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Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - L’Afrique entre Révolution et manipulations

Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - L’Afrique entre Révolution et manipulations

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Index de l'article
Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Quelques réflexions sur la notion de communauté internationale
La communauté internationale est-elle gardienne des élections présidentielles africaines ?
Communauté internationale et reconnaissance de gouvernement
Crises politiques en Afrique : Le Cas de la Côte d’Ivoire
Côte d'Ivoire : la démocratie au bazooka?
Au-dela de Gbagbo : L’Afrique
Au-dela de Gbagbo, L’Afrique et les tiers-monde de demain
Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence
La face cachée de la
Ces hommes politiques adoubés par la
Communauté internationnale et les crises politiques au Cameroun de 1948 à jours
Quelle place et quel rôle pour l'Onu au sein de la communauté internationale?
Jusqu'où peut on avoir confiance en l'Onu?
Révolution arabe: quel impact sur le nouvel équilibre mondial?
Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée
L’Afrique entre Révolution et manipulations
Toutes les pages

L’Afrique entre Révolution et manipulations
En 1952, dans la Revue Esprit, Frantz Fanon publie un texte intitulé : « Le syndrome nord-africain ». Le célèbre auteur de Peau noire, masques blancs y examine la condition du maghrébin souffrant de vivre comme un « homme quotidiennement mort ». Un être vivant à l’abri de lui-même! 60 ans après, l’Afrique du Nord est encore ou toujours en ébullition. Du Caire à Tunis, les chancelleries ont changé de locataire sans forcément passer par les dédales de la Démocratie qui est pourtant revendiquée par les manifestants. En Lybie, Kadhafi semble désormais assis sur un fauteuil éjectable. Au Cameroun, Paul Biya est tout aussi en difficulté. Le « Biya must go » est de retour.

Le pouvoir est donc dans la rue. La question n’est plus de savoir qui va mieux le gérer, à l’avantage de peuples; mais plutôt de savoir qui le prendra le premier. Le « pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple » devient « le pouvoir de n’importe qui », c’est-à-dire « le pouvoir de la foule ». Or, la foule est comme cette femme volage, prête à accorder ses faveurs à tous les hommes; à condition de la caresser dans le sens du poil! Autrement dit, à condition de lui tenir le langage qu’elle veut écouter. Les populistes savent bien se tirer d’affaires en surfant sur les aspirations des peuples.

Les peuples africains ont certainement des problèmes multiples et multiformes : pauvreté, chômage, liberté bafouée… Leurs dirigeants n’en ont pas toujours fait une préoccupation pendant leurs mandats présidentiels qui vont de 20 à 40 ans. Ce qui, logiquement expliquerait le courroux des millions de personnes longtemps trompées et abusées. Ce qui se passe aujourd’hui dans nombre de pays africains est donc incontestablement l’expression d’un désarroi total ; celui d’une masse qui ne sait plus à  quel saint se vouer. Cette colère légitime est-elle pour autant bien formulée et surtout bien orientée ? La question est loin d’être banale. Car elle tient du fait que les frondeurs, d’un pays à l’autre, n’ont pas les mêmes revendications. Pis, dans un même pays, les mécontents ne s’accordent pas sur les motifs de leur mécontentement, ni sur la nature des réponses qui devraient en être données. Pendant que les uns demandent « la démission pure et simple du président de la république », ou des monarques, les autres veulent qui du pain, qui un emploi. Toutes ces  revendications sont certes liées ; mais le désordre de leur expression semble symptomatique d’une inorganisation, d’une absence de stratégie et d’une précipitation qui compromettent les chances d’une réussite profonde et durable. On assiste hélas, ici et là, à une sorte de mimétisme, comme si les révoltes tunisiennes, égyptiennes ou libyennes pouvaient être transportées, en pleine saison sèche,  comme des méningocoques, germes pathogènes responsables de la méningite, d’un pays à l’autre.

