Ces Assassins des libertés publiques

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Le Héros et le Grand Homme
Il existe grosso modo deux catégories de Camerounais repérables par leurs agissements respectifs dans l’espace public.
D’un côté ceux qui, ayant bénéficié du décret présidentiel ou arrêté ministériel occupent une position de pouvoir et ont, de ce fait, la possibilité d’autoriser ou d’interdire ce que les autres citoyens envisagent. Ces Hommes de pouvoir se croient obligés d’applaudir toutes les décisions et actes posés par leur hiérarchie qui remonte jusqu’à Etoudi. Nos « élus par décret » disposent d’une « section intellectuels » constituée d’hommes et femmes qui, se parant d’oripeaux scientifiques, ont une mission principale : démontrer que le chef de l’Etat et ses ministres ont toujours raison. Il est question pour eux de donner une caution scientifique aux agissements du Prince et compagnie.
De l’autre côté, une autre catégorie de Camerounais(es) qui, en privé et surtout en public, individuellement et surtout collectivement, ne cessent d’interpeller les dirigeants sur les conséquences et implications néfastes de leur conduite. Ils s’expriment dans les médias et n’hésitent pas à descendre dans la rue

pour désapprouver tel ou tel acte posé par les gouvernants. Pour briser le morale de ces « empêcheurs de se servir en rond », non sans les ridiculiser aux yeux du peuple-électeur, les Hommes de pouvoir leur préparent un menu plutôt riche, parce que constitué de gaz lacrymogène et embastillement avec passage obligé dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie.
A observer ces serviles serviteurs du pouvoir, force est de constater qu’ils n’ont tiré aucune leçon de l’histoire. Le régime a jusqu’ici assuré sa longévité en sacrifiant nombre de ses serviteurs d’hier. Des ministres et secrétaires généraux de la présidence de la République, aujourd’hui incarcérés dans le cadre de l’Opération Epervier n’ont-ils pas regretté de n’avoir rien fait pour aménager nos prisons ? De toutes les façons, s’ils avaient usé de leur pouvoir pour humaniser les pénitenciers, ils en seraient des bénéficiaires. Derrière les barreaux, ils comprennent que ceux qui demandaient l’humanisation de nos prisons n’étaient pas comme ils les désignaient hier, « des ennemis de la République ». Dans sa pièce de théâtre intitulée La croix du sud, le philosophe dramaturge camerounais Joseph Ngoué donnait ce conseil : « La conjoncture fait le héros et l’histoire le grand homme. Gardez-vous de servir l’instant présent, servez le temps qui dure ». A bon entendeur…


Ci-gisent les libertés publiques

Avec l’avalanche des interdictions des réunions et manifestations publiques qui s’abattent sur les organisations de la société civiles, les partis et formations politiques, on peut affirmer sans risque d’être démenti, que le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, sous la houlette de René Emmanuel Sadi, est devenu le cimetière des libertés publiques.
Le 25 mai 2016, Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication, ironiquement appelé ministre des points de presse, invite les médias nationaux et internationaux à prendre part au point de presse qu’il donne dans la salle de conférence de son département ministériel. Dans son propos liminaire, le porte-parole autoproclamé du gouvernement déclare : « Dans son rapport 2016, l’ONG Freedom House publie un classement de 195 pays à travers le monde à qui elle attribue un rang allant, s’agissant des populations de ces pays des appréciations de populations «libres », « partiellement libres », et « pas libres du tout». Et au gré de ce classement, les populations du Cameroun figurent dans la catégorie « pas libres du tout ». Certains autres rapports traitant des mêmes questions pointent également du doigt notre pays pour ce qu’ils considèrent comme une inobservance chronique des droits civils et politiques, ainsi que des libertés publiques.
Le gouvernement considère qu’un tel acharnement ne peut être le fait du simple hasard.
[…]
Quelle que soit l’hypothèse envisagée, et dès lors que les faits sont à un tel point altérés ou déformés, le gouvernement ne peut rester impassible, tant le déni de réalité devient manifeste.
Vous comprenez que nous ayons donc tenu à rétablir la vérité des faits et à mettre à nu ces desseins de désinformation. Je voudrais pour ce faire présenter en gros, la situation du respect des droits de l’Homme au double plan des droits civils et politiques d’une part, et des libertés publiques d’autre part. »
Plus loin, il précise : « En ce qui concerne la liberté de réunion et de manifestation publiques, celle-ci est garantie par la loi. À ce titre, les réunions et les manifestations publiques ne sont soumises qu’au simple régime de la déclaration préalable.
Il importe donc de comprendre que le principe en la matière demeure la liberté de réunion et/ou de manifestation publiques, alors que l’interdiction en constitue l’exception.
[...] D’une manière générale, les motifs retenus pour l’interdiction d’une réunion ou d’une manifestation publiques ne peuvent procéder que de la loi. Ces motifs ont du reste vocation à être connus de tous ceux qui prétendent à l’exercice du droit de réunion ou de manifestation publique. Ils concernent : l’absence de déclaration, les menaces avérées de troubles à l’ordre public, l’inexistence légale de l’organisation qui sollicite la tenue de l’événement public, le changement de l’objet initialement déclaré, le défaut de qualité du déclarant, le non-respect des délais légaux (la déclaration devant être faite trois jours francs au moins avant la tenue de la réunion ou de la manifestation). En tout état de cause toute interdiction est dûment motivée par l’autorité administrative, auteur de l’acte d’interdiction. Il reste néanmoins qu’une telle mesure de restriction est susceptible d’un recours juridictionnel auprès des tribunaux administratifs compétents. »
À l’écouter, le Cameroun est victime d’une cabale alors que tout va pour le mieux dans le domaine des libertés publiques. On se rend également compte que dans son énumération, il évite superbement les cas d’excès de pouvoir devenu monnaie courante surtout quand les autorités administratives, sous de fallacieux prétextes, interdisent systématiquement toutes les réunions et manifestations publiques organisées par tous ceux qui ne sont pas de leur bord politique, c’est-à-dire membres, alliés ou sympathisants du Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc). Entre autres motifs-prétextes non prévus par la loi convoqués au soutien des actes liberticides d’interdiction : l’absence des « termes de référence » de la réunion publique, « l’accord préalable de Monsieur le Ministre de l’Enseignement supérieur, Chancelier des Ordres académiques » (cas de l’Association de défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec), la conformité de l’organe ou de l’entreprise de presse à la loi sur la communication sociale au Cameroun (cas de Germinal), l’absence de légalisation (cas de l’Addec, du réseaux Dynamique citoyenne et autres plateformes), l’obligation de légaliser le bureau constitué par les organisateurs conformément à la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques au Cameroun (cas de La Grande Palabre, une rubrique de Germinal), le respect des directives du préfet du Mfoundi selon lesquelles « les manifestations publiques à caractère vindicatif et/ou revendicatif sont et demeure interdites sur toute l’étendue du département du Mfoundi », le trouble potentiel à l’ordre public, l’absence de déclaration préalable alors que les réunions se tiennent dans des lieux privés, les sièges des organisations de la société civile, des partis et formations politiques sur invitation personnalisée et ne sont pas ouvertes au public (cas de la Centrale syndicale du secteur publique (Csp) et du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le fichage de certains partis politiques auxquels il est strictement interdit de délivrer les récépissé de déclaration de réunion et de manifestations publique (cas du Cameroon People’s Party (CPP), le soutien affiché à une faction ou à une tendance d’un parti politique (Cas de l’UPC des fidèles)
Il se trouve paradoxalement que certains parmi ceux qui sont ostracisés à un endroit, reçoivent sans difficulté majeure à un autre endroit ou dans une autre ville, et pour le même objet, des récépissés de déclaration de réunions ou de manifestations publiques. Il n’est pas rare d’être en présence des sous-préfets qui se contredisent et tentent maladroitement de se justifier. L’échange téléphonique ci-dessous entre le point focal de La Grande Palabre le sous-préfet de Yaoundé 1, Jean-Paul Tsanga Foé en est une illustration patente. « Ce n’est pas le préfet, c’est venu plus haut. […] chaque médaille a toujours son revers. […] Allez voir le ministre de l’AT . Allez voir le Premier ministre. S’ils me donnent des instructions de lever, je lève. […] Je vous donne souvent des autorisations, non ! Donc, je n’ai pas de problème particulier avec vous. […] Vraiment, pour ça, je n’ai aucun problème personnel avec vous. Moi, je ne veux pas faire de commentaire par rapport à tout çà […]. Allez voir le ministre de l’AT, le préfet…bon. J’ai une hiérarchie.»
Il est également révélateur des manœuvres souterraines des ministres et responsables du RDPC pour empêcher l’expression plurielle.
Etienne Lantier


Loi n°90/055 du 19 décembre 1990, portant régime des réunions et des manifestations publiques (extraits)

Chapitre I
Dispositions générales
Article premier : Le régime des réunions et des manifestations publiques est fixé par les dispositions de la présente loi.

