Christopher Fomunyoh: le Leader, le politique et l'humaniste

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«Aucun pays africain n'a connu une alternance politique avec une opposition aussi fragmentée que la nôtre.»
«Aucun pays africain n'a connu une alternance politique avec une opposition aussi fragmentée que la nôtre »
Il est toujours lucide quand il prend la parole. Ses propos ne laissent personne indifférent. Défenseur acharné d’un Etat de droit doté d’institutions démocratiques fortes, il estime qu’au Cameroun, les espaces de libertés sont très réduits, et que le contexte politique est hostile au renouvellement de la
classe politique dirigeante. Aussi pense-t-il qu’il faudrait revoir notre architecture constitutionnelle qui constitue la fondation de l'Etat nation et de l’Etat de droit que nous voulons construire.

Faute de quoi nous continuerons à courir derrière le développement, la démocratie et à faire en sorte que les détracteurs de notre pays et du continent africain continuent de penser que nous ne sommes pas encore mûrs pour la démocratie. Son regard sur la situation de certains pays est sans concession. Pour lui, «les pays Africains qui tirent le continent vers le bas sont gérés par des autocrates octogénaires, qui ont une conception rudimentaire et moyenâgeuse du pouvoir politique». Tout n’est pourtant pas perdu pour ces pays, il suffit que leurs citoyens prennent conscience de leur situation et s’engagent activement pour que les choses changent.

 Germinal : L’attention des Camerounais est captée depuis un certain temps par ce qui est communément appelé ‘le problème anglophone.’ Quelle lecture faites-vous de cette situation et comment vous la vivez-vous?
Christopher Fomunyoh : Il s’agit d’une situation d’incompréhension historique latente qui date et dont la dernière manifestation est cette crise née des doléances professionnelles des avocats et des enseignants anglophones, et qui entre temps s’est métamorphosée en une crise de confiance aiguë de la gouvernance dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Quatre mois après les premières manifestations de rue, on est confronté à une crise d’envergure nationale qui impose à chacun de nous une introspection profonde des valeurs humaines et démocratiques qui nous animent.
Personnellement, comme la vaste majorité des compatriotes, je vis très mal et avec beaucoup de tristesse cette situation : d’abord parce que je suis fils du Nord-Ouest et donc anglophone ; et ensuite parce que je fais partie de ceux qui ont toujours cru au sens d’équité et de justice de l’État. Aujourd’hui cette confiance est fortement ébranlée par certains actes qu’on ne peut s’empêcher de condamner. Je citerais notamment les pertes en vies humaines, les égarements de certains manifestants au début de la crise, l’incendie de la faculté de médecine de l’université de Bamenda, la violence gratuite sur les étudiants et les avocats qui manifestaient paisiblement, et cette punition, voire cette humiliation collective infligée à plus de cinq millions de nos concitoyens qui depuis plus de 60 jours ont été privés d’Internet et d’autres moyens de communication. Comment peut-on ne pas partager la consternation de cette population qui ne l’oublions pas, à elle seule dépasse de loin la population totale des trois pays voisins que sont le Gabon, la Guinée équatoriale et le Congo Brazzaville ? Même s’il y a eu des actes isolés de cybercriminalité au début de la crise, il existe plusieurs façons de contrer ces actes pour la plupart minimes, sans avoir à châtier des populations innocentes en les privant de leur liberté fondamentale d’accès à l’information. Par ailleurs, cette coupure d’Internet a un coût négatif sur notre économie, tout comme elle ternit gravement l’image de notre pays sur la scène africaine et internationale. Les gens en parlent partout à travers le monde ; ils marquent leur étonnement par rapport à notre incapacité à valoriser les atouts dont nous disposons, et ça fait très mal.

Aujourd’hui donc le problème n’est plus seulement anglophone ; il est national et même international lorsqu’on voit les images des compatriotes manifestant devant nos ambassades et autres institutions à l’étranger.
Pensez-vous qu’une solution définitive à ce problème anglophone ou national sera trouvée un jour ?
Si. Forcément une solution sera trouvée, un jour ou l’autre, étant donné que les griefs ont été mis sur la place publique. D’ailleurs, nous n’avons pas de choix si nous voulons promouvoir la convivialité entre les différentes communautés nationales. Et cela suppose également que les doléances soient prises en compte et solutionnées, et que les problèmes structurels relatifs à la gouvernance nationale, régionale et locale soient débattus avec honnêteté et sérénité, et résolus de façon consensuelle dans les plus brefs délais.

Parmi les solutions évoquées, certains prônent la décentralisation, d’autres le fédéralisme, et certains la sécession. Dans quel groupe vous trouvez-vous ?
Comme vous le savez, en panafricaniste convaincu, je n’ai jamais prôné la sécession ou une quelconque séparation, et ma position n’a pas changé. Au moment où les grands ensembles se forment partout ailleurs dans le monde, l’émiettement des pays africains serait contreproductif pour le développement et pour l’intégration nationale et continentale. Comme la constitution prévoit des garanties et protège les droits fondamentaux, nous devons tous œuvrer, le Président de la République en premier, pour que ça soit ainsi au bénéfice de tous les citoyens.
En même temps, je trouve que le débat figé entre la décentralisation et le fédéralisme est mal posé, car il faut d’abord créer les conditions favorables pour un débat instruit et constructif, un débat franc et sincère sur le mode de gouvernance de notre pays. Par ailleurs, je suis agacé du fait que ce débat se tienne alors que ceux qui ont posé le problème au départ — et de la manière la plus civilisée et paisible que possible — se trouvent en détention à Kondengui pour être traduits devant un tribunal militaire. Évitons de tomber dans une fixation sur la forme de l’État qui s’articulerait uniquement autour de la décentralisation ou du fédéralisme. Nous devons dépasser cette posture. Cela demande d’éviter de sauter dans la rue comme ces compatriotes qui, en 1990, ont marché à Yaoundé et dans d’autres villes de la République contre le multipartisme et la démocratie qu’ils définissaient alors comme des « valeurs importées. » On connait la suite : aujourd’hui, au nom de ces « valeurs importées » les mêmes qui avaient marché se disent démocrates et prétendent avoir apporté la démocratie au Cameroun.
À mon sens, nous devrons très bien diagnostiquer le contrat de confiance violé, les textes jamais appliqués, les promesses non tenues et les ratées constatées pendant ces dernières décennies, avant d’examiner les nouvelles formes de gouvernance et les alternatives fiables à même de nous orienter vers l’option idéale pour notre pays. Sinon, on ne pourra jamais trouver de solution durable. Il faut aussi prendre des mesures rapides d’apaisement telles que : la libération immédiate des avocats, des enseignants, des leaders de la société civile, et d’autres anglophones arrêtés ; le rétablissement de la connexion Internet ; la cessation immédiate des arrestations arbitraires des journalistes et des innocents — afin de créer un climat propice pour une réflexion approfondie et cohérente sur les voies de sortie de crise.
J’en appelle aux autorités concernées et qui ont le pouvoir de décision d’appliquer les mesures évoquées ci-dessus, et de prêter une oreille attentive aux doléances et aux cris de détresse des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et plus généralement des Camerounais. Ils doivent rechercher des solutions aux problèmes qui se posent aux différentes communautés dont la dégradation des conditions de vie est très préoccupante. Je lance un appel solennel aux compatriotes pour que nous prenions tous, individuellement et collectivement, l’engagement d’élever le niveau de débat sur ces questions capitales relatives à l’avenir de la patrie. Comme vous le savez très bien, je suis profondément républicain et démocrate. Je défends un État de droit authentique où l’intérêt général est au cœur des préoccupations des dirigeants à tous les niveaux ; il y a séparation effective des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ; la justice est indépendante ; les droits fondamentaux de l’homme sont respectés ; la corruption est combattue avec la dernière énergie et aussi de façon transparente ; la méritocratie prime sur d’autres considérations ; la déclaration des biens et avoirs est effective ; les élections libres, équitables et justes sont organisées par un organisme véritablement indépendant, et un code électoral mis en place de manière consensuelle. Voilà quelques exemples des mesures à même de rassurer l’ensemble de nos citoyens.

Depuis le déclenchement de cette crise, on ne vous a pas pourtant assez entendu. Comment expliquez-vous ce mutisme ?
Mais non, comment pouvez-vous penser un seul instant que je sois resté inactif par rapport à une crise aussi importante et à laquelle le monde entier est aujourd’hui alerté. Il vous souvient que, 48 heures après le déclenchement des premières manifestations du 21 novembre 2016, j’ai fait une déclaration publique en anglais et en français fortement relayée par les médias nationaux, déclaration dans laquelle j’appelais au calme et à la non-violence. Dans ce même communiqué du 23 novembre 2016, en voyant les images qui provenaient du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, j’avais recommandé que le président Paul Biya s’adresse à la nation pour calmer les esprits et rassurer les concitoyens. À ce jour, cette déclaration est toujours d’actualité et je reste convaincu que si le président Biya avait pris les devants en ce moment-là au mois de novembre, la question n’aurait pas pris la tournure que l’on connait aujourd’hui.
Je suis descendu sur le terrain à Kumba dans le sud-ouest en mi-décembre 2016, où j’ai encore appelé à la non-violence et au pansement des cœurs. J’ai accordé des interviews à la presse écrite et radiotélévisée allant dans le même sens. Heureusement que d’autres concitoyens tels que Dr Simon Munzu, les Honorables Wirba et Joshua Osih, les anciens Bâtonniers Bernard & Akere Muna, Me Felix Agbor Balla, Ayah Paul, Mme Kah Walla, etc., dont je salue les efforts, ont eux aussi édifié l’opinion nationale et internationale sur les contours de la question.

Comment appréciez-vous les démarches des différents intervenants jusqu’à présent ?
Il va sans dire que par sa détermination et sa persévérance, la jeune génération des anglophones — les avocats, les enseignants, les étudiants et autres personnalités impliquées dans ce mouvement — a réussi à mettre sur la place publique, et de manière pacifique, des doléances qui perdurent depuis des décennies, et qui jusqu’à présent étaient traitées à huis clos en commissions restreintes par certains politiques.
Dans la vie de toute nation, la gestion des crises d’envergure permet de mieux cerner les pensées et les convictions des uns et des autres, et beaucoup de nos compatriotes se sont illustrés par leur objectivité et la pertinence de leurs interventions. Je profite de l’occasion que vous m’offrez pour apprécier à leur juste valeur les prises de position factuelle et dépassionnée de tous ceux qui ont pu éclairer l’opinion nationale et internationale sur la problématique. Je pense notamment à l’ancien ministre David Abouem-A-Tchoyi, à Protais Ayangma, au Député RDPC Martin Oyono, à Me Jean de Dieu Momo, au Professeur Nkou Mvondo, à Jean-Pierre Bekolo, Richard Bona et à bien d’autres compatriotes qui, sans être anglophones, ont manifesté de l’empathie et de la sympathie envers nos compatriotes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest et ont fait montre de beaucoup de lucidité dans leurs analyses. J’ai aussi positivement apprécié les démarches et les efforts d’apaisement du Gouverneur du Nord-Ouest engagés aux moments forts de la crise. Surement que la postérité sera le meilleur juge de l’apport de chacun de nous dans la recherche de solutions justes, équitables et durables.

