Crise anglophone et échecs des mouvements sociaux protestataires: A qui la faute?

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La question anglophone
Les Camerounais sont d'accord qu'il est légitime que nos frères et compatriotes d'expression anglaise posent leurs problèmes et qu'il est légitimes qu'ils l'expriment bruyamment par des moyens légaux. Bref qu'il existe un problème anglophone. Mais, de là à prendre en otage la communauté éducative au nom d'intérêts et d'enjeux politiques, pour ne pas dire politiciens, il y a une ligne rouge qu'il ne faut pas franchir. Il faut savoir à un moment donné séparer les revendications corporatistes des revendications politiques sur la forme de l'Etat afin d'éviter d'infliger, à toute une communauté surtout aux jeunes innocents, des souffrances inutiles. Une autre chose est certaine : au minimum, 95% des Camerounais, y compris des "Anglophones", mieux des Camerounais d'expression anglaise, sont contre (mieux, de la manière dont) cette histoire se déroule en ce moment. Selon mes sources, lors des longs entretiens que certaines sources avaient eu avec feu Assale Charles, PM de 1960 à 1965, il leur avait été révélé que c'est lui qui avait payé les salaires des fonctionnaires du Cameroun Occidental, dès

le lendemain de la réunification, jusqu'à son limogeage, et qu'Ahanda Vincent de Paul et Tchoungui Simon Pierre ont continué à le faire, jusqu'à l'abolition du fédéralisme. En fait, toutes les charges de l'Etat fédéral incombaient à l'Etat fédéré du Cameroun Oriental. En conséquence, l'abolition du fédéralisme, quoi qu’ordonné par Paris, n'avait été que logique, car il ne se résumait qu'à des distributions de postes politiques sans contrepartie financière. Toujours selon ces sources, l'Etat fédéral coûtait très cher au Cameroun Oriental. C'est dire si la question du fédéralisme soulève aussi en filigrane celle du financement. En clair, qui va financer ? Telle est la question que les uns les autres se gardent bien de poser. Ensuite, un ministre ne sera pas moins ministre qu'un autre, et personne ne pourra pas lui dire que puisque tu es un simple ministre d'un état "fédéré", tu n’as pas droit à ceci ou à cela !!! Si on multiplie ces exemples donc ce type de gaspillage actuel du gouvernement par dix Etats fédérés au Cameroun, on se demande où ira le Cameroun dans un contexte où nous sommes en train de retomber dans les bras du FMI.
Il nous a été révélé il y a quelques années que le carburant des véhicules administratifs coûtait à l'Etat 40 milliards par an ! Si on Multiplie alors par 10 Etats fédérés !!!!!!
Enfin et objectivement, un "West Cameroon" indépendant peut-il être viable ? Si nos souvenirs sont exacts, une résolution de l'Onu avait répondu à cette question par la négative.
Source: Germinal n°101, du 31 janvier 2017.


La République en haillons !
En Afrique, le patriarche est dépositaire de la sagesse ancestrale. Amadou Hampâté Ba ne disait autre chose quand il affirmait qu’en Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. À 85 ans sonnés, Paul Biya est un patriarche. Mais, a-t-il la sagesse nécessaire pour solutionner tous les problèmes de Camerounais avant le coup d’État biologique en préparation depuis quelques années ? Rien n’est moins sûr. Assumant la responsabilité du désastre dans lequel le Cameroun est plongé, il préfère selon Achille Mbembe mourir au pouvoir pour ne pas avoir rendre compte.
M. Paul Biya, président de la république du Cameroun est au pouvoir depuis bientôt 35 ans. Tout comme Robert Mugabe au Zimbabwé, il entretient le secret - qui au fond n’en est pas un - de mourir au pouvoir, voire de gouverner à partir de l’outre-tombe.
A l’heure où nous écrivons, le satrape de Mvomeka est rattrapé par la sénilité. Et - une fois de plus, secret public - par la maladie. Qu’importe ! Il ne partira pas de son propre gré. Que ceux qui cherchent à le déposer viennent donc le défenestrer !
Pourquoi s’obstiner alors que plusieurs pans du mur commencent à tomber ? Que peut-il encore réaliser au soir d’une vie facile et absorbée par les plaisirs qu’il n’a guère pu accomplir au cours de 34 ans de pouvoir absolu? À la vérité, strictement rien. L’avenir du premier gerontocrate se conjugue désormais au passé et il n’y a rien que quiconque puisse faire par rapport à ce cours naturel des choses.
Il laissera derrière lui une petite bombe à retardement. Trente-quatre ans de gouvernement par l’inertie et la négligence ont fini par produire les conditions nécessaires pour l’émergence sur le flanc septentrional de l’un des mouvements terroristes les plus meurtriers de l’heure - un mélange de Sentier Lumineux, d’apoplexie soi-disant islamiste et de nihilisme tropical.
À quoi s’ajoute le lent pourrissement dans la région anglophone. Pris la main dans le sac, le régime de Yaoundé et ses affidés veulent faire croire qu’il s’agit d’un conflit récent fomente par des voyous eux-mêmes manipulés par des forces externes. Il n’en est rien. Le feu couve sous la cendre depuis le milieu des années 1960.
L’idée de la réunification du Cameroun dans ses frontières allemande est née en même temps que le mouvement nationaliste Camerounais. Avec l’indépendance et le refus d’intégrer l’Union Française, elle fut la pierre angulaire du nationalisme upeciste. À trois reprises et défiant toutes sortes d’obstacles administratifs, Ruben Um Nyobe défendit cette idée devant la Commission de Tutelle de l’ONU, au prix de maints quolibets et menaces proférés par les ‘descendants’ d’Aujoulat qui tiennent en main les rênes du pays depuis 1958.
Quand Ahidjo entreprend son petit chemin de Damas après avoir été installé au pouvoir par la France, c’est pour littéralement faire main basse sur une région que l’on soupçonne déjà à l’époque d’abriter du pétrole. La réunification en 1961 ne s’inscrit donc pas dans un véritable projet de ‘décolonisation’ comme l’avait voulu l’UPC. Elle est un instrument pour parachever la francisation d’un territoire, le seul en Afrique sub-saharienne, ou la revendication de l’indépendance était la plus soutenue et la plus radicale.
Il faut relire les textes de Bernard Fonlon, le théoricien du bilinguisme, pour se rendre compte de la manière dont le régime Ahidjo entreprit dès le départ de vider de son contenu le projet de réunification. Et d’ailleurs quand, en 1971, après avoir fait exécuter Ernest Ouandie et ses compagnons et déclaré la victoire contre le mouvement nationaliste, il organise le pseudo-referendum devant consacrer l’unité du pays, les électeurs dans la zone anglophone n’ont de choix qu’entre un bulletin ‘oui’ et un bulletin ‘yes’.
Le satrape de Mvomeka ira plus loin encore en supprimant le nom République unie qu’il remplacera par République tout court / ce terme galvaudé, qui suscite désormais les ricanements des nouvelles générations d’anglophones pressés d’en finir avec cette comédie qui n’a que trop duré.
Qui pourrait le leur reprocher ? Humiliations et indignité, ils en savent quelque chose, traités comme ils l’auront été au cours du demi-siècle qui vient de se passer!
Que, pour se libérer de ce qu’ils nomment la domination francophone, ils puisent dans le lexique colonial britannique peut prêter à sourire. Mais tel est le langage auquel ils ont été acculés et pour l’heure, c’est le seul susceptible de rallier le plus grand nombre.
Pour éviter la sécession, il faudra procéder à une refonte radicale de l’état. Celle-ci passe par une forme ou une autre de federalisation des pouvoirs. Un tel projet fédéral ne devra pas seulement s’appliquer à la zone anglophone. La répartition actuelle des provinces pénalise bien d’autres ensembles. C’est le cas de l’ancienne Sanaga Maritime, une région qui continue de payer le prix de sa participation à la lutte pour l’indépendance.
Mais il y a quelque chose de spécifique à la zone anglophone qui devra être constitutionnalisé.
La création récente d’une Commission dite du bilinguisme est de la poudre aux yeux ! On ne fera pas l’économie de la réforme radicale de l’état. Comme toujours, le satrape prétend apporter une solution bureaucratique à un problème politique de très grande envergure. Ce faisant, il ne fait que reporter les échéances. Évidemment lorsque la bombe à retardement détonnera, il ne sera plus là. Du moins pense-t-il.
La federalisation du pouvoir doit aller de pair avec une véritable décolonisation de celui-ci. Cette décolonisation est à la fois économique et culturelle. Économique dans le sens où elle implique, entre autres, l’abolition du Franc CFA. Culturelle dans le sens où elle implique la mise sur pied d’un véritable projet de société multiculturelle et conviviale, respectueuse des minorités et engagée à abolir le sexisme et a prendre enfin au sérieux les questions de mémoire.
Achille Mbembe

