Promesses de Paul Biya: Des miroirs aux alouettes

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Le 7 mars 2008, le président de la République du Cameroun,  Paul Biya, dans le cadre d'un conseil ministériel pour une communication spéciale réunissait tout le gouvernement. S'appuyant sur le contexte économique et social, il voulait ainsi prescrire un ensemble de mesures, à court et moyen terme, destinées à "apporter de premières réponses à la vie chère. " Signé de Laurent Esso, ministre d'État, secrétaire général de la présidence de la république, le communiqué de presse sanctionnant les travaux comportait des mesures fortes pour l'amélioration du pouvoir d'achat et la création des emplois. Parmi les plus importantes, on peut citer : la revalorisation des salaires de la fonction publique à compter du mois d'avril 2008 pour les fonctionnaires, les contractuels d'administration, les agents de l'État, les décisionnaires et les hommes en tenue ; la défiscalisation et l'importation des produits de première nécessité de grande consommation (riz, poisson, blé, farine, huiles de table) ; la suspension des droits de douane sur le blé ; le relèvement du quota d'importation de l'huile de palme dans l'optique d'augmenter l'offre sur le marché local ; la diminution du droit de douane sur le clinker importé par Cimencam afin de rendre disponible le ciment, le maintien des avances de soldes et de pension, l'accélération des procédures relatives au règlement de la dette intérieure…
À l'issue de ce conseil ministériel, le président Paul Biya signait  deux ordonnances portant l'une : sur la suspension des droits et taxes de douane à l'importation de certains produits de première nécessité; et l'autre sur la révision du taux du tarif extérieur commun applicable à l'importation. Il signait deux décrets portant : l'un sur la revalorisation de la rémunération mensuelle de base des personnels civils et militaires ; l'autre sur la revalorisation du taux d'indemnité de non-logement octroyé aux personnels civils et militaires. Des mesures, qui en leur temps avaient suscité l'espoir. Un espoir qui n'a duré que le temps des roses. Car depuis la prescription de ces mesures, la situation décriée par les Camerounais qui étaient sortis en masse dans les rues contre la vie chère n'a pas beaucoup changé. Au contraire, le coût de vie n'a fait que renchérir. Au point où, nombreuses sont les  populations, au fait de certaines réalités, s'interrogent sur ce nouveau contrat social avec le chef d'État, qui, disent-elles,  est coupé des réalités. L'amélioration des conditions de vie des Camerounais qu'il propose participait-elle de la démagogie ? Les Camerounais sont tentés de le croire si on ajoute à ces mesures d’autres promesses électoralistes non tenues. Et dire que Paul Biya nous demandera de lui confier un nouveau mandat  de  7ans. 7 ans de misère encore?

Les oxymores politiques de Paul Biya
En politique, l’oxymore consisterait à dire une chose et à faire son contraire. Ainsi, beaucoup de promesses ont été faites par Paul Biya, mais très peu réalisées, à cause de l’inertie à tous les niveaux de la république.
Lorsque Paul Biya, l’"illustre successeur" d’Ahmadou Ahidjo, accède à la magistrature suprême le 6 novembre 1982, il est porteur d’un projet de société auquel adhère l’immense majorité des Camerounais, étant entendu ces derniers sortaient d’un régime qualifié de tortionnaire par certains observateurs.  Ce projet que portait ainsi ce fils de catéchiste reposait sur deux piliers, à savoir rigueur et moralisation. C’était l’âge d’or du Renouveau, du moins dans les discours auxquels ont naïvement cru de nombreux compatriotes de cet "agneau politique" qui deviendra quelques années plus tard "l’Homme Lion".
Seulement, au fil du temps, tous ceux qui avaient fondé des espoirs en ce régime qui promettait un Cameroun new-look devaient vite déchanter puisque ni rigueur ni moralisation ne devaient se traduire et ne se sont d’ailleurs toujours pas  encore véritablement traduites dans la réalité. Au contraire, l’impression que le peuple s’est fait de l’usage abusif de ces slogans dans les verbiages politiques des nouveaux maîtres aux commandes du bateau camerounais (pas encore "dans la tourmente" à l’époque) est que plus on parlait de rigueur dans la gestion des biens publics et de moralisation des comportements, mieux se portaient les détournements de fonds publics tout comme l’était l’immoralité dans la nouvelle société camerounaise.
En dépit de nombreuses et diverses dénonciations faites par les organisations de la société civile, le Cameroun du Renouveau était déjà engagé dans un processus de décrépitude très avancée et irréversible. Mais le président Paul Biya, péchant soit par ignorance, soit par démagogie, en vint à demander : « où sont les preuves ? », sous entendu, les preuves des détournements dont ses collaborateurs sont accusés. Dès lors, ministres, Directeurs de sociétés et autres Directeurs de l’administration centrale, se sentant protégés par cette imprudente réaction du prince, se sont livrés à une course effrénée vers un enrichissement autant illicite qu’insolent. Du coup, les preuves n’ont pas tardé à se manifester, à l’instar de celles apportées par "l’affaire Messi" (cf. JAE n°152)
Parallèlement à ces actes d’indélicatesses financières, restés impunis pour un bon nombre, le Cameroun dont rêvaient les Um Nyobè, Ernest Ouandié, Ossendé Afana, Félix Roland Moumié, etc., est progressivement devenu la proie des sectes dont la prolifération s’est faite à une vitesse exponentielle.