Chapitre II
Des réunions publiques
Art. 2. - A un caractère public, toute réunion qui se tient dans un lieu public ou ouvert au public.
Art. 3.- (1) Les réunions publiques, quel qu’en soit l’objet, sont libres.
(2) Toutefois, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable.
(3) Sauf autorisation spéciale, les réunions sur voie publique sont interdites.
Art. 4. (1) La déclaration visée à l’article 3 al. 2 ci-dessus est faite auprès du chef de district ou du sous-préfet sur le territoire duquel la réunion est prévue trois jours francs au moins avant sa tenue.
(2) Elle indique les noms, prénoms et domicile des organisateurs, le but de la réunion, le lieu, la date et l’heure de sa tenue, et doit être signée par l’un d’eux.
(3) L’autorité qui reçoit la déclaration délivre immédiatement le récépissé.
Art. 5. - (1) Toute réunion publique doit avoir un bureau composé d’au moins trois personnes chargées de maintenir l’ordre, d’empêcher toute infraction aux lois, d’interdire tout discours contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, ou de nature à inciter à la commission d’actes qualifiés crime ou délit.
(2)L’autorité administrative peut déléguer un représentant pour assister à la réunion.
Seul le bureau peut suspendre ou arrêter la réunion. Toutefois, en cas de débordement, le représentant de l’autorité administrative, s’il est expressément requis par le bureau, peut y mettre fin.

Chapitre III
Des manifestations publiques
Art. 6.- (1) Sont soumis à. l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique.
(2) Dérogent à l’obligation visée à l’alinéa 1er les sorties sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou religieux
Art. 7. - (1) La déclaration prévue à l’article 6 ci-dessus est faite au district ou à la sous-préfecture où la manifestation doit avoir lieu, sept jours francs au moins avant la date de ladite manifestation.
(2) Elle indique les noms, prénoms et domicile des organisateurs, le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement et, s’il y a lieu, l’itinéraire choisi, et est signée par l’un d’eux faisant élection de domicile au chef-lieu ou de l’arrondissement ou du district.
Art. 8. - Le chef de district ou le sous-préfet qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement récépissé.
(2) Toutefois, s’il estime que la manifestation projetée est de nature à troubler gravement l’ordre public, il peut, le cas échéant :
- lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire ;
- interdire par arrêté qu’il notifie immédiatement au signataire de la déclaration au domicile élu.
(3) En cas d’interdiction de la manifestation, l’organisateur peut, par simple requête, saisir le président du tribunal de grande instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai de 8 jours de sa saisine, les parties entendues en chambre du conseil.
(4) Cette ordonnance est susceptible de recours dans les conditions de droit commun.


Des sous-préfets avides d'amalgames fallacieux

Ils ne sont pas à court de motifs pour interdire les réunions et manifestations publiques. Ils entretiennent à dessein et pour les besoins de la cause l’amalgame
D’après la loi, les réunions et manifestations publiques sont placées le régime de déclaration. Sur le terrain quand les autorités administratives n’évoquent pas l’argument perfide et pernicieux de « troubles à l’ordre public », elles transforment la déclaration faite en une demande d’autorisation. Généralement, ils interdissent les réunions et manifestations publiques en adressant une correspondance au signataire de la déclaration dans laquelle ils écrivent : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que malgré un examen bienveillant de votre demande, il ne m’a pas été possible d’y répondre favorablement ». Cette manœuvre, cousue de fil blanc, n’échappe pas à la vigilance d’un observateur averti. Cet amalgame nauséabond et mensonger volontairement entretenu par les sous-préfets n’est pas anodin. Elle vise à leur donner le pouvoir d’accepter ou de ne pas accepter, c’est-à-dire d’interdire. Pourtant, la jurisprudence constante établit clairement la différence entre une demande d’autorisation et une déclaration.
Dans l’affaire Ministère public contre Jean-Marc Bikoko et Cie, la juge Yvonne Léopoldine Akoa avait levé toute équivoque dans le verdict rendu en son audience du 5 mars 2012 en indiquant : « Attendu que la manifestation publique telle que visée par l’alinéa (1er) de l’article (6) de la loi 90-55 est une liberté d’expression qui consiste pour un groupe de personnes, d’user de la voie publique, de façon itinérante ou statique, afin d’exprimer collectivement et, publiquement, par leur présence, leur attitude, leurs cris, une volonté commune ou une opinion, à travers des cortèges, défilés, marches et, rassemblement à l’exclusion des manifestations conformes aux usages locaux, manifestations folkloriques, processions religieuses ou commémorations ;
Que ce même alinéa astreint la manifestation ainsi définie à la formalité obligatoire de la déclaration préalable auprès de [‘autorité administrative compétente ;
Qu’à la différence du système de l’autorisation préalable où on ne peut exercer une liberté d’expression qu’après avoir demandé et obtenu la permission de l’administration, avec le système de la déclaration préalable, l’autorité ainsi informée en aucun cas, n’a à autoriser, ou à refuser d’autoriser, l’exercice de l’activité envisagée : (“Libertés Publiques et Droits de l’Homme”, 4ème édition, Gilles Lebreton, page 175);
Qu’il s’agit non pas d’une demande portée à l’attention de l’autorité administrative, mais d’un simple avertissement.»

Cette position du tribunal est partagée par la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (CNDHL) qui, dans son rapport, écrit : « La CNDHl a noté, pour le déplorer, que l’amalgame persiste quant au régime de déclaration et d’autorisation. Cet amalgame est entretenu par les autorités administratives qui ne notifient généralement pas les demandeurs, de l’interdiction des manifestations publiques dans les formes prévues par les lois et qui évoquent systématiquement l’argument de troubles à l’ordre public pour justifier l’interdiction. En effet, il faut relever que le système d’autorisation préalable requiert l’obtention d’une permission de l’administration, alors que celui de la déclaration préalable autorise directement la manifestation. »
Face à cet excès de pouvoir, les organisateurs ont le choix entre annuler leur activité ou se tourner vers la justice dont le verdict s’impose à tous. Mais, les longues procédures de la justice administrative, plus généralement les lenteurs judiciaires ne les incitent pas à ester les autorités administratives devant les tribunaux, instances habilitées à dire le droit et à sanctionner les excès de pouvoir des autorités administratives.
Serge-Alain Ka’abessine


Retour déguisé de l'ordonnance 62 réprimant la subversion

L’argument de l’ordre public est constamment utilisé pour renforcer la pensée inique.
La loi n°90 /055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques est constamment manipulée pour ne pas dire violée par les acteurs proches du système en place. Si le chapitre I détermine en son article premier le régime des réunions et des manifestations publiques, moult observateurs de la société civile s’offusquent du fait que les sous-préfets et préfets jouent le jeu du pouvoir liberticide.
Pour appréhender l'évidence de cet acte liberticide et de ce cas d’excès de pouvoir par détournement de pouvoir, il convient de rappeler que la loi sus-visée, spécifiant le régime des réunions publiques, dispose :
« Article 3(1) les réunions publiques quel qu'en soit l'objet, sont libres ;
(2) Toutefois elles doivent faire l'objet d'une déclaration préalable ;
Article 4(3) l'autorité qui reçoit la déclaration délivre immédiatement le récépissé ; Article 5(3) seul le bureau peut suspendre ou arrêter la réunion. Toutefois en cas de débordement, le représentant de l'autorité administrative, s'il est expressément requis par le bureau, peut y mettre fin. »