 


Crise anglophone ou 31 ans d'échec de la politique d'intégration nationale
Sur tous les plans de la vie sociopolitique et économique du Cameroun, l’échec de Paul Biya est patent. Cela aurait été un miracle si la politique d’intégration nationale prétendument menée depuis son accession à la mangeoire suprême, stade suprême de l’unité nationale, échappait à ce cycle macabre. La crise anglophone qui captive l’attention du peuple camerounais depuis novembre 2016, est révélatrice de cet autre désastre innommable. Pourtant Paul Biya, dans son ouvrage Pour le Libéralisme communautaire déclarait en bombant le torse :
« Certes l’unité nationale a fait des progrès indéniables dans notre pays sur la base de certains éléments positifs comme la communauté de race, de territoire, de souvenirs historiques, le bilinguisme... Mais cette unité reste encore bien fragile ; aussi est-il temps de travailler à la faire passer du stade de la simple union nationale à celui d’une véritable intégration nationale, de la simple coexistence actuelle des ethnies à leur transfiguration en une ethnie nouvelle aux dimensions de notre pays, de marcher résolument vers les cimes de la solidarité de notre peuple, vers l’apothéose de la nation.
Je considère de la première urgence de mettre en œuvre une politique de réalisation accélérée de cette nouvelle communauté qui, seule, peut faire face avec sérénité à tous les périls tant internes qu’externes auxquels notre pays pourrait être confronté. Il faut alors créer en chaque Camerounais les conditions d’une conscience nationale si profonde que l’attachement primaire et instinctif aux valeurs et intérêts tribaux et régionalistes ne puisse plus la perturber. La difficulté de la tâche est certaine puisque notre pays, plus qu’aucun autre en Afrique, se révèle être une terre de la multiplicité et de la diversité socio-historique, le lieu de rendez-vous d’une variété insoupçonnable de forces centrifuges et antagonistes, d’une infinité de communautés sectaires, voire hostiles, campant face à face en une sorte de veillée d’armes permanente où l’évidence des particularismes ethnico-géographiques est par trop frappante : les quartiers de nos villes revêtent parfois des spécificités ethniques manifestes qui rappellent, en une concentration spatiale particulièrement explosive, les contradictions humaines de notre société. Au plan linguistique, le Cameroun présente l’image d’une véritable tour de Babel »
31 ans après, c’est le retour à la case de départ.
Ikemefuna Oliseh

 