Avez-vous la même impression que Achille Mbembe qui estime que quelque chose de très profond s’est cassé au Cameroun au cours des 34 dernières années de gouvernement par l’abandon, et que le bilan des dirigeants actuels est calamiteux ?
J’apprécie beaucoup le compatriote Achille Mbembe pour son franc-parler et pour ses réflexions limpides sur les questions d’intérêt national. Il a sûrement raison, et j’ajouterai que la gestion de la présente crise sera déterminante à plus d’un titre. Aujourd’hui, nous sommes face à une alternative : soit nous restons indifférents à ce constat éclairé ; soit ensemble nous œuvrons avec de nouvelles approches et de nouveaux hommes pour ressouder ladite cassure et re-projeter le Cameroun sur la place d’honneur et d’avenir qui devrait lui revenir. Cette posture permettrait d’éviter au Cameroun de sombrer dans l’incertitude.

Doit-on continuer à garder l’optimisme malgré l’absence manifeste de volonté politique affichée par les dirigeants actuels et leur volonté de confisquer le pouvoir par tous les moyens ?
Évidemment ! Nous devons garder intact notre optimisme pour le Cameroun, car l’absence de volonté politique ou la confiscation du pouvoir dans toute société est forcément temporaire. Dans le cas spécifique de notre pays, le pouvoir est tenu par des octogénaires dont la plupart sont aux affaires depuis les années 60, alors que la génération montante de notre jeunesse aspire à être gouvernée autrement, sinon à jouer un rôle capital et central dans cette nouvelle gouvernance plus démocratique, réellement républicaine et attentive aux besoins et desiderata des populations.

Dans certains pays africains, on a vu les peuples prendre leur destin en main en faisant partir des autocrates. Le peuple camerounais est-il suffisamment mature pour sa révolution ?
Je n’ai jamais douté ni de l’intelligence ni de la maturité de nos populations, du peuple camerounais. N’oublions pas qu’avant même les indépendances en Afrique et en dehors de l’Algérie, le Cameroun (sous la tutelle de la France) fut le seul territoire où les populations se sont soulevées contre le pouvoir colonial français. Pendant presque la même période, le Southern Cameroons (sous la tutelle de l’Angleterre) a pu retrouver son autonomie en se soustrayant de la dominance nigériane. Il existe aussi des exemples plus récents comme la lutte pour la démocratie et la conquête des espaces de liberté des années 1990 et les émeutes des jeunes en 2008. Mais, toujours est-il que pour le démocrate que je suis, profondément attaché à un changement ou une transition pacifique, la meilleure révolution est celle qui se produit à travers les urnes.

Changeons de registre. Depuis quelque temps vous engrangez une bonne moisson de lauriers sur l’ensemble du territoire national. Le dernier en date est le ‘Scoop’s Awards’ reçu récemment à Kumba, dans le Sud-Ouest. Quelles significations donnez-vous à ces lauriers que vos compatriotes vous attribuent ?
Je suis très touché par les encouragements et le soutien que je reçois de façon constante des compatriotes de tous les horizons à travers le pays. Lorsque les communautés s’ouvrent à vous du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, et qu’elles vous reçoivent à cœur ouvert en vous rassurant de leur soutien multiforme, vous ne pouvez qu’apprécier cela avec la plus grande gratitude et avec beaucoup d’humilité. Vous pouvez aisément comprendre les motivations et la détermination de la Fondation Fomunyoh à faire davantage dans le domaine humanitaire. Je souligne que cette fondation est une organisation à but non lucratif que j’ai créée en 1999. Son siège est situé à Bamenda avec une antenne à Yaoundé. Elle œuvre pour l’amélioration du bien-être des Camerounais, l’instauration et le renforcement de la démocratie et les institutions, la promotion d’un État de droit et les droits des personnes. Avec la Fondation Fomunyoh, je suis allé dans toutes les dix régions du pays pour marquer mon soutien aux couches défavorisées.

Et si l’attribution de ces Awards était une interpellation pour un engagement politique plus marqué, par exemple à être candidat à un poste électif ?
Effectivement, cela alimente des conversations dans les chaumières, parmi les compatriotes vivant au pays comme dans la diaspora et parmi d’autres observateurs avertis qui aimeraient voir une valorisation de l’expertise acquise et des expériences cumulées toutes ces années. Ils souhaitent voir surgir un jour le moment de la politique partisane ou électorale et me voir mettre mon expérience au service du Cameroun en adoptant une démarche politique visant à accéder au pouvoir. Ils font remarquer à juste titre que pour le moment c’est l’humanitaire qui prime. Heureusement qu’à travers toutes les 10 régions où je suis allé, les populations comprennent et apprécient notre démarche, surtout que les besoins sur le plan humanitaire sont aussi énormes.

Récemment, la presse internationale - Jeune Afrique, TV5, Notre Afrique, Financial Times, L’Opinion, etc. - a parlé de vous comme un potentiel candidat à la prochaine élection présidentielle. L’une d’elles a même écrit que vous y pensez chaque matin en vous rasant. Quel crédit donner à cette affirmation ?
Quelque part, ces médias internationaux reprennent effectivement ce que dit la presse nationale qui en parle depuis plusieurs années déjà, pratiquement depuis 2003/2004. Il est évident que, comme tous les Camerounais qui veulent apporter leur pierre dans la construction de l’édifice national, j’ai des ambitions et des rêves pour notre pays. Si je vous dis que je n’ai ni rêves ni ambitions pour notre pays qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, mes propos pourraient être assimilés à un acte de haute trahison. Les compatriotes et des observateurs ne comprendraient pas que presque au quotidien je facilite les processus de gouvernance démocratique dans d’autres pays africains et que je ne puisse rien faire pour mon pays qui marque le pas ou marche à reculons malgré ses énormes potentialités humaines et matérielles. Aujourd’hui, notre avenir est en danger, car soumis à des épreuves existentielles. Contribuer à juguler ces menaces devient une priorité qui dépasse tout positionnement personnel par rapport à la présidentielle d’octobre 2018.

L’hebdomadaire Jeune Afrique affirmait aussi que malgré des atouts certains pour la conquête de la magistrature suprême en 2018, vous souffrez d’une image de technocrate peu connu sur le terrain. Autrement dit que vous êtes peu connu du commun de nos compatriotes. Est-ce pour corriger cette image que depuis quelque temps on vous a vu faire le tour des régions du pays ?
Les tournées en régions m’ont été très instructives. Elles m’ont donné et me donnent toujours l’opportunité de toucher du doigt les réalités et le vécu quotidien de nos compatriotes en zone urbaine comme en zone rurale. Elles me permettent de mesurer l’ampleur de leurs besoins ainsi que de leurs aspirations. Il se dégage clairement que dans le Cameroun d’aujourd’hui, les populations ont des besoins réels tels que l’électricité, l’eau, les centres de santé, des services publics efficaces et de proximité, des infrastructures et des institutions de gouvernance nationales, régionales et locales qui fonctionnent et qui sont adaptées à leurs besoins et aux réalités locales. Dans de pareilles circonstances, être technocrate et porteur de solutions alternatives et d’une vision de rassembleur sont de véritables atouts que même les concitoyens à la base apprécient.
Justement, en décembre 2016, vous avez déclaré à un journal basé ici à Yaoundé que « Notre pays a besoin du sang neuf, d’un visionnaire, d’un vrai rassembleur qui pourra servir avec abnégation. » À qui pensiez-vous justement ?
Je pense à tous ces leaders de ma génération — de l’opposition comme de la mouvance présidentielle - qui ont beaucoup à apporter à notre pays, mais qui en sont empêchés parce que les espaces de libertés sont très réduits et le contexte politique est hostile au renouvellement de la classe politique dirigeante. Certains ont dû se rabattre vers les organisations de la société civile et d’autres sont devenus très apolitiques. Or, le changement positif tant attendu et vivement souhaité par nos populations n’adviendra qu’avec la contribution citoyenne et active de tout un chacun.

Avec 20 ans d’expérience aux États-Unis et dans les institutions internationales, comment capitaliser votre riche expérience en faveur du Cameroun et de l’Afrique ?
Avant d’aller poursuivre les études supérieures aux États-Unis d’Amérique, j’ai grandi au village de Guzang - Batibo dans les champs de café, de manioc, de maïs, etc. Je faisais des kilomètres à pieds nus pour aller à l’école primaire. Plus tard, j’ai poursuivi mes études au collège et au lycée dans les grandes villes. J’ai fait le droit à l’Université de Yaoundé (Ngoa Ekelle), puis une carrière professionnelle à Douala, avant de me retrouver comme le premier Camerounais à être admis dans le programme «LL.M» à la prestigieuse Harvard Law School de l’Université de Harvard à Boston. Vous comprenez que je connais les défis journaliers des populations ordinaires ou des paysans, pour avoir passé mon enfance dans leurs milieux. Je suis donc fils du pays profond et je sais ce dont notre pays a le plus besoin.
Il se trouve aussi que ma carrière professionnelle de ces dernières années m’a offert énormément d’opportunités qui m’ont permis de maîtriser les rouages des institutions internationales dans ce monde globalisant. Elle m’a permis de côtoyer de grands hommes et certains acteurs significatifs de l’heure, et de contribuer dans une certaine mesure aux grands événements qui ont marqué des évolutions positives sur notre continent. J’en suis fier de cette évocation panoramique de ma vie, et je me dis que la meilleure façon de rendre grâce au Seigneur et de reconnaître les efforts de ceux qui m’ont assisté d’une manière ou d’une autre pendant ces différentes expériences serait de me donner à fond pour améliorer les conditions de vie et le bien-être des miens, compris dans son sens le plus large.
Chaque matin au réveil, il me revient à l’esprit l’image de ce Christopher Fomunyoh parti de son village natal pour arriver là où il se trouve aujourd’hui. Je suis conscient qu’il y a forcément des milliers d’autres jeunes Camerounais qui ne demandent que les ouvertures pour s’imposer et briller de la plus belle manière, chacun dans son domaine. Le panafricaniste que je suis ne peut que penser grand pour son pays et pour le continent dont j’ai pu mesurer les potentialités et les défis de démocratie et de développement pendant les deux dernières décennies.

L’année dernière vous avez été reçu au Congrès américain où vous avez entretenu votre auditoire sur certains sujets. Dans quel cadre inscrivez-vous votre démarche, une interpellation ou un plaidoyer et pourquoi ? De quoi avez-vous parlé au Congrès ?
Effectivement j’ai eu l’honneur d’être invité à plusieurs reprises par différentes commissions parlementaires du Congrès américain pour témoigner de mon point de vue basé sur mon expérience professionnelle et mon background personnel sur des questions de la démocratie, des élections, de la paix et de la sécurité sur notre continent. En pareilles circonstances, on profite toujours pour interpeller les législateurs américains sur les actions qu’ils peuvent entreprendre pour accompagner les Africains dans leurs démarches. Il va de soi que je saisis pareilles occasions pour faire aussi un plaidoyer lorsque les circonstances l’exigent.