Il s'évince de ces textes que pour toute personne physique ou morale la tenue d'une réunion publique est libre à la seule et unique condition d'en faire la déclaration préalable à l'autorité administrative territorialement compétente ;
De plus, il n’apparaît nulle part dans cette loi qu’une autorité administrative a le pouvoir d’interdire une réunion publique.
D’après la loi, l’autorité administrative doit se borner à délivrer à son organisateur le récépissé de sa déclaration et y envoyer, s'il échet, un représentant. Et dans tous les cas, l'autorité administrative ne peut suspendre ou arrêter une réunion publique que s'il y a débordement et si, par ailleurs, elle est expressément requis par le bureau de l’organisation ;
On comprend l’inquiétude qui a envahi des membres de la société civile, des partis politiques tels que le Mrc, le Cpp qui sont violentés lorsqu’ils organisent des activités politiques.
En avril 2016, les responsables et militants du Mrc ont, en vain, plaidé leur cause auprès du ministre de l’Administration territoriale. Depuis avril, les cadres du Cameroon People’s party (Cpp) ont décrété un vendredi noir pour s’insurger contre la répression policière. Bergeline Domou, militante du Cpp, affirme pour sa part qu’au « Cameroun, les lois sont une chose et leur respect et applications sont une autre chose, une autre chose loin de la réalité des textes. On est dans un contexte où tous ceux sensés appliquer la loi sont ceux qui la violent outrageusement, ouvertement et en permanence. Le système de gouvernance étant totalement foireux, cela ne peut donner lieu qu’à cet état de chose. Ce qui fait que les libertés publiques sont en périls au Cameroun ». Elle ajoute : « Il est désormais difficile, voire impossible pour tout politicien, activiste évoluant dans une sphère que celui du parti au pouvoir de faire son travail politique. Les interpellations, arrestations, harcèlement, interdictions, enlèvement animent désormais l’espace public comme au plus fort de l’Ordonnance 62 du temps d’Ahidjo. La seule issue de sortie de ce renfermement de l’espace public camerounais est très simple : changer de système ». D’après elle, l’argument de trouble à l’ordre public est un prétexte pour museler les partis politiques de l’opposition. Et de poursuivre : ceux qui sont responsables de cette situation ne sauraient le résoudre ou alors libérer cette espace. Une fois de plus et cela devrait être le cas à chaque qu’il est question de son destin, les Camerounais, de son point de vue, doivent dire non à cette forfaiture, c’est à eux de refuser de devenir des zombies dans un pays où nous avons tout pour être heureux. « Dites Non, agissez dans ce sens, rejoignez les groupes qui agissent dans ce sens, rejoignez Stand up For Cameroon, Portez le Noir tous les vendredis, mettez le Cameroun dans vos prières dans les mosquées, les églises, chapelles et tous lieux de prières. Comme l’a dit Sankara SEULE l’ACTION LIBERE », martèle-t-elle.
Yvan Eyango


Comment le dauphin, René Sadi, ménage sa monture

De plus en plus cité comme étant le dauphin du Prince, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minadt) passe à la deuxième phase de sa stratégie qui consiste à transformer progressivement le Cameroun en un État-liberticide, au cas où…
Pour ses thuriféraires, René Sadi est incontestablement le prochain président du Cameroun. Dans leur argumentaire, ceux-ci soutiennent qu’il est le fils spirituel caché d’Ahmadou Ahidjo. Ce faisant, plus que tout autre candidat du RDPC, il peut compter éventuellement sur une certaine classe politique française nostalgique d’Ahidjo, mais aussi sur le soutien des islamo-peuls du groupe géopolitique baptisé Grand Nord. Il y a étudié et parle bien le peulh. Un atout majeur qui se greffe à celui de la situation géographique de son Yoko natal situé à équidistance du nord et du sud, et à l’embastillement du comité central et du bureau politique du RDPC du temps où il était secrétaire général. Même s’il éprouve quelques difficultés à imposer ses hommes au poste de gouverneurs ainsi qu’au niveau des services centraux de son ministère, toujours est-il que le successeur Sadi tisse sa toile au niveau de la préfectorale et peut compter sur la puissance financière du groupe Bocom dont on dit à tort ou à raison qu’il sera le parrain de l’ombre. La prorogation récente des carrières de plusieurs préfets et sous-préfets est présentée au Minadt comme prime de fidèlité offerte par le successeur Sadi à ses obligés d’un genre nouveau. Elle participe de sa stratégie de conquête du pouvoir, même si les stratèges de Paul Biya veulent instrumentaliser cette mesure pour la présidentielle anticipée. Cette mesure est de tout même curieuse, au moment où les fonctionnaires se retrouvant dans la même situation sont appelés sans manière à faire leurs droits à la retraite.
Tout ceci mis ensemble contribue à renforcer ce que ses contemplateurs nomment Avantage Sadi. Rien de surprenant donc que la phase 2 du renforcement de son avantage soit orientée vers l’élimination de ses adversaires possibles et potentiels à son plan. Tel est, nous semble-il, l’enjeu de l’État liberticide qui se met progressivement en place au Minadt, sous l’ère Sadi. Ce qui amuse dans ce jeu, c’est l’hypocrisie qui consiste à présenter ses différentes actions contre l’exercice des libertés publiques comme une preuve de sa fidélité supposée au régime de l’homme du Renouveau.
Le futur président de la République ne se laisse pas aborder par les sans-dents. Pour le rencontrer facilement, il faut être soit un collègue du gouvernement, soit un diplomate accrédité au Cameroun, soit quelqu’un de son cercle restreint. Les plus chanceux parmi les sans-dents et autres va-nu-pieds qui ont été reçus en audience ont dû atteindre un, voire deux ans après avoir introduit leurs demandes d’audience, celles des indésirables et autre pestiférés étant simplement jetées aux calendes camerounaises.
Alors même que l’homme tisse sa propre toile, comme Amadou Ali hier avec l’arme de l’Épervier, et d’autres dauphins dont la longévité aux affaires n’est pas nécessairement liée à la compétence, mais plutôt, est le trophée de la réussite de la duplicité.
En effet, le 9 décembre prochain, il aura passé cinq années à la tête du Minadt en survivant à deux réaménagements gouvernementaux. L’entrée et la sortie d’un gouvernement relève du « pouvoir discrétionnaire du chef de l’État ». Mais il faut être particulièrement de mauvaise foi pour dire que René Sadi ne travaille pas assez pour mériter son poste et surtout pour s’y maintenir. Tenez : en cinq ans, le magistère de l’inoxydable René Sadi est en passe de battre le record des interdictions des réunions et manifestations publiques au Cameroun. Il y a d’abord eu l’interdiction du Congrès de l’une des factions de l’Union des populations du Cameroun à Yaoundé. Quelques temps après, les autorités administratives de la capitale ont effectué un nouveau tour de vis en interdisant la réunion de lancement du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, MRC. Peu de temps avant, une marche pacifique pour protester contre le vol du bébé de Vanessa Tchatchou à l’Hôpital gynéco-Obstétrique de Yaoundé connaissait le même sort. Toujours dans la capitale, les conférences débats dénommées La Prande Palabre, organisées depuis 2011 par le journal Germinal ont été interdites par le sous-préfet de Yaoundé I. Privant ainsi les citoyens de ces échanges de haut vol qui façonnaient leur citoyenneté. Dans les régions, les choses ne vont guère mieux. Les autorités administratives multiplient les interdictions de réunions et manifestations publiques, alors que celles-ci relèvent du régime de la déclaration et non de celui de l’autorisation. Les 23 et 30 avril dernier, le sous-préfet de Bertoua Ier a interdit deux meetings du MRC en usant de l’expression fétiche et passe-partout « Trouble à l’ordre public ». Le 29 avril 2016, au cours d’une rencontre entre le président du MRC, Maurice Kamto et le patron des préfets et sous-préfets, René Sadi, ce dernier n’est pas allé par quatre chemins pour justifier la conduite de ses affidés qui, pour lui, font du bon boulot ! Et pourtant, avec sa nomination à la tête du Minadt le 9 décembre 2011, beaucoup de Camerounais de bonne foi avaient pensé que l’ancien diplomate mettrait en avant la force du dialogue et du consensus qui sont les maîtres-mots en diplomatie. C’était manifestement oublier que les trois décennies passées à l’ombre d’Ahmadou Ahidjo et Paul Biya ont fait de René Sadi un réactionnaire pur jus !
Né le 21 décembre 1948, René Emmanuel Sadi fait ses études à l’Université du Cameroun (unique à l’époque). Il entre à l’Institut des relations internationales du Cameroun et en sort diplomate. Après un bref séjour à l’ambassade du Cameroun au Caire en Égypte et au ministère des relations extérieures, il intègre la présidence de la République. On le retrouve déjà dans l’équipe de l’ombre d’Ahmadou Ahidjo. Après le jeu de chaises musicales du 4 novembre 1982, René Sadi intègre l’équipe Biya en 1985 comme directeur adjoint du Cabinet civil. Le faiseur de roi va le balader à plusieurs postes stratégiques : Secrétaire général adjoint à la présidence en 2004, Secrétariat général du comité central du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (Rdpc) en 2007, chargé de mission à la présidence et Minadt, le natif de Yoko dans la région du Centre est pressenti comme celui qui prendra la tête de ce Cameroun où la tradition veut que c’est le président en fonction qui choisisse son remplaçant. En bâillonnant tout contre-pouvoir, René Sadi joue donc sa propre partition politique. Un avenir que l’hebdomadaire Jeune Afrique et autres journaux locaux voient en rose, avec Sadi assis dans le trône présidentiel, d’Etoudi
Olivier Atemsing Ndenkop