Des erreurs stratégiques qui plombent la Lutte pour le changement!
Avant les mobilisations populaires suscitées par la grève, ils croyaient avoir le vent en poupe. Mais, faute de statégie, ils ont plûtot renforcé le régime de Paul Biya en repoussant le moment de l’issue de la Lutte globale pour le changement.
Il fallait bien être naïf pour penser que Paul Biya était acculé à son dernier retranchement et que la pression exercée sur lui par les acteurs et manifestants impliqués dans la crise anglophone allait le faire céder. Pour qui le connait bien, le chef de l’Etat camerounais à l’habitude de garder un silence bruyant, son principe de gouvernance étant fondé sur un principe simple : gagner du temps, faire du vide, jouer le mort, laisser pourrir, diviser, récompenser et réprimer.
Les acteurs et initiateurs des mouvements sociaux du Nord-Ouest et du Sud Ouest n’ont pas compris et ont commis des erreurs stratégiques suicidaires qui plomberont la Lutte pour l’avènement d’un nouvel ordre politique au Cameroun.
Comme on peut lire sur la page Facebook de Jean Bosco Talla, « plusieurs erreurs stratégiques ont été commises par les grévistes-politiciens. Parmi lesquels deux principalement. D’abord formuler des revendications nombrilistes à fortes connotations politiques, surtout en ce qui concerne les enseignants. […] Ensuite, lancer un mot d’ordre de grève et radicaliser les positions et affirmer que c’est le fameux « consortium » qui doit lever ce mot d’ordre (un mot d’ordre de grève qu’il n’a pas lancé au début de la grève, puisqu’il n’existait pas. »  A ces erreurs, on peut ajouter celle consistant à opposer francophones et anglophones, tuant ainsi dans l’œuf une dynamique transversale qui pouvait se mettre en place. Ces principales erreurs ont fait en sorte que Paul Biya s’engouffre dans la brèche du dialogue ouvert au début de la crise, en gardant le silence, poursuit Jean-Bosco Talla. « Ce silence excite les grévistes-politiciens qui vont de surenchères en surenchères, ce qui permet à Paul Biya de connaître les revendications implicites contenues dans les mots d’ordre de grève », avant de mettre en place la machine répressive.
Il s’agit ici d’erreurs stratégiques qui montrent que les leaders de ces mouvements sociaux n’ont pas su tiré les leçons des mouvements de revendications d’envergure lancés au début des années 1990 et en 2008. Car, si ces leçons avaient été tirées, ils auraient pris en compte cette démarche préconisée par le Dp de Germinal. A savoir : « adopter une démarche et faire une analyse stratégiques rigoureuses (forces et faiblesses, forces et faiblesses de l’Etat ou du régime, ses réactions attendues, les opportunité, les actions à court, moyen et long terme, le temps ou durée de telle ou telle action, jusqu’où ne pas aller, les modalités de défense et de protection des grévistes au cas où ils sont en difficultés, comment communiquer pour vendre la lutte ou comment faire en sorte que les mobiles de la lutte ne soient pas brouillés, la question de l’organisation, de la direction technique et de la direction polit que (comment les séparer?), quel type de grève, pour quel résultat? Ce qui me semble n’avoir pas été fait. »
 Et faute de l’avoir fait, ils se sont mis à rêver les yeux ouverts d’un fédéralisme non pensé et visiblement non pertinent pour le Cameroun en ce début du 20è siècle.
Junior Etienne Lantier

 


Les voies de sortie démocratiques
Désormais l’écrasante majorité des Camerounais, y compris dans le RDPC, est consciente du fait que nous sommes obligés tous ensemble de tourner le dos à cinquante ans de politique de la terre brûlée pour construire une coexistence productive.
Or celle-ci n’est possible que par l’exercice égalitaire des droits et devoirs attachés à la citoyenneté, le règne non discriminatoire de la loi, la justice socioéconomique, la participation au développe- : ment du pays en fonction des capacités et non de l’appartenance à des groupes ou cercles plus ou moins nébuleux. Ces conditions minimales peuvent difficilement être remplies sans une refonda¬tion patriotique et populaire de la souveraineté. La faillite du “tripode” autoritaire étant devenue indéniable, un nouveau pacte national est indispensable pour mettre fin aux crises organique, hégémonique et de légitimité de l’Etat-politique-du-ventre que l’autocratie n’a fait qu’aggraver. Le point de passage est la finalisation du processus de démocratisation qui est actuellement bloqué à sa phase initiale, celle d’ouverture.
Il appartient au président Biya d’exercer les pleins pouvoirs dont il dispose pour enclencher les deux phases restantes : libéralisation effective et consolidation. Il doit profiter du sursis pour éviter que sa succession ne finisse par être plus sombre et meurtrière que celle de son « illustre prédécesseur ». Car le pays continue de payer trop cher les travers qui ont compromis l’intention affichée par M. Biya de démocratiser la vie politique dès le milieu des années 1980. Le putsch d’avril 1984, coup le plus dur jamais porté aux institutions de la République, est un produit direct du triangle équila¬téral. L’impéritie entretient en effet une illusion de résistance à la loi d’airain de la continuité institutionnelle par-delà le passage des hommes.
Même si M. Biya a mal hérité et assumé, il reste pourtant une place pour lui au panthéon de la nation. Il pourrait s’adjuger celle du réformateur qui, malgré un héritage difficile, aura initié la transition. A l’horizon 2018, le président a encore la possibilité de réaliser son rêve d’entrer dans l’histoire comme celui qui, au milieu des incertitudes, a engagé son pays sur la noble voie de la démocratie. Il doit pour cela s’efforcer de remplir certaines conditions dans l’étroite fenêtre d’opportunité encore ouverte. Tentons ici un modèle-type (ajustable donc) de scénario de sortie honorable.
Le président pourrait d’abord engager, par des ajustements dans l’appareil militaro-sécuritaire, politique et administratif, une campagne de discipline républicaine visant à banaliser sa succession et la question de l’ethnie d’origine du prochain président, quelle qu’elle soit. Concomitamment, mettre sur pied une stratégie d’alternance protégeant ses arrières. Le deal pour y arriver peut s’articuler ainsi : le parlement initie à l’unanimité une proposition de loi portant amnistie pour le président et sa famille nucléaire, stipulant que la promulgation de ladite loi d’amnistie emporte engagement à préparer sa succession et organiser des élections libres à la fin de son mandat en cours. La loi entre en application avec la prestation de serment du nouveau président. A ce moment, le président Biya se retire avec le titre de président honoraire qui l’engage à renoncer à toute initiative ou activité politique. Il ne prodiguera de conseil à son successeur que sur demande.
En échange, le président s’engage à prendre toutes les dispositions qui s’imposent pour l’organisation d’élections libres et transparentes en 2018, notamment la mise sur pied d’une commission électorale indépendante et la neu¬tralisation de tout élément perturbateur parmi la pléthore d’aspirants “dauphins” corrompus de sa cour, ancienne ou actuelle. A ce niveau, deux pistes s’ouvrent : laisser simplement le jeu des institutions suivre son cours ou accélérer le processus de consolidation.
Dans ce dernier cas, le président initie un projet de loi portant consensus national de salut public, avec des dispositions de ce type :
1) pour consolider le processus démocratique et instaurer rapidement une culture d’alternance pacifique, le prochain président assurera un, seul mandat, intérimaire, de sept ans ;
2) il consacrera ce mandat aux réformes, à l’arasement des dernières poches de corruption et de lourdeur administrative ainsi qu’aux efforts pour approcher le pays des objectifs du Millénaire (lutte contre le Sida, éducation, réduction de la pauvreté, etc.) ;
3) il procédera en arbitre à une réforme consensuelle des institutions centrée sur une révision bien préparée de la Constitution ;
4) devront impérativement être inscrite dans la nouvelle Constitution : l’élection présidentielle à deux tours, la durée du mandat présidentiel fixée à cinq, voire quatre ans renouvelables une fois, etc. ;
5) le consensus de salut public aura force de loi et la signature de l’engagement à respecter sera une condition d’éligibilité à la présidence de la République ;
6) toute entorse au consensus par le président élu représentera un acte de haute trahison passible des peines prévues à cet effet ;
7) le président devra gouverner sur la base de principes méritocratiques et de réconciliation pour mettre fin une fois pour toutes à la gouvernance des “élites” “tribales” ; à cet effet, il créera un fonds de financement des projets de développement des régions supervisé et contrôlé par le Sénat, etc.
Assurément, la jeunesse camerounaise pardonnerait tout au président et le porterait même en triomphe s’il opérait ce type de tournant à 180° pour la sécurité future du peuple camerounais. Elle l’inscrirait sûrement dans sa liste de héros nationaux. La question qui se pose est simple : le veut-il ?
Jean Eudes Biem
Chercheur
Ecole normale supérieure, Paris
Source : Le Jour du 17 novembre 2016

