cratère évacue.
Mon propos sera donc de livrer très brièvement ces pulsions à votre attention.

 

Le syndicat est une organisation que des travailleurs mettent en place pour la défense de leurs intérêts particuliers.
Son champ d'expression est là où le travailleur exerce son activité (l'entreprise, le champ, le bureau etc...)
Son interlocuteur est l'employeur, celui qui dirige ce champ d'expression. Celui-ci peut-être privé ou public (l'État).
Cela veut dire qu'il ne peut exister de travailleur sans employeur, d'employeur sans travailleur, de travailleur sans entreprise. Entreprise, employeur, travailleur ont donc une communauté de destin et des intérêts liés.
Tout acte inconsidéré, démesuré de l'un ou l'autre risquant de tuer la poule aux œufs d'or.
L'un et l'autre se ménageant pour ne pas tuer l'outil de travail.
Le syndicalisme qui constitue « le syndicat en action » se trouve dans l'obligation d'intégrer ces constantes, de même que la gestion par l'employeur du patrimoine de son entreprise doit également intégrer ces constantes dans la gestion du travailleur.
Il apparaît ainsi que le syndicalisme, l'entreprise, évoluant tous sur le champ social sont donc des activités éminemment politiques, d'où la « suspicion atavique » de l'administration et du pouvoir politique vis-à-vis du syndicalisme. D'où également la méfiance naturelle du syndicat vis-à-vis de l'administration.
Il en a été ainsi depuis l'état colonial, il en a été ainsi aussi du type d'états dont nous avons hérité de la colonisation.
L'auteur cherche vainement les syndicalistes de l'époque coloniale aux affaires après l'indépendance, comme ils recherchent vainement nos syndicalistes actuels dans les préparatifs des festivités des cinquantenaires de nos indépendances. Ils ne peuvent pas y être conviés car la « suspicion atavique » demeure. L'État soupçonnant le syndicalisme d'activité « politique » tendant à le déstabiliser pour prendre le pouvoir ou pour passer celui-ci à ses alliés de l'opposition. Le syndicalisme soupçonnant l'Etat de vouloir « l'enterrer vivant » afin que par ses revendications il n'étale au grand jour, la gabegie, la corruption, les détournements, le népotisme. Toutes choses qui empêchent la redistribution équitable des richesses du pays.
La spécificité de la Centrale syndicale du Secteur Public est que son
interlocuteur c'est l'État.
Cet État là, il doit l'identifier. Cet État là est visible par ses représentants, qui se caractérisent, selon l'opinion, par :
La force, la puissance, le pouvoir, l'inflexibilité, l'intransigeance, l'arrogance, la brutalité, le refus du partage, la négation des vrais leaders et leur remplacement par des hommes de paille, la peur de dire la vérité en présentant les choses telles qu'elles ne sont pas, la peur d'assumer, le manque d'initiative, la peur de prendre des risques.
Mais la Centrale doit savoir que ces gens là ne sont pas l'Etat. Elle doit donc éviter l'affrontement, développer une démarche de contournement et éviter la faute.
Le syndicalisme d'aujourd'hui et de demain doit se construire de manière systématique et structurée en sachant qu'il s'agit d'une entreprise de longue durée, faite de patriotisme. Pour cela, il faut :
- Analyser le rapport des forces (forces politiques, intérêts financiers, forces occultes etc...)
- Avoir comme credo la défense stricte des intérêts des travailleurs, l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail (c'est cela la neutralité politique du syndicalisme car cela est opposable à n'importe quel régime, système ou parti politique).
- Rassurer le pouvoir sur la neutralité ainsi définie.
- Rassurer l'État sur votre option pour le dialogue.
- Mettre l'État en confiance sur votre loyauté envers les Institutions.
- Développer la communication, les relations publiques, le plaidoyer.
- Être totalement désintéressé.
Il faut également obtenir de l'État la nécessité de :
- Mettre le travailleur en confiance.
- Manifester la volonté de régler les problèmes des travailleurs.
- Améliorer les conditions de travail.
- Ne traiter qu'avec les vrais représentants des travailleurs.
- Etre juste et équitable comme garantie pour que les travailleurs acceptent les difficiles conditions de vie actuelle
- Instaurer une participation totale des travailleurs dans la définition des stratégies. (Cela permettra qu'ils soient au fait des choses, ainsi auront-ils des exigences réalistes et en connaissance de cause).
- Imposer la bonne gouvernance et l'éthique comme impératifs moraux et politiques.
- Sanctionner la moindre défaillance.
Enfin le syndicalisme doit savoir que :
- la victoire à 100% n'existe pas,
- la victoire de moitié est une victoire à 100%,
- le respect, la considération des autres et de soi-même sont les atouts premiers du syndicaliste,
- des adhérents nombreux, et bien formés sont sa force, sa puissance et sa crédibilité,
- la fermeté dans la souplesse est la clef de sa victoire,
- l'action syndicale ne peut résoudre tous les problèmes, c'est quand le syndicalisme atteint ses limites que doit commencer la politique car celle-ci donne ce sentiment de pouvoir résoudre tous les problèmes,
- intégrer le mouvement syndical mondialisé pour faire face à la finance mondialisée, et au pouvoir politique mondialisé issu de cette finance.
Pour terminer ce registre, le syndicalisme doit travailler avec l'a priori favorable que nul n'a le monopole de l'amour de la patrie, ce Don, Dieu l'a placé en chacun de nous, bien que certains semblent parfois le perdre en cours de chemin. Mesdames, Messieurs,
En commençant mon propos, j'ai promis dire un mot sur ma rencontre avec l'auteur.