Le panthéon des assassins des libertés publiques

1      René Emmanuel Sadi            Minadt
2      Jean-Claude Tsila                 Préfet du Mfoundi
3      Jean-Paul Tsanga Foé          Sous-préfet de Yaoundé 1
4      Locko Motassi Martin            Sous-préfet de Yaoundé IV
5      Benjamin Mboutou              Préfet du Nyong et So’o (ex-sous-préfet de Yaoundé II
6      Yamben Ousmanou            Sous-préfet de Yaoundé II
7      Emmanuel Patrice Ngolle III Administrateur civil
8      Jean-Marc Ekoa Mbarga       Sous-préfet de Douala 1er
9      Martin Nkomba Epanlo         Sous-préfet de Bertoua 1er
10    Mamadi Mahamat                Sous-préfet de Yaoundé 5
11    Saidouna Ali                       Sous-préfet de Garoua 1er
12    Nzeki Théophile                 ex-sous-préfet de Monatélé
13    Ondoa Akoa Alphonse R      ex-sous-préfet de Yaoundé III
14    Joseph Tangwa Fover         Préfet de la Mifi


Loi n°054 du 19 décembre 1990 portant maitien de l'ordre

Chapitre I
Des dispositions générales
Article premier. - La présente loi relative au maintien de l’ordre public fixe les principes d’action à observer, en temps normal, par les autorités administratives et les éléments de maintien de l’ordre en vue de préserver l’ordre public ou de le rétablir quand il a été troublé

Chapitre II
Des pouvoirs des autorités administratives
Art. 2. - Les autorités administratives peuvent, en tout temps et selon les cas, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre public, prendre les mesures ci-après :
- soumettre la circulation des personnes et des biens à des contrôles ;
- requérir les personnes et les biens dans les formes légales ;
- requérir les forces de police et de gendarmerie pour préserver ou rétablir l’ordre ;
- prendre des mesures de garde à vue d’une durée de 15 jours renouvelables dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme.

Chapitre III
De l’usage des armes
Art. 3. - (1) L’usage des armes est interdit dans les opérations courantes de maintien de l’ordre public.
(2) L’emploi du tir à blanc ou du tir en l’air est interdit.
(3) Toutefois, les grenades lacrymogènes, les bâtons et autres instruments similaires peuvent être employés, en cas de nécessité, au rétablissement de l’ordre public.
Art. 4. - (1) Nonobstant les dispositions de l’article 3 alinéa 1 ci-dessus, l’usage des armes peut intervenir sur réquisition expresse de l’autorité administrative dans les cas suivants :
a) lorsque les violences et voies de fait graves et généralisées sont exercées contre les éléments de maintien de l’ordre ;
b) en cas d’usage d’armes à feu contre les forces de maintien de l’ordre.
(2) Dans les deux cas, l’usage d’armes n’est admis que si les forces de maintien de l’ordre ne peuvent se défendre autrement et n’intervient qu’après plusieurs sommations faites par haut-parleur ou par tout autre moyen.
Art. 5. - L’usage des armes contre les éléments du grand banditisme ou des bandes rebelles armées peut intervenir sans réquisition.

Chapitre IV
Des dispositions pénales et diverses
Art. 6. - Les infractions aux dispositions des articles 3 alinéas 1 et 4 ci-dessus sont punies des peines prévues par l’article 275 du Code Pénal.
Art. 7. - La présente loi abroge toutes dispositions antérieures contraires, notamment la loi n° 59/33 du 27 mai 1959 sur le maintien de l’ordre public.
Art. 8. - La présente loi sera enregistrée, publiée selon la procédure d’urgence, puis insérée au Journal Officiel en français et en anglais.


Le cadre normatif de l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation publiques : Le Cameroun à l’épreuve des autres systèmes juridiques