 

 


Du pareil au même
Il voulait apporter une solution aux problème soulevés par les Camerounais d’expression anglaise. Des Camerounais n’accordent pas beaucoup de crédit à cette nouvelle Commission alimentaire.
Il voulait apporter une solution aux problème soulevés par les Camerounais d’expression anglaise. Des Camerounais n’accordent pas beaucoup de crédit à cette nouvelle Commission alimentaire
A quoi pouvait-on s’attendre après les mouvements de revendication organisés dans le Nord-Ouest et le sud-ouest par des Camerounais mécontents de la marginalisation dont ils sont victimes depuis belle lurette. Paul Biya et son gouvernement sont restés égaux à eux-mêmes. Dans un premier temps, par la bouche de quelques griots, ils préfèrent ignorer les revendications, les nier en minimisant la division francophone anglophone. Par la suite ils engagent des négociations, l’unique objectif étant de pouvant les protestataires à lever le mot d’ordre de grève lancé et afin que la vie reprenne son cours normal. Au début des années 1990, pour se tirer d’affaire, il avait signé le décret n ° 90/1196 du 03 août 1990 portant création d'un programme de formation bilingue. Programme dont l'objectif du programme était de:  
- permettre aux participants d'acquérir les compétences générales requises pour communiquer oralement ou par écrit dans leur langue seconde, dans des conditions de travail décrites par leur employeur;
- contribuer à l'unité et à l'intégration nationale ainsi qu'à la promotion des deux langues officielles;
- encourager les participants à pratiquer l'autoformation à leur propre rythme et selon leur langue et leurs besoins professionnels.
En 2017, c’est le remake. Face à la grogne des compatriotes anglophones Paul Biya a sort de son chapeau une Commission pour la promotion du bilinguisme, en y ajoutant le multiculturalisme qu’il avait minimisé 27 ans plus tôt.
Cette nouvelle Commission est chargée :
- de soumettre des rapports et des avis au Président de la République et au
Gouvernement , sur les questions se rapportant à la protection et à la
promotion du bilinguisme et du multiculturalisme ;
- d'assurer le suivi de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles faisant de l'anglais et du français deux langues officielles d'égale valeur, et notamment leur usage dans tous les services publics, les organismes parapublics ainsi que dans tout organisme recevant des subventions de l'Etat ·
- de mener toute étude ou investigation et proposer toutes mesures de nature à renforcer le caractère bilingue et multiculturel du Cameroun;
- d'élaborer et soumettre au Président de la République des projets de textes sur le bilinguisme, le multiculturalisme et le vivre ensemble ;
- de vulgariser la réglementation sur le bilinguisme, le multiculturalisme et le vivre ensemble ;
de recevoir toute requête dénonçant des discriminations fondées sur l'irrespect des dispositions constitutionnelles relatives au bilinguisme et au multiculturalisme et en rendre compte au Président de la République ;
- d'accomplir toute autre mission à  elle confiée    par le Président de la République, y compris des missions de médiation.
Selon certains observateurs ; il ne s’agit que des solutions cosmétiques
Maheu

 

 


