Et si Paul Biya quittait le pouvoir d'ici 2014!

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Longévité : le septennat du désespoir
En s’offrant un autre bail à la tête de l’État, sous le regard à la fois atterré et  attendri  de la communauté internationale, Paul Biya sait qu’il est surveillé et ne manque plus d’occasion pour afficher sa détermination à laisser des traces positives pour la postérité. Le temps lui est désormais compté. Le rendez-vous pris avec l’histoire l’oblige à sortir du bois à la manière d’un avant-centre combatif qui entend contenir l’adversaire dans ses cinq mètres cinquante. Une manière de garder et l’initiative des réussites  et la main haute sur la partie qui se joue très serrée. Mais sept années suffiront-elles? Admettons que par extraordinaire, en déployant l’énergie du désespoir, il s’implique résolument à redresser le Cameroun sinistré et  déstructuré par un laisser-faire éhonté. Ce ne serait pas une mince affaire. Il faudrait à tout prix dans l’urgence éviter de confondre précipitation et vitesse, surtout à un âge peu enclin à permettre des libertés avec des débauches d’énergie. Pour reprendre une expression bien camerounaise, l’acteur risque de mourir dans son propre film.

Pour que cela n’arrive pas il faudrait, comme on dit dans le sport de haute compétition, transformer l’essai du passage en force de la dernière élection, en renonçant à la gouvernance d’affichage, devenu au fil du temps sa marque de fabrique. Surtout qu’il faut se rendre à l’évidence  que des précautions ont été suffisamment prises pour institutionnaliser son irresponsabilité face à son bilan médiocre pendant son long et interminable règne. De la sorte, le  grand chantier à lancer à partir de janvier  tel qu’annoncé doit éloigner des grandes endémies et grandes sécheresses de robinet  ou d’intempestifs délestages d’énergie électrique, générateur de choléra et d’obscurité, n’en déplaise au porte-parole du gouvernement. Les prochaines échéances électorales sont décisives à plus d’un titre. Sortir les camerounais de la torpeur et de la lassitude afin de prendre en main leur quotidien qui leur échappe du fait de leurs choix antérieurs. Telle semble être la ligne de démarcation à franchir pour s’approprier l’avenir du Cameroun.
Mais, Paul Biya est-il encore capable d’agir? Et même s’il le voulait, son état de santé et sa condition physique le permettent-ils? Il reste à espérer qu’il laisse le Cameroun en paix comme il l’avait reçu au moment où des informations récurrentes et inquiétantes affirment qu’il a encore au plus 2 années au pouvoir.


Paul Biya ira-t-il jusqu’au bout de son mandat ?
A 80 printemps sonné, Paul Biya prend visiblement la posture du laboureur et ses enfants de Jean de La Fontaine, qui sentant sa mort prochaine fit venir ses enfants et leur parla sans témoin. Mais, les Camerounais se demandent si leur pays est (ou sera laissé) entre de bonnes mains !
Dans un ouvrage qui avait fait sensation à la fin des années 70, « Ces malades qui nous gouvernent », Dr Pierre Rentchnick et Pierre Accoce analysaient dans les détails les pathologies qui ont miné la vie des grands dirigeants contemporains. Franklin Roosevelt était malade à Yalta. Mais on ignorait que sa tension artérielle atteignait alors trente à son maximum, troublant sa lucidité dans la négociation capitale qu’il engageait avec Staline sur le partage du monde.
Personne n’avait révélé que le président John F. Kennedy passait la moitié de ses journées alité, atteint d’une grave maladie des glandes surrénales, à l’époque même où Khrouchtchev installait les fusées soviétiques à Cuba.
D’autres grands de ce monde ont souffert de graves problèmes de santé durant l’exercice de leurs fonctions comme le chinois Mao Tse Tung, le Russe Léonid Brejnev, le pape Pie XII.
Quel Français, enfin, pourrait oublier le calvaire des derniers mois de Georges Pompidou ou de François Mitterrand ?
Des dirigeants moins importants, mais qui ont marqué le siècle dernier par la longévité de leur présence, comme le portugais Antonio Salazar ou l’espagnol Francisco Franco, ont connu des déboires de santé qui ont marqué l’histoire de leur pays.
En 1991, Dr Pierre Rentchnick et Pierre Accoce lançaient un nouvel opus dans lequel étaient mises à nu les maladies dont souffraient les dirigeants des États moins importants : l’Ayatollah iranien Khomeiny, le guide de la révolution libyenne Mouammar Kadhafi, le dictateur roumain Nicolae Ceausescu, l’algérien Houari Boumediene, l’Israélienne Golda Meyer ou le Guinéen Sékou Touré, le Palestinien Yasser Arafat, l’Ivoirien Houphouët Boigny et récemment, le Bissau Guinéen Malam Bacai Sanha.
Tous ces dirigeants politiques ont subi des malaises pathologiques qui ont eu des répercussions plus ou moins grandes sur la marche du monde ou du moins sur la marche de leur pays et/ou des pays voisins.
Il se trouve que le Cameroun et son leadership n’échappent pas à cette réalité.
En effet, à son arrivée à Nsimalen vendredi 17 mars 2006 en provenance de Bata où il a pris part au 7e Sommet de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), Paul Biya, chef de l’État camerounais, a confié à la Crtv sa version des faits sur le malaise dont il a été victime à Bata en ces termes : « Dans la nuit du 14 au 15, a confié le chef de l’État, j’ai eu une gastro-entérite grave. De sorte que je n’ai pas pu assister à la clôture. Mais j’ai été pris en mains par l’équipe des médecins chinois du président Obiang Nguema, et puis par notre propre équipe. Je crois que nous sommes pleinement rétablis. Je voudrais que de ce point de vue, vous n’ayez aucun doute. »
Mais les doutes sur sa santé ont tout de même persisté, car, après avoir pris part au Sommet de la Francophonie, le chef de l’État camerounais a officiellement dit au revoir aux autorités suisses le 25 octobre 2010. Annoncé pour présider la finale de la Coupe du Cameroun, le président Biya a répondu aux abonnés absents. Le président de la République n’a finalement pas présidé, comme annoncé dans divers communiqués officiels, dont celui du ministre de la Communication (Mincom), Issa Tchiroma Bakary, la finale de la 51e de la Coupe du Cameroun. Et pourtant, la clôture de la saison sportive au Cameroun a été retardée pour cause du calendrier surchargé du président de la République. Mais après cet incident, Paul Biya était de retour au Cameroun et d’aucuns ont tôt fait d’y voir « Encore une rumeur sur Paul Biya en Suisse. » Dans un geste d’offuscation, ils se sont exclamés en disant : « Vous en avez fini de lui souhaiter la mort en 2004 ? Las d’attendre ses funérailles qu’il vous a promises dans 20 ans, vous en êtes à anticiper sur sa grave maladie, pour épiloguer sur la vacance de pouvoir à Yaoundé… »
Malheureusement pour cette catégorie de citoyens camerounais, la santé du président de la République est affaire d’État. Il s’en suit que la presse est tenue de s’en occuper et de s’en soucier. L’enjeu n’étant rien d’autre que la dévolution du pouvoir suprême au sein de ladite République. Le président, vieillissant, connu pour ses absences répétées de la scène politique nationale et pour ses « courts séjours privés » en Europe ira-t-il au bout de ce sixième mandat ? Ce sujet sans doute le plus tabou du pays est particulièrement prisé des Camerounais à l’heure des débats politiques. On se souvient encore de la fuite controversée attribuée par l’un des télégrammes de WikiLeaks à l’ex puissant ministre de la Justice sur la succession de Paul Biya, vue sous le prisme « ethnique et régional ». Amadou Ali aurait ainsi affirmé en mars 2009 à l’ambassadrice américaine que le successeur du président Biya (de l’ethnie bulu) ne saurait être de la même ethnie ni de l’ethnie bamiléké (dans l’ouest du pays), très puissante sur le plan économique. Des confidences qui font resurgir sur le devant de la scène le délicat débat ethnique sur l’après-Biya et la règle non écrite qui voudrait que le pouvoir repose sur un accord tacite entre les peuples du nord d’un côté et les Bulu-Betis du Sud de l’autre.
Restent alors le Cameroun et les Camerounais. Pour eux, le septennat qui s’ouvre et qui s’achèvera en 2018 (Biya aura alors 85 ans) s’apparente à la fois à un éternel recommencement et à un saut dans l’inconnu. Paul Biya ira-t-il jusqu’au bout de son mandat et, dans le cas contraire, quel dauphin ce président qui en a épuisé tant, et n’en a au fond jamais toléré, sortira-t-il de sa manche? Que se passerait-il si demain l’homme qui les dirige depuis près de trois décennies venait à disparaître? Ces questions hier taboues, tous les Camerounais se les posent désormais légitimement. L’intéressé, lui, est muet sur ce point, au risque d’alimenter les angoisses et les fantasmes.
Nous apprenons cependant des câbles de WikiLeaks que le président aurait confié à l’ambassadeur Garvey que « Les batailles internes empêchent le bon fonctionnement du gouvernement ». Biya a d’ailleurs rappelé ce jour-là au diplomate américain les dispositions que prévoit la Constitution en cas de vacance de pouvoir. À savoir que le président de l’Assemblée nationale assure la transition jusqu’à l’organisation des élections 40 jours plus tard. « [Ce qui] est intenable et pourrait susciter une intervention militaire », a-t-il fait savoir à Garvey. Celle-ci précise que pour autant que « Biya n’a pu décrire le vice-président de la République comme son successeur évident ou comme le candidat du parti [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, Ndlr] en 2011 ». Mais il estime la création d’un poste de vice-président comme étant un changement « plus significatif » que la non-limitation du mandat présidentiel. Mais cela est-il encore à l’ordre du jour ?
Jean-Bosco Talla et Maheu