Par Makougoum Agnès, Université de Ydé II

Introduction
« La liberté de réunion fait peur » . On ne pourrait en dire moins de la liberté de manifestation publique. Les libertés de réunion et de manifestation publiques sont, à l’instar des autres libertés publiques, des libertés-résistance « au service de l’individu contre l’État » . Ce sont encore et surtout, des libertés politiques par excellente. En effet, c’est principalement à elles que recours le peuple pour rappeler à l’ordre ses représentants et « agiter le spectre de la démocratie directe » . C’est ce qui fait dire à Marcel-René Tercinet que « la manifestation est l'un des moyens privilégiés par les citoyens pour affirmer leurs croyances, pour défendre leurs intérêts, voire pour renverser un régime politique [...] Son développement en matière politique ou sociale traduirait le besoin ressenti par les citoyens de revenir à la démocratie directe » . Cette dangerosité va bien au-delà de la simple théorie. L’empirisme contribue à conforter cette idée. Les gouvernants ont par expérience toujours eu peur de la liberté de réunion et de manifestation publiques. Il est difficile de leur en vouloir. La révolution française de 1789 a éclaté à partir de l’exercice de ce droit. En effet, cette liberté n’est guère consacrée sous ce qu’on a appelé en France, « l’ancien régime ». Théoriquement, il fallait une autorisation du Roi pour qu’elle s’exerce. Sa reconnaissance législative n’est alors nulle part consacrée. C’est par le système de « club »  qui en fait cachait de véritables réunions publiques que naissent les pensées de lumières, les pensées révolutionnaires qui vont avoir raison de la monarchie de la IIème République. Bien qu’elle soit en France consacré par un décret du 14 décembre 1789 et par la Constitution de 1791, il faudra attendre les lois du 30 juin 1881 et du 28 mars 1907 pour que la « monarchie de juillet »  aménage enfin cette liberté. Les vainqueurs attendaient de consolider leur pouvoir avant de mettre à la disposition des citoyens les armes qu’ils avaient eux-mêmes utilisés… De manière traditionnelle, on associe la liberté de réunion et la liberté de manifestation publique . Si elles présentent de fortes ressemblances, notamment au regard de leurs fins et de leur régime juridique, c’est une erreur de les assimiler. Le législateur camerounais ne donne pas une définition de la réunion publique. Il se contente de relever que, « a un caractère public, toute réunion qui se tient dans un lieu public ouvert au public ». Une réunion est un groupement momentané de personnes qui est organisé en vue d’entendre l’exposé d’idées ou d’opinions, ou de se concerter pour la défense d’intérêt. Par-là, elle se distingue de trois choses qui lui sont voisines. Premièrement, elle se distingue par sa durée de l’association qui n’est pas momentanée, mais plus durable. Deuxièmement, elle se distingue par son organisation des attroupements spontanés qui ne sont pas organisés. Troisièmement, elle se distingue par son objet des spectacles qui recherche plutôt la distraction du public. La liberté de réunion est donc le droit qui est reconnue à chaque individu de s’assembler avec autrui  de manière circonstancielle et non permanente et dont l’objet est la réception, la transmission ou le partage des idées ou des opinions. Si au Cameroun, le législateur spécifie la réunion publique qui serait distincte d’une autre qui serait privé , il n’indique pas les éléments de la distinction. En se référant par exemple au cas de la France, on constate que le critère de distinction est la forme de l’invitation. On y considère alors depuis l’affaire Larcy  que si l’invitation est générale et donc anonyme, il s’agit d’une réunion publique. Si par contre l’invitation est personnelle et nominative, il s’agit d’une réunion privée. La spécificité de la manifestation publique par rapport à une autre qui serait privée est également à faire. Comme pour la réunion publique, le législateur camerounais ne définit pas les manifestations publiques. Il se contente préalablement d’une énumération des manifestations qu’il complète avec une clause générale. L’article 6 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques dispose dans ce sens que « sont soumis à l’obligation de déclaration préalable tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique ». On peut constater que la loi camerounaise de 1990 n’établit pas une distinction claire, premièrement entre les manifestations et les attroupements, et secondement entre ce qui est réunion publique de ce qui est manifestation publique. D’autres systèmes juridiques, sans apporter une distinction claire, offrent tout de même quelques pistes. Pour le premier point, il est établi que la manifestation publique diffère de l'attroupement qui constitue un rassemblement improvisé des personnes sans but commun et qui présente des risques de trouble à l'ordre public. Dans ce sens, il se caractérise par son improvisation et sa désorganisation. Pour le second cas, le décret-loi 196 du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions publiques au Congo indique dans son article 2 alinéa 2 que les réunions publiques sont « des rassemblements sédentaires d'au moins 2 personnes ne comportant aucun mouvement continu de déplacement d'un lieu à l'autre ». Si le même décret ne définit pas explicitement les manifestations publiques, il permet de conclure a contrario des réunions publiques qu’elles sont des rassemblements en déplacement continu, comme les marches, les défilés, les cortèges, les cérémonies d'accueil, les processions politiques, culturelles ou religieuses. Les manifestations publiques peuvent donc être définies comme des « rassemblements de personnes qui utilisent la voie publique pour exprimer une volonté collective » . Dans ce sens, elles peuvent être constitutives de grèves. La grève n’est ni une réunion publique, ni une manifestation publique. Ces dernières ne sont que des moyens que peuvent utiliser les grévistes pour se concerter et pour exprimer une volonté collective. C’est donc dire que si le droit de grève rencontre les libertés de réunions et de manifestations publiques, il ne s’y épuise pas et vice versa. La grève est la cessation de travail décidée en vue d’appuyer des revendications professionnelles. C’est un droit reconnu aux travailleurs dans les différents systèmes juridiques, qu’ils s’agissent de travailleurs du secteur privé ou de fonctionnaires. Le droit de grève, tout comme les libertés de réunion et de manifestation publiques sont des droits que les États dits « libéraux » consacrent généralement dans leur Constitution. C’est le cas par exemple du Cameroun , de la France , de l’Italie , du Benin , du Portugal  ... En se situant dans l’approche du Doyen Favoreu, on peut alors conclure qu’il s’agit des droits fondamentaux. Ce qui signifie qu’il s’agit de droit qui font l’objet d’une protection renforcée qui traverse tout l’ordre juridique . Seulement, la consécration des libertés publiques ne suffit pas à rendre compte de la protection de ces droits. Comme le souligne Keba Mbaye, pour connaitre le niveau de protection d’un droit, on ne saurait se situer seulement au niveau de sa reconnaissance constitutionnelle ou internationale. Il est pour cela important de visiter leur aménagement législatif . Le régime des libertés publiques relève très généralement dans les systèmes juridiques de la compétence du pouvoir législatif . Pour le cas des libertés de réunion et de manifestation publiques, une fois qu’elles sont consacrées, le législateur doit décider des dispositions relatives à leur exercice. Pour cela, il a le choix. D’une part, il peut choisir de soumettre ces libertés soit au le régime répressif, soit au régime préventif. Ce sont les deux formes d’aménagement de l’exercice des libertés publiques. Le régime répressif est plus libéral, contrairement à la première impression. Il est plus prisé par les libéraux parce qu’il laisse la liberté s’exprimer librement, « quitte à sanctionner, après coup, les abus qu’elle pourrait commettre en s’exerçant » . C’est le cas par exemple en France pour la liberté de réunion publique dont l’exercice n’est soumis à aucune autre condition que l’information. C’est encore et surtout le cas des États Unis d’Amérique où les libertés s’expriment sans condition préalable, quitte à ceux qui les exercent de répondre des conséquences qui pourraient en suivre. C’est tout le contraire du régime préventif. ce dernier fixe les règles préalables à l’exercice des libertés et permet ainsi d’anticiper sur la survenance d’une éventuelle atteinte à la paix. Il se présente donc, en comparaison avec le régime répressif, comme celui qui est le moins favorable aux libertés publiques. C’est l’option du Cameroun relativement à la liberté de communication audiovisuelle. Pour Pierre Paul TCHINDJI, lorsque le législateur veut restreindre la jouissance de la liberté du citoyen, il adopte le régime préventif . D’autre part, le législateur peut refuser de choisir et soumettre les libertés aux deux régimes. C’est le cas du Cameroun. Le législateur camerounais a procédé à un cumul de ces deux régimes pour ce qui est des libertés de réunions et de manifestation publiques. Un cadre de prévention des troubles à l’ordre public est aménagé de même qu’un cadre de répression des troubles éventuels qui pourrait survenir de l’exercice des libertés publiques. Une réflexion axée sur l’exercice des libertés publiques implique dès lors d’aborder exclusivement le cadre préventif des libertés de réunion et de manifestation publiques. Le régime préventif est constitué de procédés qui sont en fait des conditions. On répertorie de manière classique trois procédés : l’autorisation administrative, la déclaration préalable et dans une certaine mesure l’information.
Tout d’abord l’autorisation administrative est un acte de police administrative qui autorise une activité en fixant les conditions de leur exercice ou de réalisation tout en permettant à l'administration une surveillance. L’autorisation exige donc une action. C’est le procédé d’habilitation des libertés le plus autoritaire. Ensuite, la déclaration préalable est le procédé qui consiste pour les personnes désireuses d’exercer une liberté publique à informer l’administration de ce qu’elles feront. Elle s’analyse « en une information des autorités publiques » . Mais si on est facilement d’accord sur l’unicité de la notion de déclaration préalable, la multiplicité de ses applications jette généralement un trouble sur sa catégorisation, pourtant nécessaire. En fonction donc de ces applications, la déclaration préalable offre tantôt le visage de l’autorité, tantôt le visage de la liberté totale. C’est ce qui fait dire à M. P-M. Martin que « la déclaration préalable se situe quelque part entre le régime de la liberté totale –qui peut s’exercer sans que nul ne doive en être préalablement informé- et celui de l’autorisation pure et simple » . Enfin, l’information consiste à tenir l’administration informée de l’activité à exercer. Elle présente de fortes constances avec la déclaration préalable. Mais s’en distingue bien. L’information peut être faite par tout moyen. Elle n’emporte donc pas toutes les conditions relatives à l’identité, à la présence d’une autorité administrative…
L’État de droit qui aujourd’hui se situe dans une logique plus substantielle que formelle exige de la part des États un régime plus respectueux des droits et des libertés publiques. Dans ce sens, les pays qui s’en revendiquent optent pour le régime de la déclaration ou de l’information pour les libertés de réunion et de manifestation publiques. Les pays moins libéraux optent normalement pour un régime le plus restrictif de l’exercice de ces libertés, à savoir l’autorisation. Comment se présente la législation camerounaise relative à l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques face aux autres systèmes juridiques ? Autrement dit, Comment se positionne le cadre normatif camerounais relatif à l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation publique par rapport aux autres systèmes juridiques ? C’est une question importante. L’étude du régime des libertés de réunion et de manifestation publiques dans un système donné ne permet pas de le classer facilement dans les grandes catégories existantes. Cette étude en confrontation avec d’autres permet de relever les constances et les variables existantes avec les autres systèmes juridiques. Ce travail de comparaison permet de savoir si, par son régime des libertés, le Cameroun est plus proche des États autoritaires que des États libéraux. Une approche historique dans une telle étude n’aurait pas été dénuée de pertinence. Elle aurait certainement débouché sur les conclusions qu’on eut certains auteurs sur la situation de ces libertés avant et après 1990. Il aurait été donc possible de dire qu’avant cette année où vont être revu le régime des principales libertés publiques, le Cameroun se rapprochait davantage des régimes autoritaires, mais qu’après 1990, ce pays se rapproche davantage des régimes libéraux. Une telle approche, pour pertinente qu’elle puisse paraitre laisserait de côté un certain nombre d’écueils qui demeure dans le dispositif normatif camerounais relatif à l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publique. Une appréhension du droit en vigueur parait dans ce sens plus intéressant. L’analyse de l’état du droit permet de faire le constat selon lequel le Cameroun a une position ambivalente autant par rapport aux États de police qu’aux États de droit. Mais il s’agit d’une position ambivalente inversée. D’une part, le Cameroun se rapproche d’avantage des Etats libéraux que des Etats autoritaires pour ce qui concerne les conditions d’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques (I). D’autre part, le Cameroun se rapproche d’avantage des régimes autoritaires que des régimes libéraux pour ce qui concerne le contrôle de l’exercice de ces libertés (II).