Joshua Osih: Une entourloupe périphérique inefficace
La création de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme est une entourloupe périphérique qui ne saurait en aucun cas résoudre le problème de fond posé par nos compatriotes anglophones. On ne saurait soigner une tumeur potentiellement cancéreuse avec le remède de la grippe aviaire. On ne saurait proposer une solution administrative à un problème politique profond et critique.
En attendant la mise sur pied du fédéralisme qui est une forme achevée de la décentralisation, les problèmes soulevés par nos compatriotes auraient pu trouver tout au moins un début de solution dans l’application effective de tous les textes liés à la décentralisation notamment la création des conseils régionaux qui, en dehors des domaines de souveraineté tels que la sécurité aux frontières, la monnaie, la sécurité extérieure, la diplomatie ainsi que les normes nationales, ont compétence dans tous les domaines d’activités économique, social, politique et culturel. Cette commission n’aura visiblement aucun effet décrispant sur cette crise. Une communication solennelle du Président de la République à cet effet aurait pu constituer dès le déclenchement de la crise, un déclencheur apaisant à l’endroit des protestataires. Plutôt que de créer cette commission dont les rapports connaitront manifestement le même sort que les précédentes qui ont été enterrées, il aurait dû organiser un débat national inclusif après avoir reçu au cours d’une audience solennelle les principaux leaders des partis politiques, de la société civile – la vraie et non celle masquée derrière les officines du parti-Etat – et du clergé dans son ensemble pour recueillir leurs points de vue sur la situation. Malheureusement pour le pays, M. Biya, en disciple singulier de Machiavel, n’a pas cru devoir se soumettre à ce rituel républicain. Avec cette commission, M. Biya et ses collaborateurs seront une fois de plus les seuls à définir l’orientation qu’ils voudront bien donner à cette crise qui est pourtant tectonique avec un fort risque d’effet domino. La fonctionnarisation de cette commission au niveau du personnel participe en réalité de la volonté perpétuelle de distribuer les prébendes au niveau de l’Etat centralisé.
Sur un tout autre plan, la mise sur pied de cette commission en 2017 est la preuve de l’inertie caractérisée et sédimentée au sommet de l’Etat. Si le Conseil des ministres – haute instance de suivi, d’évaluation et d’arbitrage des textes en préparation ou déjà adoptés – se tenait à une fréquence régulière, on n’aurait pas eu besoin de créer cette commission budgétivore. Parlant du multiculturalisme qui fait partie des missions assignées à cette commission, les conseils régionaux ont compétence en matière de promotion des langues et des cultures nationales. En matière de bilinguisme, la loi de 1998 d’orientation de l’éducation prescrit entre autres la promotion du bilinguisme, l’harmonisation des deux sous-systèmes tout en précisant dans l’une de ses dispositions pertinentes que « Le système scolaire est organisé en deux sous-systèmes, l’un anglophone, l’autre francophone, par lequel est réaffirmée l’option nationale du biculturalisme ». Le problème anglophone est connu. Il ne sert à rien de vouloir noyer le poisson. Parler en ce moment précis du multiculturalisme – qui est de la compétence des conseils régionaux – plutôt que du biculturalisme est fortement révélateur de ce que le régime de M. Biya veut banaliser et généraliser l’une des principales revendications de nos compatriotes anglophones. Ce qui peut avoir pour effet de renforcer leur sentiment d’assimilation par la communauté linguistique francophone. Encore que la loi de 1998 sus-mentionnée indique pourtant que « les deux sous-systèmes coexistent, chacun conservant sa spécificité en matière de certification et d’évaluation ».
Pour ce qui concerne les 15 membres qui seront nommés, il ne faut s’attendre à rien. M. Biya nommera 15 membres directement ou indirectement alliés à son parti. Pourtant un début de sérieux consisterait à ne pas nommer un membre qui a appartenu ou qui appartient à un parti politique. Fidèle à sa conception monarchique du pouvoir, il nommera malheureusement qui il veut. Il ne lui viendra jamais à l’idée de nommer des personnalités reconnues pour leur impartialité, leur intégrité, leur rectitude morale, leur compétence et leur sens élevé du devoir.  Il désignera en grande majorité des personnes contrôlables, notamment ceux qu’il tient. Le rapport de ladite commission ne sera jamais rendu public puisqu’il a tenu à préciser que le rapport lui sera transmis. Ce qui revient à dire que ce rapport sera éventuellement modifié suivant sa convenance et ses intérêts.
Ceux qui croient en cette commission ou en la capacité de M. Biya à effectuer sa mue après 35 ans de règne sans partage font preuve de naïveté politique. Le progrès sous toutes ses formes ne se fera pas avec le système actuel.
Hon. Joshua N. Osih
Député de la Nation.

 

 


La faute à certains médias
La ficelle est trop grosse. Elle ne peut tromper que des non-initiés qui consomment à longueur de journée des « informations » publiées par certains journaux. Avec la crise anglophone, les lecteurs ont assisté ces derniers temps au déploiement par le régime de la machine de manipulation et de propagande, l’objectif clair comme l’eau de roche, étant de préparer l’opinion publique avant l’arrestation des meneurs et acteurs du mouvement social de protestation organisée dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Ensuite, il fallait les diaboliser avant une éventuelle et presque certaine condamnation. Tout le monde sait qu’au royaume de Paul Biya, la présomption de culpabilité est la règle, la présomption d’innocence l’exception. Ces protestataires sont donc présumés coupables.
C’est un secret de polichinelle, des hommes du régime, dans des voitures CA, sont allés, il n’y a pas longtemps, de rédaction en rédaction à la rencontre de certains directeurs de publication à qui ils ont remis des documents, mieux des « papiers » à publier et bien sûr…de l’argent, beaucoup d’argent.
Depuis le déclenchement de cette crise relative à la question anglophone, les lecteurs avisés ne sont plus étonnés de constater que certains titres des journaux sont identiques ou qu’un même « papier » est publié par plusieurs rédactions avec des signatures différentes et sans qu’aucune plainte ou protestation pour plagiat ne soit formulée. On comprend pourquoi ceux-ci ne se bousculent plus devant les kiosques pour acheter les journaux.
Que voulez-vous, les responsables des journaux ont des charges à supporter et ils ne peuvent ni compter sur la vente au numéro ni sur les rentrées publicitaires pour joindre les deux bouts. Seul le recours au subterfuge et à la compromission est salutaire et permet de maintenir la tête hors de l’eau.
Ces scènes sont observables chaque fois qu’une crise majeure frappe le Cameroun, mieux chaque fois que les autorités camerounaises ont quelque chose à cacher ou veulent soigner leur image.
Cette fois-ci, les pouvoirs publics ont même poussé le bouchon trop loin en faisant en sorte que le Conseil national de la communication interdise à certains médias tout débat sur le fédéralisme et la sécession.
Avec le phénomène Boko Haram, les lecteurs avaient bu la manipulation médiatique jusqu’à la lie. Le régime avait mis le paquet afin que certains journaux inondent l’opinion publique « d’informations » favorables à ses visées, fabriquées dans des officines de propagandes.
Les lecteurs Camerounais ne sont plus dupes.
Ikemefuna Oliseh

 

 


Mathias Eric Owona Nguini: Construire des mouvements sociaux d'envergure nécessite une expertise
Germinal : Les débats sur le fédéralisme et la sécession doivent-ils être tabous dans le contexte actuel au Cameroun ?
Mathias Eric Owona Nguini : Cela dépend de l’optique que l’on développe. Si l’on se situe dans la tradition politique gouvernante, le débat sur le fédéralisme n’est pas le bienvenu et celui sur la sécession est plus que tabou. Si l’on se situe dans une autre perspective, le débat sur le fédéralisme peut être admis, mais le débat sur la sécession reste largement discutable. Toujours est-il que ce débat rappelle la fragilité des cadres institutionnels de l’intégration politique et étatique au Cameroun.

Comprenez-vous l’attitude du Conseil national de la communication qui a interdit tout débat sur ces questions dans un Etat qui prétend être démocratique ?
L’attitude du Conseil national de la communication est largement frileuse, mais elle se définit ici aussi en fonction de la situation qui est celle de la crise. Dans un système gouvernant ayant toujours fait montre d’un certain dirigisme, il est évident que le débat sur le fédéralisme ne pouvait qu’inquiéter, dans la mesure où les acteurs qui ont incarné la contestation face l’ordre gouvernant dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont abondamment évoqué la figure politique du fédéralisme, surtout du fédéralisme à deux Etats, c’est-à-dire un fédéralisme francophone/anglophone qui serait organisé à travers deux Etats censés représenter ces deux communautés d’héritage colonial.

