Faute de soins et menotté, un suspect meurt dans une gendarmerie de Douala
Arrêté, menotté, gardé à vue pendant dix jours à la brigade de gendarmerie de l’aéroport I à Douala, Souleymane a été transporté à l'article de la mort à l'hôpital où il a rendu l'âme. Une situation révélatrice des violations des droits des suspects et des conditions de détention en milieu carcéral.
"Vers 23 heures ce samedi, j’ai reçu plusieurs bips d’un numéro inconnu. J’ai rappelé et à l’autre bout du fil, c’est un gardé à vue qui m’a annoncé que Souleymane était en train de mourir. J’ai demandé à parler à mon frère, le gars m’a dit qu’il n’avait même pas la force de parler. J’ai alors dit au gars que je vais venir dimanche matin très tôt pour voir Souleymane". C’est la dernière nouvelle de vie que Awa a eu de Souleymane, son ami intime incarcéré à la brigade de gendarmerie de l’aéroport I à Douala.
Dimanche aux environs de sept heures du matin, le jeune homme a reçu un autre coup de fil lui annonçant la mort et les modalités de retrait de la dépouille de celui qu’il appelait affectueusement Souley, à l’Hôpital de District de New Bell.
Après une courte prière en l’honneur du défunt, amis, connaissances et membres de la famille, fous de colère, se sont rendus à la brigade de gendarmerie pour déposer le cercueil contenant le cadavre devant le bureau du commandant. "Il fallait que le commandant voit ce que sa brigade avait fait parce que c’est elle qui a fait tout ça", tranche Awa qui, comme d’autres proches, est convaincu que les gendarmes ont torturé Souleymane à mort. Il a fallu plusieurs minutes de négociation avec un officier d’une gendarmerie voisine pour que la foule se décide à lever le siège pour aller inhumer le corps selon la tradition musulmane.
"Tortures, séquestrations"
Interpellé le 10 novembre 2011 par des éléments de la brigade de gendarmerie de l’Aéroport I pour recel de motos, Souleymane, jeune menuisier, a été jeté dans une cellule où il a passé dix jours les deux mains liées par des menottes.
Salissou Mohamed revoit le film de l’arrestation de son collègue. "C'était un jeudi, on était en plein travail jusqu’aux environs de 17 heures 30. Il était assis dehors quand quatre personnes sont arrivées et ont tenté de saisir mon ami qui, au départ, voulait prendre la fuite. Ils se sont saisi de lui et ont commencé à le gifler sans sommation. Je me suis interposé tentant de comprendre ce qui n'allait pas et prêt à crier au secours quand ils se sont présentés comme des gendarmes de la brigade de Ngangue. Ils nous ont informés que nous étions libres de passer voir Souleymane dans leur brigade avant de l’embarquer dans un taxi. J’ai demandé à Souleymane ce qui se passe, il m’a dit : "je te jure je ne sais pas ce que j’ai fait".
Salissou apprendra plus tard que son ami était accusé de recel de moto par un individu. Arrivé dans les cellules de la brigade de gendarmerie en question, il a constaté que son ami était toujours menotté et souffrait le martyre.
Awa fera le même constat quelque temps après, au cours d'une visite à son meilleur ami. "J’ai constaté qu’il était malade après avoir été bastonné par les gendarmes. Lors de ma dernière visite, samedi, je l’ai vu tellement fatigué. ll m’a dit qu’il avait mal au ventre et qu’il faisait de la diarrhée mais que le commandant et sa troupe, informés, ne réagissaient pas. Le commandant exigeait en plus 500.000 Fcfa pour le libérer. Nous lui avons proposé 200.000 Fcfa qu'il a refusé de prendre. Avant de rentrer à la maison, j’ai laissé mon numéro de téléphone à un gardé à vue pour me mettre au courant de l’évolution de la santé de Souleymane. J’ai demandé qu’on m’appelle au cas il y aurait quelque chose", raconte-t-il.
Le choléra, un prétexte ?
De quoi et où est mort Souleymane ? Cette question divise encore la famille du défunt et la brigade de gendarmerie de l’Aéroport I. Selon les forces du maintien de l’ordre, le jeune homme est décédé des suites du choléra à l’hôpital de district de New Bell. "Faux !", soutient la famille pour qui, leur fils a été torturé à mort à la brigade avant d’être transporté à l’hôpital.
Selon un responsable de l’hôpital de district de New Bell qui a requis l’anonymat, "Ce gardé à vue est arrivé mourant dans nos services. Il respirait à peine. Nous avons essayé de le réanimer en vain. Il a rendu l’âme moins de cinq minutes après son arrivée", indique le médecin qui soutient la thèse du choléra. "Ce même dimanche dans l’après-midi, nous avons reçu un autre gardé à vue victime de choléra dans cette brigade. Nous avons pu le sauver. Quand il a repris ses forces, il s’est sauvé. Nous sommes néanmoins allés désinfecter les cellules et les bureaux de la brigade pour éviter de nouveaux cas", ajoute-t-il.
Garde à vue abusive
Contacté, le commandant de la brigade de gendarmerie de l’aéroport I s’est refusé à tout commentaire. Un silence qui éloigne davantage la manifestation de la vérité sur les circonstances du décès de ce jeune menuisier intervenu après une interpellation brutale suivie d’une garde à vue abusive de dix jours, en violation du code de procédure pénale qui dans son article 119 alinéa 2, dispose que "le délai de garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures renouvelables une fois. Sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois. Chaque prorogation doit être motivée". Cela n’a pas été le cas puisque, selon une source interne, aucune demande de prorogation de garde à vue en provenance de cette brigade n’a été faite au procureur de la République près le Tribunal de première Instance de Douala-Bonanjo dans la période coïncidant avec l’incarcération de Souleymane.
Plus grave, le suspect a été soumis à des conditions inhumaines de détention. Ses proches persistent : Souleymane est resté menotté, sans la moindre assistance médicale, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Or l’article 123 du Code de procédure pénale relatif à la préservation de la santé du gardé à vue stipule que : "La personne gardée à vue peut, à tout moment, être examinée par un médecin requis d'office par le Procureur de la République. Le médecin ainsi requis peut être assisté d'un autre choisi par la personne gardée à vue, et aux frais de celle-ci…. Il est procédé au dit examen médical dans les vingt-quatre heures de la demande". Le procureur n'était pas au courant de cette garde à vue abusive.
Christian Locka (Jade)