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Pour dire les choses franchement, je ne suis pas très à l'aise avec les propositions de type «grands chantiers structurants» qui reposent sur une approche de type keynésienne avec un État qui miserait essentiellement sur une augmentation «indiscriminée» de la dépense publique pour espérer relancer la croissance.Ce choix est discutable pour une série de raisons.
1. Au Cameroun, les politiques publiques [comme toutes les autres actions de la machine gouvernante, d'ailleurs] ne sont pas systématiquement évaluées. Et encore moins auditées par des instances indépendantes. Ce qui autorise que 7 ans s'écoulent entre l'annonce d'un projet et la pose de la première pierre qui manifeste le démarrage des travaux liés à ce projet !
2. Au Cameroun, l'équilibre des finances publiques reste à parfaire [j'utilise là un euphémisme!] : l'État lutte contre un endettement élevé et peine à boucler [dans les normes] ses engagements budgétaires. Si l'on veut investir dans ce que l'on estime être des secteurs porteurs de croissance il faut, en contrepartie, c'est évident, procéder à un certain nombre d'arbitrages. Et renoncer, pour un temps au moins, à quelques projets.
3. Au Cameroun, la modélisation des performances des programmes annoncés reste une science de l'approximation [ou de l'incantation!]. Combien d'emplois seront créés ?! Quels corps de métiers seront sollicités sur les différents chantiers ?! Combien d'entreprises camerounaises seront susceptibles d'obtenir des contrats de sous-traitance ?! Quels seront les aménagements [transports en liaison directe, zones d'habitation, espaces de loisirs, zones commerciales, équipements annexes...] prévus et devant permettre, au-delà du seul périmètre du projet, de développer durablement le territoire ?! Quels seront les risques [pour l'environnement notamment] liés à ce type d'infrastructures ?!
Ainsi, par exemple, à la question du nombre d'emplois créés par le futur Grand Stade de football de Lyon, voici la réponse disponible dans les documents de présentation de ce projet [documents auxquels on peut avoir accès via le lien http://www.grandstadeol.com/faq/ ]
«Les premiers emplois créés seront ceux liés aux travaux du projet. La construction du Grand Stade et de ses différentes composantes devraient en effet nécessiter l'équivalent de 1 500 emplois (en équivalent temps plein) dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Ces emplois toucheraient tous les types de qualification et tous les secteurs liés au BTP.
Par ailleurs, quand le stade fonctionnera, les stadiers devraient voir leur nombre doubler (400 à 500 aujourd'hui à Gerland et 800 à 1 000 en fonction des matchs avec le projet de Grand Stade). La majorité de ces nouveaux postes devraient être recherchés auprès des populations des communes voisines de Décines, Meyzieu et Chassieu.
De même, les postes liés au déroulement des matchs (hôtesses, serveurs, personnel de vente des boutiques) devraient voir leur nombre aussi doubler pour passer à 800 voire 1000, contre 400 à 500 aujourd'hui à Gerland.
Enfin, nous aurons 800 emplois permanents sur le site (siège de l'OL, bureaux, centre de loisirs, hôtels, restaurants).»
Il me semble que le projet du port en eaux profondes de Kribi n'a jamais été présenté aux Camerounais avec ce luxe de détails. Oubli ou... mépris ?! La transparence est pourtant une condition nécessaire. Pour l'efficacité. Et pour la construction d'une communauté responsable.
Il me semble que le gouvernement du Cameroun ne peut pas tout à la fois encourager et développer notre agriculture nationale, améliorer le cadre de vie des populations rurales, améliorer la santé de nos concitoyens [avec, entre autres promesses, la mise en place d'un système de sécurité sociale universelle], renforcer l'éducation, améliorer l'insertion professionnelle des jeunes, réactiver le programme de logements sociaux,... sans oublier le financement des actions régaliennes «ordinaires» [en matière de Justice, de diplomatie, de défense et de sécurité intérieure, de fonctionnement de l'Administration,...]. Une bonne gestion suppose de définir des priorités. Et de s'assurer que les ressources sont disponibles pour chacune des actions envisagées. Ce qui m'amène d'ailleurs à vous faire remarquer que les engagements pris par le candidat Paul Biya seront pour une large part financés par des emprunts. Que nous devrons bien rembourser un jour...
Il me semble qu'une politique de croissance véritablement innovante devrait concentrer une part significative des investissements à la réforme des dispositifs de gouvernance, à la modernisation, la simplification, la facilitation de toutes les procédures de l'Administration, à l'amélioration des modes d'organisation de la relation entre les usagers et les différents services publics... mais nous devons également veiller prioritairement à l'amélioration de la qualité de l'offre en matière d'éducation-formation. Aujourd'hui déjà et demain plus encore, le véritable enjeu est celui de la qualité. Ce n'est pas la quantité [par une multiplication des structures supposés accueillir les apprenants] qui permettra de fournir les compétences nécessaires mais la qualité des infrastructures, la qualité des équipements disponibles dans les établissements publics, la qualité de la formation des formateurs. La transmission de savoirs adaptés ajuste nos concitoyens à notre siècle. Tout comme il est indispensable, aussi, de ne pas négliger la production nos propres corpus théoriques et technologiques.
Il me semble, par ailleurs, qu'au-delà de la nécessaire réaffirmation du rôle de l'État comme accélérateur d'investissements, la définition complète et globale d'un plan de croissance suppose d'inscrire tous les acteurs [maîtres d'ouvrages publics et entreprises privées], tous les niveaux [local, régional et national voire supra-national], toutes les causalités [ainsi que les perspectives d'incidences directes ou indirectes] dans un schéma d'ensemble, dans un cadre logique. Qui aurait plus d'ambition et plus de lisibilité qu'un horizon à 25 ans.
Il me semble [pour terminer ce propos] que les promesses d'exonération de taxes douanières ou d'impôts auront pour effet évident de raréfier les moyens de l'État. Et compliquer plus encore sa capacité contributive aux grandes actions ! À vouloir faire plaisir à tout le monde, à vouloir traiter dans un même «package» tous les problèmes du Cameroun, à confondre les échelles, les moyens et les objectifs, on nous entraîne vers un résultat connu : l'échec.