Fourberie politique

Aujourd’hui, il est évident  que ces slogans fondateurs du régime du Renouveau sont abandonnés, et cet abandon crée chez les Camerounais un réel sentiment d’avoir été victimes de roublardise politique. L’espoir né du changement de régime s’est mué en incrédulité collective, au point où aucun Camerounais n’a été surpris du trophée mondial du pays le plus corrompu remporté deux fois successivement en 1994 et 1995.
Avec ces roueries d’un séducteur politique des temps modernes, Paul Biya apparaît comme un maître dans l’art des discours sans emprise sur la réalité, puisque l’on peut remarquer que durant ses trois décennies de règne, l’homme du 6 novembre a fait beaucoup de promesses sans qu’elles soient toujours réalisées. Il est vrai que les paresseux politiques laissent croire que les promesses n’engagent que ceux qui y croient, mais lorsque ces promesses s’érigent en règle et non en exception qui confirme la règle, il y a lieu de conclure à la fourberie politique.
Sinon, comment comprendre que c’est quand le président de la République annonce la baisse du coût ou la gratuité de quelque chose que précisément les prix grimpent vertigineusement. On se souvient par exemple qu’avant les émeutes de février 2008, Paul Biya a promis de faire baisser les prix des produits de première nécessité. Mais grande fut la surprise de la ménagère de constater que quelques temps après les prix du sucre, du poisson, du lait, du gaz domestique, etc., ont augmenté. Au registre des promesses non tenues par l’homme lion, figure la modification en avril 2008 de la Constitution dont on dit qu’elle résultait d’un consensus national qui devait permettre à M. Biya de faire deux mandats au terme desquels il se retirerait afin que l’alternance politique se fasse dans notre pays en 2001. Il en est de même de la question de la gratuité de l’école primaire où les frais de la scolarité ont été doublés par les frais d’Ape.  Des promesses comme celles-là, le père du Renouveau en a fait, mais ne les a pas toujours tenues. Dès lors, la moindre promesse de Paul Biya est perçue sous un prisme démagogique. C’est ainsi que lorsque le 10 février dernier, le président de la République, s’adressant aux jeunes, disait avoir « instruit le premier ministre de procéder, cette année, à un recrutement spécial, dans la fonction publique, de 25 000 jeunes diplômés », beaucoup y compris les jeunes, ont douté, même s’ils sont allés déposer les dossiers ; "faisons-le quand même, on ne sait jamais", disaient-ils.
Au regard de cet ensemble de contradictions politiques, une réflexion s’impose : soit Paul Biya s’est entouré des collaborateurs incapables de veiller à l’application des décisions de leur chef ; soit alors il est lui-même victime de sa propre inertie, puisqu’il ne sanctionne pas les collaborateurs incompétents. Il n’a jamais, par exemple, évalué les six premiers mois de l’action gouvernementale comme promis. Autant de choses qui auraient fait dire au sémillant et pétillant sémiologue du Renouveau que Paul Biya fait de l’oxymore politique.
Jean Paul Sipadjo