D’après vous, le fédéralisme à deux Etats est-il pertinent aujourd’hui au Cameroun ?
Non ! Dans le contexte actuel le fédéralisme à deux Etats au Cameroun n’est pas pertinent. Parce qu’il a le défaut majeur de créer un face à face entre francophones et anglophones. Dans les conditions où au sein de la communauté anglophone, il s’est constitué de nombreux réseaux qui travaillent concrètement à construire une nation anglophone posée en antagoniste de la République du Cameroun que ces activistes réduisent à être un Etat francophone. Dans ces conditions, même la voie vers le fédéralisme ne pourra pas empêcher l’éclatement.

Autrement dit, d’après-vous, les revendications corporatistes proclamées au début des événements de Bamenda et de Buéa n’étaient qu’un prétexte masquant les intentions réelles de leurs auteurs ?
Quand vous avez à l’occasion d’une crise qu’on présente comme étant sectorielle des préalables qui sont d’ordre institutionnel et général, il est clair donc que ce ne sont pas les contenus des négociations sectorielles sur le sous système éducatif anglophone ou sur les conditions d’application du common law qui sont les plus importants. Ce qui est le plus important est le préalable du retour à l’Etat fédéral. Ce qui signifie, en clair, que le retour à l’Etat fédéral était le véritable objectif poursuivi par les acteurs qui se sont mobilisés. Dès lors que ces acteurs posent ces préalables et recours à une technologie ou technique de mobilisation collective comme la désobéissance civile, ils créent les conditions d’une crise qui se veut manifestement être une crise multisectorielle, c’est-à-dire une crise qui déborde les espaces limités que sont ceux de l’enseignement ou ceux des praticiens du droit tels que les avocats ou les magistrats. Ils envisagent de fabriquer une dynamique de mobilisation générale. Cette opération ville morte fonctionne, toute chose étant égale par ailleurs, dans une logique qui est relativement proche de ce qui s’est passé en 1991 où à travers la plateforme de la coordination, de nombreux groupes de l’opposition et de la contestation essaient d’utiliser la technologie des villes mortes pour obtenir un changement institutionnel. Il s’agit bel et bien d’une dynamique qui vise à installer une insurrection.

Ces acteurs arguent pourtant que la résolution des problèmes sectoriels posés n’est possible que dans une perspective globale, c’est-à-dire politique. Qu’en dites-vous ?
Précisément, les acteurs de ce mouvement ne le font pas pour rien à partir du moment où ils posent cela comme préalable, cela veut dire qu’ils sont dans une démarche qui vise à construire une crise générale. Une crise politique, qui s’impose à l’ensemble des rapports sociaux et politiques d’une société, est une crise qui vise à trouver des solutions institutionnelles qui ne correspond pas aux institutions existantes. C’est une crise qui vise à provoquer une dynamique de transition politique et institutionnelle.

Pour répondre aux préoccupations de ces acteurs, le président de la République a pris un décret portant porte création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Muiticulturalisme, en abrégé « CNPBM ». Cet acte du chef de l’Etat est-il une solution à la crise actuelle ?
Il est évident que la mobilisation de l’anglophonie identitaire, qui a commencé entre octobre et novembre 2016, va bien au-delà des questions sectorielles. Elle se veut générale. Elle pose fondamentalement le problème – pour ceux qui la conduisent et ceux qui la soutiennent – du retour à l’Etat fédéral. C’est dont la forme prévalente de l’Etat qui est mise en question. Or, cette forme est institutionnellement protégée par l’article 64 de la constitution de 18 janvier 1996. Dans ces conditions, cette mise en question ne peut créer qu’une confrontation à partir du moment où ceux qui contrôlent les commandes de l’Etat ne veulent pas changer sa forme. En face, ceux qui conduisent cette mobilisation posent comme préalable à toutes négociations le changement de la forme de l’Etat.

Reposons la question autrement, cette commission apporte-t-elle une solution aux revendications ?
La Commission ne peut évidemment pas apporter des solutions à l’ensemble des demandes posées par les acteurs de ce mouvement. La principale revendication étant institutionnelle, la Commission entend répondre à une des préoccupations exprimées par le système d’action contestataire qui était la marginalisation de la langue anglaise notamment, et le souci que le bilinguisme officiel qui est l’un des éléments de la biculturalité de la République du Cameroun soit mieux promu et mieux respecté. Maintenant, l’ordre gouvernant a pris en compte cette préoccupation au mieux de ses intérêts en l’associant à la question de la multiculturalité de manière à tempérer les demandes identitaires du mouvement de l’anglophonie et en indiquant que cette Commission ne se contentera pas de promouvoir le bilinguisme, elle promouvra le multiculturalisme, lequel s’entend bien au-delà de la simple prise en considération des identités francophones et anglophones. Elle touchera d’autres identités historiques, notamment des identités ethno-régionales confessionnelles.

Quel crédit accordé à cette commission, si on s’en tient à ce qui avait déjà été fait au début des années 1990, après des revendications presque identiques et qui avaient abouti à la création d’un programme de formation bilingue par décret du président de la République ; et ce étant donné qu’à ce jour, il n’y a pas encore une évaluation des centres pilotes créés après la signature de ce décret ?
De toutes les manières, il est clair que même dans la perspective de l’ordre gouvernant, la Commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme n’est pas appelée à être à la hauteur d’une solution institutionnelle, c’est-à-dire d’une solution portant sur l’ensemble du système politique et institutionnel de la République du Cameroun. C’est une solution politico-administrative qui consiste à créer une Commission indépendante, mieux un organisme public indépendant comme on l’appelle en droit public camerounais chargé de s’occuper de cette question. Maintenant, la limite est dans la manière dont on a utilisé les Commissions dans le système politico-administratif camerounais. Ce qui n’est pas un élément pour donner toute la confiance nécessaire sur ce qu’elle pourra faire.

