800x600 Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE MicrosoftInternetExplorer4
Prison de Kondengui : "Se libérer" par le sport et la lecture
La pratique d’un sport et la lecture permettent à certains des détenus de la prison de Kondengui d’oublier parfois leur triste sort. Mais pour cela, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade.
Des hommes et des femmes ont envahi les terrains cabossés de football et de hand-ball. Cris et rires accompagnent la formation des équipes. Une scène banale à Yaoundé, où les citoyens amoureux du sport sont souvent prêts à disputer une partie, quand l’occasion s’en présente en dehors des heures de travail.
Mais ici, nous ne sommes pas dans la vie ordinaire. Nous sommes à la prison de Kondengui, où le sport prend une autre dimension.
"Contre la déprime"
"Le sport permet de décompresser dans ce milieu de la déprime où l’on pense sans cesse à se suicider", explique un détenu. Jouer une partie de foot, de hand ou de tennis rompt la monotonie de la vie en prison, où les jours se suivent et se ressemblent : ouverture des cellules à 7h, fermeture à 18h. Entre temps, chacun se débrouille comme il peut pour meubler sa journée, avec, pour les plus pauvres, le souci majeur de tenter de se nourrir convenablement. Les plus nantis s’offrent à leurs frais un petit déjeuner, les autres attendront la mi-journée pour recevoir le sempiternel bol de "Cornchaf", un mélange de riz, maïs et haricot, fourni par l’administration pénitentiaire, qui, au demeurant, ne respecte pas les recommandations de l’ONU stipulant que "tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisante au maintien de sa santé et de ses forces" (lire aussi ci-dessous les précisions de Me Eteme Eteme)
Comment, dans ces conditions, s’adonner à un sport ou à une activité intellectuelle? Et pourtant les aires de sport de la prison sont envahies chaque jour parce que les détenus y puisent quelques moments de détente, de gaîté et même, de rencontres auxquelles on ne s’attendrait pas. Il est fréquent par exemple de retrouver sur le court de tennis, Yves Michel Fotso, ancien directeur général de la défunte Camair et Otélé Essomba, ancien directeur général adjoint de APM, pourtant frontalement opposés dans l’affaire de l’avion présidentiel.
Autre endroit fréquenté de la prison, la bibliothèque attire particulièrement les anciens hauts commis de l’Etat, pour la plupart incarcérés pour détournement de deniers publics. Là, ils s’adonnent à la lecture d’ouvrages de toutes sortes. "L’accès à la bibliothèque est conditionné par le paiement d’un abonnement annuel de 5 000 F", précise un pensionnaire. Une somme qui n’est pas à la portée des nombreux détenus pauvres.
Ce mardi là, comme tous les jours de la semaine, Urbain Olanguena Awono, l’ancien ministre de la Santé publique, ou encore Jean-Marie Atangana Mebara, ancien ministre et secrétaire général à la présidence de la République, et bien d’autres hauts fonctionnaires, sont plongés dans leur lecture.
Pas pour tous
Marie Robert Eloundou, l’ancien coordonnateur du Programme international d’encadrement (Pid) ne semble pas pouvoir bénéficier de cet avantage. Il souffre, à l’en croire, de douleurs aux yeux. Il affirme avoir demandé plusieurs fois aux autorités une prise en charge dans une section sanitaire appropriée. En vain ! Comme lui, l’ancien directeur des Enseignements secondaires, Nicodème Akoa Akoa, accusé de malversations financières, s’est vu refuser des soins en dehors de la prison pour soigner ses lombalgies.
Une situation que fustige Me Pierre Eteme, avocat à Yaoundé (lire son interview ci-dessous). Que dire alors de la situation des détenus les plus pauvres dans les quartiers 08 et 09, qualifiés de mouroirs. Bien que dotée d’une infirmerie, la prison de Kondengui a un budget qui ne permet pas de prendre en charge convenablement tous les malades. "Lorsque que le traitement hospitalier est organisé dans l’établissement, celui-ci doit être pourvu d’un matériel, d’un outillage et de produits pharmaceutiques permettant de donner les soins aux détenus malades. Le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante ", prévoient pourtant les règles édictées par les Nations Unies.
