Loi antiterrorisme : les élucubrations de Maurice Kamto au scanner

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altSi les lois antiterrorisme suscitent souvent les appréhensions de la société civile nationale et de l’opposition qui redoutent des atteintes aux droits et libertés sous tous les cieux, la démarche de Maurice Kamto, sort de cette banalité par sa méconnaissance des réalités les plus évidentes, ses contradictions déroutantes et ses fourvoiements juridiques consternants.

Méconnaissance des réalités concrètes
Maurice Kamto s’étonne que le Cameroun qui s’est abstenu d’adhérer à la Convention de l’Union africaine sur la lutte contre le terrorisme « depuis 15 ans qu’elle existe lui ait subitement découvert des qualités exceptionnelles ». Ce qui revient à dire qu’il ne trouve aucun motif de nature à justifier une telle « adhésion » aujourd’hui. Ce faisant, Maurice Kamto semble déconnecté de la réalité poignante de la guerre du Cameroun contre Boko Haram depuis le mois de mai 2014.


Il feint d’ignorer que les autorités nationales ont jugé prudent de s’abstenir de légiférer contre le terrorisme, tant que le Cameroun était épargné ou n’était pas gravement affecté par ce phénomène, afin d’éviter d’attirer l’attention des terroristes sur un pays paisible. Elles n’ont dû s’y résoudre qu’après être rattrapées par la réalité douloureuse de la mort de dizaines de vaillants soldats, de dizaines de citoyens sauvagement égorgés, après la destruction de dizaines de maisons, après avoir enregistré des milliers de déplacés, des milliers de tonnes de récoltes détruites, etc.
À cet égard, il importe de saluer la vision stratégique dont le Chef de l’Etat a su faire preuve, en évitant de soumettre précipitamment au Parlement un projet de loi antiterroriste au lendemain de l’adoption de la Convention de l’Union africaine, des attaques d’Al Qaida du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et à la suite de la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 28 septembre 2001, appelant tous les Etats à le faire. Les faits sont aussi indéniables qu’irrévocables. Intervenant 13 ans après les attaques du 11 septembre 2001 et après une année de guerre ouverte entre le Cameroun et le groupe terroriste international Boko Haram le moment choisi pour faire adopter la loi antiterrorisme au Cameroun montre bien que le régime en place n’a jamais cherché à profiter de la lutte internationale contre le terrorisme pour attenter aux droits et libertés de la personne.
En affirmant que le Cameroun ne devrait pas adopter la loi antiterrorisme en raison de ce que, d’après la Convention de New York du 10 janvier 2000, il n’y a pas acte terroriste « lorsque l’infraction est commise à l’intérieur d’un seul Etat, que l’auteur présumé est national », Maurice Kamto étale également au grand jour son ignorance de l’étendue du champ opérationnel de ce groupe terroriste international basé au Nigeria, mais dont les attaques s’étendent au Nigeria, au Niger et au Cameroun, et sont menées par des hommes recrutés au Niger, au Bénin au Tchad, en Libye et avec Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) (cf. Patrick Smith, Djihadisme sans frontières : Boko Haram et ses connections régionales et internationales, L’œil du Sahel, n° 665 du lundi 29 décembre 2014, pp. 10 et 11).
Maurice Kamto est également frappé d’irréalité lorsqu’il prétend que la loi antiterrorisme promulguée « interdit […] l’expression collective même pacifique d’un désaccord politique ». L’on sait pourtant que depuis sa promulgation, les critiques et désaccords politiques s’expriment aussi librement que par le passé, tant en ce qui concerne le discours du chef de l’Etat que de l’action des membres du gouvernement, sans que leurs auteurs ne soient accusés de terrorisme.