Sans vergogne, des « intellectuels » ont déjà commencé à saluer la « Révolution » tunisienne qui a permis de chasser Ben Ali du pouvoir. Mais peut-il exister de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ? Bien plus, peut-on parler d’une Révolution réussie sans une Avant-garde qui la porte et lui donne sens ? Les Révolutions sont-elles spontanées ? Bientôt des encyclopédies sur « la Révolution tunisienne vont inonder nos librairies. Leurs auteurs, présentés comme « expert du Maghreb », ou spécialistes des « mouvements sociaux » n’hésiteront pas à assimiler la fuite de Ben Ali à celle du Tsar Nicolas II de Russie en 1917 ou du despote cubain Batista en 1959. Malheureusement, aucun de ces « experts » ne dira que les Révolutions russe et cubaine étaient bien pensées et portées par une Avant-garde consciente et conséquente. Des auteurs de la Révolution maghrébine, ne préciseront  certainement pas qu’au lieu des blogueurs tunisiens il ya eu des pragmatiques russes. Qu’au lieu d’une Révolution égyptienne, il ya eu une hilarante révolte tunisienne. Laquelle a abouti au changement de la clique Ben Ali par une autre, tout en maintenant la superstructure (ou le système) pourtant mise en cause par les manifestants. Lorsque les manifestants ne préparent pas l’après dictateur les autres le font à leur place et parfois à leur détriment. Ce fut le cas en 1789 en France…

La révolte est une manifestation généralement violente à travers laquelle une personne ou groupe de personnes marquent leur désaccord par rapport à un système, une décision…Elle se caractérise en principe par une absence de leader, un défaut de programme et de méthode. Autant de manquements qui l’exposent à la récupération et les révoltés à la manipulation. Justement, depuis le déclenchement de ses mouvements sociaux, on constate des volte-face et surtout l’avènement d’un leadership politiquement en position de récupération et de positionnement. Ayant échoué dans leur mission d’éducation politique et de formation idéologique des masses, des responsables de partis politiques écument les colonnes de journaux et autres tubes cathodiques pour « inviter le peuple à prendre son destin en main ». Curieusement, tout leur génie semble s’arrêter à ce niveau. Car, ils ne proposent pas d’alternatives rassurantes. Certes, les dirigeants africains pour la plupart ne sont pas  irréprochables. Ils trainent de nombreuses casseroles. Certains méritent même la condamnation à mort et fusillade sur la place publique. Mais, un programme politique, l’instauration d’un nouvel ordre politique ne sauraient se réduire à des incantations récitée avec peine et hésitation telles que « le pays va mal »,  « Biya doit partir », et Tutti quanti. « Le pays va mal », « Biya must go », « ça suffit », et puis quoi ? Où sont les projets de société alternatifs ?  A moins d’être de simples agitateurs adeptes de sadomasochisme, les politiciens de l’opposition africaine doivent dérouler des feuilles de route contenant des projets et réformes concrètes et quantifiables sur lesquels ils devraient être jugés à leur tour. Sinon, demain sera un autre aujourd’hui.  Ils doivent taire leur égoïsme et leur division pour impulser des actions leur permettant d’instaurer un ordre politique nouveau.

Par contre, la Révolution est une exigence de changement total, un bouleversement du roc. C’est pourquoi, on n’entendra jamais un révolutionnaire dire « abat Ben Ali ! », « abat Moubarak ! » ou encore « Biya must go ! ».  Sa formation avant-gardiste le porte au dessus des individualités qui ne sont que les formes accidentelles de révélation d’un ordre bien plus grand.

La prospérité d’un Etat passe avant tout par la préservation des acquis. Ceux-ci peuvent être matériels ou humains. Autant il est difficile d’admettre qu’un régime mobilise les chars et les lance-roquettes contre les citoyens non armés, autant on peut interroger la sincérité de ceux qui, sans stratégie et  pour se faire un nom ou obtenir des positions de pouvoir, encouragent les masses à s’offrir comme chair à canon. Ils ne disposent pas de politique alternative à implémenter en cas de victoire. Il est admis que le sang des martyrs fertilise la révolution. Mais sans objectifs clairement définis et conduits par une stratégie conséquente, des litres de sang peuvent couler pour rien! Certes tout pain sans liberté est insipide. Mais que vaut une liberté sans pain ? Le recours à la violence devrait être une exception et non une règle comme c’est le cas aujourd’hui. Et la caution que des Etats dits civilisés apportent à ces vagues de violence laisse entrevoir des enjeux inavoués.