De votre position de haut responsable du NDI qui œuvre pour la démocratie et la bonne gouvernance à travers le monde, notamment sur le continent africain, quels sont, selon vous, les goulots d’étranglement, c’est-à-dire des difficultés qui retardent les processus démocratiques et empêchent des transitions démocratiques pacifiques sur notre continent ?
Le plus gros goulot d’étranglement aux processus de gouvernance démocratique sur le continent se trouve être la qualité des hommes qui nous gouvernent et qui animent nos institutions - leur état d’esprit par rapport à la gestion de la chose publique, leur ouverture d’esprit par rapport aux valeurs universelles telles que la tolérance, l’acceptation de la différence, l’humanisme, la pratique de la convivialité dans notre diversité ambiante, etc. Évidemment, les pays africains ne feront leur révolution démocratique qu’avec à leurs têtes des démocrates convaincus qui, en forgeant un leadership éclairé et solidaire, créent des conditions pour consolider les institutions de gouvernance et ainsi favoriser la participation effective des citoyens et des acteurs sectoriels. C’est à ce niveau que se situe la grande différence entre le progrès observé en Afrique de l’Ouest où les élections de plus en plus transparentes et crédibles favorisent les alternances au pouvoir, et la régression observée en Afrique centrale et des Grands Lacs où les quelques avancées obtenues dans la vague de démocratisation des années 90 ont été pulvérisées ou anéanties par les ambitions des personnalités hostiles à la transparence et à la gouvernance moderne, et qui veulent s’éterniser au pouvoir. Pour parler-vrai, dans notre sous-région de l’Afrique, les difficultés à surmonter sont très nombreuses. Elles sont liées aux contraintes structurelles, économiques, politiques et géostratégiques.

Compte tenu des difficultés et contraintes sus-évoquées et à surmonter, doit-on désespérer de ces pays africains où les pratiques démocratiques tardent à entrer dans les mœurs ?
Heureusement que beaucoup de pays africains comme le Ghana, le Sénégal, le Bénin, le Botswana, L’île Maurice, etc. nous réconfortent dans notre optimisme sur l’avenir du continent. Même le rapport annuel du «Économist Intelligence Unit» de 2016 a classé le Cap Vert en 21e position sur le plan mondial avant les États-Unis et l’Italie. Et à regarder de près, les pays africains qui tirent le continent vers le bas sont gérés par des autocrates octogénaires, qui ont une conception rudimentaire et moyenâgeuse du pouvoir politique. Ceux-ci font semblant d’oublier qu’en toute chose, et surtout dans l’exercice du pouvoir politique, la longévité excessive expose à la routine, au clientélisme et à l’inefficacité, et finit par ennuyer ceux qui l’exercent et à dégoûter ceux qui le subissent. Néanmoins, l’espoir est d’autant plus permis que les jeunes représentent près de 70% des populations de l’Afrique. Cette population est relativement la plus jeune population du monde. Nous comptons sur la vitalité et le dynamisme de cette jeunesse pour construire un avenir meilleur pour le Cameroun de demain et pour l’Afrique tout entière.

En 2016, vous avez conduit des missions du NDI au Gabon, au Ghana et dans beaucoup d’autres pays africains. Quelles leçons avez-vous tirées du déroulement des différents scrutins dans ces pays ?
La principale leçon que je tire de ces différentes missions d’observation électorale est celle selon laquelle le succès de chaque élection dépend de la volonté politique des principaux acteurs et intervenants. À ce jour, tous les pays africains ont la possibilité et la capacité d’organiser des élections paisibles, transparentes et crédibles — il faut seulement y croire et créer les conditions pour le bon déroulement des élections avant, pendant et après les scrutins. Si le Nigéria a pu le faire avec succès en 2011 et en 2015 avec ses 150.000 bureaux de vote et près de 70 millions d’inscrits, aucun autre pays africain ne devrait se dérober à cette attente de plus en plus grandissante de la part de nos populations.

Au regard de la situation actuelle du Cameroun dans un contexte marqué par « la guerre contre Boko Haram », la question anglophone, et de nombreuses revendications sociales, croyez-vous à une alternance pacifique par les urnes en 2018 ? Comment procéder ?
Je crois encore que nous pouvons tenir de bonnes élections en 2018, mais la volonté politique devrait se manifester au plus vite pour qu’il en soit ainsi. Les revendications et critiques pertinentes formulées par le passé relativement au Code électoral et à l’indépendance d’Elections Cameroon (Elecam) restent d’actualité. Les propositions de réformes faites par les partis politiques de l’opposition et certaines organisations de la société civile méritent d’être examinées avec sérénité et dans une démarche inclusive et consensuelle. Nous savons tout ce qui met à mal la confiance des populations dans notre système électoral. Dès à présent, il serait judicieux que les dispositions soient prises pour corriger les imperfections du code électoral et garantir l’indépendance et l’impartialité d’Elecam. Préparons le terrain pour un climat électoral apaisé avec l’acceptation des résultats des élections par tous et évitons la politique de l’autruche pouvant conduire aux crises électorales ou de légitimité à l’issue imprévisible.

Selon vous, en son état actuel, l’opposition camerounaise sera-t-elle en mesure de réaliser l’alternance tant souhaitée ?
La fragmentation des partis politiques que nous constatons sur le terrain n’inspire pas beaucoup confiance quant aux chances de cette opposition divisée, surtout dans un scrutin présidentiel à un tour. Il est aussi de notoriété publique que le code électoral contient certaines dispositions nuisibles à la transparence du scrutin. L’opposition a encore le temps pour faire son autocritique et de passer en revue les résultats des scrutins passés pour en tirer les conclusions appropriées. Quant à une alternance éventuelle, ce sera aux électeurs d’en décider. Toujours est-il qu’aucun pays africain n’a connu une alternance politique avec une opposition aussi fragmentée que la nôtre. Les populations sont fatiguées d’avoir à être gouvernées par les mêmes pendant plus de cinq décennies. Elles souhaitent par conséquent un changement véritable non seulement au sommet de l’Etat, mais dans les pratiques de gouvernance politique, économique, socioculturelle, entre autres. Pour moi donc, le changement ne devrait pas être seulement celui d’un homme. Pour que ce changement voie le jour, il faudrait que les différents leaders de l’opposition et des autres secteurs sociaux œuvrent dans une démarche collective et multisectorielle. C’est un impératif catégorique, comme je viens de le dire. Il suffit de lire mon ouvrage « Le Cameroun de demain » pour constater que ma conviction reste constante depuis des années. Vous n’avez qu’à regarder les alternances et transitions réussies dans des pays africains comme le Sénégal, le Kenya, le Burkina Faso, la Tunisie, le Mali, le Benin, le Nigeria, le Madagascar et dans une certaine mesure la Centrafrique. Ça serait à cette large coalition, si elle voyait le jour, de proposer aux Camerounaises et aux Camerounais une alternative crédible basée sur un projet de société centré sur l’intérêt général et les préoccupations des concitoyens.

La corruption est l’un des maux qui minent le Cameroun. Quel regard portez-vous sur l’opération dite « Epervier » ? Que faudra-t-il faire pour lutter efficacement contre la corruption ?
Beaucoup a été déjà dit et écrit sur la manière de crédibiliser davantage l’opération « Épervier » afin de renforcer la lutte contre la corruption dans notre pays. Malgré les incantations, une frange importante de la population reste sceptique. Elle ne comprend pas que certaines personnes contre qui pèsent beaucoup de soupçons ne soient pas inquiétées. Des dispositions constitutionnelles telles que la déclaration des biens, et des propositions comme l’informatisation des procédures financières peuvent faire la différence s’il y avait une volonté politique pour leur mise en œuvre. Au finish, l’incivisme et la criminalité financière ne pourront être réellement combattus que lorsqu’on aura placé aux affaires des hommes et des femmes patriotes et intègres qui n’ont pas été mêlés de près ou de loin à la gestion intéressée des affaires du pays.

Au Cameroun, on trouve une jeunesse débordante d’énergie. Parlant de cette jeunesse, Christian Cardinal Tumi a estimé dans une interview accordée à Germinal qu’à plus de 70% des Camerounais ne sont pas gouvernés. Quelle place doit-on accorder à cette jeunesse pour le Cameroun de demain ?
Voilà encore une couche sociale à laquelle on adresse beaucoup de verbes sans que cela se traduise en actes concrets pour lui donner la place qui lui revient dans la gestion de la société et de la chose publique. Permettez-moi de souligner un paradoxe qui laisse dubitative notre jeunesse quant à la volonté politique réelle des pouvoirs publics à valoriser sa contribution dans la gouvernance du pays. De façon arbitraire, notre code électoral fixe l’âge de la maturité électorale ou de la majorité politique à 20 ans refusant ainsi le droit de vote à des centaines de milliers de jeunes âgés de 18 à 20 ans, alors qu’à 18 ans ces jeunes sont pénalement responsables, ils peuvent se marier, payer les impôts et entretenir leurs familles ; à 18 ans ils peuvent défendre le drapeau et se battre pour notre sécurité en tant que policiers, gendarmes, soldats ou marin. Et en contrepartie, le régime actuel leur refuse le droit de vote. Difficile à expliquer ! Comment ne pas s’étonner de l’hypocrisie du régime, qui se plaint souvent que la jeunesse n’a pas de comportement citoyen et civique, et qu’elle manifeste un désintéressement à la chose publique. Il faut absolument donner à notre jeunesse des perspectives nouvelles avec des débouchés qui lui permettront de réaliser ses espoirs et ses aspirations pour le Cameroun et un avenir meilleur. Il faut redonner à cette jeunesse le droit de rêver et d’oser.

Selon vous, et dans la meilleure des hypothèses, quelles seraient les cinq priorités permettant de répondre aux attentes des citoyens quant à une démocratie réelle et un avenir prospère pour notre pays ?
En fouillant les archives de mes différentes interventions, vous trouverez que j’ai esquissé à plusieurs reprises les chantiers qui devraient être nos priorités pour un avenir meilleur. Ma position a été constante pendant les vingt dernières années. Le Cameroun de demain doit devenir une véritable démocratie et cela passera d’abord par une véritable réconciliation nationale, car, en dépit du tapage médiatique habituel sur la paix (que nous voulons tous d’ailleurs), la convivialité et le respect mutuel ne sont pas si évidents. Le pays est traversé par de nombreux clivages et l’identité camerounaise peine à s’imposer. La crise actuelle n’est qu’une face visible de l’iceberg des rancœurs, des déceptions et des récriminations que formulent les différentes communautés. Il suffit d’écouter ce que disent les uns des autres derrière les portes fermées, et parfois même dans les lieux publics pour se convaincre de la fragilité de l’Etat du Cameroun.
Deuxièmement, il faudra revoir notre architecture constitutionnelle qui constitue la fondation de l’état nation et de l’État de droit que nous voulons construire, ce qui nous obligerait à revoir le contrat social à établir entre les populations et ceux à qui elles confient le mandat de les représenter ou de les gouverner pendant la durée d’un mandat spécifique. Cela nécessite beaucoup de réformes allant dans le sens de la démultiplication des centres de décision, de l’agrandissement des espaces de libertés, et de la professionnalisation des services de sécurité de proximité (ou de premier et deuxième degré), dont la police et la gendarmerie.
Troisièmement, nous devrions rapidement prioriser la mise en place des infrastructures permettant de favoriser l’émergence d’une industrialisation locale, de la commercialisation des produits agricoles, et de l’amélioration du bien-être de nos populations.
Quatrièmement, nous devons repenser de manière exhaustive et profonde notre diplomatie et notre représentation internationale. Cela passe par une redynamisation de notre rôle dans les instances sous-régionales et continentales et une amélioration rapide des relations entre nos ambassades et les compatriotes vivant ou travaillant à l’étranger. Ce serait aussi l’occasion de valoriser l’apport de notre diaspora pour qu’elle joue pleinement son rôle de catalyseur du développement et la modernisation de la patrie.
Cinquièmement, pour terminer, je reviendrais sur l’intégration effective et efficace des femmes et des jeunes dans la gestion des affaires publiques. Pour redynamiser le Cameroun et donner un nouveau souffle à notre pays, on n’a pas d’autre choix que de se focaliser sur ces priorités et beaucoup d’autres que je pourrais expliciter davantage au prochain passage dans votre rédaction, et si l’occasion m’est à nouveau offerte.
Christopher Fomunyoh, nous vous remercions
Propos recueillis par :
Jean-Bosco Talla.