Ces tristes réalités, dénoncées régulièrement par de nombreuses associations des droits de l’Homme, ne permettent pas à la grande majorité des détenus d’accéder au plaisir que procurent le sport et la lecture. Des activités qui donnent aux prisonniers l’illusion bienfaitrice d’effacer, l’espace d’un instant, les murs de la prison. De s’évader.
Léger Ntiga (Jade)
ENCADRE
Me Simon Pierre Etémé Etemé
"Soigner les prisonniers est un devoir de l’Etat"
L’avocat et spécialiste des droits de l’Homme, soutient que les pouvoirs publics doivent soigner et bien nourrir les détenus.
Qui doit s'occuper de la santé des prévenus en milieu carcéral?
La personne détenue étant aux mains de l’Etat, il est du devoir de celui-ci de pourvoir à son entretien (santé, alimentation, éducation s’il y a lieu). S’agissant particulièrement du droit à la santé du détenu (car il s’agit bien d’un droit pour lui), sa mise en oeuvre est réglementairement déployée à travers l’aménagement obligatoire au sein de chaque prison d’une infirmerie chargée d’accueillir et de soigner les pensionnaires de la prison. Mais ce postulat réglementaire reste plus théorique que réel en raison, soit de l’inexistence des structures sanitaires, soit de leurs faibles capacités structurelles ou même personnelles, d’où le souci récurrent d’avoir très souvent recours aux compétences médicales externes au pénitencier.
Dans quelles conditions il peut être refusé au détenu l'autorisation de voir un médecin approprié en cas de maladie?
Sous aucune condition, il ne doit être refusé au détenu l’accès à un médecin approprié s’il en a prouvé la nécessité, au risque d’engager, si le refus est fautif et surtout dommageable, non seulement la responsabilité personnelle du patron de l’établissement de détention ou de son préposé, mais également, celle de l’Etat.
La gestion du milieu carcéral par des détenus désignés par la direction des établissements participe-t-elle de la promotion des droits de l'Homme?
Je n’y vois aucun lien, même lointain, avec la promotion ni la protection des droits de l’Homme en milieu carcéral. J’y vois, à la limite, une assistance bénévole que ces derniers apportent aux administrateurs officiels de la prison et qui fait d’eux des "collaborateurs occasionnels et bénévoles de la puissance publique".
A qui incombe l'alimentation des prévenus en milieu carcéral?
Aux termes de l’article 29 du décret camerounais sur le régime pénitentiaire, "les prisonniers ont droit à une ration journalière qui doit être équilibrée et suffisante pour éviter aux détenus toute carence alimentaire et leur donner l’énergie indispensable à leur santé". Mais, comme vous le constaterez vous-même, nous sommes bien loin de cela dans la réalité: Les prisonniers sont peu, mal, ou pas nourris, ce en contradiction flagrante du droit pénitentiaire.
Pourquoi l'Etat du Cameroun ne sacrifie-t-il pas à cette exigence?
Il revient à l’Etat de s’expliquer sur cette carence blâmable. De loin, on peut tenter une explication par le motif économique, car doter les milliers de prisonniers du Cameroun d’une ration journalière de qualité a forcément une importante incidence financière qui appelle de gros moyens pour un Etat qui a peut-être le curseur de ses priorités ailleurs. Il reste que l’insuffisance des moyens n’excuse pas un Etat face au non respect de ses engagements. Le Comité des droits de l’Homme de l’Onu a déjà eu à le rappeler à l’Etat du Cameroun au sujet des conditions inhumaines de garde à vue.
Propos recueillis par Léger Ntiga (Jade)