I- Une position ambivalente pour les conditions d’exercice
L’option des procédés, conditions d’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques par le législateur camerounais d’avant 1990 est celui de l’autorité. Mais lors de la célèbre cession des libertés, il va opérer une mutation attendue au regard du discours libéral ambiant. L’exigence de l’autorisation administrative va disparaitre pour céder sa place à une condition plus libérale, à savoir la déclaration préalable. Par cette mutation le Cameroun prend des distances avec les Etats de police (A) et se rapproche davantage des Etats de droit (B).

A- L’asymétrie avec les régimes de police
Les régimes de police se distinguent des Etats de droit. Il ne s’agit guère des Etats de non droit, mais plutôt des Etats où le droit est instrumentalisé pour servir le pouvoir. Les droits et les libertés n’y tiennent donc qu’une place congrue. S’ils sont consacrés, leur exercice n’est pas des plus aisé. Pour s’assurer une main mise sur les principales libertés-résistances comme les libertés de réunion et de manifestation publiques, ces Etats les soumettent à la condition de l’autorisation administrative et minorent et même négativent les conditions plus libérales.

1- La perpétuation d’un procédé autoritaire : L’autorisation
Soumettre l’exercice des libertés publiques sous le régime de l’autorisation n’a absolument rien d’anormal étant entendue que les libertés doivent toujours être conciliées avec les nécessités de l’ordre public. C’est pour cette raison que dans presque tous les systèmes juridiques il est admis qu’en période de crise, les libertés publiques soient soumises à cette condition. Dans certains cas d’ailleurs, les libertés publiques peuvent purement et simplement être suspendues lorsque cela est nécessaire pour la paix publique. Mais elle devient pernicieuse lorsqu’elle est utilisée comme prétexte pour permettre au pouvoir de contrôler toutes les activités des citoyens. C’est ce qu’on a pu constater au Cameroun et même dans plusieurs pays d’Afrique francophone après leurs indépendances. La consolidation de l’idéologie de la construction nationale imposait un control sur toutes les activités libérale afin d’éviter la formation des groupes sécessionnistes. L’autorisation était alors le procédé de principe pour l’exercice des libertés publiques. Elle se classe dans la catégorie des moyens qu’utilisent les pouvoirs publics aux heures brulantes de l’idéologie de la construction nationale pour sa promotion  . C’est généralement une procédure longue et dissuasive qui démotive ceux qui veulent s’y aventurer. Si après leur indépendance, la plupart des pays africains y ont renoncé pour ce qui est des libertés de réunion et de manifestation publiques, il reste que plusieurs pays dans le monde la maintiennent. C’est le cas de l’Algérie. La loi algérienne n°89/28 du 31 décembre 1989 relative aux réunions et manifestations publiques modifiée par la loi n°91/19 du 2 décembre 1991 prévoit certes comme condition d’exercice de la liberté de réunion la déclaration préalable . Mais pour les manifestations publiques, cette loi pose la condition de l’autorisation administrative . C’est également le cas du Congo-Kinshasa qui pose comme condition d’exercice de la liberté de manifestation sur la voie publique, la condition de l’autorisation préalable. Une loi signée le 24 novembre en Egypte soumet toutes manifestations publiques à l’obligation d’obtenir une autorisation du ministère de l’intérieur.
Bien entendu, l’option du procédé de l’autorisation pour l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation publiques induit la renonciation au procédé plus libéral de la déclaration ou de l’information préalable. C’est une logique qui n’est pas toujours constante. Certains Etats posent, à côté du procédé de l’autorisation qui est le principe, le procédé de la déclaration. Il s’agit donc dans ce cas, non pas de la négation des conditions libérales, mais de leur minoration.

2- La négation-minoration des procédés libéraux : La déclaration

Les Etats de police, lorsqu’ils ne minorent pas, négativent les procédés de la déclaration et de l’information préalable. On note donc que dans certains systèmes juridiques il y a une cohabitation des conditions de l’autorisation et de la déclaration. Cela n’est rendue possible que dans la distinction que certains Etats opèrent, pour la réunion, entre ce qui est réunion publique et ce qui est réunion privée et au niveau de liberté de manifestation publique, entre ce qui est manifestation sur le domaine public et manifestation sur la voie publique. C’est le cas du Congo. Dans ce pays, le législateur soumet les manifestations qui s’exerce sur le domaine public à la condition de la déclaration préalable et celles qui s’exercent sur la voie publique à la condition de l’autorisation. C’est le principe. Mais le décret-loi n°196 du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions publiques prévoit par ailleurs que même pour les manifestations qui s’exercent sur le domaine public, l’autorité administrative puisse demander qu’elle soit soumise à une autorisation. Dans ce cas, il ne revient pas aux organisateurs de celles-ci de la demander motu proprio, comme dans le cas de la déclaration. Il faut que l'autorité compétente soumette la manifestation en question à une autorisation préalable, soit à l'occasion de la déclaration préalable, soit dans un acte d'application du décret-loi connu du public . Le décret-loi ne fixe pas les conditions qui doivent être réalisées pour exiger une autorisation préalable. Il ne définit pas non plus la forme de la déclaration préalable ou de l'autorisation préalable. C’est dans ce sens que certains on pu conclure qu’on pourrait y trouver « une délégation implicite à l'autorité d'application » .
Si le Cameroun se démarque au niveau des conditions d’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques des États de police, par contre, il se rapproche des États de droit.

B- La symétrie avec les régimes d’État de droit
Le Cameroun a opté pour l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques, le procédé de la déclaration préalable. Par-là, il se rapproche du principe dans les États libéraux, même si certains vont plus loin dans la facilitation de l’exercice de ces libertés.

1- L’adoption d’un procédé médian : la déclaration
La loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques pose la déclaration préalable autant pour la première que pour la seconde comme la condition de principe pour leur exercice. L’article 3 dispose que « les réunions publiques, quel qu’en soit l’objet sont libres, toutefois, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable ». L’article 6 dispose pour sa part que « sont soumis à l’obligation de déclaration préalable tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique ». En matière de réunion publique, le législateur pose une exception en ce qui concerne les réunions sur la voie publique. Elles ne sont soumises à la condition de l’autorisation administrative que de manière spéciale. En principe, elles sont toutes interdites. Pour les manifestations publiques sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou religieux, la loi de 1990 les rend complètement libres. C’est donc un aménagement libéral qui rejoint en cela bien des États libéraux. Par exemple, en France, les manifestations qui sont « conformes aux usages locaux » sont complètement libres. Seules celles qui ne s’y exerce pas qui sont soumises à l’obligation de déclaration préalable trois jours au moins avant la manifestation auprès du préfet ou du maire. C’est le même régime au Burkina Faso où la loi du 22/97/AN du 15 décembre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation publique indique que pour l’exercice de ces deux libertés, les organisateurs n’ont besoin de faire qu’une simple déclaration préalable auprès des autorités administratives compétentes. C’est la même chose au Sénégal. L’exercice de la liberté de réunion de même que celle des manifestations publiques est soumise à la simple condition de la déclaration.