Alternance au Cameroun

Dans huit mois, les camerounais iront aux urnes pour élire leur président de la République. Que font les partis politiques pour encourager les populations à s’inscrire sur les listes électorales ? Rien ou si peu. Jusqu’ici, seul le Rdpc se déploie pour sensibiliser les électeurs et potentiels électeurs. Absents sur ce terrain qui reste l’un des moyens reconnus et recommandés pour une alternance au Cameroun, les opposants se sont jusqu’ici illustrés par le dilatoire, l’indécision, l’incohérence et la division. Certes, la crédibilité des Elections au Cameroun est aujourd’hui sujette à caution. Mais, il reste que cet organe organisera et supervisera les prochaines élections au Cameroun. Le monarque en a décidé ainsi.

Malheureusement, longtemps discrets, l’opposition et les forces du changement semblent s’être réveillés et se montrent  désormais déterminés à défendre les intérêts des masses. Après les tracts et les déclarations signées, l’heure semble être désormais à l’action. Bravo. Mais au-delà des mots, de l’appel au soulèvement, ils doivent relever le défi de la crédibilité et tenir compte du fait qu’au Cameroun l’élection présidentielle est une élection à tour. Au stade actuel, aucune formation politique ne peut seule remporter une élection au Cameroun face au Rdpc et la machine administrative mise en place. L’attitude des populations face aux mots d’ordre de l’opposition et des forces du changement doit les pousser à réfléchir, à faire leur propre introspection, à une autocritique. Car, la résistance du peuple peut être due au fait qu’entre les deux parties, la confiance s’est estompée.
Olivier A. Ndenkop
Journaliste
La colonisation Nègre
L’Afrique noire, surtout francophone, a vibré tout au long de l’année 2011 au rythme des célébrations relatives au cinquantenaire d’indépendance. D’un pays à l’autre, les liturgies politiques ont rivalisé d’ingéniosité cérémonielle. Malgré la diversité des rituels, on note cependant une constante : ces célébrations ont été pour la plupart des réjouissances au sommet, des retrouvailles de chefs d’Etat, qui ont couté à certains pays plus d’une dizaine de milliards.  Le Cameroun a même joué les prolongations avec la célébration à Bamenda du cinquantenaire de forces armées camerounaises. D’autres milliards y sont passés. Ces célébrations ont surtout été l’occasion pour les évolués au pouvoir de remercier symboliquement les Blancs pour l’importation de l’Etat colonial au Cameroun, lequel leur a donné la mainmise sur les ressources de leurs pays respectifs, le monopole de la violence illégitime.  

L’esclavage et la colonisation restent dans la mémoire collective et l’imaginaire nègres les deux grandes figures de la domination blanche. En d’autres termes, c’est un fait irréductible de l’histoire des Noirs qu’ils ont été conquis, violentés, dominés et civilisés par des Blancs dont la suprématie se perpétue aujourd’hui par le biais de la technoscience qu’ils produisent et que nous consommons. C’est aussi un fait que malgré les critiques les plus acerbes qui ont été formulées par les Noirs contre la colonisation, ses acquis ou ses fameux « bienfaits », ont été jalousement préservés, tout au moins dans la forme, pratiquement sur tous les plans : l’Etat moderne, l’école coloniale, la biomédecine, l’idéologie du développement, le capitalisme, les religions importées, la science et la technologie modernes, etc. Si notre critique de la colonisation avait été sincère nous aurions boudé ses fruits. Mais non, nous en régalons au point de défendre jalousement, parfois au prix du sang, des frontières dites nationales dont l’origine lointaine est bien la fameuse conférence de Berlin de 1884 où les Blancs s’accordèrent sur les règles du partage du continent noir. Ceux qui ont remplacé les blancs ont jalousement conservé les appareils idéologiques et répressifs ainsi que les symboles correspondants. Entre temps les choses ont même évolué en Occident, mais les successeurs des Blancs en Afrique multiplient des manœuvres pour résister à l’avènement d’une société ouverte, celle-ci constituant un danger pour leurs privilèges coloniaux.