La santé du président, le baromètre du pouvoir

La santé du président est une question taboue car elle soulève le problème de la bonne marche de l'État. Le président de la République est le personnage central des institutions : chef des armées, il est le seul habilité à déclencher la guerre. Seul un chef d'État en pleine forme, parfaitement maître de ses moyens, peut conduire les affaires de l'État. Alain Didier Olinga, politologue camerounais, parle du chef de l'État comme étant « la clé de voûte du système institutionnel » pendant que d'autres avancent même que, dans la pratique, « il est l'alpha et l'oméga, le début et la fin de tout. Tout passe par lui et rien ne se fait sans son aval ou sa signature ». Le peu de transparence sur sa santé crée donc, au moindre incident, toutes sortes de réactions. Au plan politique, cette situation peut expliquer les batailles de positionnement et de succession que l'on observe déjà, par journaux interposés, comme des gangs qui se disputent le contrôle d'une parcelle de pouvoir. Christian Penda Ekoka, économiste de renom, relevait déjà dans les colonnes d'un journal les risques de "somalisation" du Cameroun. Parce qu'au fond, chaque gang n'a pour seul bouclier que la présence (en santé) du chef de l'État, qui peut encore tempérer les dernières batailles.
Le fonctionnement même de l'économie s'en trouverait affecté. Car selon un expert, « c'est maintenant qu'on devait commencer à espérer tirer les dividendes de nombreux sacrifices consentis depuis la fin des années 80 et l'arrivée de la crise économique, au moment où les personnalités économiques du monde entier recommencent à nous fréquenter. Mais vous observerez que le s ». Et de poursuivre, passablement doctoral : « s'il y avait une vraie bourse dans notre pays, avec des valeurs significatives, les cours tomberaient de manière drastique ». Même dans les chancelleries représentées à Yaoundé, on suit le dossier de la santé du président Biya avec au moins autant d'intérêt que son sursaut forcé sur la gouvernance du Cameroun. Ce diplomate occidental, en poste à Yaoundé depuis bientôt deux ans, a appris à connaître les mœurs politiques locales, mais soutient que, de manière générale, « un pays ne peut inspirer confiance, à l'intérieur comme à l'extérieur, que si son chef donne des gages physiques d'assurance et de maîtrise du gouvernail ».
Évoquer les problèmes de santé du président, c'est s'interroger sur les capacités de celui-ci à exercer le pouvoir car un président malade ne peut pas gouverner. C'est la raison pour laquelle les différents présidents de la République ont toujours entretenu le mystère sur leur état de santé. D'ailleurs, d'un point de vue juridique, la santé des chefs d'État est soumise au secret médical, au même titre que celle de  n'importe quel citoyen.
Maheu

2013-2014 : Deux années fatidiques

Comme le nomade au désert qui scrute le ciel à la recherche des nuages annonciateurs de pluies ou comme s’ils avaient peur d’un danger imminent, les Camerounais décryptent les faits et gestes de Paul Biya et estiment qu’il n’a plus pour longtemps au pouvoir.
Les observateurs et analystes sont convaincus que Paul Biya ne va pas achever cet ultime septennat. « Il n’ira pas jusqu’au terme de ce mandat. Il est fort probable qu’il ne termine même pas l’année 2012 qui vient de commencer», affirme un observateur attentif de la scène politique camerounaise. Plusieurs facteurs et faits objectifs militent, selon ces observateurs, en faveur de la thèse selon laquelle Paul Biya ne sera plus au pouvoir en 2013-2014.
D’abord l’âge du président de la République et son État de santé. À 80 ans  sonné, il est clair qu’à cet âge tout peut arriver à tout moment, car l’individu est, malgré les apparences, atteint par la maladie de la vieillesse. Selon certaines sources proches du président de la République, « Paul Biya reçoit des soins pour le maintenir en forme. C’est pourquoi il est régulièrement soit dans son village natal, soit en Europe ». D’autres sources proches de la présidence de la République s’inquiètent de l‘avenir du Cameroun au regard de l’état de santé du chef de l’État. Pour celles-ci, « le chef de l’État n’est plus lucide que quelques minutes par jour. Si vous avez bien remarqué, la cérémonie de clôture du troisième congrès ordinaire du Rdpc avait été retardée parce que très fatigué et après avoir pris une bonne dose d’alcool, le président dormait. Et quand il dort, il est interdit de le réveiller. À vrai dire, il faut craindre que notre pays ne vive ce que la Tunisie a vécu à la fin du règne de Bourguiba ». Aussi font-elles remarquer : « Le chef de l’État entre ou descend péniblement de son véhicule contrairement à Barack Obama et Idriss Deby Itno qui gambadent comme des petits lapins. Il y a toujours dans son voisinage le plus proche quelqu’un pour le soutenir au cas où… »
Ces propos corroborent ceux de Frédéric Fankam rapportant, dans son ouvrage Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya (pp. 239-240), un entretien que son oncle avait eu avec Victor Ayissi Mvodo avant sa mort. Selon cet auteur, Victor Ayissi Mvodo, dialoguant avec le chef de la police politique camerounaise, lui avait « aussi confirmé quelque chose qui [l’]intriguait depuis quelque temps et [qu’il ne voulait] pas accepter, malgré le fait [qu’il savait] qu’un psychiatre avait rendu de fréquentes visites au chef de l’État dans sa résidence de Mvomeka’a depuis quelque temps. Des indiscrétions émanant de son entourage laissaient penser que Biya serait sujet à des troubles de plus en plus réguliers et que c’est à cause d’une de ces crises qu’il ne fut pas à l’aéroport pour accueillir le Président Nelson Mandela lors du sommet de l’Oua à Yaoundé.
Victor Ayissi
[lui] confirma aussi que Biya, après une séance de psychanalyse d’un expert occidental, a été déclaré à la limite de la schizophrénie. »
Vrai ou faux ? Est-ce que c’est cette perte de contact avec la réalité et une dissolution complète de la personnalité qui caractérisent la schizophrénie qui fait en sorte que Paul Biya soit toujours à l’étranger, se soustrayant régulièrement de la vue de ses concitoyens, ou qu’il soit insensible à leurs souffrances, qu’il tienne très rarement les conseils de ministre et qu’il prononce des discours visiblement en décalage avec la réalité quotidienne ? Toujours est-il que ses multiples courts séjours privés ont toujours suscité de nombreux débats et l’attention des Camerounais. Ceux-ci se sont toujours posé la question de savoir ce que fait régulièrement leur président de la République à l’étranger.