Il s'agit en réalité, au-delà du Président Jean-Marc Bikoko, de présenter ici un ou deux faits d'expérience qui illustrent les basiques préalables à toute activité syndicale afin que celle-ci aboutisse à quelque résultat.
Lors de mon passage à l'université, j'ai eu l'immense privilège de militer dans la Fédération Nationale des Étudiants du Cameroun dont j'ai été le Secrétaire Général pendant trois ans.
C'était à l'époque pure et dure du parti unique, de la Sedoc, de la Dirdoc et du « Père Foch » 1ère génération. (1967-1972). Une période où il était inimaginable pour quiconque qu'un syndicat d'étudiants fonctionne à l'Université.
La loi organisant les mouvements des jeunes reconnaissaient ceux-ci au niveau des seules fédérations. Voici le contexte.
La fédération étant un regroupement d'associations que faire quand ces derniers n'ont pas d'existence reconnue.
Pour sa mise en place, l'Assemblée Générale devait élire les 2/3 du Bureau Exécutif, les pouvoirs publics le complétaient en désignant le tiers puis ils nommaient le Président, le Secrétaire Général et le Trésorier.
Cela veut dire que le gouvernement pouvait nommer n'importe qui à la tête de la Fédération Nationale du Cameroun. Ce que nous ne pouvions accepter.
Pendant deux ans sans représentants reconnus, débordés par les problèmes de tous ordres (bourses, hébergements, restauration, salles de cours, bibliothèques, transports etc.), nous avons décidé de négocier. Et comme dans ce genre de situation, les avis étaient partagés entre les « radicaux » et les « modérés ».
Les bases de la négociation étaient les suivantes. Le Gouvernement n'ayant aucun intérêt à nommer des dirigeants d'étudiants non représentatifs devaient donc prendre en compte les résultats des élections du Bureau Exécutif et ainsi nommer aux postes de Président, Secrétaire Général et de Trésorier les trois premiers élus, ce qui fut fait.
Les étudiants on t exposé leurs préoccupations qui étaient essentiellement d'ordre corporatif.
Voilà comment les étudiants se sont retrouvés au Conseil d'Administration, aux Commissions des bourses, d'attributions des chambres etc.
Ainsi nous avons pu obtenir tout ce dont nous avions besoin, et ceci parfois après d'âpres batailles, le Gouvernement étant sûr qu'il n'avait en face que de simples étudiants se battant pour obtenir de meilleures conditions de vie et de travail.
Lors de mon deuxième passage au Lycée Général Leclerc dans les années 90.
Les salaires venaient d'être amputés, les enseignants n'arrivaient plus à faire leur travail. Deux semaines après les salaires ils ne pouvaient plus payer le taxi, les enseignantes préparaient des friandises qu'elles imposaient en classe aux élèves et les parents étaient dans l'obligation de payer etc. On a alors commencé à entendre parler de syndicats dans l'enseignement.
Dans la mouvance de libéralisation qui prévalait en ce moment-là, l'on avait vite fait de qualifier les enseignants « d'opposants ». Ainsi fut-il interdit toute réunion des syndicats dans les établissements.
Les grèves perlées se multipliant, et voyant venir la perspective de la fermeture du Lycée, je prie sur moi de convoquer les enseignants et les syndicats. C'est à cette occasion qu'une délégation d'enseignants a été reçue par le Premier Ministre.
Ils purent ainsi expliquer leurs problèmes et la situation fut ainsi dénouée.
Lors de mon passage au Mineduc, et fort de ces petites expériences, j'ai ouvert la porte aux syndicats, notamment à l'Ordre National des Enseignants d'Éducation Physique, lequel n'avait aucune entrée dans son ministère d'origine. J'ai créé une ligne budgétaire pour le financement de leurs activités, j'ai autorisé la mise à leur disposition des cadres payés par l'état pour assurer la gestion administrative de ces structures.
Les syndicats ont été intégrés dans la supervision des examens et ont participé activement aux négociations pour l'élaboration du statut des enseignants. C'est ainsi que la paix est revenue au Mineduc.
Ces exemples démontrent que le syndicalisme n'a plus « besoin de nationalistes qui meurent pour la cause ». Le nationalisme aujourd'hui consiste à tout faire pour « vivre pour la cause » « pour que la cause triomphe ».
Le syndicalisme doit avoir les pieds profondément enfoncés dans la boue du terroir, dans nos réalités. Faire preuve de pragmatisme et de réalisme, faire parfois le dos rond, laisser passer l'orage.
Les syndicalistes de l'époque coloniale, les pères des indépendances recherchés vainement dans cet ouvrage me semblent-ils, ont cruellement manqué de la vision évoquée ci-dessus.
Maintenant on peut se demander que pouvaient-ils réellement faire dans le contexte de l'époque.
En tout cas nous devons retenir qu'en période difficile, un petit pas pénible, suivi d'un autre petit pas plus pénible valent mieux que « le saut de la mort ».
Le syndicalisme doit donc bien connaître les ressorts du fonctionnement du pays, il doit connaître tous les mécanismes de la mondialisation, identifier ceux qui nous bloquent, de même que les espaces qui permettent de respirer, même difficilement, développer les démarches qui nous permettront de passer au travers afin de garantir l'émergence promise pour 2035.
Monsieur le Président, toutes les choses dites ici constituent votre chantier.
Pour ce qui concerne mon intervention, est-ce bien ce qu'on attendait du préfacier, vous êtes seuls juges.
Merci cependant pour votre patience et de votre compréhension.
Yaoundé, 12 juillet 2012
Le Préfacier Charles B. Etoundi