Commentaire
Accusation gratuite
Récemment une certaine opinion voyait la main de Christopher Fomunyoh derrière les mouvements dans les régions anglophones. Spéculation ou désir de discréditer un adversaire politique réel ou supposé. D’ailleurs, quand on est un homme public qui nourrit de grands rêves pour son pays, on doit à tout moment s’attendre à ce genre d’attaque et d’accusations malsaines, farfelues et très souvent tirées par les cheveux. Le monde politique est ainsi fait. C’est un monde féroce. Ce n’est pas un univers fait pour des moines trappistes, mais pour des bagarreurs. C’est un univers où tous les coups sont permis, où tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces pour déstabiliser et détruire un adversaire. Selon ses proches, Christopher Fomunyoh est un homme de paix et de la non-violence profondément républicain et démocrate, qui défends l’Etat de droit. On dirait, affirment-ils que la République et la Démocratie sont inscrites dans son patrimoine génétique. Et quand il parle de République et de Démocratie, il ne s’agit ni de République ou de Démocratie ethnique, tribale ou villageoise, ni de République ou de Démocratie des copains et coquins ou mises à leur service, mais de République et de Démocratie authentiques où :
- l’intérêt général est placé au cœur des préoccupations des dirigeants à tous les niveaux ;
- il y a séparation effective des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ;
- la justice est indépendante avec le conseil supérieur de la magistrature présidé par un magistrat ;
- les droits fondamentaux de l’homme sont respectés ;  
-la corruption est combattue avec la dernière énergie et une loi contre ce fléau est adoptée et promulguée ;
- la transparence et la reddition des comptes sont érigées en principe de gouvernance ;
- une loi sur la transparence dans la gestion des affaires publiques est votée et promulguée ;
- la méritocratie prime sur toutes les autres considérations ;
- la déclaration des biens et avoirs est effective et est faite au moment de l’entrée en fonction et au moment de la sortie ; l
- es élections libres, équitables et justes sont organisées par un organisme véritablement indépendant mise en place après avoir discuté avec tous les acteurs sociaux et après avoir arrêté consensuellement les règles du jeu ;
- un consensus est trouvé autour du Code électoral ; le calendrier électoral arrêté une fois pour toute est connu de tous les Camerounais, etc.
C’est un homme de dialogue pour qui il n’ y a pas sujet tabou. « Vous pouvez discuter avec lui sur toutes les questions. Au moment où les grands ensembles se forment partout ailleurs dans le monde, l’émiettement de nos pays en des Etats lilliputiens est contreproductif pour le développement et pour l’intégration nationale et africaine. », soutient un proche
Si on suit la logique de cette opinion la main du chef de l’Etat serait derrière ces mouvements, lui qui avait déclaré le 31 décembre 2016, je cite, « […] Les libertés politiques et syndicales sont effectives dans notre pays. Elles sont garanties et encadrées par nos lois et règlements. Dans ce cadre, chaque citoyen est bien fondé d’exprimer son opinion sur tout sujet de la vie nationale, y compris par l’observation pacifique d’un mot d’ordre de grève, dûment déclaré. Il s’agit d’un droit fondamental du citoyen, voulu par le peuple camerounais puisque garanti par la Constitution. ».
Ikemefuna Oliseh

Christopher Fomunyoh : l'intellectuel et l'humaniste au grand coeur
Ses oeuvres et actions humanitaires plaident en sa faveur. Il a silloné le territoire national pour toucher du doigt les réalités camerounaises et apporter des dons à ses compatriotes qui se demandent s’il franchira le pas pour entrer dans l’arêne de la politique partisane en vue de la conquête du pouvoir politique suprême.
Christopher Fomunyoh est un brillant intellectuel camerounais. C’est un homme de convictions et d’actions, connu non pas pour la publication des ouvrages mais pour ses sorties médiatiques constantes et son engagement permanent pour le triomphe des droits de l’homme en Afrique, la promotion et le respect des valeurs démocratiques qu’il véhicule telles que les élections libres et transparentes, la liberté de la presse, la bonne gouvernance, l’alternance politique. Son activisme fait de lui un homme à part entière au parcours exemplaire. Politologue, il est actuellement directeur régional du NDI (National Democratic Institute for International Affairs) pour l’Afrique. Il est communément appelé « Monsieur Afrique » par la presse internationale, et est un expert en matière de démocratie en Afrique. Il a le sens des valeurs et est doué d’un optimisme inébranlable et les possibilités de changement positif et significatif au Cameroun en particulier et en Afrique en général. Nous parlerons de ce fossoyeur de la tyrannie et des tyrans africains sur deux aspects : sur le plan humanitaire et afin au niveau de ses idées dont un aspect est contenu dans l’ouvrage témoignage et programme de Mokun Njouny Nelson, Le Cameroun de demain. Dr Christopher Fomunyoh, l’homme à travers sa parole (Douala, Veritas, 2013°.
Notre prise de contact avec lui s’est effectuée par le canal du web- bien que certaines mauvaises langues estiment que ce moyen de communication est pire que Radio milles collines, une raison pour justifier ( ?) sa coupure dans les régions anglophones du Cameroun- Nous avons visité son site internet dédié à sa Fondation www.tffcam.org dont la lecture nous a impressionnée. Nous avons pu par la suite remplir par curiosité un formulaire intéressant sur le Programme National de Volontaires TFF qui est un appel à tous les Camerounais où qu’il se trouve à « se joindre au processus de construction de nos communautés afin de faire de notre pays le Cameroun, un endroit où il fait bon vivre ». La réponse de Christopher Fomunyoh suite au remplissage de ce formulaire ne s’est pas fait attendre, nous avons pu saisir la portée de son action et de son engagement et des défis auxquels il fait face pour l’amélioration des conditions de vie de ses concitoyens.
A cet effet, Christopher Fomunyoh est un homme au cœur grand comme le monde. Par le canal de sa fondation, la Fondation Fomunyoh (TFF) est une organisation à but non lucratif fondée en 1999 par le Dr Christopher Fomunyoh. Elle milite au quotidien pour la mise en pratique des valeurs démocratiques et se dévoue pour les causes humanitaires nobles. Son objectif est de s’associer à des philanthropes et des groupes démocratiques et des droits de l’homme au Cameroun, ainsi qu’au niveau international, pour améliorer le bien-être du peuple camerounais et renforcer les institutions et les droits de l’homme au Cameroun. La Fondation se compose d’une Radio Fondation, l’un des premiers piliers de la Fondation qui émet depuis Bamenda et dont la mission est de partager l’information et les connaissances sur les questions qui améliorent le bien-être des Camerounais, un radio qui à un moment n’était pas bien vue par les autorités administratives du Nord-Ouest. ; d’une Bibliothèque à vocation communautaire avec une collection de plus de 25.000 livres allant de la maternelle à l’université et couvrant  presque tous les domaines du savoir : les sciences sociales et naturelles, la santé, la gestion, le droit, les TIC, entre autres ; d’un Centre des TIC et d’une Salle de conférence moderne pouvant accueillir des ateliers et des séminaires ; d’une Fondation Arts et Design. En plus de ses atouts, la Fondation est préoccupée par les moins privilégiés. A cet effet, elle fait des dons à des orphelinats et organisations de veuves, aux établissements scolaires et universitaires dans les dix régions que compte le Cameroun : à Maroua dans l’Extrême-Nord, à Bertoua dans l’Est et Guzang dans la région du Nord-Ouest, a Yaoundé, Douala, Ebolowa et bien d’autres, car elle est au quotidien plus proche des vulnérables et des laissés-pour-compte. Ainsi, sur plan humanitaire, Christopher Fomunyoh nous semble être un modèle à suivre par sa génération et la jeunesse. Il aime bien dire qu’il est du côté de ceux-là qui n’ont pas de voix.
La lecture récente de l’ouvrage de Mokun Njouny Nelson, Le Cameroun de demain. Christopher Fomunyoh, l’homme à travers sa parole, nous a permis de mieux cerner la posture intellectuelle de Christopher Fomunyoh. Il n’est pas un intellectuel de salon ou un intellectuel organique, il est un penseur dynamique de sa société, un soldat et une sentinelle infatigable de la démocratie, de sa pratique et du respect de ses principes. Il reste un homme averti et sensible opposé à la logique de l’indifférence et du silence érigée en règle. Sa particularité réside dans la liberté et le ton direct et franc qu’il adopte sur des sujets divers qui concernent notre passé, notre quotidien et notre devenir. Il est un homme de propositions concrètes, «  je suis renforcé dans ma position, chaque fois que je critique, je suis à même de proposer des solutions pour améliorer la situation », « j’essaie d’aider à améliorer les conditions de vie des populations et au développement de notre pays ». En substance, ce livre est une « relecture et une mise en forme d’interviews, de papiers, de documents audio et vidéo produits par et sur l’auteur », il « invite à une redécouverte de l’homme à travers ses propos, les positions qu’il a défendues à diverses occasions, ses convictions profondes et son engagement au sujet des reformes à entreprendre, des changements à apporter, des améliorations à esquisser sur la voie de la transformation sociopolitique du Cameroun ». Cet ouvrage livre ses idées politique. D’aucuns ont vite fait de l’assimiler à un programme politique ou à une profession de foi d’un patriote viscéralement attaché à sa terre natale et impatient de voir déployer ses talents à la mesure de ses immenses atouts.

