Sévices sexuels: La loi du silence

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Victimes d'abus sexuels, les femmes, les jeunes filles, particulièrement les filles scolarisées préfèrent donner leur langue au chat. Depuis le début de l’année scolaire 2009-2010 Flavie K., 17 ans, est inscrite en classe de troisième au lycée d’Etoug  Ebé à Yaoundé. Son oncle K., enseignant de son état avait pris sur lui de l’y inscrire afin de la rapprocher du domicile familial. Son rêve était qu’elle devienne médecin afin d’alléger les souffrances humaines. Il tenait tellement à cet idéal qu'il n’a pas manqué de lui donner de l’argent pour payer les frais de scolarité, malgré les divergences existant entre sa nièce, mère de la jeune adolescente, et lui. Il avait toujours pensé que son enfant – comme il aimait bien appeler Flavie- suivrait ses conseils et se priverait de certaines distractions pour se consacrer à ses études. Jusqu'au 19 octobre 2010 où il a appris que Flavie était enceinte d’un peu plus de deux mois. Que sait-il donc passé ? Selon des informations recueillies à bonnes sources, après avoir reçu de l’argent de la scolarité, Flavie l’avait utilisé à d’autres fins. Pour ne pas être renvoyée du lycée, pour non-paiement de  la contribution exigible, Flavie avait sollicité l’aide de P. Antoine, boutiquier vivant non loin de leur ancien domicile, et  qui lui avait donné 12 000 FCFA. Incapable d’honorer son engagement vis-à-vis de cet ami après des réclamations pressantes, elle a été obligée de devenir la petite amie d’Antoine et entretenait avec lui des relations sexuelles régulières. Enceinte, elle a tout simplement abandonné l’école.
Des jeunes filles dans la situation de Flavie, il en existe beaucoup. Plus qu'un fait banal, le viol, c’est-à-dire l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre sa volonté,  le harcèlement sexuel – entendu comme étant une manière d’exercer sur quelqu’un une pression morale dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles - gênent les politiques de promotion de la femme. Le fossé est grand entre les slogans claironnés sur l'éducation et la promotion de la femme et le silence (complice) qui pèse sur ces pratiques sexuelles avilissantes.
Les agresseurs se retrouvent dans toutes les couches de la société. Parmi eux les enseignants assument une lourde responsabilité. Certains s'abattent comme des fauves affamés sur leurs jeunes élèves, convaincus qu'en entretenant des relations sexuelles avec les jeunes adolescentes non encore déflorées, ils éviteront les maladies sexuellement transmissibles ou le Sida. Ce faisant, ils usent et abusent de leur autorité sur les enfants à eux confiés. Menaces, intimidations, distributions des meilleures notes aux filles faciles sont leurs armes de prédilection. Très souvent, ils mettent sous l'éteignoir les petits camarades des proies convoitées. Dans de rares cas, ils s'assurent la «couverture» des  parents dont le rêve est de voir leurs filles obtenir un parchemin derrière lequel elles courent depuis belle lurette.
Pour le psychologue Tientcheu, « ce n'est pas toujours le désir qui prime chez les violeurs. En général, ils violent les femmes  juste pour leur montrer qu’ils sont plus forts ou pour humilier celles qui n’ont pas cédé à leurs avances répétées. De nos jours, avec les ravages causés par le Sida d’aucuns disent être en sécurité avec les jeunes vierges. Il ne faudrait pas aussi perdre de vu que le phénomène de harcèlement sexuel n’est que l’expression du pouvoir des hommes sur les femmes, et que depuis très longtemps  les luttes des femmes visent à lui faire lâcher prise, même si ce pouvoir résiste. »
Dans tous les cas, les conséquences sont multiples: détérioration des relations humaines, négation de la qualité d'être humain, baisse du rendement scolaire ou de l'entreprise, grossesses indésirées, avortements, infanticides... mort, lorsque la pente naturelle de la vie de ces jeunes femmes ne les mène pas tout droit vers la prostitution.
Qu'elles soient perpétrées par les délinquants, les étudiants, les enseignants, les maîtres ou chefs d'entreprise, les violences sexuelles restent impunies. La plupart du temps, par peur de représailles les victimes préfèrent se taire. Marcelle T. élève en classe de première D dans un Lycée de Yaoundé n’oubliera pas de sitôt ce qu’elle a vécu en première D2 au Lycée de Biyem Assi l’année scolaire écoulée. Harcelée par un responsable de l’établissement et son adjoint, elle a été obligée d’entretenir les relations sexuelles avec eux de peur d’être renvoyée. Malheureusement, cette situation a eu des répercussions sur son rendement en classe et l’échec a été inévitable. Confuse et incapable de donner une explication crédible à sa meilleure amie qui ne cessait de lui poser des questions embarrassantes, elle avait choisi le silence. Aussi n'avait-elle pas jugé nécessaire d'informer ses parents qui se seraient contentés de dire qu'elle mérite ce qui lui arrive.
Clarisse T. qui a été violée par son supérieur hiérarchique voulait vraiment se plaindre, mais elle a été découragée par certains amis et/ou avocats qui lui ont conseillé de se taire sous prétexte que ce sont des affaires difficiles à plaider faute de preuves.
Le mal est-il pour autant incurable? Que non. Les femmes (jeunes et adultes) doivent cesser d'être des victimes silencieuses. Elles doivent lutter pour que les lois soient effectivement appliquées en s'organisant et en devenant membres actives des associations de lutte contre les violences faites aux femmes, étant entendu que l'injustice et l'inégalité ne reculent jamais toutes seules.
Serge Alain Ka’abessine