 

Illustration

Parti du Cameroun, le 9 avril 2009, comme à l’accoutumée, pour « un court séjour privé en Europe », le président Paul Biya avait passé 33 jours à l’étranger. La durée cumulée des deux dernières sorties effectuées depuis le début de l’année 2009 indiquait que Paul Biya avait séjourné hors du pays pendant 48 jours (un mois et demi) sur 130 jours au total (entre février et mai 2009). Le président de la République n’avait donc passé que 82 jours dans son pays, soit moins de trois mois. Le décompte de ses sorties en 2008 était plus révélateur. Parti le 28 mai 2008, il était revenu le 19 juin 2008, avant de rembarquer pour un autre « court séjour privé » en Europe, le 27 août. Rentré au Cameroun le 10 septembre, il n’était resté qu’une petite semaine avant de repartir le 18 septembre. Après une brève apparition à New-York à la 63e assemblée de l’Onu et une pige au Canada, l’homme réapparaissait au Cameroun le 3 novembre 2008. Cela faisait quelque 82 jours (deux mois et demi) en sept mois (de mai à novembre 2008) passés hors des frontières nationales et 130 jours sur 365 dans le cadre de « courts séjours privés ».
D’août 2010 à août 2011, Paul Biya avait passé 124 jours à l’étranger.
Si le calcul s’étendait sur les 30 ans que dure son règne sans fin et si on considère que Paul Biya passe en moyenne 120 jours hors du territoire national, on se rendrait facilement compte qu’il aura passé plus du tiers du temps hors des frontières nationales, soit 3600 jours sur 10950 jours passés à la tête de l’État. On comprendrait pourquoi Paul Biya est considéré comme un vacancier au pouvoir et pourquoi le Cameroun est devenu un Pays pauvre très endetté et très délabré, un drone où règne l’inertie.
Face au mutisme des autorités sur les raisons de ces longs séjours privés à l’étranger, les Camerounais n’hésitent pas à penser qu’il est souvent à l’étranger pour se faire soigner.
Ensuite la position de certains partenaires stratégiques et bailleurs de fonds du Cameroun qui estiment que 30 ans au pouvoir, c’est trop. Il est de notoriété publique que Barack Obama et Nicolas Sarkozy pensent qu’il n’est plus acceptable qu’il y ait encore dans le monde, surtout en Afrique, des chefs d’État qui font plus de 15 ans au pouvoir. Des indiscrétions faisaient mention d’une rencontre, à Yamoussoukro lors de l’investiture du sous-préfet français d’Abidjan Alassane Dramane Ouattara, entre Paul Biya et Nicolas Sarközy à qui il aurait donné des garanties pour plus de lisibilité dans la gouvernance politique au Cameroun. D’autres rencontres plus ou moins secrètes ont régulièrement eu lieu, entre le chef de l’État camerounais et Bruno Gain, l’ambassadeur de France au Cameroun. Il semble avoir été souvent question d’échafauder un scénario permettant à Paul Biya de quitter le pouvoir la tête haute. Sauf imprévu – coups d’État militaire ou biologique, renversement du régime par des révoltes populaires - après sa réélection à la tête de l’État pour un nouveau mandat de 7 ans et la formation d’un nouveau gouvernement éléphantesque, Paul Biya devrait mettre en place toutes les institutions prévues par la Constitution du 18 janvier 1996 : Conseils régionaux, Sénat, Conseil constitutionnel,  application de la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006 relative à la déclaration des biens et avoirs. Aussi Paul Biya procédera-t-il à un recadrage d’Elections Cameroon (Elecam) et probablement à une révision constitutionnelle, l’objectif étant de supprimer le poste de premier ministre et de créer celui de vice-président de la République qui devrait revenir de facto à un anglophone.
Selon certains proches du palais d’Etoudi, la modification de la constitution promulguée le 14 avril 2008 avait pour but moins de s’éterniser au pouvoir que de calmer les ardeurs des jeunes loups aux dents longues qui avaient déjà commencé à affûter leurs armes pour l’assaut final et la conquête du pouvoir. Elle visait aussi, selon ses proches, à permettre à Paul Biya de parachever son œuvre. Pour les détracteurs du roi du Cameroun, « Paul Biya a modifié la constitution parce qu’il veut mourir au pouvoir. Il a peur de répondre de ses actes ». Le lion vieillissant est lui-même conscient que chaque chose a une fin et qu’il s’achemine inexorablement et irréversiblement vers sa fin. Certaines représentations diplomatiques basées à Yaoundé et des proches collaborateurs du monarque présidentiel sont convaincus que Paul Biya quittera le pouvoir au courant des années 2013-2014. Le positionnement de ses hommes aux postes clés dans l’architecture gouvernementale participe-t-il de la logique de préparation de sa sortie dans un avenir proche ? Wait and see !!!
J.-B. Talla et Maheu


Rudes nuits des longs couteaux en perspective
C’est  un jeu de cynisme bien machiavélique, la machine à broyer toutes les velléités de  remplacement du prince a fini par renvoyer à leur copie tous les prétendants  imaginaires ou réels. On en vient dès lors à se rendre à l’évidence de ce que , sur les intentions de perpétuation du pouvoir ad vitam aeternam, l’homme-lion met à contribution tout son génie  pour griller et couper l’herbe sous les pieds  de ses « créatures » ou « création », au sens où l’entend Famé Ndongo . Dans un pays où l’ambition et  la réussite vous font tenir pour coupable, il faut le dire, dans ce jeu de massacre politique , d’honnêtes et brillants citoyens en sont arrivés à se proclamer, pince sans rire, « esclaves » du prince dans des circonstances à sincérité à la fois douteuse et honnête. En s’effaçant au profit du prince, tous ceux qui prétendent que seul Paul Biya est habilité à conduire les destinées du pays  font preuve de lâcheté ou d’hypocrisie, quand on sait qu’en privé, les mêmes  pestent sur l’état de délabrement du pays. Ils attribuent, de toute évidence, la responsabilité  des espoirs déçus  ou les échecs au grand patron. L’héritage d’une position à même de faciliter le moment venu l’accession au trône à travers le dernier remaniement selon l’analyse de Repères, confrère bien  introduit de la place, donne l’avantage à René Sadi face à Marafa. Ceux qui avaient jusque-là pensé à des fantasmes d’une presse en mal de scoop peuvent se raviser. L‘omniprésence de Marafa dans tous les gouvernements précédents de Paul Biya avait fini par imposer sa silhouette dans le dispositif  très sélectif des intouchables, bien qu’en homme prudent  et avisé, il avait lui-même intégré qu’à  tout moment son Mentor d’une double décennie de collaboration, d’abord très proche  et ensuite à un poste non moins clef du gouvernement, où on a d’ailleurs soupçonné le retour d’ascenseur au nom de l’axe nord-sud si l’on en croit Wikileaks. Sadi continue aux yeux de beaucoup, sa trajectoire  de successeur présomptif en  comblant les lacunes de sa virginité dans la gestion proprement dite d’un département ministériel. Avec  ce que cela peut donner à voir et à comprendre en termes de maîtrise de la technostructure qu’est l’administration  et ses réalités ravageuses riches en conflits  suggérant des arbitrages complexes.
Jeanlin

Dans la boule de cristal de Paul Biya

La question de sa succession à la tête de l’État taraude l’esprit de Paul Biya. Mais, partira, partira pas…
Le septennat des « grandes réalisations » est-il celui de tous les possibles. Entre autres choses, les institutions, plusieurs fois promises et plusieurs fois ajournées verront- elles enfin le jour pour donner une visibilité à la fin du long règne de Paul Biya que l’on retiendra finalement, comme celui des espoirs déçus ? Cette petite  interrogation pose le problème des enjeux  sous-jacents de l’art de gouverner auquel Paul Biya a soumis le Cameroun, trois décennies durant. Après la tentative de coup d’État de 1984, tous les soins  se sont articulés en sorte que la succession obéisse à tout, sauf à un schéma clair comme la rumeur de sa mort l’a laissé observer en juin 2004. Une analyse des faits et gestes du monarque présidentiel  ces derniers temps le laisse penser. Et la modification de la constitution d’avril 2008 ne constitue  pas moins un épais voile sur la lisibilité de la dévolution du pouvoir au Cameroun en cas d’absence de Paul Biya. Si les confidences de Paul Biya sur sa fin de règne  reprises  par Wikileaks  viennent ajouter aux plans secrets de s’éterniser au pouvoir, l’objectif, d’après Paul Biya, était de réduire les frictions internes au sein de son gouvernement dont les membres sont distraits par la course interne de positionnement en vue de la succession pour 2011. La nomination d’un vice-président, comme on l’a subodoré un moment après sa réélection en octobre 2011 reste en droite ligne de l’opacité qu’il veut continuer à entretenir.  Les manœuvres et batailles que l’on observe aussi bien au sein du système que du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) participerait vraisemblablement de la logique de positionnement d’un dauphin. Mais,  rien ne le dit,  puisque Paul Biya qui se dit conscient du «manque de culture démocratique politique dans son pays» ne tente pour autant pas d’amorcer la préparation de sa succession. Si oui, peut-être à sa manière.
Malgré les promesses fermes de mettre en place toutes les institutions telles que le sénat,  le  conseil constitutionnel, prévus par la constitution, on en est encore à spéculer. Or l’âge  du chef de l’État aurait dû constituer un motif suffisant d’urgence à démêler cet écheveau. Erreur, de casting, le temps présidentiel n’est pas celui des citoyens camerounais et les urgences ici, c’est pour l’hôpital. Tel est le mot d’ordre. Il s’agit de quelqu’un qui a habitué les Camerounais à discourir plutôt qu’à agir. La préservation de la paix et d’un certain équilibre géopolitique seraient les raisons du nouveau bail que la communauté internationale l’a laissé renouveler face au désert de prétendant sérieux qui auraient pu représenter une alternative fiable. 30 ans  de règne finissent par installer une cour et des courtisans. Et qui dit cour et courtisan, dit forcément roi et le roi ici comme ailleurs n’est visible que par le petit nombre qu’il veut bien voir, lui. Le roi ne discute pas avec les gens, des militants, il commande, il ordonne, veut qu’on trouve des solutions, mais n’entend pas se voir poser des problèmes. Les problèmes, c’est pour les autres et les solutions c’est pour lui. Njoh Mouellé l’a bien observé. La physionomie  de l’appareil de l’État tel qu’il apparait en ce début de septennat n’augure rien de nouveau. Un nouveau ronronnement n’est rien qu’un effet d’annonce, une spectacularisation et une théatralisation de la gouvernance pourtant creuse. Un nouveau gouvernement nommé le 09 décembre 2011 dit de mission ou de réalisations,  mais tout aussi pléthorique que ces devanciers. Ainsi va la ritournelle des slogans savamment imaginés en rupture de ban avec la réalité qu’elle doit transformer. Les « grandes ambitions » ont vécu. Sans bilan aucun, il est désormais question de « grandes réalisations », slogan qui est la preuve patente que l’on a passé le précédent septennat dans les nuages et les rêves, dans un brouillage dont son régime a seul le secret. On se hâte doucement pour que l’émergence que l’on convoque comme cap à atteindre soit un serpent de mer. Dans ces conditions, la question du dauphinat a encore des soucis à surmonter. Toujours est-il que cette question ne saurait être indéfiniment renvoyée aux calendes camerounaises.
Junior Etienne Lantier

