Côte d'Ivoire: Myopie et insouciance préméditées de l'Onu

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Côte d’Ivoire : les implications et les externalités des erreurs administratives et diplomatiques

Si les comptes de la Côte d’Ivoire sont bloqués, cela pourrait avoir une externalité positive en ce sens que le président Gbagbo pourrait en profiter pour lancer la Banque centrale ivoirienne. Pour bon nombres d’économistes panafricains, ce serait « un acte décisif » vers la libération de ce pays de l’impérialisme monétaire. En effet, cela permettrait selon ces derniers d’affranchir historiquement les ivoiriens de ce que les uns appellent à dessein « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » en référence au Franc de la Communauté financière d’Afrique.

1. De l’insouciance de certains fonctionnaires internationaux
Il n’est pas plausible de nos jours de remettre en cause le rôle de la Communauté internationale dans le maintien de la paix à travers le monde. Mais, on continue d’enregistrer des manquements sérieux dans le système d’information d’aide à la prise de décision au niveau de la  coopération internationale qui suscitent des interrogations.

En effet, pour le cas de la Côte d’Ivoire, les leaders internationaux ont encore pris des décisions sur la base des rapports « fantaisistes » commis par les fonctionnaires internationaux déployés sur le terrain.
Young-jin Choi, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, a organisé une conférence de presse ce mercredi 08.12.2010 pour s’expliquer sur les accusations de partialité du camp Gbagbo. Il a évoqué les trois procédés qu’il a utilisés pour proclamer le candidat Ouattara vainqueur à savoir :
« 721 fonctionnaires de l’Onuci ont été déployés en autant de bureaux de vote soigneusement triés. Ils m’ont annoncé par téléphone les résultats du second tour affichés dans les bureaux de vote au soir du 28 novembre. […] La deuxième méthode était de recueillir les résultats des votes à partir des dix-neuf commissions électorales régionales […] La troisième méthode consistait à examiner tous les 20 000 procès-verbaux reçus par l’Onuci de la CEI le 30 novembre pour les besoins de certification. »
Au parjure ! Si tels ont été vraiment les trois critères utilisés, alors une partie de l’opinion aurait raison de considérer que le diplomate onusien serait à l’origine de la crise ivoirienne pour avoir recommandé à la Communauté internationale de soutenir le candidat Ouattara. En effet, il y a un vrai biais d’ordre méthodologique dans cette approche. Ceux qui ont déjà été une fois sur le terrain en Afrique noire francophone, savent qu’on ne peut pas déclarer une élection « libre et transparente [démocratique] » sur la base des coups de fil et des « procès-verbaux ». Pour le cas du Cameroun par exemple, les différentes contestations des élections n’ont jamais porté sur l’existence ou non des procès-verbaux mais sur leur validité. En clair, le diplomate onusien ne répond pas à la question de savoir comment les procès-verbaux litigieux ont été produits. On apprend qu’ils ont tous été comptabilisés, parce qu’une démarche d’annulation n’aurait pas altéré « de manière significative, le résultat du second tour ». Cela renseigne indubitablement que les élections n’ont pas été équitables. Il est plausible de penser que c’est Young-jin Choi qui a fourni les alibis de contestation aux deux candidats en s’empêchant de recommander à l’Onu la reprise des votes dans les zones querellées. Les moyens mis en place actuellement par la Communauté internationale pour sécuriser le camp Ouattara aurait bien permis de réorganiser les élections dans la sérénité. La démarche du diplomate est reprochable et nous rappelle les critiques adressées à l’endroit des fonctionnaires internationaux qui exploitent leur maîtrise des standards d’évaluation et de rédaction pour « pondre » des rapports sans quitter leurs hôtels cinq étoiles.  Par le passé, ces outils d’aide à la prise de décisions au niveau des organismes internationaux (Banque Mondiale, Onu, Oms, Onusida, Fmi, etc.) ont le plus souvent conduit à la prescription à l’Afrique des médicaments qui ne soignent pas son mal. L’opinion africaine continue de déplorer par exemple, l’inadéquation des mesures de lutte contre les épidémies (sida, choléra, grippe aviaire, etc.), la pauvreté et les violations des droits de l’homme en Afrique en particulier et dans le tiers-monde en général. On observe qu’en Haïti, les « erreurs » des Casques bleus de l’Onu ont aggravé le malheur des sinistrés à travers l’importation du choléra (plusieurs milliers de morts gratuits). En Côte d’Ivoire, ces mêmes « erreurs » vont conduire davantage à la paupérisation du pays. C’est embarrassant pour l’image de la Communauté internationale qui est condamnée à consolider son système d’information d’aide à la prise des décisions. Dans l’actualité, il ne serait pas étonnant qu’on masque le départ de Young-Jin Choi de la Côte d’Ivoire en crise diplomatique.