Qu’aurait-il fallu faire si vous étiez à la place du président de la République ?
Je ne suis pas son conseiller. Mais, je crois que face à la difficulté des acteurs en présence de s’entendre sur le modèle institutionnel, peut-être que cette crise pouvait donner l’occasion au président Biya et à son système gouvernant d’activer de manière sérieuse le processus de la régionalisation en complétant l’arsenal normatif qui est mis en place depuis 2004, et en envisageant la tenue, dans un délais court, d’élections régionales de manière à indiquer que dans sa propre perspective qui est celle de conserver l’Etat unitaire décentralisé, il exprime une volonté de répondre à certaines des préoccupations du mouvement social anglophone. Je pense que cette solution typiquement politique, sans nécessairement répondre à l’ensemble des attentes des acteurs du mouvement social de l’anglophonie identitaire, pouvait au moins exprimer le souci de l’ordre gouvernant d’interpréter, à sa manière, les demandes et les pressions faites à l’occasion de cette mobilisation.

N’y a-t-il pas un autre modèle institutionnel, en dehors de la décentralisation et du fédéralisme, que l’on peut proposer aux Camerounais ?
Il n’y a peut-être pas des modèles absolument différents, mais il y a des modèles qui sont éventuellement praticables, à condition de rechercher le consensus nécessaire entre les acteurs pour que la mise en œuvre en œuvre de ces modèles-là puissent être pertinente. Au vu de la structure diverse et multiculturelle du Cameroun, il est évident qu’un consensus pourrait se construire, même si cela se faisait dans un délai relativement long, autour d’un système semi-fédéral ou fédéral dans lequel on partirait par exemple d’une politique appliquée, avancée et approfondie de la décentralisation pour créer, à partir des 10 régions actuelles, le socle de ce qui pourrait devenir plus tard un Etat avec des régions autonomes, c’est-à-dire des sortes de collectivités politiques ayant à peu près le statut d’Etats semi-fédérés et donc évoluer de cette manière vers un fédéralisme qui aurait l’avantage de ne plus exposer le Cameroun à un face à face anglophone/francophone qui a le défaut de créer deux projets nationaux en les logeant dans le même Etat, mais qui demanderait également une certaine habileté institutionnelle pour que ce fédéralisme basée sur les régions arrive à domestiquer les revendications ethnicistes qui pourraient naitre de sa mise en place ou de sa mise en œuvre.

La crise actuelle n’est-elle pas révélatrice d’une crise de gouvernance et d’une absence de volonté politique pour juguler les questions soulevées ?
Dans une certaine mesure on peut considérer que cette crise a trait à une crise de gouvernance. Elle peut également exprimée une absence de volonté politique, du moins un désaccord sur le modèle institutionnel entre les acteurs au pouvoir et ceux qui étaient ou sont présents dans le mouvement social anglophone ou d’autres acteurs de l’opposition et de la société civile, mais, au-delà, cette crise pose le problème des conditions de l’intégration politique du Cameroun. Ce qu’on appelle de manière expéditive le problème anglophone, comme tous les autres problèmes identitaires du Cameroun, est une composante du problème national camerounais, c’est-à-dire de la difficulté à construire un cadre d’intégration politique du Cameroun qui fasse un consensus large et qui soit un socle solide pour la construction de cette société étatique.

D’après vous, le moment du déclenchement de cette crise est-il fortuit ? Cette crise n’est-elle pas un prélude aux batailles pour la présidentielle de 2018 ?
Bien entendu, le moment du déclenchement de cette dynamique de crise n’est ni fortuit ni gratuit. Il est évident que certains acteurs, ou certains soutiens de ce mouvement social de l’anglophonie identitaire ont en vue la présidentielle de 2018. D’ailleurs, il se dit, même si cela est encore de l’ordre de la rumeur, que le président Biya aurait eu des informations selon lesquelles des acteurs de son propre parti sont impliqués dans cette dynamique de mobilisation. Il est clair, de toutes les manières, que cette mobilisation a intégré ce calendrier électoral et qu’en agissant comme ils le font, les acteurs de ce mouvement veulent peser sur l’évolution politique du Cameroun entre 2017 et 2018.

Depuis 1990, les observateurs se rendent compte que presque tous les mouvements sociaux protestataires ont échoué. Quelles explications donnez-vous à ces différents échecs ?
L’échec des mouvements sociaux protestataires est lié de manière générale à la configuration politique et institutionnelle marquée par une centralisation qui exprime l’emprise que l’ordre gouvernant exerce sur la société à travers les institutions étatiques dans un sens très souvent dirigiste et répressif, ensuite à la configuration culturelle et structurelle de la société camerounaise marquée par une forte diversité et divergence des différentes couches sociales, et des différents intérêts sociaux.
Dans ces conditions, mettre en place une dynamique de mobilisation ne se fait pas sur la base de la spontanéité et du spontanéisme. Cela exige une certaine capacité stratégique, organisationnelle, logistique et même idéologique pour créer des réseaux pouvant permettre à une mobilisation de se construire de manière forte, surtout quand on envisage cette mobilisation comme celle devant avoir lieu au niveau et l’ensemble du système politique et institutionnel.
Dans une société segmentée, comme la société camerounaise, une mobilisation transversale n’est pas très évidente. Cependant, il faudrait que les meneurs, les animateurs et les stratèges en soi conscients et disposent de toutes les expertises et expériences pour pouvoir construire des mouvements sociaux consistants et d’envergure.
Dans cette dynamique, il faudrait aussi prendre en compte un élément particulier : celui de la structure assez concurrentielle et fragmentée de la société civile, laquelle répond principalement à des calculs particularistes au lieu de construire précisément des réseaux de collaboration pouvant permettre de mettre en place des mobilisations transversales.

D’après vous et à l’observation du fonctionnement des organisations de la société civile camerounaise, peut-on dire qu’elles ont toutes les capacités que vous venez d’énumérer ?
Ces organisations ne les ont pas. Lorsqu’elles ont un certain niveau de pertinence et de performance dans l’action, elles ne l’envisagent que de manière sectorielle. Il existe très peu de passerelles et de plateformes qui permettent aux acteurs de la société civile d’envisager une action à l’échelle de l’ensemble de la société et surtout d’envisager une action coordonnée, fondée sur un certain nombre de principe et ayant fait l’objet d’un accord entre les acteurs et les leaders de la société civile.
Dans ces conditions, il peut effectivement exister une société civile, il peut exister un champ social même si celui-ci est fragmenté, il est beaucoup difficile de mettre en place un mouvement social transversal. Et le pouvoir sait en jouer, dans la mesure où il a, avec la durée, l’expérience des contradictions sociales qu’il s’emploie à tempérer, à réguler ou à réprimer. De plus, il est passé maitre dans l’art de diviser ces différents acteurs pour empêcher qu’ils puissent constituer une force coordonnée.