Au nom de la famille

Le remaniement ministériel du 9 décembre 2011 n'a certainement pas livré tous ses secrets. Les spécialistes des questions politiques continuent d'ailleurs de scruter la nouvelle architecture gouvernementale qui obéirait davantage à une "logique de quiétude post-mandat" pour Paul Biya, le maître du jeu.
Comme premier élément de lecture, les spécialistes évoquent le fait que Paul Biya ait confié les ministères dits clés aux "frères du village" ou aux "inconditionnels". Question de ne pas être inquiété après son long séjour présidentiel.
Le premier exemple vient de la présidence de la République. Martin Belinga Eboutou, a été confirmé à son poste de Directeur du cabinet civil. Ce diplomate de la vieille garde est aux côtés de Paul Biya depuis des lustres. Il est connu pour ses services et sévices rendus à découvert ou à l'ombre du prince. Aujourd'hui, cet inconditionnel du roi est devenu presque le chef de l'État bis. Martin Belinga Eboutou pèse de tout son poids dans les nominations dans les hautes  sphères de l'État.
Sur le plan militaire, l'Homme lion a maintenu son fidèle Edgar Alain Mebe Ngo’o. Cet ancien de la préfectorale est connu pour sa proximité avec Paul Biya. Et ce n'est pas un hasard qu'il a été propulsé au ministère de la défense au moment où Remy Ze Meka, l'ex Mindef nourrissait des ambitions réelles ou supposées pour le pouvoir. Sûr de sa fidélité, Biya a préféré confier "son" arsenal militaire à Mebe Ngo’o. Une confiance qui a au moins le mérite d'éclairer l'opinion sur la protection dont jouit l'actuel Mindef, lui dont le nom est cité dans l'affaire Albatros, du nom de cet avion présidentiel. En lui confiant la défense, Paul Biya veut assurer ses arrières et la continuité  de son système au cas où il passait brusquement de vie à trépas. Comme Ali Bongo après le décès de son père, si une telle situation se présentait, Edgar Alain Mebe Ngo’o, en collaboration avec certains officiers supérieurs qui lui sont fidèles, mettrait en mouvement les forces de défense et de sécurité pour la continuité du régime.
Louis Paul Motaze, l'autre inconditionnel a été envoyé à la primature. Il devient de fait, la tour de contrôle du gouvernement. Il est ainsi devenu une sorte de surveillant général dans la cour gouvernemental, chargé de veiller sur la conduite de chaque acteur. Les observateurs de la scène politique lui reconnaissent des exploits dans la planification de l'économie nationale, avec notamment le Document de stratégie pour la croissance et l'emploi. Mais, ils n'hésitent pas à préciser qu’une mission lui aurait confiée à la primature. Paul Biya avait aussi besoin d'un homme de confiance dans cette institution qui, selon une loi non écrite, mais bien respectée, attribue le poste à un compatriote issu de la région anglophone du pays.
Le cas Robert Nkili est à mettre sur le même compte. Ce gendre du chef de l'État a désormais la charge d'assurer les questions de transport. Manipulateur patenté des syndicalistes, Robert Nkili est en mission commanditée au ministre des Transports. Il saura utiliser ses talents pour calmer la colère des transports au cas où le prix du carburant venait à être revu à la hausse. Un autre poste stratégique qui vient d'être soustrait des mains de Bello Bouba Maïgari, membre de la majorité présidentielle, mais non moins "opposant". La confiance n'exclue pas la méfiance.
À l'observation, même si Paul Biya a pris les mêmes pour recommencer, il est évident que Paul Biya, en confiant les postes stratégiques à des hommes sûrs et sur lesquels il peut compter, donne la preuve qu’il est victime du complexe d’Ahidjo. Pour rien au monde il n’aimerait subir ce qu’il a fait subir à son illustre prédécesseur qui lui avait octroyé le pouvoir.  Certes, les visages propulsés ne sont pas inconnus du public. Mais, il est évident que ce 34ème gouvernement permet à Paul Biya au pouvoir depuis 30 ans, de préparer sa retraite et de vivre sans être inquiété dans les années futures. Car après tant d'années de pouvoir sans partage, il s’est lui aussi sali les mains.
Koumpa Mahamat

Les feuilles déroutent Paul Biya

Lors du conseil des ministres tenu au palais de l’Unité le 15 décembre 2011, Paul Biya a de nouveau sorti de ses tiroirs poussiéreux les feuilles de route vierges. Il a donné aux membres du gouvernement un délai d’un mois et demi pour établir, chacun sa feuille de route. Pour élaborer cette boussole qui les orientera dans leur travail, ils doivent, a prescrit le chef de l’État, s’inspirer du « Document de stratégie pour la croissance et l’emploi qui fixe les étapes de [leur] parcours pour la décennie ». S’agissant des actions à entreprendre, le maître des céans a invité ses collaborateurs à se « référer au texte de [son] intervention devant l’Assemblée nationale lors de [sa] prestation de serment », les orientations ayant fait l’objet d’engagements solennels de sa part envers le peuple camerounais. Pour l’orateur du jour, il ne serait pas non plus inutile que les ministres se reportent à ses discours d’Ebolowa sur la « révolution agricole », de Maroua, de Douala sur l’Économie pendant la campagne et de Kribi lors de la pose de la première pierre du port en eau profonde.
Drôle de manière d’un chef d’équipe chargé d’impulser et d’évaluer l’action du groupe. On se serait attendu à ce qu’il remette à chaque membre du gouvernement une feuille de route élaborée soit par les responsables du parti au (ou proche du) pouvoir (le Rdpc), soit par une équipe constituée par ses soins, et qu’il indique des délais impératifs aux termes desquels chaque ministre devait être évalué.
En demandant à chaque ministre d’aller se débrouiller pour donner un contenu à sa feuille de route, Paul Biya a montré qu’il est dérouté par sa politique et qu’il n’est pas capable d’user la technologie managériale du roadmapping. On pourrait le comparaît à un entraineur d’une équipe de football qui demande à chaque joueur dont le nom se trouve sur la feuille de match d’élaborer à son poste son propre système de jeu en s’inspirant des systèmes de jeu qui leur avaient permis de remporter des victoires éclatantes, bien entendu sans totalement faire abstraction des systèmes mis sur pieds lors des matches perdus et lors des rencontres avec des équipes avec lesquels ils s’étaient séparés dos-à-dos.
Ce n’est d’ailleurs pas pour la première fois que Paul Biya prescrive les feuilles de route à son gouvernement. Mais, à chaque fois l’usage avec succès de cet instrument de management est non effective, car souligne l’ingénieur financier Babissakana, « le modèle centré sur la primauté absolue au temps du président de la République, chef de l’Etat, reste en vigueur. En conséquence, les chances de réussite d’un management centré sur le feuilles de route nous semblent résolument faibles » (in La Nouvelle Expression du 20 décembre 2011)
Ikemefuna Oliseh

Le paradigme de l’axe « Nord-Sud »: ses implications plurielles dans la société politique camerounaise

Dès l’accession du Cameroun à l’indépendance en 1960, la classe dirigeante a élaboré un système de gouvernance qui met en relief la bipolarité géographique structurée autour de la variable « Nord-Sud ». Certes non codifié au plan constitutionnel, le paradigme « Nord-Sud » est une formule de gestion et de distribution des positions de pouvoir entre des blocs ethno-régionaux. Aussi bien le régime d’Ahmadou Ahidjo que sous celui de Biya, il y a un usage constant de ce paradigme dans la gouvernance politique camerounaise. Pourtant, est-on fondé aujourd’hui à admettre du caractère a-temporel de la trajectoire « Nord-Sud » telle qu’elle fut à l’œuvre depuis le régime d’Ahmadou Ahidjo ? Le pluralisme politique qui induit une dynamique  de complexification  du jeu politique autorise-t-il d’appréhender la gouvernance sous le mode d’un « axe » qui subit aujourd’hui la contrainte du temps ? Cette réflexion ambitionne d’examiner le paradigme de l’axe « Nord-Sud » au crible des conduites des acteurs politiques camerounais à l’aune de leur horizon stratégique dans la perspective de dévolution de pouvoir à l’échelle nationale.