Que pouvons-nous retenir de ses idées ?
Au niveau l’évolution politique au Cameroun, il pense qu’elle est symptomatique des frustrations que les citoyens ressentent, frustrations qui sont la conséquence de la polarisation excessive du débat politique autour d’un seul homme, Paul Biya, à l’insécurité, à la criminalité et la corruption, au chômage et au sous-emploi qui affectent la majorité des jeunes vivant dans l’angoisse, la crainte d’un avenir incertain et l’impossibilité d’une alternance par les urnes. Indigné, il pense que « les populations sont fatiguées d’être gouvernés par les mêmes individus pendant plus de 30 ans » (quand l’auteur écrivait l’ouvrage, Ndlr). Dans ce pays, « la misère de certains de nos concitoyens contraste vivement avec l’opulence de certaines élites ». Cette absence d’alternative à la tête de l’Etat a un impact énorme sur le plan économique car les Camerounais conscients regardent autour d’eux par rapport aux autres pays qui réalisent des avancées politiques et économiques et se demandent pourquoi pas nous, et pourquoi pas notre pays , pourtant plus nanti des ressources naturelles immenses et doté d’un capital humain impressionnant. Comment revitaliser le «made in Cameroon » et améliorer la transparence dans les ressources humaines et financières, pétrolières, minières et agricoles?  Que pourrons-nous faire pour que notre pays soit un havre de paix et de sécurité pour des investisseurs ? Il propose à ce sujet un plan de développement des infrastructures, la création des zones franches industrielles, une table ronde sur l’économie nationale, la consolidation de la classe moyenne, un plan pour attirer les investisseurs car dit-il «  notre pays a toutes les potentialités pour servir comme pivot régional ». Le Cameroun doit être un havre de progrès économique et social. 
Malgré ses propositions, Christopher Fomunyoh n’est pas un économiste, il est plus à l’aise sur le terrain politique notamment sur questions liées l’organisation des élections libres et transparentes, des transitions démocratiques et bien d’autres sujets liés au processus de démocratisation. Il est de ceux-là qui pensent que le débat sur la transition démocratique au Cameroun en 1990 a été faussé car il n’a pas débouché sur la mise en place des institutions démocratiques fortes, légitimes et crédibles. L’échec au niveau de l’organisation des élections est la preuve irréfutable de ce constat inquiétant. L’échec est perceptible selon notre chantre de la démocratie à partir de plusieurs niveaux :
- l’absence de consensus autour du cadre électoral depuis la révision de la constitution de 2008 qui a fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels, ce qui est une régression en matière de progrès démocratique ;
- la polarisation du débat sur la légitimité et la crédibilité d’ELECAM et la perception de la partialité de certains de ses membres ;
- l’amendement du code électoral visant à priver ELECAM de sa responsabilité de publier les résultats provisoire ;
l’absence du Conseil constitutionnel
- la gestion opaque du chronogramme des élections qui dépend de la volonté d’un seul homme, Paul Biya, tyran ou démocrate ?
Au sujet de Paul Biya, il pense qu’il est loin d’être un démocrate. Il lui reproche son désir d’éternité au pouvoir après 35 ans, son absence de dynamisme et de prévision, son centralisme excessif, son impuissance et son laxisme face à l’inertie et la corruption. Il le rend ainsi responsable du climat de désespoir et de fatalité actuelle qui gagne la majorité de ses compatriotes. Il apprécie un dirigeant sur le critère de l’efficacité ou de la manière dont il a abordé les défis de son époque. Il se trouve que l’homme du Renouveau se contente simplement de constater comme un citoyen ordinaire que le pays est mal gérer pourtant, dit-il, «  au lieu de constater, je crois que celui à qui la loi fondamentale réserve le pouvoir constitutionnel de gérer l’administration camerounaise devrait tout faire pour celle-ci retrouve son dynamisme d’antan ». Il est clair que «  là où il y a la volonté politique, la démocratie fonctionne ».
Cette absence de volonté politique est perceptible au niveau de la légèreté avec laquelle a été mise en place des institutions telle que le Senat dont il juge inopportun, inutile et onéreux, « en tout bon camerounais qui aime son pays et qui se soucie de son avenir, cet exercice sur le Senat est plaisanterie de mauvais goût à de divers niveaux ». A défaut, il aurait « été préférable pour le président de nommer ses 100 sénateurs et de nous épargner des dépenses inutiles ».
Christopher Fomunyoh croit avec ferveur à l’avènement d’une transition démocratique pacifique au Cameroun. Si des difficultés résident au niveau de l’organisation libre et transparente des élections, il pointe aussi du doigt certains hommes politiques notamment ceux de l’opposition dont il invite à une ouverture d’esprit en vue de la formation des coalitions ou de la mutualisation des moyens pour un changement véritable au Cameroun. Le Cameroun ne saurait être une « île d’autocrate ». On comprend pourquoi il leur fait 10 recommandations stratégiques :
-  l’ouverture à l’autocritique et l’autoévaluation ;
– la reprise des initiatives d’éducation civique et politique des citoyens ;
– la révision des stratégies de recrutement à la base et au niveau du leadership ;
– l’établissement des services de liaison et permanente avec les autres promoteurs de la démocratie et de la bonne gouvernance ;
Le cadrage des actions politiques avec l’évolution du calendrier électoral et politique ;
Le renforcement de l’identification idéologique des partis
L’ouverture des partis politiques aux grandes familles politique internationales ;
L’élargissement du champ de débat et de réflexion sur la situation du Cameroun aux démocrates africains dans leur globalité ;
La rénovation et le renouvellement du leadership dans les parties politiques ;
L’établissement des liens de communication substantiels avec les compatriotes de la diaspora.
A propos de la diaspora, il s’étonne que notre pays n’exploite pas à sa juste valeur leurs compétences et même les relations professionnelles et autres talents, l’apport de la diaspora étant immense dans la construction durable du Cameroun.
 Christopher Fomunyoh ne reste pas indifférent au problème anglophone. Pour lui, la question anglophone est réelle, c’est sa résolution partisane qui pose problème. « Notre diversité culturelle tout comme notre bilinguisme sont des atouts susceptibles de projeter ce pays sur l’échiquier international ».
En clair, Christopher Fomunyoh est l’un des intellectuels et des leaders d’opinion sur qui les Camerounais peuvent compter pour la construction d’un Cameroun de demain, libre, démocratique, prospère et joyeux. Reste à savoir s’il franchira le pas pour entrer dans l’arène en vue de la conquête du pouvoir politique suprême. Just wait and see.
Kakmeni Yametchoua


Trajectoire

Né pour être Leader
Dès la naissance, son père avait su tracer sa voie en lui attribuant le nom de Fomunyoh, c’est-à-dire le Fon des Enyoh, le roi ou le chef des Enyoh. Dans sa communauté, un roi est indubitablement un Leader, un guide. Au commence était donc le verbe, la parole de son père s’est fait chair et Christopher Fomunyoh incarne aujourd»hui ce leadership auquel renvoie son nom.
Il y a 6 ans, en 2011, dans le contexte de l'élection présidentielle au Cameroun, les supputations allaient bon train sur la probable candidature de Christopher Fomunyoh, très connu à l’international mais que le Cameroun profond découvrait à peine, tant il n’était pas une figure familière du gotha politique de Yaoundé. Aujourd’hui, l’investissement qu’il a fait de l’espace médiatique et de celui de la société civile à travers la fondation qui porte son nom, ses tournées régionales lui ont permis d’avoir plus de visibilité. Les nombreux Awards qu’il récolte depuis 2014 sont des preuves que ses actions ne laissent plus ses compatriotes indifférents. Toutefois, il reste que beaucoup de Camerounais qui commencent à s’intéresser à cet homme, se posent des questions sur la trajectoire biographique et le parcours existentiel de ce compatriote, en tous points, digne d’intérêt.
Fomunyoh Christopher est né un 14 août 1956 à Guzang, village de l’arrondissement de Batibo dans le Nord-ouest, dans une famille de planteurs de café dont il est l’aîné. Dans sa langue maternelle, Fomunyoh signifie littéralement le Fon des Enyoh ou Roi des Enyoh. Lors de la cérémonie de remise d’un Awards à Kumba, le Roi du Peuple Igneuh l’avait réitéré. Il est permis de se demander au regard des ambitions présidentielles non encore exprimées, mais qui transparait dans les actes du personnage, et de la signification de ce nom que nous dévoile l’onomastique, si la trajectoire destinale du jeune Fomunyoh n’avait pas été dès le commencement marquée du sceau de la royauté.
Le cursus scolaire du jeune Fomunyoh débute à la Catholic School of Guzang pour se poursuivre à la Presbyterian School of Ambo. Au terme de ce parcours primaire, il va intégrer le Collège protestant de Bali où il y achève le premier cycle des études secondaires en 1973. Il  rejoint alors le Cameroon college of Arts, Science and Technology de Bambili où il y obtient en 1975 le GCE Advanced Level General Certificate of Education, équivalent du Baccalauréat dans le sous-système éducatif francophone. C’est nanti de ce parchemin, qu’il s’inscrit à la faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Yaoundé. Son parcours est censionné en 1979 par l’obtention du diplôme de Licence en droit. Débute alors pour lui une carrière professionnelle qui le conduit tour à tour à la SNEC et à Cameroon Airlines, où il est en charge le département juridique pendant plus de 5 ans, au terme desquels d’ailleurs, il s’envole pour les USA pour y poursuivre des études qui le conduiront à l’obtention d’un Master en droit international, en 1989, à l’Université de Harvard. Il va être alors stagiaire dans les cabinets d’avocats de la Boston Bank aux USA et de la Standard Chartered Bank à Douala, au Cameroun. En 1993, il est fait Docteur en sciences politiques de la Boston University. Il rejoint alors le National Democratic Institute (NDI) en qualité de cadre supérieur. Cet organisme en charge de promouvoir la démocratie dans le monde, va le conduire à aller aux quatre coins du globe. Parallèlement, il mène tout aussi une carrière d’enseignant à l’Université de Georgetown où il dispense des enseignements sur la politique et les gouvernements africains, et d’un même front, il conduit également une carrière de chercheur au Centre d’études stratégiques de l’Afrique(CESA).
Directeur pour l’Afrique du NDI, Fomunyoh, crée avec un groupe de Camerounais, en 1999, une fondation éponyme, à la mémoire de son grand père Bah A. Fomunyoh, qui fut avant l’heure un défenseur des droits humains sous l’occupation allemande, britannique et française, The Fomunyoh Fondation (TFF) dont le quartier général est à Washington DC. Basée également à Ngomaghan dans la ville de Bamenda, la fondation dont la mission est d’œuvrer à la promotion de la démocratie et à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, possède une radio dont le crédo est d’être la voix des sans- voix, une bibliothèque de plus de 25000 livres, un centre multimédia, une salle de conférence et un centre d’arts et de design pour la promotion des cultures du Nord-ouest et du Sud-ouest. Au travers de cette fondation, Fomunyoh mène une action qui vise à occuper le terrain politique et social. Ce qui lui assure une certaine visibilité dans le paysage politique camerounais. D’ailleurs, il ne fait plus mystères de ses ambitions présidentielles. Son important carnet d’adresses au plan international, dans la diplomatie et les chancelleries occidentales et outre atlantique, ses connexions dans les medias internationaux qui l’appellent d’ailleurs assez affectueusement du nom de Monsieur Afrique, lui pourront être d’une aide inestimable le moment venu. Mais précisément, ces relations ne constituent-elles pas le talon d’Achille du futur candidat Fomunyoh dans la mesure où elles donnent à voir de lui un candidat trop proche des Américains, pour ne pas dire aux ordres des USA ? Fomunyoh serait-il le candidat des Américains dans un contexte où chaque leader doit pouvoir compter et jouer avec le soutien des métropoles occidentales et de leurs chancelleries sur place ? Quels gages offre-t-il aux camerounais de ce qu’il pourra défendre leurs intérêts, attendu qu’il réside avec toute sa famille, son épouse Mary Ann, et ses enfants Franklin, Brian et Christina, à Washington ?  A toute ces questions, ces proches balaient du revers de la main et affirment qu’il est d’abord Camerounais et que seul l’intérêt du Cameroun compte à ses yeux. Le reste à leurs yeux n’est que manœuvre pour discréditer une personnalité d’envergure.
En tout état de cause, certains Camerounais malgré leur appréhension devraient pouvoir écouter ce compatriote qui ne rêve que du meilleur pour le Cameroun, et le juger sur pièces, au travers de l’utopie politique qu’il entend leur vendre, au lieu de le percevoir au travers des prismes déformant et des préjugés dont on sait qu’ils sont coutumiers. Dans la galerie politique des leaders du Cameroun en général, de celle du Southern Cameroon en particulier, que vaut le Dr Fomunyoh à côté des Bernard et Akere Muna, Fru Ndi, Kah Walla, et autres ? 
Tissibe Djomond