Contradictions déroutantes
Dans le texte publié le 2 décembre 2014 le président du MRC soutien d’emblée que la loi antiterrorisme est la « réponse [du Gouvernement] au soulèvement populaire qui a entraîné la chute du régime dans divers pays africains ». Or, dans son « Message de fin d’année » diffusé le 30 décembre, il revient sur ses premières déclarations, tenant fermement que « le Gouvernement a fait voter par le Parlement une loi sur la répression du terrorisme afin de faire face à ce fléau ». L’intention du Gouvernement a radicalement changé d’une déclaration à l’autre.
Il a en outre prétendu que cette loi participe d’une « volonté perverse de terroriser le peuple camerounais et de caporaliser la société » en privant « les Camerounais de leur liberté d’expression et de manifestation, de leur droit d’exprimer leur désaccord avec [le] gouvernement ». Ce propos pointe les autorités nationales comme des « terroristes » et les accable de critiques. Seule la mauvaise foi peut conduire à penser qu’en faisant adopter la loi antiterrorisme, le but du gouvernement consiste à attenter aux droits et libertés. D’autant que, tant dans ses écrits que dans ses propos, l’auteur de ces critiques – qui conditionne son soutien à la lutte antiterroriste – s’en prend davantage à l’Etat qui combat le terrorisme qu’au groupe terroriste contre lequel tous les camerounais doivent s’unir comme un seul homme, derrière Paul Biya, le Chef Suprême des armées, comme en France en ce moment, au lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo. L’attaque odieuse et condamnable du 7 janvier 2014 contre cet hebdomadaire français rappelle d’ailleurs que les terroristes sont les pires fossoyeurs des droits et libertés, la liberté de la presse y comprise. C’est néanmoins le lieu de rappeler, à l’unisson de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Leroy c. France, que la liberté va de pair avec la responsabilité, qu’aucune liberté n’est illimitée (au Canada, on parle notamment des « limites raisonnables à la liberté d’expression ») et qu’aucune liberté ne saurait occulter les devoirs du citoyen.
N’étant pas à un non-sens près, dans son interview diffusée par STV du 4 décembre 2014, Maurice Kamto prétend aussi n’avoir rien vu d’aussi mauvais que la loi camerounaise, après d’intenses recherches menées partout à travers le monde. C’est pourtant le même juriste qui avait affirmé, dans un texte publié par le quotidien Le Jour et sur divers sites Internet le 2 décembre 2014, citation à l’appui, que la définition du terrorisme retenue dans la loi est calquée sur celle de la Convention de l’Union africaine contre le terrorisme de 1999, « en particulier son article 1 (3) a) d’où est tirée la définition […] de l’acte de terrorisme ». Ce qui montre bien que l’énumération des actes terroristes adoptée par le législateur n’est pas inédite, mieux, qu’elle se fonde sur un instrument régional adopté par une cinquantaine de pays.