Dans cette perspective, peut-on conclure que la lutte pour le changement social et le changement politique est encore longue ?
On peut le dire. Au vu de la pratique sociale et politique des années 1990 jusqu’aux années 2010, il est clair que si les acteurs de la société civile ne se réajustent pas la lutte sera très longue.

Pour conclure, intéressons-nous à la catastrophe ferroviaire d’Eséka. Plus de 3 mois après, le rapport de la commission d’enquête mise en place par le président de la République reste attendu alors qu’il avait affirmé le 31 décembre 2016 qu’il tirera toutes les conséquences. Quelle est votre analyse de cette absence de rapport ?
La non publication du rapport de la catastrophe d’Eséka était prévisible compte tenu de la gravité de cet accident, compte tenu du fait que le système de protection civile du Cameroun n’était pas nécessairement préparé pour prendre en charge ce type d’accident, en fonction de la ville dans laquelle il s’est produit, compte tenu du niveau important d’inertie de ce système qui ne favorise pas la transparence lorsque des enquêtes sont menées. Il faudrait également prendre en compte le statut spécifique de Camrail, de ceux qui en sont les propriétaires et de leurs relations avec les principaux acteurs du système gouvernant camerounais, pour comprendre que pour le pouvoir c’est une affaire très délicate. Elle est très délicate car, en même temps, l’ordre gouvernant est conscient de la colère de nombreux réseaux de la société camerounaise en raison de nombreuses pertes en vie humaine.
Ce rapport ne sera donc jamais rendu public compte tenu des différents intérêts en présence ?
A plusieurs reprises, des commissions d’enquête ont rendu leur rapport au président de la République sans qu’ils ne soient par la suite rendus publics.
Propos recueillis par :
Jean-Bosco Talla

 


Crise anglophone et stratégie de diabolisation
Dans les jours qui viennent, les Camerounais doivent faire très attention aux stratégies de diabolisation du Consortium par le régime pour légitimer leur politique de répression en cours. On va leur mettre sur le dos beaucoup de mensonges. Souvenez-vous de la répression de l’UPC à partir de 1955. Ce sont des méthodes bien connues.
La répression de la récolte anglophone en cours s’appuie sur un amalgame machiavélique malicieusement entretenu dans l’esprit de beaucoup de Francophones par le régime Biya : l’amalgame entre le fédéralisme et la sécession, entre le Consortium de la Société Civile Anglopone et la Southern Cameroon National Council (SCNC). Ceux qui se laissent prendre à ce piège par un régime moribond devraient se rappeler quatre choses.
Premièrement, Le mouvement sécessionniste anglophone qu’on associe souvent à la SCNC a toujours existé, et n’est donc pas nouveau. Il est actif depuis des décennies et l’autonomie du Cameroun anglophone fait partie de leur agenda. La mauvaise gestion de la crise actuelle les avantage beaucoup et nourrit le monstre de l’Ambazonie. Comme tout mouvement politique, ils sont opportunistes et font donc feu de tout bois. Une telle situation de pourriture, c’est du pain béni pour eux. Mais c’est une erreur de confondre les Anglophones avec les sécessionnistes. Beaucoup sont encore contre la sécession !
Deuxièmement, le Consortium de la Société Civile Anglophone dont les leaders sont aujourd’hui arrêtés est quant à lui nouveau. Ils réclament désormais non pas l’indépendance du Cameroun anglophone, mais un débat sur la forme de l’Etat avec une préférence pour le fédéralisme. Que des sujets politiques soient sur l’agenda d’une Organisation de la Société Civile, c’est normal et même souhaitable. Ils sont dans leur rôle, celui du contrôle de l’action publique. Que leurs revendications initialement sociales aient ensuite pris une connotation politique peut se comprendre. Face à un refus initial des pouvoirs publics d’admettre qu’il y avait un problème, il y a évidemment eu une évolution de l’agenda.
S’ils estiment aujourd’hui que le fédéralisme est la solution la plus durable au problème de marginalisation qu’ils évoquent, pourquoi ne pas en discuter ? Quoi qu’il en soit la bonne foi requiert qu’on reconnaisse au moins que le Consortium n’a jamais réclamé l’indépendance ni prôné la violence. Même les mouvements les plus non-violents de l’histoire (Ghandi, Martin Luther King) sont toujours entachés de situations isolées de violence, lesquelles n’ont rien à voir avec les leaders. Beaucoup d’Anglophones, comme certains Francophones d’ailleurs, sont aujourd’hui pour le fédéralisme. Et c’est de leur droit.
Quatrièmement, pourquoi cet amalgame entre le fédéralisme et la sécession, le Consortium et la SCNC est crucial pour la stratégie de répression du régime Biya, voire pour sa survie à l’horizon 2018 ? Le régime Biya se sait désormais très impopulaire après 35 ans d’usure politique et sait bien que l’échéance de 2018 ne sera pas aisée à négocier avec le candidat naturel âgé de 83 ans. Le régime Biya sait aussi par ailleurs que beaucoup de Francophones sont allergiques à l’idée de la sécession.
Alors il suffit de faire passer les fédéralistes pour des sécessionnistes déguisés auprès de la majorité francophone pour avoir leur bénédiction pour la répression. Leurs dividendes sur le plan politique sont énormes : le régime se refait une certaine légitimité chez les Francophones sous prétexte de lutter contre les forces qui menaceraient de diviser le pays.
Il ne restera plus qu’à faire l’amalgame avec Boko Haram et le terrorisme. Aussi, il est dans l’intérêt du régime Biya usé et impopulaire que les Camerounais aillent aux élections en 2018 divisés, les Anglophones contre les Francophones et les Francophones entre eux.
Alors pour ne pas se laisser prendre au piège de cette ruse, il convient que les Camerounais se rappellent deux choses simples : primo, le fédéralisme n’est pas la sécession tout comme le Consortium n’est pas la SCNC. Secundo, les Francophones ne doivent pas oublier que les mêmes méthodes de répression que le gouvernement utilise aujourd’hui contre les leaders anglophones seront utilisées contre eux demain!
Par Ludovic Lado