Tissibe Djomond

Germinal : L’attention des Camerounais est captée depuis un certain temps par ce qui est communément appelé ‘le problème anglophone.’ Quelle lecture faites-vous de cette situation et comment vous la vivez-vous?
Christopher Fomunyoh : Il s’agit d’une situation d’incompréhension historique latente qui date et dont la dernière manifestation est cette crise née des doléances professionnelles des avocats et des enseignants anglophones, et qui entre temps s’est métamorphosée en une crise de confiance aiguë de la gouvernance dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Quatre mois après les premières manifestations de rue, on est confronté à une crise d’envergure nationale qui impose à chacun de nous une introspection profonde des valeurs humaines et démocratiques qui nous animent.
Personnellement, comme la vaste majorité des compatriotes, je vis très mal et avec beaucoup de tristesse cette situation : d’abord parce que je suis fils du Nord-Ouest et donc anglophone ; et ensuite parce que je fais partie de ceux qui ont toujours cru au sens d’équité et de justice de l’État. Aujourd’hui cette confiance est fortement ébranlée par certains actes qu’on ne peut s’empêcher de condamner. Je citerais notamment les pertes en vies humaines, les égarements de certains manifestants au début de la crise, l’incendie de la faculté de médecine de l’université de Bamenda, la violence gratuite sur les étudiants et les avocats qui manifestaient paisiblement, et cette punition, voire cette humiliation collective infligée à plus de cinq millions de nos concitoyens qui depuis plus de 60 jours ont été privés d’Internet et d’autres moyens de communication. Comment peut-on ne pas partager la consternation de cette population qui ne l’oublions pas, à elle seule dépasse de loin la population totale des trois pays voisins que sont le Gabon, la Guinée équatoriale et le Congo Brazzaville ? Même s’il y a eu des actes isolés de cybercriminalité au début de la crise, il existe plusieurs façons de contrer ces actes pour la plupart minimes, sans avoir à châtier des populations innocentes en les privant de leur liberté fondamentale d’accès à l’information. Par ailleurs, cette coupure d’Internet a un coût négatif sur notre économie, tout comme elle ternit gravement l’image de notre pays sur la scène africaine et internationale. Les gens en parlent partout à travers le monde ; ils marquent leur étonnement par rapport à notre incapacité à valoriser les atouts dont nous disposons, et ça fait très mal.
Aujourd’hui donc le problème n’est plus seulement anglophone ; il est national et même international lorsqu’on voit les images des compatriotes manifestant devant nos ambassades et autres institutions à l’étranger.
Pensez-vous qu’une solution définitive à ce problème anglophone ou national sera trouvée un jour ?
Si. Forcément une solution sera trouvée, un jour ou l’autre, étant donné que les griefs ont été mis sur la place publique. D’ailleurs, nous n’avons pas de choix si nous voulons promouvoir la convivialité entre les différentes communautés nationales. Et cela suppose également que les doléances soient prises en compte et solutionnées, et que les problèmes structurels relatifs à la gouvernance nationale, régionale et locale soient débattus avec honnêteté et sérénité, et résolus de façon consensuelle dans les plus brefs délais.
Parmi les solutions évoquées, certains prônent la décentralisation, d’autres le fédéralisme, et certains la sécession. Dans quel groupe vous trouvez-vous ?
Comme vous le savez, en panafricaniste convaincu, je n’ai jamais prôné la sécession ou une quelconque séparation, et ma position n’a pas changé. Au moment où les grands ensembles se forment partout ailleurs dans le monde, l’émiettement des pays africains serait contreproductif pour le développement et pour l’intégration nationale et continentale. Comme la constitution prévoit des garanties et protège les droits fondamentaux, nous devons tous œuvrer, le Président de la République en premier, pour que ça soit ainsi au bénéfice de tous les citoyens.
En même temps, je trouve que le débat figé entre la décentralisation et le fédéralisme est mal posé, car il faut d’abord créer les conditions favorables pour un débat instruit et constructif, un débat franc et sincère sur le mode de gouvernance de notre pays. Par ailleurs, je suis agacé du fait que ce débat se tienne alors que ceux qui ont posé le problème au départ — et de la manière la plus civilisée et paisible que possible — se trouvent en détention à Kondengui pour être traduits devant un tribunal militaire. Évitons de tomber dans une fixation sur la forme de l’État qui s’articulerait uniquement autour de la décentralisation ou du fédéralisme. Nous devons dépasser cette posture. Cela demande d’éviter de sauter dans la rue comme ces compatriotes qui, en 1990, ont marché à Yaoundé et dans d’autres villes de la République contre le multipartisme et la démocratie qu’ils définissaient alors comme des « valeurs importées. » On connait la suite : aujourd’hui, au nom de ces « valeurs importées » les mêmes qui avaient marché se disent démocrates et prétendent avoir apporté la démocratie au Cameroun.
À mon sens, nous devrons très bien diagnostiquer le contrat de confiance violé, les textes jamais appliqués, les promesses non tenues et les ratées constatées pendant ces dernières décennies, avant d’examiner les nouvelles formes de gouvernance et les alternatives fiables à même de nous orienter vers l’option idéale pour notre pays. Sinon, on ne pourra jamais trouver de solution durable. Il faut aussi prendre des mesures rapides d’apaisement telles que : la libération immédiate des avocats, des enseignants, des leaders de la société civile, et d’autres anglophones arrêtés ; le rétablissement de la connexion Internet ; la cessation immédiate des arrestations arbitraires des journalistes et des innocents — afin de créer un climat propice pour une réflexion approfondie et cohérente sur les voies de sortie de crise.
J’en appelle aux autorités concernées et qui ont le pouvoir de décision d’appliquer les mesures évoquées ci-dessus, et de prêter une oreille attentive aux doléances et aux cris de détresse des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et plus généralement des Camerounais. Ils doivent rechercher des solutions aux problèmes qui se posent aux différentes communautés dont la dégradation des conditions de vie est très préoccupante. Je lance un appel solennel aux compatriotes pour que nous prenions tous, individuellement et collectivement, l’engagement d’élever le niveau de débat sur ces questions capitales relatives à l’avenir de la patrie. Comme vous le savez très bien, je suis profondément républicain et démocrate. Je défends un État de droit authentique où l’intérêt général est au cœur des préoccupations des dirigeants à tous les niveaux ; il y a séparation effective des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ; la justice est indépendante ; les droits fondamentaux de l’homme sont respectés ; la corruption est combattue avec la dernière énergie et aussi de façon transparente ; la méritocratie prime sur d’autres considérations ; la déclaration des biens et avoirs est effective ; les élections libres, équitables et justes sont organisées par un organisme véritablement indépendant, et un code électoral mis en place de manière consensuelle. Voilà quelques exemples des mesures à même de rassurer l’ensemble de nos citoyens.
Depuis le déclenchement de cette crise, on ne vous a pas pourtant assez entendu. Comment expliquez-vous ce mutisme ?
Mais non, comment pouvez-vous penser un seul instant que je sois resté inactif par rapport à une crise aussi importante et à laquelle le monde entier est aujourd’hui alerté. Il vous souvient que, 48 heures après le déclenchement des premières manifestations du 21 novembre 2016, j’ai fait une déclaration publique en anglais et en français fortement relayée par les médias nationaux, déclaration dans laquelle j’appelais au calme et à la non-violence. Dans ce même communiqué du 23 novembre 2016, en voyant les images qui provenaient du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, j’avais recommandé que le président Paul Biya s’adresse à la nation pour calmer les esprits et rassurer les concitoyens. À ce jour, cette déclaration est toujours d’actualité et je reste convaincu que si le président Biya avait pris les devants en ce moment-là au mois de novembre, la question n’aurait pas pris la tournure que l’on connait aujourd’hui.
Je suis descendu sur le terrain à Kumba dans le sud-ouest en mi-décembre 2016, où j’ai encore appelé à la non-violence et au pansement des cœurs. J’ai accordé des interviews à la presse écrite et radiotélévisée allant dans le même sens. Heureusement que d’autres concitoyens tels que Dr Simon Munzu, les Honorables Wirba et Joshua Osih, les anciens Bâtonniers Bernard & Akere Muna, Me Felix Agbor Balla, Ayah Paul, Mme Kah Walla, etc., dont je salue les efforts, ont eux aussi édifié l’opinion nationale et internationale sur les contours de la question.
Comment appréciez-vous les démarches des différents intervenants jusqu’à présent ?
Il va sans dire que par sa détermination et sa persévérance, la jeune génération des anglophones — les avocats, les enseignants, les étudiants et autres personnalités impliquées dans ce mouvement — a réussi à mettre sur la place publique, et de manière pacifique, des doléances qui perdurent depuis des décennies, et qui jusqu’à présent étaient traitées à huis clos en commissions restreintes par certains politiques.
Dans la vie de toute nation, la gestion des crises d’envergure permet de mieux cerner les pensées et les convictions des uns et des autres, et beaucoup de nos compatriotes se sont illustrés par leur objectivité et la pertinence de leurs interventions. Je profite de l’occasion que vous m’offrez pour apprécier à leur juste valeur les prises de position factuelle et dépassionnée de tous ceux qui ont pu éclairer l’opinion nationale et internationale sur la problématique. Je pense notamment à l’ancien ministre David Abouem-A-Tchoyi, à Protais Ayangma, au Député RDPC Martin Oyono, à Me Jean de Dieu Momo, au Professeur Nkou Mvondo, à Jean-Pierre Bekolo, Richard Bona et à bien d’autres compatriotes qui, sans être anglophones, ont manifesté de l’empathie et de la sympathie envers nos compatriotes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest et ont fait montre de beaucoup de lucidité dans leurs analyses. J’ai aussi positivement apprécié les démarches et les efforts d’apaisement du Gouverneur du Nord-Ouest engagés aux moments forts de la crise. Surement que la postérité sera le meilleur juge de l’apport de chacun de nous dans la recherche de solutions justes, équitables et durables.
Avez-vous la même impression que Achille Mbembe qui estime que quelque chose de très profond s’est cassé au Cameroun au cours des 34 dernières années de gouvernement par l’abandon, et que le bilan des dirigeants actuels est calamiteux ?
J’apprécie beaucoup le compatriote Achille Mbembe pour son franc-parler et pour ses réflexions limpides sur les questions d’intérêt national. Il a sûrement raison, et j’ajouterai que la gestion de la présente crise sera déterminante à plus d’un titre. Aujourd’hui, nous sommes face à une alternative : soit nous restons indifférents à ce constat éclairé ; soit ensemble nous œuvrons avec de nouvelles approches et de nouveaux hommes pour ressouder ladite cassure et re-projeter le Cameroun sur la place d’honneur et d’avenir qui devrait lui revenir. Cette posture permettrait d’éviter au Cameroun de sombrer dans l’incertitude.
Doit-on continuer à garder l’optimisme malgré l’absence manifeste de volonté politique affichée par les dirigeants actuels et leur volonté de confisquer le pouvoir par tous les moyens ?