 

De la construction du paradigme Nord-Sud en post-colonie camerounaise, un succédané de la politique coloniale

Le paradigme de l’axe « Nord-Sud » renvoie à une conception bien singulière de la gestion et de la dévolution de pouvoir en post-colonie. Au-delà de l’orientation géographique qu’elle revêt, la variable « Nord-Sud » indique plutôt un système de gouvernance politique qui s’offre comme une ressource à distribuer entre les composantes sociologiques et régionales à l’intérieur même d’un pays(1). L’expérience de gestion de pouvoir dans beaucoup des pays de l’Afrique centrale souligne que la bipolarité « Nord-Sud » est une variable lourde de circulation et de dévolution de pouvoir à l’échelle nationale(2). Ailleurs comme au Gabon, cette dynamique se module plutôt sous la forme Ouest-Est (3). On pourrait toujours chercher à trouver les sources de sédimentation d’une telle pratique politique dans la période coloniale où la construction du jeu politique fut une véritable opération de mise en orchestre des clivages sociologiques, ethniques, linguistiques, géographiques et culturels(4). La formation de l’élite continentale qui allait suppléer à l’autorité coloniale reposait fondamentalement sur un tel viatique idéologique. Dans la conception coloniale de commandement en post-colonie, les segments sociologiques ne disposaient pas toutes, au même degré, des capacités intrinsèques à gérer le pouvoir dans l’orientation que lui prescrivait alors la puissance métropolitaine.
Toute la logique de construction du jeu politique et des mécanismes de répartition des positions de pouvoirs dans l’espace camerounais en constitue en effet une parfaite illustration(5). Dans ce pays, qui a connu une triple colonisation (allemande, anglaise et française), c’est vers la fin des années 1940  et au début des années 1950 notamment, que l’administration coloniale française dut mettre en place des instruments et des dispositifs de conquête de pouvoir par les « indigènes évolués »(6). Dans chaque région, dans chaque sphère sociogéographique ou socioculturelle, l’administration coloniale avait ardemment œuvré à la formation et à l’émergence d’une catégorie d’acteurs acquis à sa cause idéologique et qui devrait lui succéder dans le contexte de décolonisation(7). La réalité historique révèle qu’au Cameroun, ceux qui remplacèrent le colon, ne furent pas les « nationalistes » de très bonne heure8. C’est à une élite dévote, fortement acclimatée à l’idéologie coloniale française de pouvoir centralisateur, sociologiquement segmentée (autorités indigènes, élite moderne, fraction syndicale, hommes d’affaires), très peu servie des luttes indépendantistes mais convertie très tôt au système de reproduction de commandement colonial en post-colonie qu’échut le gouvernement des hommes. Au lendemain de l’indépendance, le système politique camerounais s’est construit et codifié dans ce que la phraséologie officielle appelle la « politique d’équilibre régional ». Elle s’est articulée autour de la gestion de pouvoir adossé à une répartition, certes asymétrique, mais toujours coproductive, entre deux blocs géographiques distincts : le ‘Nord’ d’un côté et le ‘Sud’ de l’autre(9). Ainsi dès la prise de pouvoir par Ahmadou Ahidjo, qui fut président de la République durant plus deux décennies (1960-1982), le poste de premier ministre fut détenu par les ressortissants du « Grand Sud » pendant que la présidence de l’Assemblée nationale revenait aux anglophones de la partie occidentale du Cameroun. Ce fut ainsi l’amorce d’une équation politique qui va durer et prendre une configuration institutionnelle dans la sédimentation du pouvoir postcolonial en territoire camerounais.
Le paradigme de l’axe « Nord-Sud » participe de la radicalisation de la segmentation des identités ethniques et régionales dans une société politique pour le moins cosmopolite. De fait, amorcée en temps colonial, la variable de l’axe « Nord-Sud » sera domestiquée par l’élite postcoloniale qui en dispose désormais comme d’un instrument de circulation de pouvoir. Dès la prise de fonction comme premier de la République du Cameroun indépendant Ahmadou Ahidjo expérimente cette technologie de gestion de pouvoir politique. Ainsi par Décret n° 60/2 du 16 mai 1960 le premier gouvernement est formé, qui est dirigé par Charles Assalé, un dignitaire de la région Sud(10). La Chambre législative sera gardée tout au long de la présidence d’Ahidjo sous le giron des ressortissants anglophones(11). Fidèle à la pratique politique de circulation ethno-régionale de pouvoir suprême,  Ahmadou Ahidjo, lors de sa démission en 1982, transmet le pouvoir à un camerounais de la partie méridionale, en l’occurrence Paul Biya. Agissant de la sorte, le premier président camerounais a voulu rester en congruence avec une pratique qu’il a installée au sein des institutions. A l’évidence, l’axe « Nord-Sud » n’est pas une chimère, du simple fait qu’il n’est pas constitutionnellement institué. Par delà le temps et en raison de ses effets d’institution, il a fini par s’emparer des représentations collectives et des comportements de l’élite gouvernante. Dans ce sens, le paradigme de l’axe « Nord-Sud » fait sens. Au sein des communautés, il y a toujours des attendus dans ce sens. On peut l’observer à chaque réorganisation gouvernementale(12). Le débat surgit dans l’opinion, qui dénote effectivement des appréhensions et des préoccupations des composantes ethnoculturelles au Cameroun sur la succession à la magistrature suprême(13). C’est alors que la modulation de pouvoir sous sa forme « ethno-régionale » a fini par sécréter dans le corps social une conception patrimoniale qui fait refléter le commandement comme une rente à partager entre les différentes composantes socioculturelles. Au plan institutionnel, la gestion du pouvoir épouse la cartographie socio-ethnique du pays. Les nominations, aussi bien à des grands postes institutionnels (ministres, directeurs…) qu’au niveau intermédiaire (sous-directeurs, chefs de service, chefs de bureau…) tiennent compte de l’hétérogénéité ethnique du Cameroun. Certes, cela ne se reproduit pas de façon quasi automatique, mais la « logique de pouvoir » qui inspire les actes de représentativité institutionnelle indique bien que le gouvernant cherche à configurer la logique de pouvoir sur le modèle multi-segmentaire ethnique ou sociolinguistique.
Dans ce sens, il est pris en compte les composantes socio-ethniques qui peuvent être situées à l’échelle régionale, départementale ou au niveau de l’arrondissement. C’est donc ainsi, la configuration multiethnique et multiculturelle qui commande la mise en œuvre institutionnelle de la politique d’équilibre régional qui, dans le contexte camerounais s’est modelé sur la base géographique de l’axe « Nord-Sud ». Certes avatar de l’imagination coloniale, ce paradigme continue d’irriguer les habitus de différents groupes politiques. A dire vrai, la grammaire de l’axe « Nord-Sud » s’origine dans la tradition coloniale des puissances tutélaires. Elle fait écho à la composition multiethnique des sociétés indigènes et suppose une répartition sinon équilibrée du moins proportionnelle. Avec le temps, la politique d’équilibre régionale qui en traduit la mise en forme institutionnelle, a fini par s’incruster dans les pratiques, dans les habitus des tenants de l’ordre gouvernant.
En post-colonie, elle n’indique pas une gestion dysfonctionnelle de pouvoir ; elle fait écho à un régime de gouvernance qui s’ajuste à un environnement sociologiquement décomposé et dont les blocs dirigeants doivent tenir compte dans leur management institutionnel des alliances et des équilibres. Dans ce sens notamment, l’angle de l’axe « Nord-Sud » s’inscrit dans une certaine mesure dans l’association très étroite des groupes ethniques dans le circuit de l’Etat à partir du haut, du sommet. L’élite qui est désormais intégrée dans l’espace institutionnel doit toujours envoyer un signal en direction des communautés et de la région d’où elle est originaire afin de cristalliser leur adhésion, leur attachement au système politique qui assure leur représentativité en raison de la présence de l’un des leurs dans l’appareil gouvernant(14).