L’état postcolonial au Cameroun

En effet, une fois les indépendances conquises ou concédées, les Noirs, pas toujours ceux qui avaient mouillé le maillot dans la résistance, se sont emparés du pouvoir et ont joué aux Blancs avec tous les oripeaux hérités, la copie n’étant pas souvent conforme à l’original. On se serait attendu à ce que dans la logique du rejet de la colonisation, les Noirs innovent pour se repositionner dans le réseau international où ils étaient désormais pris. Mais s’il y a eu innovation, c’est plutôt dans la propension des « évolués » à récupérer et à manipuler les symboles de la civilisation blanche pour poursuivre la colonisation de leurs congénères. Du coup le multipartisme du début a cédé la place à une dictature monopartiste et répressive dont s’accommodaient bien les pays occidentaux tant que leurs intérêts n’étaient pas menacés. D’ailleurs, encore aujourd’hui, la plupart de nos dirigeants se soucient davantage de contenter leurs maîtres occidentaux que leurs propres peuples. Comment en serait-il autrement, puisqu’ils sont encore pour un certain nombre faits et défaits par les anciens colons et non par les suffrages populaires. La colonisation n’est pas d’abord une question de peau, mais de violence structurelle. L’état postcolonial au Cameroun incarne la reproduction dans sa forme  « indigénisée » de la violence coloniale. Nous sommes restés mentalement et structurellement dans le schéma de la colonisation, et la plupart des nègres ont encore le Blanc pour modèle.

Arrêtons-nous un instant sur notre système éducatif, cet autre héritage de la colonisation. Nous avons conservé la coquille de l’école coloniale où nous consommons souvent, sans efforts d’innovation, ce que le Blanc a produit à la sueur de son front dans ses laboratoires. Ce sont leurs livres que nous lisons ; ce sont leurs formules et théories que nous répétons ; ce sont leurs découvertes scientifiques et techniques que nous reproduisons ; ce sont leurs voitures, ordinateurs et téléphones portables que nous utilisons ; ce sont leurs médicaments que nous consommons ; bref nous nous sommes spécialisés dans la consommation de ce que nous ne produisons pas, ce qui fait de la plupart des enseignants de simples perroquets. Pire encore, ce sont leurs langues que nous passons de longues années à essayer de maitriser, au point de se moquer d’un autre nègre qui parle mal français ou anglais. Nous copions même parfois jusqu’à l’accent. Silence, on « whitise » ! Nos langues locales sont aujourd’hui menacées de disparition parce que nos enfants les parlent de moins en moins bien et cela ne semble pas nous préoccuper. Au contraire, les centres linguistiques d’apprentissage de l’anglais, de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol se multiplient, tout cela parce que nous cherchons un nid pour nos enfants dans les filets de la mondialisation. Nos langues officielles ne sont-elles pas l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol, etc. ? Et vous me parlez d’indépendance !

Paradoxalement, plus nous parlons d’indépendance, plus nous avons le regard tourné vers l’Occident. Nous en venons même purement et simplement à en rêver comme alternative à nos enfers locaux. Combien de nos jeunes sont atteints du syndrome de l’émigration occidentale, cette autre forme d’évasion qui côtoie la religieuse. Drôle d’histoire ! Il y a quelques siècles, pendant la Traite des Noirs que nous décrions avec raison, c’est par la violence que l’on arrachait nos ancêtres à l’Afrique, notre mère patrie. Partir pour eux était un cauchemar, une mort sociale, d’où la casquette de génocidaire que l’on fait encore porter aux esclavagistes blancs dont la cupidité a inventé ce crime qui inaugurait notre cycle de « paupérisation anthropologique ».  Mais, aujourd’hui, frustrés par la politique postcoloniale et séduits par les symboles de la puissance occidentale, ils sont nombreux à prendre de gros risques pour le rêve occidental ou à tenter leur chance dans les loteries de l’immigration choisie. Les embarcations de fortune, les traversées de désert, les faux papiers, les mariages blancs, etc, ils sont prêts à tout pour partir. Car partir c’est renaître, tout au moins dans l’imaginaire.