Évidemment ! Nous devons garder intact notre optimisme pour le Cameroun, car l’absence de volonté politique ou la confiscation du pouvoir dans toute société est forcément temporaire. Dans le cas spécifique de notre pays, le pouvoir est tenu par des octogénaires dont la plupart sont aux affaires depuis les années 60, alors que la génération montante de notre jeunesse aspire à être gouvernée autrement, sinon à jouer un rôle capital et central dans cette nouvelle gouvernance plus démocratique, réellement républicaine et attentive aux besoins et desiderata des populations.
Dans certains pays africains, on a vu les peuples prendre leur destin en main en faisant partir des autocrates. Le peuple camerounais est-il suffisamment mature pour sa révolution ?
Je n’ai jamais douté ni de l’intelligence ni de la maturité de nos populations, du peuple camerounais. N’oublions pas qu’avant même les indépendances en Afrique et en dehors de l’Algérie, le Cameroun (sous la tutelle de la France) fut le seul territoire où les populations se sont soulevées contre le pouvoir colonial français. Pendant presque la même période, le Southern Cameroons (sous la tutelle de l’Angleterre) a pu retrouver son autonomie en se soustrayant de la dominance nigériane. Il existe aussi des exemples plus récents comme la lutte pour la démocratie et la conquête des espaces de liberté des années 1990 et les émeutes des jeunes en 2008. Mais, toujours est-il que pour le démocrate que je suis, profondément attaché à un changement ou une transition pacifique, la meilleure révolution est celle qui se produit à travers les urnes.
Changeons de registre. Depuis quelque temps vous engrangez une bonne moisson de lauriers sur l’ensemble du territoire national. Le dernier en date est le ‘Scoop’s Awards’ reçu récemment à Kumba, dans le Sud-Ouest. Quelles significations donnez-vous à ces lauriers que vos compatriotes vous attribuent ?
Je suis très touché par les encouragements et le soutien que je reçois de façon constante des compatriotes de tous les horizons à travers le pays. Lorsque les communautés s’ouvrent à vous du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, et qu’elles vous reçoivent à cœur ouvert en vous rassurant de leur soutien multiforme, vous ne pouvez qu’apprécier cela avec la plus grande gratitude et avec beaucoup d’humilité. Vous pouvez aisément comprendre les motivations et la détermination de la Fondation Fomunyoh à faire davantage dans le domaine humanitaire. Je souligne que cette fondation est une organisation à but non lucratif que j’ai créée en 1999. Son siège est situé à Bamenda avec une antenne à Yaoundé. Elle œuvre pour l’amélioration du bien-être des Camerounais, l’instauration et le renforcement de la démocratie et les institutions, la promotion d’un État de droit et les droits des personnes. Avec la Fondation Fomunyoh, je suis allé dans toutes les dix régions du pays pour marquer mon soutien aux couches défavorisées.
Et si l’attribution de ces Awards était une interpellation pour un engagement politique plus marqué, par exemple à être candidat à un poste électif ?
Effectivement, cela alimente des conversations dans les chaumières, parmi les compatriotes vivant au pays comme dans la diaspora et parmi d’autres observateurs avertis qui aimeraient voir une valorisation de l’expertise acquise et des expériences cumulées toutes ces années. Ils souhaitent voir surgir un jour le moment de la politique partisane ou électorale et me voir mettre mon expérience au service du Cameroun en adoptant une démarche politique visant à accéder au pouvoir. Ils font remarquer à juste titre que pour le moment c’est l’humanitaire qui prime. Heureusement qu’à travers toutes les 10 régions où je suis allé, les populations comprennent et apprécient notre démarche, surtout que les besoins sur le plan humanitaire sont aussi énormes.
Récemment, la presse internationale - Jeune Afrique, TV5, Notre Afrique, Financial Times, L’Opinion, etc. - a parlé de vous comme un potentiel candidat à la prochaine élection présidentielle. L’une d’elles a même écrit que vous y pensez chaque matin en vous rasant. Quel crédit donner à cette affirmation ?
Quelque part, ces médias internationaux reprennent effectivement ce que dit la presse nationale qui en parle depuis plusieurs années déjà, pratiquement depuis 2003/2004. Il est évident que, comme tous les Camerounais qui veulent apporter leur pierre dans la construction de l’édifice national, j’ai des ambitions et des rêves pour notre pays. Si je vous dis que je n’ai ni rêves ni ambitions pour notre pays qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, mes propos pourraient être assimilés à un acte de haute trahison. Les compatriotes et des observateurs ne comprendraient pas que presque au quotidien je facilite les processus de gouvernance démocratique dans d’autres pays africains et que je ne puisse rien faire pour mon pays qui marque le pas ou marche à reculons malgré ses énormes potentialités humaines et matérielles. Aujourd’hui, notre avenir est en danger, car soumis à des épreuves existentielles. Contribuer à juguler ces menaces devient une priorité qui dépasse tout positionnement personnel par rapport à la présidentielle d’octobre 2018.
L’hebdomadaire Jeune Afrique affirmait aussi que malgré des atouts certains pour la conquête de la magistrature suprême en 2018, vous souffrez d’une image de technocrate peu connu sur le terrain. Autrement dit que vous êtes peu connu du commun de nos compatriotes. Est-ce pour corriger cette image que depuis quelque temps on vous a vu faire le tour des régions du pays ?
Les tournées en régions m’ont été très instructives. Elles m’ont donné et me donnent toujours l’opportunité de toucher du doigt les réalités et le vécu quotidien de nos compatriotes en zone urbaine comme en zone rurale. Elles me permettent de mesurer l’ampleur de leurs besoins ainsi que de leurs aspirations. Il se dégage clairement que dans le Cameroun d’aujourd’hui, les populations ont des besoins réels tels que l’électricité, l’eau, les centres de santé, des services publics efficaces et de proximité, des infrastructures et des institutions de gouvernance nationales, régionales et locales qui fonctionnent et qui sont adaptées à leurs besoins et aux réalités locales. Dans de pareilles circonstances, être technocrate et porteur de solutions alternatives et d’une vision de rassembleur sont de véritables atouts que même les concitoyens à la base apprécient.
Justement, en décembre 2016, vous avez déclaré à un journal basé ici à Yaoundé que « Notre pays a besoin du sang neuf, d’un visionnaire, d’un vrai rassembleur qui pourra servir avec abnégation. » À qui pensiez-vous justement ?
Je pense à tous ces leaders de ma génération — de l’opposition comme de la mouvance présidentielle - qui ont beaucoup à apporter à notre pays, mais qui en sont empêchés parce que les espaces de libertés sont très réduits et le contexte politique est hostile au renouvellement de la classe politique dirigeante. Certains ont dû se rabattre vers les organisations de la société civile et d’autres sont devenus très apolitiques. Or, le changement positif tant attendu et vivement souhaité par nos populations n’adviendra qu’avec la contribution citoyenne et active de tout un chacun.
Avec 20 ans d’expérience aux États-Unis et dans les institutions internationales, comment capitaliser votre riche expérience en faveur du Cameroun et de l’Afrique ?
Avant d’aller poursuivre les études supérieures aux États-Unis d’Amérique, j’ai grandi au village de Guzang - Batibo dans les champs de café, de manioc, de maïs, etc. Je faisais des kilomètres à pieds nus pour aller à l’école primaire. Plus tard, j’ai poursuivi mes études au collège et au lycée dans les grandes villes. J’ai fait le droit à l’Université de Yaoundé (Ngoa Ekelle), puis une carrière professionnelle à Douala, avant de me retrouver comme le premier Camerounais à être admis dans le programme «LL.M» à la prestigieuse Harvard Law School de l’Université de Harvard à Boston. Vous comprenez que je connais les défis journaliers des populations ordinaires ou des paysans, pour avoir passé mon enfance dans leurs milieux. Je suis donc fils du pays profond et je sais ce dont notre pays a le plus besoin.
Il se trouve aussi que ma carrière professionnelle de ces dernières années m’a offert énormément d’opportunités qui m’ont permis de maîtriser les rouages des institutions internationales dans ce monde globalisant. Elle m’a permis de côtoyer de grands hommes et certains acteurs significatifs de l’heure, et de contribuer dans une certaine mesure aux grands événements qui ont marqué des évolutions positives sur notre continent. J’en suis fier de cette évocation panoramique de ma vie, et je me dis que la meilleure façon de rendre grâce au Seigneur et de reconnaître les efforts de ceux qui m’ont assisté d’une manière ou d’une autre pendant ces différentes expériences serait de me donner à fond pour améliorer les conditions de vie et le bien-être des miens, compris dans son sens le plus large.
Chaque matin au réveil, il me revient à l’esprit l’image de ce Christopher Fomunyoh parti de son village natal pour arriver là où il se trouve aujourd’hui. Je suis conscient qu’il y a forcément des milliers d’autres jeunes Camerounais qui ne demandent que les ouvertures pour s’imposer et briller de la plus belle manière, chacun dans son domaine. Le panafricaniste que je suis ne peut que penser grand pour son pays et pour le continent dont j’ai pu mesurer les potentialités et les défis de démocratie et de développement pendant les deux dernières décennies.
L’année dernière vous avez été reçu au Congrès américain où vous avez entretenu votre auditoire sur certains sujets. Dans quel cadre inscrivez-vous votre démarche, une interpellation ou un plaidoyer et pourquoi ? De quoi avez-vous parlé au Congrès ?
Effectivement j’ai eu l’honneur d’être invité à plusieurs reprises par différentes commissions parlementaires du Congrès américain pour témoigner de mon point de vue basé sur mon expérience professionnelle et mon background personnel sur des questions de la démocratie, des élections, de la paix et de la sécurité sur notre continent. En pareilles circonstances, on profite toujours pour interpeller les législateurs américains sur les actions qu’ils peuvent entreprendre pour accompagner les Africains dans leurs démarches. Il va de soi que je saisis pareilles occasions pour faire aussi un plaidoyer lorsque les circonstances l’exigent.
De votre position de haut responsable du NDI qui œuvre pour la démocratie et la bonne gouvernance à travers le monde, notamment sur le continent africain, quels sont, selon vous, les goulots d’étranglement, c’est-à-dire des difficultés qui retardent les processus démocratiques et empêchent des transitions démocratiques pacifiques sur notre continent ?
Le plus gros goulot d’étranglement aux processus de gouvernance démocratique sur le continent se trouve être la qualité des hommes qui nous gouvernent et qui animent nos institutions - leur état d’esprit par rapport à la gestion de la chose publique, leur ouverture d’esprit par rapport aux valeurs universelles telles que la tolérance, l’acceptation de la différence, l’humanisme, la pratique de la convivialité dans notre diversité ambiante, etc. Évidemment, les pays africains ne feront leur révolution démocratique qu’avec à leurs têtes des démocrates convaincus qui, en forgeant un leadership éclairé et solidaire, créent des conditions pour consolider les institutions de gouvernance et ainsi favoriser la participation effective des citoyens et des acteurs sectoriels. C’est à ce niveau que se situe la grande différence entre le progrès observé en Afrique de l’Ouest où les élections de plus en plus transparentes et crédibles favorisent les alternances au pouvoir, et la régression observée en Afrique centrale et des Grands Lacs où les quelques avancées obtenues dans la vague de démocratisation des années 90 ont été pulvérisées ou anéanties par les ambitions des personnalités hostiles à la transparence et à la gouvernance moderne, et qui veulent s’éterniser au pouvoir. Pour parler-vrai, dans notre sous-région de l’Afrique, les difficultés à surmonter sont très nombreuses. Elles sont liées aux contraintes structurelles, économiques, politiques et géostratégiques.