De ses impensés idéologiques et stratégiques

Sous quelque angle qu’on analyse la trajectoire de l’axe « Nord-Sud », force est de souligner qu’elle s’inscrit largement dans une perspective de construction d’un ordre de gouvernance politique caractéristique des sociétés foncièrement hétérogènes et composites. Selon la vulgate officielle, la dynamique de l’équilibre régional qui inspire la gestion de pouvoir vise en effet à une intégration plus ou moins réelle de différentes composantes socio-ethniques. Laquelle intégration devrait s’opérer par le sommet, le haut, à travers ce que Bayart appelle « l’assimilation réciproque de l’élite »(15) dans les différentes instances de l’appareil étatique. Certes, il serait analytiquement risqué d’appréhender la gouvernance politique au Cameroun comme étant monopolisée par une entité ethno-régionale. Tant s’en faut, ni sous le régime d’Ahmadou Ahidjo (1960-1982) ni sous le régime de Paul Biya (depuis 1982), le pouvoir étatique n’est de configuration mono-ethnique, mono-linguistique, mono-régionale. La construction de l’ordre gouvernant a toujours reposé sur une combinaison de différents segments ethniques, religieux et culturels et régionaux. Selon Ngayap, la formation de l’élite gouvernante au Cameroun a de tout temps procédé par une double équation : celle de « macro-dosage » et de « micro-dosage »(16). Ainsi, aux différents échelons de l’administration publique les dirigeants veillaient à une relative association des entités communautaires via leur élite. Mais au-delà de cela, force est d’admettre que le formatage de l’angle « Nord-Sud » rentre bien dans un registre de construction hégémonique de la gouvernance politique au Cameroun. D’abord, il y a un effet de simplification des réalités ethno-régionales, qui est mise en relief par les tenants de l’ordre politique. Ainsi, le « Nord » comme le « Sud » peuvent renvoyer et impliquer des choses simples, des réalités univoques revêtant des données homogènes voire identiques(17).
Dans ce sens, il faut évoquer la dynamique de construction idéologique de la partie septentrionale du Cameroun tout au long du régime d’Ahmadou Ahidjo. Cette entreprise s’est traduite dans l’érection en une seule province de la vaste région du « Grand Nord » qui reste au plan historique, sociologique, géographique, religieux et culturel, une région complexe et fortement hétérogène. C’est donc ainsi pour donner une certaine légitimité à leur pouvoir que les autorités d’alors ont procédé de la sorte. Cette région a été gérée par un « gouverneur inamovible », Ousmane Mey, qui n’a été remplacé de ce poste qu’au lendemain de l’éclatement de l’ancienne province du Nord en trois provinces à savoir l’Adamaoua (Ngaoundéré), Extrême-Nord (Maroua) et le Nord (Garoua)(18). Aussi, le principe de l’équilibre régional n’est pas resté en congruence avec la philosophie qui la sous-tendait. Dans la partie septentrionale du Cameroun, le bloc historique s’est construit autour de la variable islamique. C’est en effet l’élite islamo-peuhle qui dut bénéficier de l’essentiel des positions de pouvoir et d’autorité. Ahmadou Ahidjo favorisa d’abord la composante socioreligieuse à laquelle il appartenait pendant que la majorité démographique, en l’occurrence les kirdi (chrétiens et autres animistes), fut largement confinée à l’arrière-plan de la gouvernance politique(19). C’est dire que la dynamique d’équilibre régional sécrétait en parallèle des germes de la discrimination et de l’exclusion de certains pans sociologiques(20). Il faut même ajouter que la politique d’équilibre régional s’est adossée sur le « politique des quotas » qui prend le contrepied de la construction nationale dont les dirigeants camerounais ambitionnaient de mettre en œuvre(21). Il est manifeste qu’en regard des luttes ethno-communautaires autour de la gestion de pouvoir au Cameroun, la politique d’équilibre constitue une sérieuse entrave dans la perspective de l’intégration nationale(22).
En général, le pouvoir est souvent monopolisé par le bloc ethno-régional d’où est originaire son détenteur. C’est qu’il est communément admis que du temps d’Ahmadou Ahidjo, le pouvoir appartenait aux « nordistes », et particulièrement au bloc islamo-peuhl, alors qu’aujourd’hui le régime de Paul Biya est vu comme le pouvoir « Beti », c’est-à-dire cette mosaïque ethnique à laquelle appartient le président de la République en fonction. De telles appréhensions plus ou moins fondées, mais toujours réactualisées, soulignent de la manière dont est géré le pouvoir politique en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Il est une habitude bien établie qu’en territoire postcolonial, l’Etat qui est l’épicentre de la distribution des postes et des positions de commandement, constitue à maints égards un lieu d’allocation des rentes, des prébendes et des ressources diverses entre les détenteurs de pouvoir et ses affidés régionaux ou ethniques. Un tel habitus politique est dans une certaine mesure la résultante de la politique d’équilibre régional qui fait de l’Etat et de ses ressources constitutives, une « manne » tombée du ciel, qui doit se distribuer entre les membres d’un groupe social ou d’un clan. Du coup, les positions de pouvoir sont devenues des niches d’accumulation, de partage et de distribution des avantages et des privilèges entre les « frères de village » ou les membres d’un même réseau (politique, mystico-religieux, ethno-culturel…). En parallèle, des fractions entières peuvent être déclassées de ces privilèges en raison de leur décentrement institutionnel, parce que ne disposant pas des relais ou des représentants dans le système. La profusion des demandes ethno-culturelles et des mémoranda au Cameroun depuis le retour du pluralisme politique est une preuve irréfutable de la gouvernance politique qui s’est codifiée dans un « système d’inégalité » (Bayart, 1985) qui laisse à la traîne des communautés et des groupes sociaux sans leadership institutionnel(23).

