Des policiers interpellent, torturent et gardent à vue des citoyens au mépris de la loi. Ils n’hésitent pas à tronquer les procès verbaux sur lesquels s’appuie le procureur ou le juge pour envoyer le suspect tout droit en prison …
Léon D. n’oubliera pas de sitôt les péripéties qui l’ont conduit pendant trois mois à la prison de New-Bell à Douala. Alors qu’il prend un pot avec ses amis un jour de novembre 2010, il est approché à 21 heures par deux gendarmes qui lui ordonnent de les suivre. « Déshabillez vous et entrez en cellule. Votre enquêteur et le commandant de brigade ne seront là que demain matin pour vous expliquer ce qui vous est reproché », lui commandent-ils, une fois à la brigade de gendarmerie de Bépanda-Ndoungué. En violation flagrante du nouveau code de procédure pénale qui proscrit toute interpellation après 18 heures et préconise le rappel du motif de l’arrestation au suspect, son droit de garder le silence et de se faire assister par un avocat Le lendemain, Léon D. est présenté au commandant qui s’étonne de sa présence et, après un échange, prescrit sa relaxe… Avant de revenir sur sa décision et d’exiger la présence d’un membre de sa famille.
Refus de corruption
Au troisième jour de cette garde à vue sans motif, un vendredi, il est extrait de la cellule et invité à signer des papiers. « J’ai refusé de le faire car n’ayant pas pu prendre connaissance du contenu. Que tu les signes ou pas, cela ne change rien à ton sort » m’a déclaré l’enquêteur en me renvoyant dans ma cellule », se souvient-il.
De nouveau sorti de sa cellule, il est conduit au tribunal de première instance de Ndokotti avec un procès verbal qui l’accuse de complicité de vol aggravé. Le tribunal se déclare incompétent. Léon D. est finalement transféré à la cellule de la Police judiciaire et présenté, le mardi suivant, au tribunal de grande instance de Bonanjo. Renvoyé pour confrontation avec son co-accusé, il ne le rencontrera jamais Ses enquêteurs ne le lui ayant pas permis, mais noteront dans son procès verbal que ladite confrontation eût lieu. Sa véritable faute, croit-il savoir, est d’avoir refusé de verser aux enquêteurs un bakchich de 400 000 F Cfa. Il est envoyé en prison après près d’un mois de garde à vue et ne sera libéré que trois mois plus tard pour faits non établis.
Plus chanceux, Stephen A ne restera que dix jours dans la même prison avant d’être libéré au bénéfice du doute. Interpellé par une patrouille de police à la suite d’une bagarre, son adversaire est relaxé après avoir versé 5 000 FCfa aux policiers. Stephen, lui, est placé en garde à vue dans une cellule du commissariat du port. «Mes enquêteurs me demandaient de l’argent pour me libérer. Comme je n’obtempérais pas, ils m’ont collé le motif de vol aggravé avant de me présenter au juge qui m’a envoyé en prison», explique-t-il. Dix jours après son incarcération, il passe au tribunal et est libéré grâce à la pugnacité de son avocat.
Des rapports accablants
« Les arrestations et séquestrations arbitraires restent et demeurent au Cameroun les violations des droits de l’homme les plus fréquentes », dénonce le rapport sur l’Etat des droits de l’Homme au Cameroun en 2009, publié par la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (Cndhl). Selon celui-ci, bon nombre d’officiers de police judiciaire violent allègrement les prescriptions en matière de garde à vue et continuent, comme par le passé, à interpeller et garder à vue des individus sans motifs. « Et à la fin de ces gardes à vues illégales ou abusives, l’on oblige les personnes concernées à négocier leur remise en liberté par le paiement d’une somme d’argent », souligne le rapport.
Une enquête de Transparency–international Cameroon, rendue publique en 2007, présentait déjà la police et la gendarmerie comme les secteurs de l’administration les plus touchés par la corruption avec 81% des suffrages exprimés par les personnes consultées. Le système judiciaire occupait lui aussi une position honorable avec 61%. Il n’est pas étonnant que les rapports dressés par les officiers de police judiciaires et transmis aux juges ou aux procureurs pour décision soient parfois truffés d’incongruités. Faute de contre expertise, parfois fatigué ou corrompu, le magistrat se contente de ces faux rapports et envoie le prévenu attendre, en prison, son passage devant les tribunaux.
« Le juge d’instruction ou le procureur visite les suspects convoyés par les officiers de police et retenus dans les cellules du parquet. Il leur pose une ou deux questions en se référant au procès verbal des officiers de police judicaire à eux transmis et leur signe un mandat de détention qui les envoie droit en prison. Seuls de rares chanceux sont épargnés et libérés », dénonce anonymement un militant des droits de l’homme qui affirme avoir déjà assisté à ces auditions.
Des victimes se plaignent
« Les victimes d'abus policiers peuvent aller se plaindre à la police des polices créée à cet effet à la direction de la police judiciaire, saisir la hiérarchie concernée de l’agent ou le procureur de la République », conseille un commissaire de police qui préfère aussi taire son nom.
Il précise par ailleurs qu’en dehors des rafles qui se déroulent sur la voie publique, les flagrants délits et les crimes, toute interpellation nécessite un mandat de justice du procureur. « Parfois même, les policiers doivent appeler le procureur par téléphone pour avoir son autorisation », ajoute-t-il.
Avec l’aide des associations de défense des droits de l’homme, des victimes n’hésitent plus à ester en justice contre des officiers de police judiciaire et même des magistrats pour abus d’autorité. Le gouvernement publie généralement dans ses rapports les noms, grades, sanctions des fonctionnaires de police, de la gendarmerie, de l’administration pénitentiaire ou de la justice punis. Quelques-uns sont révoqués de leurs fonctions non sans être condamnés.
Charles Nforgang, Jade
Encadré : La présomption d’innocence au service de l’accusé
Principe par lequel toute personne poursuivie pour une infraction est à priori supposée ne pas l'avoir commise tant que sa culpabilité n'est pas établie par une décision de justice irrévocable, la présomption d’innocence protège l’individu en procès. La présomption d'innocence consacre l’obligation pour la partie poursuivante de prouver la culpabilité du suspect ou du mis en cause. La preuve incombe donc au demandeur qui peut être le procureur de la République ou éventuellement la victime de l'infraction. Si ceux-ci ne réussissent pas à l’établir, l’individu poursuivi est purement relaxé ou acquitté. « De la présomption d'innocence, il découle aussi que tout individu soit qu'il est délinquant primaire ou récidiviste, quelles que soient les charges qui pèsent sur lui, doit être considéré comme innocent et traité comme tel », explique Maître Antoine Pangue, avocat au barreau du Cameroun. Consacré par le code de procédure pénale du Cameroun en son article 8, la présomption d’innocence s’applique au suspect, à l’inculpé, au prévenu et à l’accusé. La mise en œuvre de certaines institutions telles que la garde à vue, la surveillance judiciaire, la détention provisoire suppose une présomption de culpabilité et empiètent sur la notion de présomption d’innocence. Seulement, il s’agit là aussi des mesures prévues par la loi au cours de la phase préparatoire de certains procès. La garde à vue demeure malgré tout l’exception et la liberté la règle.
C.N, jade