2. Après l’hystérie, la méditation
Rappelons qu’en Côte d’Ivoire, on se trouve dans le pré-carré français et qu’avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, la stratégie de communication et de changement est la sur-médiatisation ou la création de « l’hystérie collective». L’erreur est de croire que l’hystérie marche en matière de communication sociale et politique. Cette illusion est importée de l’approche psychobiologique, très utilisée aux Etats-Unis dans le management des affaires, qui joue entre autres sur l’émotion pour captiver l’attention et provoquer le changement de comportement. En gros, on fait peur pour amener les gens à changer. En matière de communication sociale, cette approche a été largement critiquée par Kakdeu (2010a) parce qu’elle engendre des effets paradoxaux. En cas d’hystérie, les populations se cristallisent et développent des « sentiments de défiance » qui conduisent aux non-changements de comportement. Il est étonnant que Nicolas Sarkozy qui en a payé les frais dans sa politique interne en France, continue de jouer sur ce front.
De plus, en Côte d’Ivoire, la communauté internationale a déjà épuisé le compteur des déclarations. Que lui reste-t-il à dire? Si elle continue à répéter les mêmes choses, elle finira par lasser l’opinion. De plus en plus, les gens en auront marre : « on a déjà tout entendu ; il faut passer aux actes ». Or, la situation est très complexe pour que les actes viennent de si tôt. Du côté de l’opinion, on constate que les insultes qui ont suivi le « hold-up électoral » ont cédé la place à la méditation. Après l’émotion, les uns et les autres se ressaisissent et se demandent ce qui s’est vraiment passé. Il est à regretter que devant les faits, les émotions prennent toujours le pas sur la raison car, au fur et à mesure, l’actualité donne raison à ceux qui pensent que la situation en Côte d’ivoire a des dessous inavoués. D’ailleurs, la presse satirique internationale a rapporté les trois critères de Young-jin Choi avec beaucoup de retenus.

3. Ouattara n’est ni Jésus ni Mohammed
De plus en plus, les Africains vont se rendre à l’évidence que le candidat Ouattara n’est ni Jésus ni Mohammed. Même s’il est investi au pouvoir par la Communauté internationale, il ne sera qu’un être humain qui finira par décevoir comme l’ont fait d’autres « brillants intellos » avant lui. Les gens se diront : « Pourquoi donner notre tête pour être coupée » ? Il y a deux ans, dans un élan émotionnel exceptionnel, Dadis Camara était l’un des putschistes les plus applaudis d’Afrique et de nos jours, personne n’ose plus parler de lui. Je me rappelle avoir été dans la rue de Conakry en ce moment et j’avais failli me faire lyncher pour le simple fait d’avoir eu à demander aux « intellos » de placer la raison avant l’émotion. En effet, il est illusoire de penser qu’en l’état du fonctionnement du tissu économique de l’Afrique noire francophone, il est possible de réussir l’amélioration des conditions de vie des populations comme d’un bâton magique. Le développement de l’Afrique ne passera pas par les aides humanitaires ; il passera par l’autonomisation du continent. De nos jours, les conditions d’une telle autonomisation ne sont pas réunies.

4. L’embargo économique et  financier sur la Côte d’Ivoire : Adieu les Ivoiriens !
Que se passera-t-il si la Cédeao bloque les comptes de la Côte d’Ivoire comme le vise le candidat Ouattara à travers ses réseaux ? Cela gangrènerait le pays bien sûr et les Ivoiriens mourront affamés comme les nigérians pendant la guerre du Biafra. Les médias internationaux filmeront le désastre humanitaire pour sensibiliser l’opinion internationale : Et puis quoi ? Quel serait l’intérêt des Ivoiriens dans cette guerre d’alternance au pouvoir et de défense des intérêts économiques? Qui en serait bénéficiaire ? Qui en serait tiers-gagnant ? Qui en serait tiers-perdant ? Ouattara ira-t-il jusqu’à sacrifier le peuple qu’il aime pour faire face à Gbagbo ? Ne peut-il pas entrer autrement dans l’histoire ?
Mais, si les comptes de la Côte d’Ivoire sont bloqués, cela pourrait avoir une externalité positive en ce sens que le président Gbagbo pourrait en profiter pour lancer la Banque centrale ivoirienne. Pour bon nombres d’économistes panafricains, ce serait « un acte décisif » vers la libération de ce pays de l’impérialisme monétaire. En effet, cela permettrait selon ces derniers d’affranchir historiquement les ivoiriens de ce que les uns appellent à dessein « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » en référence au Franc de la Communauté financière d’Afrique. Selon ces derniers, les chefs d’Etat ivoiriens n’auront plus à « demander l’audience » au trésor français pour financer leur développement. De plus, ils ne paieraient plus 50% de leurs devises pour « garantir » une monnaie dite « forte ». Ils pourraient faire recours à la planche à billets comme Barack Obama et se « taper », avec le soutien des pays émergents, de « costauds plans de relance » à la hauteur de leurs ambitions. Toutefois, l’autonomie monétaire précoce de la Côte d’ivoire engendrerait un risque d’inflation. Comme en Guinée de Sékou Touré, les services secrets « mystérieux » pourraient inonder le marché de « faux billets » afin de fragiliser la monnaie.