De son ‘impertinence’ en contexte politique pluraliste

La trajectoire de l’axe « Nord-Sud relève de ce que Bourdieu appelle le « rite d’institution »(24). Les acteurs ethno-politiques se sont de nos jours emparés d’une telle variable pour en faire une clé algébrique pouvant désormais expliquer et même inspirer la circulation de pouvoir à son niveau suprême. Il est bien entendu que l’axe « Nord-Sud » fut édifié et expérimenté dans le contexte monolithique, d’édification de l’Etat-nation au Cameroun. De ce fait, sa modulation participait de la formation d’une société politique qui devrait se refléter la composition ethno-communautaire du pays et de l’arrière-pays. L’association des segments sociologiques différenciés était un préalable à la construction de l’unité nationale dans une société politique fortement éclatée et atomisée au plan ethnique, culturel, linguistique, religieux et idéologique. Dans la durée, le paradigme « Nord-Sud » a fini par se « faire chaire », au point d’habiter les comportements des blocs ethno-régionaux qui se disputent le pouvoir au Cameroun(25). Il est ainsi de plus en plus remis au goût du jour l’expérience amorcée sous l’ancien régime ; laquelle expérience a permis la transmission de pouvoir suprême à un ressortissant de « Grand Sud » (Paul Biya) par un ressortissant du « Grand Nord » (Ahmadou Ahidjo). Le jeu des alliances entre les groupes politiques appartenant à des régions distinctes montre bien que le mental des acteurs ethno-politiques s’est bien saisi de la régulation de pouvoir sous la forme ethno-régionale et donc finalement sous le registre historique de l’axe « Nord-Sud ». Ainsi, la scène politique nationale s’offre comme un espace criblé par des « tactiques », des « ruses » et des « logiques », des « coups » que les différents blocs esquissent soit pour maintenir les sites de pouvoir soit dans la perspective de reconquête des lieux de commandement.
Dès lors, chaque bloc ethno-régional articule des stratégies allant dans un sens ou dans l’autre. Les révélations récentes de certains dignitaires du régime de « Renouveau » rendues publiques par le site de « Wikileaks » sont une preuve tangible de ce que la philosophie de l’axe « Nord-Sud » continue d’imprégner le subconscient d’une bonne fraction de l’élite politique camerounaise(26). Dans ce sens notamment, le postulat est que le pouvoir ayant été remis à Paul Biya (originaire de ‘Grand Sud’) par Ahmadou Ahidjo (originaire du Grand Nord’), il est par conséquent logique que le pouvoir soit retransmis à un ressortissant de la partie septentrionale du pays. C’est bien là une équation « arithmétique » qui saborde largement la complexité du jeu politique et même l’ambivalence de la gestion du pouvoir suprême. Or dans un contexte historique marqué par le pluralisme politique et le jeu des alliances de facture « transactionnelle », le paradigme de l’axe « Nord-Sud » peut-il faire sens au point de se reproduire à l’identique ? Autrement dit, la reconduction de la variable « Nord-Sud » peut-elle avoir raison du contexte démocratique actuel au point de s’ériger en postulat exclusif de circulation de pouvoir suprême au Cameroun ? De fait, le processus de démocratisation de la vie politique nationale amorcée au début des années 1990 a contribué à une forte constellation de la scène politico-idéologique au point de brouiller les principes ayant présidé à la mise en œuvre de l’axe « Nord-Sud » vers les années 1960. Dans un système politique de facture pluraliste, nous assistons de plus en plus à des alliances politiques qui se nouent et se dénouent au gré des enjeux et des intérêts de pouvoir central. C’est même ce pouvoir central qui monte et démonte les fils des alliances en raison justement de la conjoncture de l’environnement. Dès lors, la géopolitique de pouvoir peut prendre la forme plurielle et non plus unidirectionnelle.
Le pouvoir central peut ainsi opter de déplacer les piliers de « l’axe » soient à l’Ouest, soit dans la partie anglophone soit dans la partie littorale ou même les maintenir dans la région du Centre tout en s’appuyant sur des « minorités ethniques ou linguistiques » ou des « communautés intermédiaires »(27). C’est la stratégie de brouillage de toute perspective successorale dans un régime politique à forte dose présidentialiste. L’axe « Nord-Sud » dans sa version originelle peut ainsi subir des mutations dans une visée de délocalisation des centres de gravité politique. Un tel jeu est généralement à l’œuvre lors des remaniements gouvernementaux au cours desquels le président de la République procède à une redistribution des cartes dans l’espace institutionnel. En fonction des positions occupées par l’élite de telle région ou de telle autre, il est mis à l’index sa préséance, sa primauté ou au contraire sa « minorité institutionnelle ». C’est alors que chaque acte de remaniement gouvernemental charrie une série d’appréhensions aussi bien au sein des sociétés locales que chez l’élite politique gouvernante. La réorganisation gouvernementale du 09 novembre 2011qui arrive après les élections présidentielles du 09 octobre de la même année, consacre une sorte de « disgrâce institutionnelle » des régions septentrionales. La sortie de Marafa Hamidou Yaya, jadis Ministre d’Etat, en charge de l’Administration territoriale et de la décentralisation et la mutation d’Amadou Ali, à la présidence de la République comme Ministre chargé des Relations avec les Assemblées, indiquent bien que le « Grand Nord » a subi une véritable reculade en termes du positionnement institutionnel stratégique. Ce décentrement institutionnel des acteurs « influents » de la scène politique régionale peut être appréhendé comme une déconstruction de l’axe « Nord-Sud » par le pouvoir central(28).
Par conséquent, le centre de gravité politique peut désormais se relocaliser dans la partie occidentale du pays où l’on voit que le Secrétariat général du Comité central du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), a été confié à Jean Kuété, une élite de la région de l’Ouest(29). Il est désormais loisible de postuler du caractère mobile et mutant de la politique des « axes » dans la circulation de pouvoir au Cameroun. C’est dire que le contexte politique actuel offre une palette d’opportunités au détenteur de pouvoir suprême notamment dans la construction et la déconstruction des alliances avec tel bloc régional ou tel autre. En effet, aujourd’hui et ce depuis la réinstauration du pluralisme politique, le pouvoir articule une technologie de gestion des alliances qui dénote de la stratégie et de la rationalité ajustée au moment démocratique comme d’un contexte de forte collusion et de transgression des « règles du jeu » qui firent sens dans le contexte monolithique. Dans ce cas, que le régime de Biya ait opté de s’allier les principaux leaders de l’opposition « nordiste » procède d’une tentative de fragilisation de ceux qui seraient tentés ou habités par l’ambition de succession à la magistrature suprême. C’est une logique d’endiguement et d’obstruction d’un leadership régional. Le pouvoir central choisit ainsi d’avoir plusieurs interlocuteurs, appartenant à des factions idéologiques opposées, comme cela est observé dans le département de la Bénoué (Nord)(30). Du coup, il devient analytiquement risqué d’ériger l’axe « Nord-Sud » comme horizon indépassable dans la dynamique de circulation de pouvoir au Cameroun. Parce que le moment démocratique consacre ce que Dobry appelle la « conjoncture critique »(31), la problématique des « axes » peut ainsi configurer une trajectoire multidirectionnelle et multisectorielle. Aussi, dans une gouvernance à orientation présidentialiste, toujours habitée par le désir d’éternité au pouvoir, la perpétuation de l’axe « Nord-Sud » peut être une entorse dans la dynamique « perpétualiste »(32) de pouvoir politique(33). De toute évidence, à l’opposé du monolithisme, le pluralisme démocratique institue en parallèle la diversité des options dans la construction, la reconstruction et la déconstruction des « axes » qui indiquent la circulation de pouvoir suprême. Le président de la République reste le régulateur exclusif et solitaire de cette dynamique.
Conclusion : La formule de l’axe « Nord-Sud » dont les caractéristiques saillantes viennent d’être analysées interroge en effet la gouvernance politique au Cameroun. Elle est toujours émettrice des signaux sur l’interaction du bloc gouvernant et projette des représentations collectives de pouvoir au sein des communautés et des régions. Paradigme postcolonial de circulation de pouvoir, l’axe « Nord-Sud » institué en « politique d’équilibre régional » met en tension la formation d’une société nationale à l’intérieur de laquelle les segments ethno-régionaux font abstraction de leur particularisme dans leur rapport et dans leur sociabilité. Certes, l’axe « Nord-Sud » subit aujourd’hui le poids des « contraintes » induites par le pluralisme démocratique, mais son « esprit » hante toujours la dissémination des positions de pouvoir au sein même de l’élite gouvernante à quelque échelle que ce soit. Toutefois, la question est bien de savoir si la technologie de l’axe « Nord-Sud » est une pièce inchangeable en l’état dans la dynamique de régulation de pouvoir au Cameroun.
Alawadi Zelao
Notes
1 Lire Alawadi Zelao, « Le jeu politique en Afrique centrale. La dialectique historique entre centralisme et clientélisme », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n° 41, 2009, pp. 33-40.
2 Il suffit d’évoquer les conflits interrégionaux qui jalonnent l’histoire politique des Etats dans cette partie de l’Afrique noire. Ces expériences sont présentes au Congo (Brazzaville) des années 1990, au Tchad depuis le milieu des années 1980, au Cameroun depuis la crise successorale des années 1983-1984 ayant mis en scène les partisans de l’ancien président Ahmadou Ahidjo et ceux de nouveau président Paul Biya. Lire Jean-Pierre Biyiti bi Essam, Cameroun : complots et bruits de bottes, Paris, L’Harmattan, 1984 ; Etanislas Ngodi, Milicianisation et engagement politique au Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Mohamed Tétémadi Bangoura, Violence politique et conflits en Afrique : le cas du Tchad, Paris, L’Harmattan, 2005.