2- La répulsion d’une totale liberté : l’absence de déclaration
Bien qu’il se soit rapproché des États libéraux en posant pour seule condition à l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques une simple déclaration préalable, il reste que le Cameroun a évité de laisser une totale liberté au citoyen dans l’exercice de ces libertés. En effet, la déclaration préalable lui permet d’être renseigné assez tôt sur la tenue de réunions ou de manifestations publiques afin de pouvoir réagir rapidement en les interdisant si des menaces de troubles à l’ordre public se présentent éventuellement. En effet, malgré qu’il y ait délivrance d’un récépissé au moment du dépôt de la déclaration, il reste que l’autorité administrative peut prendre des mesures d’interdiction, s’il estime que la réunion ou la manifestation publique déclarée peut entraver la paix publique. Seulement, certains États libéraux ont depuis longtemps exempté la liberté de réunion publique de l’obligation de la déclaration. C’est le cas de la France. La loi du 30 juin 1881, soumettait les réunions publiques à l’obligation de déclaration préalable. Seulement, la loi du 28 mars 1907 va abroger cette exigence. L’exercice de la liberté de réunion publique n’est donc, depuis cette date, soumise à aucune condition préalable. Trois obligations sont justes faites à leur propos. Premièrement qu’elles n’aillent pas au-delà de 23 heures. Deuxièmement, chaque réunion doit avoir un bureau composé d’au moins trois personnes qui ont la charge de maintenir l’ordre. Troisièmement, ces réunions doivent accepter la présence « éventuelle » d’un fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire.
Le Cameroun a donc mis en place pour l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques des conditions qui se rapprochent davantage de ceux des États de droit que de ceux des États autoritaires. Il a donc une position ambivalente à l’égard des autres systèmes juridiques. On peut en dire autant du contrôle de l’exercice de ces libertés. Seulement, la position est ambivalente dans le sens inverse.
Une position ambivalente pour le contrôle de l’exercice
L’exercice des libertés de réunion et de manifestation publique est soumis à un contrôle administratif. Que cet exercice ne soit placé sous aucune condition, qu’il soit placé sous la simple condition de la déclaration ou de celle plus complexe d’autorisation, il reste toujours à l’administration un pouvoir de contrôle. Ce pouvoir de contrôle irréductible trouve sa légitimité dans l’impérativité de la préservation de l’ordre public. L’ordre public recouvre trois choses. Il s’agit premièrement d’un état : C’est l’état de paix. Il s’agit deuxièmement d’une norme : celle qui octroie de large pouvoir à l’administration. Il s’agit enfin d’une valeur : celle de la permanence et même de la survie de l’État. L’ordre public est donc un impératif catégorique dans toute société des hommes. C’est pour cette raison que les autorités administratives de police gardent toujours un pouvoir d’intervention dans l’exercice des libertés publiques, et surtout, celles de réunion et de manifestation publiques qui sont plus susceptible d’enfreindre l’ordre. Elles peuvent à ce propos, prendre des actes d’interdiction. Mais l’ordre public est surtout et avant tout un concept floue qui peut donner lieu à des interprétations et appréhensions les plus hétéroclites. Il revient donc au juge de contrôler ces mesures administratives limitatives des libertés. On constate donc que le contrôle qui est exercé au Cameroun sur les libertés de réunion et de manifestation publiques se rapproche davantage des régimes autoritaires (A) que des régimes libéraux (B).

A- La symétrie avec les régimes autoritaires

L’analyse du contrôle de l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation publiques au Cameroun permet de constater qu’il y a une certaine instabilité du motif des actes qui les restreignent et une fébrilité du contrôle juridictionnel de ces actes.

1- L’instabilité du motif des actes de restriction de l’exercice
Sous d’émouvante consécration des libertés de réunion et de manifestation publiques, se cachent dans plusieurs Etats de véritables régimes d’autorités. Cette autorité se manifeste principiellement dans l’indéterminabilité du motif que la loi indique comme légitimant la restriction de ces libertés : l’ordre public. Le Professeur Bernard Raymond Guimdo parle de notion changeante, redoutable entre les mains de l’administration . M. Jean-Calvin. Aba’a Oyono s’interroge : « Cette notion est-elle suffisamment interprétée pour recevoir une application indiscutable? » . En France comme au Cameroun, autant que dans bon nombre de pays, le législateur évite de définir cette notion. Devant cette réserve, on s’attendrait à ce que le juge, la bouche de la loi, qui est en contact direct avec les justiciables s’en charge. Mais comme le constate fort opportunément le Professeur Bernard Raymond Guimdo, « le législateur n’a posé qu’une règle générale régissant les mesures de police, c’est en réalité au juge qu’incombe la tache de rendre la règle légale déterminant l’étendue du pouvoir de police » . « L’ordre public ne recouvre pas une notion préexistante. C’est le juge qui doit trouver sa substance » . L’ordre public est une notion changeante. Elle est fuyante. Elle renvoie à une formule « aux aspects multiples » . La notion présente tellement de contingence et de relativité qu’on se pose la question de savoir s’il est possible d’y « rencontrer un peu d’universel et de permanent » . C’est une notion « ouverte, prête à s’enrichir de tout imprévu des faits et du devenir » . Il semble alors qu’il soit de l’essence de cette notion de « ne pouvoir être a priori et surtout de façon générale et abstraite, définie dans par son contenu » . Le danger est donc grand de laisser seule l’administration décider de son contenu. C’est pourtant ce qui se passe au Cameroun. Les autorités administratives de police disposent d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de l’ordre public. Sans presque jamais indiquer ce qui est trouble à l’ordre public dans une réunion publique ou une manifestation publique, les autorités administratives de police prennent des décisions d’interdiction. Il arrive très souvent que les autorités administratives compliquent à suffisance le vocabulaire qu’elles emploient et se refusent à expliquer en toute clarté par des directives suffisamment précises et stables, le contenu exact qu’elles attachent à certaines expressions peu déterminées comme l’ordre public. Par exemple, dans une lettre du 14 juillet 2011, le Sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé IV, Yampen Ousmane fait savoir au Révérend Pasteur Bell Jacop Prosper, modérateur de l’Eglise presbytérienne camerounaise, consistoire la maritime à Mimboman qu’il ne peut réserver une suite favorable à sa déclaration portant sur l’installation d’un pasteur dans ce quartier « au regard du risque potentiel de trouble à l’ordre public » . Dans le même temps, il demande de suspendre cette manifestation jusqu’à nouvel ordre. Cette décision représente en fait un principe passé dans la pratique : celui de l’hermétisme et de l’obscurité des décisions restreignant les libertés publiques au nom de l’ordre public. Il est rarement fait l’effort de clarification de ce qui, en réalité représente un danger pour l’ordre public. Dans cette affaire, l’autorité de police ne s’encombre pas de forme pour limiter la liberté de manifestation publique. Aucune mention ou mieux, aucun effort n’est déployé pour expliquer ce qui, dans une installation de pasteur, représente un « risque potentiel » de trouble. On pourrait même faire l’analyse selon laquelle il n’y a pas d’évènement plus pacifique et paisible que l’installation dans une Eglise d’un « homme de Dieu »… Le 27 septembre 2012, le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé prend une décision d’annulation d’un récépissé de déclaration d’une réunion public déjà délivré pour la tenue de la Convention Nationale du Mouvement pour la renaissance du Cameroun aux motifs qu’il y a résiliation du contrat de location de la salle de réunion et menaces de trouble à l’ordre public. Aucune mention de ce qui pouvait être constitutif de troubles à l’ordre public n’est faite. Après la saisine du dossier par la presse, la même autorité va revenir sur son acte par une décision du 28 septembre 2012 sans prétendre expliquer pourquoi il estimait que la menace avait disparu. Ces exemples sont légions au Cameroun, comme dans beaucoup d’autres pays en Afrique. Par exemple, en 2011 au Gabon, Pendant la période électorale, entre le 24 novembre et le 10 décembre, l’Opposition entreprend une Caravane pour aller à la rencontre des populations des neuf provinces du pays. A son arrivée dans le Moyen Ogooué le 24 novembre, à Lambaréné, le Chef-lieu de cette province, Monsieur Pascal Yama Lendoye, Gouverneur de la Province, prend un acte d’interdiction aux motifs d’absence d’autorisation, troubles à l’ordre public et à la sécurité. L’Opposition ne tiendra pas son meeting à la Place de l’Indépendance qui est un espace public. Le même scénario va se produire dans la Province de la Ngounie le 25 novembre, dans la Province de la Nyanga le 26 novembre, dans le Haut-Ogooué le 28 novembre, dans la province de l’Ogooué Lolo le 1 décembre, dans la Province de l’Ogooué Ivindo le 2 décembre. La caravane va être confronté à une présence massive des Forces de Défense à l’entrée de la ville de Makokou qui, non seulement va s’interposer pour interdire physiquement l’accès à la ville de Makokou, mais elle donnera également à Makokou des allures d’une ville en Etat de siège. Il faudra l’intervention de l’Eglise pour que les Forces de Défense laissent l’Opposition entrer dans la ville. La caravane connaitra les mêmes interdictions dans la province du Woleu Ntem le 3 décembre, à Bitam et à Oyem le 4 décembre, dans la Province de l’Ogooué Maritime le 7 décembre 2011. Une loi du 24 novembre 2013 en Egypte confère au ministère de l’Intérieur le pouvoir d’interdire des manifestations pour des motifs comprenant les « menaces pour la sécurité et la paix », « la sécurité ou l’ordre public », et « l’influence sur le cours de la justice », ainsi que les retards causés dans la circulation ou les transports. Par ailleurs, cette loi reconnait aux forces de défenses de larges pouvoirs dans la répression des manifestations publiques. Aucune précision n’est apportée sur le contenu de l’ordre public et la sécurité, laissant ainsi à l’administration un important pouvoir discrétionnaire.
Face aux abus des autorités administratives de police, il revient au juge de contrôler et de limiter ce pouvoir. Seulement, au Cameroun comme dans les Etats autoritaires, le juge exerce un contrôle des plus fébriles.