Savoir fabriqué

Nous croyons avoir rejeté la colonisation, mais nous avons conservé ses moules qui façonnent aujourd’hui des colons noirs. Nous avons en effet fait de l’école coloniale le lieu où l’acquisition du savoir fabriqué par le Blanc donne du pouvoir. On a fait de l’accumulation, voire l’exhibition, des diplômes, peu importe s’ils correspondent à des compétences, la condition sine qua non de l’ascension sociale. Du coup la condition paysanne a été dévalorisée au profit de celle de l’instruit. Pourtant il devrait avoir plus de lycées agropastoraux que de lycées classiques dans nos pays. A quoi sert un lycée classique dans une zone rurale où des jeunes, pour la plupart, n’auront pas l’accès à l’enseignement supérieur. Mais pour des raisons politiques plus politiques que sociales, on les multiplie.  La jeunesse paie aujourd’hui le prix de ce manque de discernement et de vision entretenu par la mauvaise gouvernance. Ils sont nombreux à avoir des diplômes qui ne leur servent à rien alors qu’ils auraient fait de bons cultivateurs, pêcheurs ou pasteurs. C’est encore de la colonisation mentale, voire structurelle. Les instruits qui ont pris la place des colons perpétuent les structures de domination en s’arrogeant les pouvoirs politiques et économiques aux dépens des ruraux délaissés, voire méprisés. Il y a même lieu de parler de la colonisation des ruraux par les citadins. La maîtrise des langues coloniales étant devenue un facteur d’exclusion à l’intérieur de nos États, ceux qui ne les possèdent pas sont obligés de subir la dictature des instruits. N’est-il pas courant chez nous d’utiliser l’adjectif « villageois » comme une insulte. Comment s’étonner que nos villages se vident au profit des villes.

Par ailleurs, nous avons substitué aux termes « colonisation » ou « civilisation » celui de développement comme s’ils différaient dans le fond. Que signifie aujourd’hui se développer pour les Noirs, sinon courir après la science et la technologie blanches que nous maîtrisons si peu. On me dira que nous vivons dans un « village planétaire » dans lequel désormais tout le monde dépend de tout le monde. Mais la différence d’avec les autres maillons de la chaîne est que nous ne choisissons pas notre dépendance, nous la subissons avec un imaginaire écartelée entre le ressentiment et la séduction.  D’une part notre mémoire humiliante nous dicte du ressentiment par rapport à ceux  qui nous ont conquis et dominés mais en même temps nous nous sentons séduits par leur civilisation et ses produits. Drôle de condition, sacrée morbidité ! Nous sommes des malades gouvernés par des fous ! Après cinquante ans, nos pays ressemblent à des asiles où les plus fous jouent aux psychiatres.
C’est souvent en milliards que se chiffrent nos détournements de fonds publics. Les instruits ou les « évolués » trinquent au champagne pendant les anniversaires pendant que le petit peuple n’a pour seul repas du jour que les ongles à ronger. Ils se permettent des célébrations de plusieurs milliards alors que nos écoles n’ont pas de craie et nos hôpitaux n’ont pas de seringues ou de coton. Le pauvre doit tout payer, pendant que les évolués au pouvoir sont aux petits soins avec l’argent du contribuable. N’est-ce pas chez les Blancs qu’ils se font soigner par les meilleurs médecins du monde. Le train de vie de notre élite administrative et politique est scandaleux comparé à l’indigence du petit peuple. Ils ont fait du pouvoir, de l’argent et du ventre leurs dieux.

Par ailleurs, il faut que les Blancs, ou ce qu’on a pris l’habitude d’appeler la communauté internationale, nous surveillent pour que le peuple attrape quelques miettes au passage. A chaque élection, on craint le pire.  Oui, voilà ce que nous sommes après 50 ans d’irresponsabilité et d’égoïsme institutionnalisés : de grands adolescents que personne ne prend au sérieux, qui ne peuvent pas se prendre en charge, que l’on doit tout le temps assister, que chacun manipule à sa guise parce que nous y prêtons le flanc. Encore aujourd’hui, il faut que les Blancs nous surveillent, que les observateurs internationaux aient un œil sur nos élections, pour que nos démocraties embryonnaires ne se muent pas en « thanatocraties ». Quand deviendrons-nous des adultes ? La postcolonie politique chez nous c’est finalement porter des vestes et des cravates, circuler dans de grosses voitures, rédiger des documents stratégiques pour faire plaisir aux occidentaux, faire de beaux discours, bloquer la démocratie, s’accaparer le bien commun, tout en donnant l’impression que nous progressons.