3 Voir Roland Pourtier, Le Gabon. Etat et développement, Tome 2, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Emmanuelle Nguema Minko, « Géopolitique et anthropologie du pluralisme au Gabon : stratégies de longévité politique et techniques gouvernantes clientélistes-clanistes », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n°  37, 2008, pp. 31-36.
4 Florence Bernault, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo-Brazzaville, Gabon : 1940-1965, Paris, Karthala, 1996.
5 Il est ainsi communément admis dans l’opinion que les Bamiléké, en raison de leur puissance économique ne doivent pas hériter de pouvoir politique. Aussi, la transmission de pouvoir à Ahmadou Ahidjo par les autorités coloniales françaises (Louis Paul Aujoulat, Jean Ramadier …), était adossée à l’explication facile selon laquelle les Foulbé forment un groupe social « centralisé » où le système de commandement est bien ancré dans les mœurs. Sur la construction coloniale des identités ethniques au Cameroun, voir Dugast, Inventaire ethnique du Sud-Cameroun, Paris, IFAN, 1949.
6 Voir Janvier Onana, Le sacre des indigènes évolués. Essai sur la professionnalisation politique, Paris, Dianoia, 2004.
7 Cf. Abel Eyinga, Introduction à la politique camerounaise, Paris, L’Harmattan, 1984.
8 Pierre Messmer, Les Blancs s’en vont, Paris, Fayard, 1998 ; Bouopda Pierre Kamé, La quête de libération politique au Cameroun (18841984), Paris, L’Harmattan, 2006.
9 Ces deux sites à connotation géographique sont loin d’être ethniquement, culturellement, sociologiquement et historiquement homogènes. Le « Nord » comme le « Sud » sont des réalités complexes qui recouvrent en leur sein une somme des sociétés indigènes, disposant chacune d’une spécificité identitaire et d’une réalité historique propre. Du coup, la trajectoire « Nord-Sud » relève d’une imagination politique qui fait écho au système de l’administration coloniale.
10 Sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, les premiers ministres ont été des « originaires » du Sud. Il s’agit de : Charles Assalé, Vincent de Paul Ahanda, Simon Pierre Tchoungui et Paul Biya.
11 Après l’avènement de l’Etat unitaire au Cameroun en 1972, l’Assemblée nationale sera respectivement gérée par Salomon Tandeng Muna (1972-1983) et Fonka Sheng Laurence (1983-1992).
12 Ce sont les médias qui se font l’écho de telles appréhensions manifestées au sein du corps social. C’est alors qu’à la suite du remaniement survenu au lendemain des élections présidentielles du 09 octobre 2011, des récriminations fusent de toutes parts, mettant en cause la répartition inégale voire discriminatoire des postes ministériels dans les régions composant la République du Cameroun. Lire L’œil du Sahel, n° 460, 2011 ; Aurore plus, n° 1375, 2011, La Tribune sahélienne, n° 37, 2011.
13 Il y a tout un stock de représentations et de pratiques sociales de pouvoir au Cameroun. L’entrée comme la sortie du gouvernement d’une élite locale donne toujours lieu à des scènes subséquentes de fêtes populaires ou de ressentiments. C’est dire que la « politique d’équilibre régional » s’est faite « chaire » et imprègne fortement l’agir des communautés en interaction au Cameroun.
14 Ce qui explique l’organisation des fêtes « populaires » lors des promotions institutionnelles des « fils de terroir ».
15 Jean-François Bayart, L’État au Cameroun, Paris, FNSP, 1985.
16 Pierre Flambeau Ngayap, Cameroun. Qui gouverne ?, Paris, L’Harmattan, 1983.
17 Ainsi tout au long du régime d’Ahidjo, il a été projeté la vision duale des blocs régionaux : le ‘Nord’ est musulman, le ‘Sud’ est chrétien. Cela relève de la construction idéologique des « régions », qui institue par conséquent la dominance des strates sociologiques régnantes. Une telle appréhension est contenue dans les propos de Vice-premier Amadou Ali, rendus publics par Wikileaks : « […] l’équation de la stabilité du Cameroun repose sur les variables de la détente entre le groupe ethnique Béti-Bulu de Biya, majoritaire dans la région Sud du pays, et les populations des trois régions nordistes, connues comme le septentrion, qui sont ethniquement et culturellement distinctes du reste du pays », Aurore plus, n° 1348, 2011, p. 5.
18 Depuis 2008, le Cameroun est passé du stade de « province » à celui de « région ».
19 Alawadi Zelao, « Dynamique de la société politique au Nord-Cameroun. L’espace politique régional entre monopolisation et démonopolisation », Thèse de Doctorat Ph/D en Sociologie politique, Université de Yaoundé I, 2006. A ce sujet, le journaliste Henri Bandolo écrit : « Ahmadou Ahidjo étant au pouvoir et au nom des équilibres, nombre de cadres peulhs et musulmans avaient pu bénéficier de promotions et de privilèges que ne justifiaient pas toujours leur formation, leurs qualifications, leurs mérites et leurs compétences. Ahmadou Ahidjo parti, ils n’étaient plus assurés de pouvoir continuer à bénéficier d’une situation qui leur avait été si profitable, malgré leurs insuffisances », Henri Bandolo, La flamme et la fumée, Yaoundé, Sopecam, 1986, p. 378.
20 Cette marginalisation peut aussi bien s’exprimer au niveau macro-sociologique (Etat) qu’au niveau micro-sociologique (au sein même des communautés à la base). Dans ce cas, il faut indiquer que ce sont les « blocs hégémoniques » qui ont été les principaux bénéficiaires de la politique d’équilibre régional. Il est même constant d’observer une reproduction de l’élite et donc de certaines composantes sociologiques dans les sphères de pouvoir. Cela montre désormais que la représentativité institutionnelle des groupes sociaux peut être tout simplement un « masque idéologique » qu’agite le pouvoir pour contrer les velléités de contestation de certaines composantes exclues de la rente étatique. Voir Luc Sindjoun, L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002.
21 David Simo (dir), Constructions identitaires en Afrique, Yaoundé, Clé, 2006.
22 C’est en effet la « conscience nationale » qui ferait bien défaut aux gestionnaires de pouvoir politique en raison d’une gouvernance axée sur la variable « ethno-régionale » qu’ils ont instituée. Lire Paul Nchoji Nkwi et Francis Nyamnjoh (ed), Equilibre régional et intégration nationale au Cameroun. Leçons du passé et perspectives d’avenir, Yaoundé, ICASSRT MONOGRAPH I, 1997 ; Charly Gabriel Mbock (dir), Les conflits ethniques au Cameroun. Quelles sources, quelles solutions, Yaoundé, Editions Sagraaph, 2000.
23 Lire Anthologie des revendications ethniques au Cameroun, C3, Yaoundé, 1992 ; Dieudonné Zognong et Ibrahim Mouiché (dir), Démocratisation et rivalités ethniques au Cameroun, Yaoundé, CIREPE, 1997.
24 Pierre Bourdieu, « Les rites d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 43, 1982, pp. 58-64.
25 Lire dossier de Repères : « Pouvoir suprême. La bataille des ethnies pour la succession », n° 240, 2011, pp. 2-3.
26 Ainsi selon Wikileaks, Amadou Ali, à l’époque Vice-premier Ministre, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, aurait confié à l’ex-Ambassadrice des Etats-Unis au Cameroun, Janet Garvey ceci : « Les trois régions septentrionales vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaitera demeurer président, mais le prochain président du Cameroun ne viendra p as de l’ethnie beti/bulu de Biya. Les Betis sont trop peu nombreux pour s’opposer aux nordistes, encore moins au reste du Cameroun. Des Bamilékés ont fait des ouvertures à des élites du Nord pour forger une alliance entre leurs régions respectives, mais les nordistes étaient si méfiants sur les intentions des Bamilékés qu’ils ne concluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique bamiléké », Mutations, n° 2988, 2011.
27 Cela transparaît clairement dans les propos de Jean Nkuété tenus à l’endroit des députés de l’Ouest en 2007 : « Le chef de l’Etat ne fait plus confiance aux nordistes. Il veut changer d’alliance et se tourner vers l’Ouest. Mais avant, il m’a chargé de demander votre position sur la question de la modification de la Constitution. Il voudrait savoir si l’Ouest est prêt à soutenir la démarche. Il a besoin de ce soutien », Le Jour, 13 décembre 2007.
28 Lire L’œil du Sahel, n° 460, 2011 ; Le Septentrion, n°006, 2011 ; Ouest littoral, n° 54, 2011 ; La Tribune Sahélienne, n° 37, 2011.
29 Si l’on se situe dans la perspective que le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), en tant qu’appareil politique hégémonique peut jouer un rôle décisif dans la dynamique de mutation de pouvoir au sein du système politique camerounais. L’on peut à ce titre évoquer l’exemple du Parti démocratique gabonais (Pdg) qui, après le décès du président Omar Bongo Ondimba, a positionné son fils Ali Bongo comme candidat de ce parti dans le cadre des élections présidentielles tenues en 2009.
30 Ce département de la région du Nord concentre les principaux alliés au régime de Paul Biya. Il s’agit principalement de Bouba Bello Maigari président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) et Issa Tchiroma Bakary, leader de Front du salut national pour le Cameroun (Fsnc). La Bénoué est aussi le département d’où est originaire Marafa Hamidou Yaya à qui l’opinion prête des ambitions à la succession au pouvoir suprême au Cameroun. La nomination de Mohamadou Badjika Ahidjo, fils de l’ancien président Ahmadou Ahidjo et cadre de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp), au poste d’Ambassadeur itinérant, s’inscrit en quelque sorte dans une visée de « réconciliation nationale » lorsqu’on sait que le corps du premier président Camerounais gît toujours en terre étrangère (Sénégal). Le pouvoir central travaille ainsi au démantèlement d’un « leadership monolithique » incarné par un seul acteur ou un seul bloc.
31 Miche Dobry, La sociologie des crises politiques, Paris, PFNSP, 1992.
32 Mathias Eric Owona Nguini, « Le gouvernement perpétuel en Afrique centrale : le temps politique présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la Cemac », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n° 19, 2004, pp. 9-14.
33 Ainsi, le système politique travaille à inhiber toute velléité de « dauphinat » au sein de l’équipe dirigeante. D’où la formation des groupuscules comme le « G11 », constitué de certains membres de l’establishment politique, qui ambitionnaient de prendre le pouvoir en 2011. Certains membres de ce Groupe sont écroués à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé pour corruption et détournement des deniers publics selon le discours officiel.