2- La fébrilité du contrôle juridictionnel des motifs de restriction
En cas d’interdiction d’une manifestation publique, la loi n°90/055 portant régime des réunions et des manifestations publiques prévoit que l’organisateur peut, par simple requête, saisir le président du Tribunal de grande instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai de 8 jours de sa saisine, les parties entendues en Chambres du Conseil. Cette ordonnance est susceptible de recours dans les conditions de droit commun . Il s’agit d’un contentieux d’urgence spéciale qui permet au juge de statuer rapidement afin que l’exercice de la liberté de manifestation ne soit pas complètement entravé. Le juge judiciaire est donc naturellement dans son rôle de gardien des droits et des libertés. Il s’agit en fait d’une dérogation au principe général de la compétence du juge administratif pour ce qui concerne les litiges mettant en cause l’administration publique. Cette exception n’est pas prévue pour le contentieux des réunions publiques qui normalement relève de la compétence du juge administratif. Cela signifie que si un contentieux nait de l’interdiction d’une réunion publique, ce sont les procédures administratives ordinaires qui doivent être suivies. Mais on note qu’au Cameroun, le juge administratif exerce un contrôle très fébrile sur les actes de police administrative. Tout d’abord, il consacre le principe de non motivation des actes de l’administration. Ainsi, dans le cas où un texte ne le prévoit pas expressément, l’autorité administrative n’est pas obligée de dire pourquoi elle prend une mesure d’interdiction, c’est-à-dire de motiver son acte. C’est le principe posé dans l’affaire Martel André où le juge décide que « « Considérant que l’administration ne peut être astreinte à motiver ses décisions que dans les cas où un décret le prévoit formellement » . Le principe est le même jusqu’aujourd’hui . Ensuite, il refuse de procéder au contrôle d’opportunité des actes des autorités administratives de police. Contrairement à la France, il refuse de vérifier s’il y a eu une erreur manifeste dans l’appréciation qu’a fait l’autorité administrative du risque de troubles à l’ordre public ou s’il y’a proportionnalité entre ce risque et la mesure d’interdiction prise. Enfin, et c’est une conséquence des précédentes, en refusant d’exercer un contrôle approfondi des actes des autorités administratives de police, le juge conforte l’action d’une administration qui n’est tenue par rien d’autre que par sa propre volonté. Une administration qui décide seule de la limite de son pouvoir. Que son action ne soit ni nécessaire, ni proportionnée, il est le seul à en juger. Pourtant, il est une expérience éternelle que celui qui détient le pouvoir à tendance à en abuser.
Par cette trop grande liberté laissée à l’administration, le Cameroun s’éloigne des modèles de pays libéraux.

B- L’asymétrie avec les régimes démocratiques
Par le contrôle qu’exerce le Cameroun sur les actes qui limitent l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation publiques au Cameroun, le Cameroun s’éloigne des modèles d’Etats démocratiques qui accentue leur contrôle juridictionnel des actes de restriction des libertés de réunion et de manifestation publique et par conséquent, rationnalisent le domaine de l’ordre public.

1- L’accentuation du contrôle des actes de police

La France offre un exemple d’accentuation du contrôle sur les actes de police administrative. En effet, dans ce pays, le juge administratif fait un contrôle accentué sur le motif de l’ordre public qu’utilisent les autorités administratives pour limiter l’exercice des libertés de réunions et de manifestation publique. La motivation des actes administratifs unilatéraux est devenue le principe et le juge procède au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de même qu’u contrôle de la proportionnalité. Dans l’affaire Benjamin , le Conseil d’Etat procède au contrôle de proportionnalité de la mesure d’interdiction d’une réunion littéraire. Il souligne que « il résulte de l’instruction que l’éventualité de troubles, allégué par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant des mesures de police qu’il lui appartient de prendre ».
Le Sénégal en offre également un bel exemple. Le juge administratif sénégalais a depuis longtemps emboité le pas de son homologue français dans le contrôle de proportionnalité. Dans plusieurs affaires, il a procédé au contrôle d’adéquation, de nécessité et d’équilibre . Dans l’affaire Senghane Ndiaye jugée par le Conseil d’Etat de 1995 le juge qualifie la sanction démesurée infligée à Monsieur Ndiaye d’erreur manifeste d’appréciation et l’annule. En effet selon le juge « … il résulte … de l’analyse des éléments du dossier, qu’au regard des faits retenus contre Senghane Ndiaye, la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée, et qu’en procédant de la sorte l’Administration a commis une erreur manifeste d’appréciation » . Dans l’affaire Salif Fall, le juge décide que la sanction infligée au requérant ne « pouvait fonder sans erreur manifeste d’appréciation, une mesure de rétrogradation qui au regard de l’échelle des peines constitue une sanction sévère infligée à un agent qui, tout au long de sa carrière, a toujours donné motif de satisfaction à ses supérieurs » . Dans une jurisprudence plus récente, le Conseil d’Etat a jugé, à propos de la propriété foncière, « qu’une vérification, même sommaire, de la valeur respective des titres (fonciers) invoqués aurait permis au représentant de l’Etat d’assurer le maintien de l’ordre en édifiant les parties sur leurs droits sans avoir à prendre la décision attaquée qui s’avère inadaptée aux faits qui l’ont provoquée » .
Un tel contrôle permet dans ce sens de rationalisation le domaine de l’ordre public et donc par ricochet de laisser aux libertés publiques les moyens de s’exprimer plus librement.

2- La rationalisation de l’ordre public
« Toutes les limites à la liberté de se rassembler sont donc fondées sur la nécessité de faire respecter l’ordre public » . Le conflit entre l’ordre public et les libertés de réunion et de manifestation est donc permanent. C’est pour cette raison qu’un contrôle juridictionnel efficace doit être exercé pour permettre aux autorités administratives de ne pas verser dans l’arbitraire lorsqu’il recourt à la notion d’ordre public. Discrétionnaire ne doit dans ce sens pas se confondre avec arbitraire. Le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives de police est essentiel dans le maintien de l’ordre public. Le contrôle du juge n’en entraine pas la disparition. Il s’agit tout simplement de réconcilier les nécessités de l’ordre public avec l’impératif respect des libertés de réunion et de manifestation publique. Ainsi, mettre en place un mécanisme efficace de contrôle des actes administratifs qui limite l’exercice des libertés publiques, le domaine de l’ordre public s’en trouve grandement rationalisé. En effet, il n’est plus possible aux autorités administratives de police de recourir à l’ordre public comme prétexte pour limiter le champ d’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques. Elles sont donc tenues de donner un contenu concret à la notion d’ordre public, car tout arbitraire est sanctionné. Aujourd’hui, avec l’avènement de l’Etat de droit, on est passé d’un ordre public autoritaire à un ordre public démocratique qui se met au service des libertés publiques. C’est de cela que parle M. Etienne Picard lorsqu’il écrit que : « il ne semble pas y avoir de limite a priori aux exigences possibles de l’ordre public. Il n’existe qu’une limite ontologique, infranchissable en théorie ou dogmatiquement. L’ordre public d’un Etat de droit, s’il peut, le cas échéant, justifier, au nom de n’importe quelle exigence considérée comme impérative, toutes sortes de restrictions des droits et des libertés, ou même leur paralysie totale, au moins temporairement, doit toujours être ordonné en fin de compte à la garantie des conditions globales des libertés et des droits fondamentaux en général sans pouvoir les vider de leur sens ou de leur substance » . Ainsi, si l’ordre venait à avoir une fonction autre que celle-là, « il ne s’agirait plus de l’ordre public d’un Etat de droit, mais d’une autre sorte d’Etat, sans doute l’Etat de police » .
Le juge béninois a eu l’occasion de rationaliser la notion d’ordre public. Lors du procès de Raphael Akotegnon et trois autres prévenus pour troubles à l’ordre public en 2011. Le juge relève qu’il n’appartenait pas aux autorités militaires de le garantir, mais bien aux autorités civiles conformément à l’article 2 du décret présidentiel n°2005/377 du 23 juin 2005 qui réglemente le maintien de l’ordre public en République du Benin .
Si donc formellement, le Cameroun peut aujourd’hui se classer parmi les Etats de droit qui reconnaisse et aménage un cadre favorable à l’exercice des libertés de réunion et de manifestation publiques, substantiellement, ce pays reste, par son contrôle, largement attaché à des pratiques qui rappellent celles des Etats autoritaires.