Fourvoiements juridiques consternants
Maurice Kamto soutient bruyamment que la loi antiterrorisme « devrait contenir une définition de l’infraction de terrorisme » inspirée du droit international. Sans s’attarder sur l’occidentalisme pathologique de celui qui s’en remet davantage à la pratique d’autres continents que sur les options africaines, déniant à l’Afrique toute possibilité de développer son propre droit, à l’instar du droit international américain, du droit asiatique ou du droit européen et au mépris du principe juridique ubi societas, ibi jus, le pourfendeur des législateurs antiterroristes étale son ignorance du droit antiterrorisme universel.
En exigeant une définition du terrorisme, il prouve son ignorance du fait qu’en droit international et même en droit tout court, il n’existe pas de définition du terrorisme qui fasse l’unanimité ou qui soit à l’abri de la critique. Un collège de d’éminents juristes français, intrépides défenseurs des droits de l’homme, directeurs et auteurs de l’emblématique Dictionnaire des Droits de l’Homme (Paris, Presses universitaires de France, 2008, pp. 727-729), a confirmé que « la définition juridique du terrorisme n’existe pas » et que, partout à travers le monde, « la qualification terroriste déclenche la mise en œuvre d’une législation d’exception dont l’étendue est aussi floue que la notion qui la fonde », dans le cadre de ce qu’ils ont appelé : « le droit de dérogation » (cf. aussi Frédéric Bernard, « Droits de l’homme et terrorisme », in : Maya Herting Randall / Michel Hottelier, Introduction aux droits de l’homme, Editions Yvon Blais / LGDJ / Lextenso éditions/ Schulthess éditions romandes, 2014, p. 593).
La définition du terrorisme qu’il propose, basée sur la méthode, est critiquée par tous les experts à travers le monde, parce qu’elle est fondée sur le postulat erroné qu’il existe des actes terroristes par nature. C’est une approche arbitraire, car elle tient pour terroristes les actes qualifiés comme tels.
Ce sont d’ailleurs ces désaccords sur la définition du terrorisme qui expliquent qu’à ce jour, en dépit de la multiplicité des travaux scientifiques menés par de nombreux auteurs à la recherche d’une définition du terrorisme – y compris des thèses de doctorat – l’on ne dispose pas toujours d’une telle définition. Cette absence de définition du terrorisme constitue du reste le principal obstacle à l’adoption d’une convention internationale universelle et générale sur le terrorisme, le terroriste de l’un étant le héros des autres.
C’est aussi manquer du bon sens le plus élémentaire que d’exiger d’un gouvernement une définition qui n’existe nulle part. Chacun le sait, à l’impossible, nul n’est tenu.
Dans une autre étourderie, Maurice Kamto fait grief à la loi antiterrorisme de se fonder sur la résolution 2178 du Conseil de sécurité du 24 septembre 2014 qui concerne la lutte contre « les combattants terroristes étrangers ». Il en déduit qu’elle « considère[…] tous les camerounais comme des membres d’Al Qaida ou d’organisations affiliées comme Boko Haram ». Et de trancher que la loi antiterrorisme « viole l’esprit et la lettre de cette résolution 2178 du Conseil de sécurité ».
Certainement pressé de critiquer le gouvernement, le pourfendeur du législateur national antiterrorisme n’a pas vu le point 6 de cette Résolution, dans lequel le Conseil de sécurité

« [r]appelle que, dans sa résolution 1373 (2001), il a été décidé que tous les Etats Membres devaient veiller à ce que toute personne qui participe au financement, à l’organisation, à la préparation ou à la perpétration d’actes de terrorisme ou qui y apporte un appui soit traduite en justice ».