Copies non conformes à l’original

Le Blanc est peut-être parti, mais son fantôme nous hante! Il vit en nous ! Pendant la colonisation, c’est le Blanc qui cherchait à recréer le Noir à son image, mais aujourd’hui c’est le Noir qui mime le Blanc, mal d’ailleurs. Nous restons presque tous des copies non conformes à l’original. Et nous ne sortirons de ce cercle vicieux que quand nous apprendrons à être solidaires et à innover pour créer de la plus-value, pour transformer notre environnement en fonction de nos besoins. C’est ça le vrai développement ! Dans l’euphorie des festivités pompeuses et des discours de circonstance, ne nous faisons pas d’illusions nous ne sommes pas indépendants. Hier c’était la faute du Blanc,  mais aujourd’hui c’est la nôtre. Mais tout dépend encore de nous, ce n’est qu’une question de responsabilité et de dignité. Si nous n’assumons pas nos responsabilités en exorcisant nos égoïsmes individuels et collectifs, nous sommes partis pour d’autres décennies de gâchis. En attendant le « évolués » trinquent. Après tout, leur plus grand exploit c’est d’avoir remplacé les Blancs ! On s’est peut-être affranchi de la colonisation blanche mais il faut encore s’affranchir de la colonisation nègre.

Les mouvements de rue de ces dernières semaines dans les pays arabes constituent une lueur d’espoir pour nos pays. Dans nos pseudo-démocraties qui maintiennent au pouvoir des kleptocrates pendant des décennies, il n’y a que la rue et le martyr pour les déloger. Mais on ne saurait faire du copier-coller en cette matière, car de telles révolutions ne sont possibles que dans des pays où il y a un semblant de peuple soudé par une solidarité dans la souffrance. Or beaucoup de nos pays d’Afrique noire sont encore une juxtaposition informe de consciences ethniques aux contours mal définis. Nos jeunesses constituent certes des bombes à retardement mais ont-elles bu la souffrance et la frustration jusqu’à la lie pour avoir le courage de se révolter ? Quoi qu’il en soit, la déstabilisation des dictateurs par la rue s’offre désormais à nos peuples spoliés comme une alternative. Et, une fois de plus, malgré la pêche en eaux troubles que la logique des intérêts (et les chinois ne sont pas différents) de la politique internationale incarnera toujours, la solution à nos problèmes sera toujours entre nos mains. Arrêtons d’accuser les blancs ! Nous aurons toujours la possibilité de dire  « NON ! » à la servitude. La question est celle de savoir si nous sommes enfin prêts à en payer le prix. Les blancs ne sont pas plus méchants que les noirs, l’homme est partout capable du meilleur comme du pire.
Après 50 ans les martyrs de la colonisation nègre se comptent en millions et nos armées ont souvent été plus au service d’un régime nocif que du peuple. Au Cameroun, les généraux et le Renouveau ont opté pour un mariage de raison, la sauvegarde mutuelle des intérêts de classe. Si le peuple se soulève contre les turpitudes du « Renouveau », l’armée déploie son arsenal pour le mater au nom du maintien de l’ordre. Quel ordre ? L’ordre du pillage et de la prédation au sommet.  Finalement, l’Etat c’est eux et ils en font ce qu’ils veulent. Comme diraient l’homme de la rue, « l’Etat, c’est leur chose ! » Nous sommes tout de même l’un des rares pays au monde où les généraux ne vont presque pas en retraite. On dirait une exception camerounaise. Pourquoi un traitement aussi spécial ? Tout simplement parce que ce que nous appelons, faute de mieux, « indépendance » n’a été pour nous que le remplacement d’une colonisation par une autre, et celle des nègres évolués semble même plus cynique et mortifère.  
Ludovic Lado
Jésuite et anthropologue