5. Ce qui arrive aux autres finit toujours par nous arriver : A qui le tour ?
La situation en Côte d’Ivoire est intenable. De plus en plus, l’opinion devra choisir entre le respect des principes démocratiques et la lutte contre l’impérialisme. Aujourd’hui, il nous est demandé de respecter les procès-verbaux en Côte d’Ivoire pourtant, en 2011 ou en 2012, la manipulation des mêmes procès-verbaux sera utilisée pour légitimer l’éternité au pouvoir ou les transmissions filiales. Ce sera la même Cour constitutionnelle chez les uns ou Cour suprême chez les autres qui, sur la base des procès-verbaux contestés, déclarera vainqueur des candidats accusés de disposer des « biens mal acquis » en Occident. En ce moment-là, quel discours tiendra-t-on ? Un minimum de cohérence s’impose de la part de l’opinion et de la Communauté internationale. La meilleure chose susceptible d’arriver à un chef d’Etat africain de nos jours n’est pas de se faire installer par « l’Extérieur ». L’erreur des fonctionnaires internationaux en poste en Côte d’Ivoire est d’avoir voulu médiatiser les coulisses réputées « sales » de la diplomatie en vue de « ridiculiser » Gbagbo. S’il est avéré que ce dernier a été « ridiculisé », il n’en demeure pas moins vrai, sur la base de la pondération qui regagne l’opinion africaine après la traversée de la première vague d’hystérie, que le candidat Ouattara sera la « honte » de l’Afrique contemporaine s’il se fait installer par « l’Extérieur » ou mieux par les impérialistes.

6. Sauver les meubles et éviter la jurisprudence La reprise des pratiques diplomatiques classiques s’imposent. La Communauté internationale a intérêt à faire son travail dans l’ombre et à laisser les Ivoiriens piloter leurs affaires au risque de créer une jurisprudence dont il sera difficile de s’en défaire lorsque les élections seront contestées dans d’autres pays. Elle devrait éviter de légitimer la violation de la Constitution et de la souveraineté d’un Etat indépendant. En conformité avec le principe de la légalité, le candidat Ouattara devra renforcer son conseil juridique sur les processus et procédures électoraux. Le déroulement de l’actualité soutenue par la Communauté internationale dans cette partie du monde relève des curiosités. En Guinée, le putschiste Sékouba Konaté, après avoir violé la Constitution en son temps, a pu « imposer » une porte de sortie à la tête du corps des armées de l’Union africaine, en dépit des VRAIS généraux africains restés loyaux. Cela consolide le point de vue de ceux qui pense qu’il n’y a pas de logique clairement identifiable dans la défense des « principes et valeurs démocratiques » mise en avant. Il faut dire qu’il y a un biais dans le fonctionnement international actuel. Comme l’a dit le président Gbabgo dans son discours d’investiture, tout porte à croire que la seule logique identifiable est : « aller vous battre pour obtenir le pouvoir et nous verrons comment vous reconnaître », « A vos marques et au plus fort ! » Par ailleurs, pour continuer à rester en Côte d’Ivoire, la Communauté internationale sera obligé de créer à côté du droit ou du devoir d’ingérence, un autre principe qui fera jurisprudence. Cette situation probable sera bien inconfortable. D’autre part, l’actuelle  communication politique du candidat Ouattara ne fait pas son affaire sur le plan historique. Pour égaliser le jeu avec le président Gbagbo, il lui faut maintenir officieux ses réseaux et se démarquer officiellement de l’ingérence de la Communauté internationale. Cela lui permettra de mieux se constituer « victime ». En l’état, il est très inconfortable de se positionner comme le potentiel défenseur des intérêts impérialistes en Côte d’Ivoire. En attendant d’y voir plus clair, on peut continuer à méditer sur les externalités positives : Et si ce passage triste par la Crise en Côte d’Ivoire était un mal nécessaire ? Et si par cet acte de sacrifice, le cas de la Côte d’Ivoire permettait de libérer toute l’Afrique noire francophone ? Louis-Marie Kakdeu