Sauf à torturer le sens de cette disposition, l’on ne saurait nier qu’elle oblige tout gouvernement à légiférer pour prévenir et réprimer le terrorisme, qu’il concerne les actes potentiellement commis sur leur sol que ceux commis à l’étranger.
Dans sa hargne d’en découdre avec le régime avec lequel il a collaboré pendant un septennat bien rempli, le président du MRC soutient que la loi antiterroriste promulguée le 28 décembre 2014 « marque une régression démocratique » et « porte un coup sévère à la démocratie » ou « un coup mortel ». Cette affirmation met à nu sa méconnaissance du droit comparé antiterrorisme. Dans son entendement la démocratie est morte et enterrée dans plusieurs pays qui servent de modèle depuis bien longtemps. S’il s’était extirpé de l’imaginaire romanesque qui lui est propre, il saurait qu’aux Etats-Unis, en vertu du Patriot Act de 2001, en vigueur jusqu’en 2015, la durée de la détention sans inculpation est illimitée en matière de lutte contre le terrorisme ; que dans la plus grande démocratie du monde (l’Inde), la garde à vue pour terrorisme est de 180 jours sans inculpation et que, le 18 décembre 2014, la jeune démocratie kenyane a renforcé sa législation antiterroriste en faisant passer la durée de la garde à vue de 90 à 360 jours. Comment dès lors critiquer le Cameroun qui n’en est qu’à 15 jours renouvelables ? Comment prétendre que la loi antiterrorisme camerounaise est « un coup mortel à la démocratie » lorsque les démocraties les mieux consolidées et multiséculaires ont adopté des normes plus sévères ?
En même temps qu’il prétend que la loi camerounaise antiterorriste est contraire à la Constitution parce qu’elle méconnaîtrait les droits et libertés constitutionnellement protégés et qu’il s’en prend pareillement à la Convention de l’Union africaine contre le terrorisme, alors même que, quelques lignes plus loin, il signale que ladite Convention – qui fait partie intégrante de la Constitution du pays – en son article 21, stipule qu’aucune de ses dispositions ne peut être interprétée comme dérogatoire, entre autres, « à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ». Maurice Kamto flotte dans l’illogisme. Si aucune disposition de la Convention de l’UA et partant, aucune disposition de la loi antiterrorisme ne saurait être interprétée comme attentatoire aux droits de l’homme et aux libertés, aussi bien Convention de l’UA qu’en vertu de la Constitution, en quoi cette loi porterait-elle atteinte à ces mêmes droits et libertés ?
Maurice Kamto confirme en fait que toutes les garanties sont offertes par l’environnement juridique national et international pour prévenir et sanctionner toute atteinte aux droits et libertés dans le cadre de l’application de la loi du 28 décembre 2014.
Enfin, Maurice Kamto a prêché pour doctrine que le Cameroun aurait commis une imposture juridique pour avoir fait application, dans une loi, de la Convention antiterrorisme de l’Union africaine avant de l’avoir ratifiée. Pour faire plus docte, le vice de forme a été allégué. Il a bien soutenu qu’il y a eu vice de forme, parce que l’Etat s’est fondé sur la Convention de l’Union africaine dans l’élaboration de la loi antiterrorisme avant de l’avoir ratifiée. Cet argument participe soit d’un juridisme de mauvais aloi, soit de la méconnaissance des subtilités du droit international public, soit enfin de la mauvaise foi.
En toute hypothèse, trois raisons démontrent qu’il s’agit d’un pseudo argument juridique. D’abord, en droit international public, un Etat n’a guère besoin de ratifier une convention internationale pour l’appliquer. Des exemples abondent où des Etats ont décidé d’appliquer des conventions internationales avant même la fin des négociations, comme dans le domaine de la largeur de la mer territoriale des Etats, portée par un grand nombre de pays à 12 miles marins avant la signature de la Convention de Montego-Bay sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.
Ensuite, la doctrine dûment estampillée évoque également la ratification tacite résultant :

i) « de la simple exécution du traité par une partie contractante » (Dominique Carreau et Fabrizio Marella, Droit international public, Paris, Pedone, 2012, p. 167) ou
ii) de l’admission comme membre d’une organisation internationale (Carlo Santulli, Introduction au droit international, Paris, Pedone, 2013, pp. 68-69).

Dans cette hypothèse, le Cameroun aurait procédé à une ratification tacite, qui sera suivie d’une ratification formelle de la Convention antiterrorisme de l’Union africaine.
Enfin, tous les étudiants de deuxième année en droit du monde entier qui ont reçu un enseignement de droit international public le savent : un traité international peut être à l’origine d’une coutume internationale en raison de l’application de ses stipulations tant par des Etats non parties que par les Hautes Parties contractantes, qu’ils s’y réfèrent expressément ou non. Point n’est besoin de rappeler, avec le professeur Gérard Teboul de l’Université de Paris XII, que « [s]ouverains, les Etats élaborent, comme ils l’entendent, c’est-à-dire selon le processus qu’ils souhaitent, les pratiques, règles de fait » (Journal du Droit international, 2010, p. 732).
Chacun le constate, il n’y a aucun vice de forme à cet égard. Toutes les analyses pseudo juridiques de Maurice Kamto sur la loi camerounaise antiterrorisme sont hérétiques.
James Mouangue Kobila

Agrégé de Droit public, Directeur des Affaires Académiques et de la Coopération à l’Université de Douala, ce spécialiste du droit anti-terroriste est l’auteur de trois études sur le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et la lutte contre le terrorisme international, notamment publiées dans la Collection des « Livres de droit de l’Académie de droit international de La Haye » (2008) et dans la Revue québecoise de droit international (2011). Auteur de nombreux travaux en droit international des droits de l’homme, il est également expert en droits de l’homme auprès de l’Université des Nations Unies (Tokyo) et vice-président de la Commission nationale des droits de l’homme et des Libertés.