Compte tenu des difficultés et contraintes sus-évoquées et à surmonter, doit-on désespérer de ces pays africains où les pratiques démocratiques tardent à entrer dans les mœurs ?
Heureusement que beaucoup de pays africains comme le Ghana, le Sénégal, le Bénin, le Botswana, L’île Maurice, etc. nous réconfortent dans notre optimisme sur l’avenir du continent. Même le rapport annuel du «Économist Intelligence Unit» de 2016 a classé le Cap Vert en 21e position sur le plan mondial avant les États-Unis et l’Italie. Et à regarder de près, les pays africains qui tirent le continent vers le bas sont gérés par des autocrates octogénaires, qui ont une conception rudimentaire et moyenâgeuse du pouvoir politique. Ceux-ci font semblant d’oublier qu’en toute chose, et surtout dans l’exercice du pouvoir politique, la longévité excessive expose à la routine, au clientélisme et à l’inefficacité, et finit par ennuyer ceux qui l’exercent et à dégoûter ceux qui le subissent. Néanmoins, l’espoir est d’autant plus permis que les jeunes représentent près de 70% des populations de l’Afrique. Cette population est relativement la plus jeune population du monde. Nous comptons sur la vitalité et le dynamisme de cette jeunesse pour construire un avenir meilleur pour le Cameroun de demain et pour l’Afrique tout entière.
En 2016, vous avez conduit des missions du NDI au Gabon, au Ghana et dans beaucoup d’autres pays africains. Quelles leçons avez-vous tirées du déroulement des différents scrutins dans ces pays ?
La principale leçon que je tire de ces différentes missions d’observation électorale est celle selon laquelle le succès de chaque élection dépend de la volonté politique des principaux acteurs et intervenants. À ce jour, tous les pays africains ont la possibilité et la capacité d’organiser des élections paisibles, transparentes et crédibles — il faut seulement y croire et créer les conditions pour le bon déroulement des élections avant, pendant et après les scrutins. Si le Nigéria a pu le faire avec succès en 2011 et en 2015 avec ses 150.000 bureaux de vote et près de 70 millions d’inscrits, aucun autre pays africain ne devrait se dérober à cette attente de plus en plus grandissante de la part de nos populations.
Au regard de la situation actuelle du Cameroun dans un contexte marqué par « la guerre contre Boko Haram », la question anglophone, et de nombreuses revendications sociales, croyez-vous à une alternance pacifique par les urnes en 2018 ? Comment procéder ?
Je crois encore que nous pouvons tenir de bonnes élections en 2018, mais la volonté politique devrait se manifester au plus vite pour qu’il en soit ainsi. Les revendications et critiques pertinentes formulées par le passé relativement au Code électoral et à l’indépendance d’Elections Cameroon (Elecam) restent d’actualité. Les propositions de réformes faites par les partis politiques de l’opposition et certaines organisations de la société civile méritent d’être examinées avec sérénité et dans une démarche inclusive et consensuelle. Nous savons tout ce qui met à mal la confiance des populations dans notre système électoral. Dès à présent, il serait judicieux que les dispositions soient prises pour corriger les imperfections du code électoral et garantir l’indépendance et l’impartialité d’Elecam. Préparons le terrain pour un climat électoral apaisé avec l’acceptation des résultats des élections par tous et évitons la politique de l’autruche pouvant conduire aux crises électorales ou de légitimité à l’issue imprévisible.
Selon vous, en son état actuel, l’opposition camerounaise sera-t-elle en mesure de réaliser l’alternance tant souhaitée ?
La fragmentation des partis politiques que nous constatons sur le terrain n’inspire pas beaucoup confiance quant aux chances de cette opposition divisée, surtout dans un scrutin présidentiel à un tour. Il est aussi de notoriété publique que le code électoral contient certaines dispositions nuisibles à la transparence du scrutin. L’opposition a encore le temps pour faire son autocritique et de passer en revue les résultats des scrutins passés pour en tirer les conclusions appropriées. Quant à une alternance éventuelle, ce sera aux électeurs d’en décider. Toujours est-il qu’aucun pays africain n’a connu une alternance politique avec une opposition aussi fragmentée que la nôtre. Les populations sont fatiguées d’avoir à être gouvernées par les mêmes pendant plus de cinq décennies. Elles souhaitent par conséquent un changement véritable non seulement au sommet de l’Etat, mais dans les pratiques de gouvernance politique, économique, socioculturelle, entre autres. Pour moi donc, le changement ne devrait pas être seulement celui d’un homme. Pour que ce changement voie le jour, il faudrait que les différents leaders de l’opposition et des autres secteurs sociaux œuvrent dans une démarche collective et multisectorielle. C’est un impératif catégorique, comme je viens de le dire. Il suffit de lire mon ouvrage « Le Cameroun de demain » pour constater que ma conviction reste constante depuis des années. Vous n’avez qu’à regarder les alternances et transitions réussies dans des pays africains comme le Sénégal, le Kenya, le Burkina Faso, la Tunisie, le Mali, le Benin, le Nigeria, le Madagascar et dans une certaine mesure la Centrafrique. Ça serait à cette large coalition, si elle voyait le jour, de proposer aux Camerounaises et aux Camerounais une alternative crédible basée sur un projet de société centré sur l’intérêt général et les préoccupations des concitoyens.
La corruption est l’un des maux qui minent le Cameroun. Quel regard portez-vous sur l’opération dite « Epervier » ? Que faudra-t-il faire pour lutter efficacement contre la corruption ?
Beaucoup a été déjà dit et écrit sur la manière de crédibiliser davantage l’opération « Épervier » afin de renforcer la lutte contre la corruption dans notre pays. Malgré les incantations, une frange importante de la population reste sceptique. Elle ne comprend pas que certaines personnes contre qui pèsent beaucoup de soupçons ne soient pas inquiétées. Des dispositions constitutionnelles telles que la déclaration des biens, et des propositions comme l’informatisation des procédures financières peuvent faire la différence s’il y avait une volonté politique pour leur mise en œuvre. Au finish, l’incivisme et la criminalité financière ne pourront être réellement combattus que lorsqu’on aura placé aux affaires des hommes et des femmes patriotes et intègres qui n’ont pas été mêlés de près ou de loin à la gestion intéressée des affaires du pays.
Au Cameroun, on trouve une jeunesse débordante d’énergie. Parlant de cette jeunesse, Christian Cardinal Tumi a estimé dans une interview accordée à Germinal qu’à plus de 70% des Camerounais ne sont pas gouvernés. Quelle place doit-on accorder à cette jeunesse pour le Cameroun de demain ?
Voilà encore une couche sociale à laquelle on adresse beaucoup de verbes sans que cela se traduise en actes concrets pour lui donner la place qui lui revient dans la gestion de la société et de la chose publique. Permettez-moi de souligner un paradoxe qui laisse dubitative notre jeunesse quant à la volonté politique réelle des pouvoirs publics à valoriser sa contribution dans la gouvernance du pays. De façon arbitraire, notre code électoral fixe l’âge de la maturité électorale ou de la majorité politique à 20 ans refusant ainsi le droit de vote à des centaines de milliers de jeunes âgés de 18 à 20 ans, alors qu’à 18 ans ces jeunes sont pénalement responsables, ils peuvent se marier, payer les impôts et entretenir leurs familles ; à 18 ans ils peuvent défendre le drapeau et se battre pour notre sécurité en tant que policiers, gendarmes, soldats ou marin. Et en contrepartie, le régime actuel leur refuse le droit de vote. Difficile à expliquer ! Comment ne pas s’étonner de l’hypocrisie du régime, qui se plaint souvent que la jeunesse n’a pas de comportement citoyen et civique, et qu’elle manifeste un désintéressement à la chose publique. Il faut absolument donner à notre jeunesse des perspectives nouvelles avec des débouchés qui lui permettront de réaliser ses espoirs et ses aspirations pour le Cameroun et un avenir meilleur. Il faut redonner à cette jeunesse le droit de rêver et d’oser.
Selon vous, et dans la meilleure des hypothèses, quelles seraient les cinq priorités permettant de répondre aux attentes des citoyens quant à une démocratie réelle et un avenir prospère pour notre pays ?
En fouillant les archives de mes différentes interventions, vous trouverez que j’ai esquissé à plusieurs reprises les chantiers qui devraient être nos priorités pour un avenir meilleur. Ma position a été constante pendant les vingt dernières années. Le Cameroun de demain doit devenir une véritable démocratie et cela passera d’abord par une véritable réconciliation nationale, car, en dépit du tapage médiatique habituel sur la paix (que nous voulons tous d’ailleurs), la convivialité et le respect mutuel ne sont pas si évidents. Le pays est traversé par de nombreux clivages et l’identité camerounaise peine à s’imposer. La crise actuelle n’est qu’une face visible de l’iceberg des rancœurs, des déceptions et des récriminations que formulent les différentes communautés. Il suffit d’écouter ce que disent les uns des autres derrière les portes fermées, et parfois même dans les lieux publics pour se convaincre de la fragilité de l’Etat du Cameroun.
Deuxièmement, il faudra revoir notre architecture constitutionnelle qui constitue la fondation de l’état nation et de l’État de droit que nous voulons construire, ce qui nous obligerait à revoir le contrat social à établir entre les populations et ceux à qui elles confient le mandat de les représenter ou de les gouverner pendant la durée d’un mandat spécifique. Cela nécessite beaucoup de réformes allant dans le sens de la démultiplication des centres de décision, de l’agrandissement des espaces de libertés, et de la professionnalisation des services de sécurité de proximité (ou de premier et deuxième degré), dont la police et la gendarmerie.
Troisièmement, nous devrions rapidement prioriser la mise en place des infrastructures permettant de favoriser l’émergence d’une industrialisation locale, de la commercialisation des produits agricoles, et de l’amélioration du bien-être de nos populations.
Quatrièmement, nous devons repenser de manière exhaustive et profonde notre diplomatie et notre représentation internationale. Cela passe par une redynamisation de notre rôle dans les instances sous-régionales et continentales et une amélioration rapide des relations entre nos ambassades et les compatriotes vivant ou travaillant à l’étranger. Ce serait aussi l’occasion de valoriser l’apport de notre diaspora pour qu’elle joue pleinement son rôle de catalyseur du développement et la modernisation de la patrie.
Cinquièmement, pour terminer, je reviendrais sur l’intégration effective et efficace des femmes et des jeunes dans la gestion des affaires publiques. Pour redynamiser le Cameroun et donner un nouveau souffle à notre pays, on n’a pas d’autre choix que de se focaliser sur ces priorités et beaucoup d’autres que je pourrais expliciter davantage au prochain passage dans votre rédaction, et si l’occasion m’est à nouveau offerte.
Christopher Fomunyoh, nous vous remercions
Propos recueillis par :
Jean-Bosco Talla.