Un forcing anticonstitutionnel

La révision constitutionnelle effectuée en mars 2008, par voie parlementaire, a permis au parti au pouvoir, immensément majoritaire au Parlement, de faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel en vue de déblayer tout obstacle légal à une présence illimitée (croyait-on) de son président au sommet de l’État.
En posant cet acte, ses auteurs se sont, un tant soit peu, persuadés qu’ils se conformaient à des dispositions constitutionnelles qui consacrent le droit du Président de la République actuel à utiliser ses pouvoirs pour prolonger sa mission au-delà du nombre de mandats initialement prévus.
Toutefois, après promulgation de ladite modification, il apparaît qu’une validation de la candidature du Chef de l’État en poste à la prochaine élection présidentielle interviendrait en violation flagrante de cette même constitution, quoique modifiée, compte tenu de l’inexistence d’un ensemble de dispositions qui auraient dû être adoptées et inscrites dans la Loi fondamentale dans l’optique de marquer une rupture avec l’ancienne Loi, sur le plan de la durée du mandat présidentiel, tel que cela avait été prévu dans la révision constitutionnelle de 1996.
La situation ainsi créée ne relève donc plus d’ordre uniquement de controverse doctrinale, mais apparaît éminemment juridique et définitivement politicienne. D’éminents experts (voir réf. ci-dessous) ont produit, à ce sujet, des opuscules et des chroniques médiatiques allant dans le sens de dénoncer l’illégalité d’une éventuelle candidature du Président de la République actuel à l’élection présidentielle de 2011. Les partisans de ladite candidature à la prochaine élection présidentielle, piégés par cette controverse constitutionnelle, multiplient les manœuvres et autres mobilisations, en vue de créer de la diversion favorable à leur cause.
Des initiatives, en vue d’une réflexion sur ce sujet, butent, ces dernières semaines, sur une farouche interdiction des autorités administratives, plus soucieuses par cette attitude de plonger et maintenir les populations camerounaises dans l’ignorance. Le débat est donc volontairement escamoté et violemment partisan. Ce qui menace, à terme, la sérénité indispensable dans une société en profonde quête de démocratie. Il importe, par conséquent, que l’opinion nationale et internationale soit, aujourd’hui, informée du manque de base juridique d’une éventuelle candidature de Paul Biya  à l’élection présidentielle de 2011, en vue d’une mobilisation contre une telle candidature, car celle-ci dans la situation juridique actuelle, serait anticonstitutionnelle, illégale et finalement illégitime.
Le Rdpc, parti au pouvoir au Cameroun, qui a bâti, ces derniers temps, sa stratégie sur une éventuelle candidature de son président actuel, serait donc inspiré, en l’absence d’une situation constitutionnelle nouvelle, d’apprêter un autre poulain à lancer dans la future arène présidentielle. À moins de recourir à un de ces coups de force antidémocratiques dont il a le secret.
Jeanlin
(1)  « Initiatives de gouvernance citoyenne, Alain Didier Olinga in La revision constitutionnelle du 14 avril 2008 au Cameroun, Yaoundé mai 2008 (IGC B.P.16474 Yaoundé-Cameroun – Tél : + 237 22 01 15 68 -  e-mail : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.
2- Website : www.citizens-governance.org);
3) Mutations du 21 avril 2011 : Chronique  juridique, page 3 « Élection présidentielle : la nouvelle règle du jeu » par Alain Didier Olinga, Maître de conférences, Chef du Département de droit international à l’Institut des Relations internationales du Cameroun


Paul Biya, le Boulanger qui pétrit la constitution

La volonté des Camerounais de voir Paul Biya quitter le pouvoir s’est manifestée depuis des années. Mais par élégance politique, une astuce politique a été trouvée par une nouvelle constitution qui lui accordait encore 14 ans. Malheureusement aujourd’hui, l’opposition et la société civile ont le sentiment d’avoir été flouées, les promesses n’ayant pas été tenues par le régime.
Suite  au discours de la Baule tenu par François Mitterrand, discours dans lequel  le président français d’alors conditionnait l’aide aux chefs d’États africains par la démocratisation de leurs pays,  le Cameroun, à l’instar de nombreux autres pays d’Afrique subsaharienne, connait, au début de la décennie 90, une crise sociopolitique qui avait failli emporter le régime de Paul Biya. Cet appel de l’ex-président français avait constitué un déclic pour une série de revendications sociales et politiques. C’est ainsi que le 6 mai 1990, les étudiants camerounais étaient sortis des amphis pour se retrouver dans les rues où ils avaient formulé un certain nombre de revendications liées entre autres, à l’amélioration de leurs conditions de vie et d’étude. Peu après, c’est la classe politique qui leur emboite le pas. Le 26 mai 1990, c’est un groupe de Camerounais épris de liberté qui descendaient à leur tour dans la rue pour le lancement douloureux du Social democratic front (Sdf). Presque un an plus tard, notamment en avril 1991, le mot d’ordre de "villes mortes" et "boycott des produits français" était lancé et largement suivi par le peuple qui réclamait l’organisation des élections libres et transparentes, à défaut de voir M. Biya partir.
Dès lors, le Cameroun s’embrasait, le pouvoir de Yaoundé vacillait et était poussé à bout. L’opposition exigeait du régime du Renouveau l’organisation, comme un peu partout ailleurs en Afrique où l’on connaissait la même crise politique, d’une Conférence nationale souveraine (Cns) à l’issue de laquelle devait sortir une nouvelle constitution reflétant la nouvelle donne sociopolitique du Cameroun. Mais face à cette revendication majeure, le président Paul Biya restait inflexible, car, trouvait-il, « la Conférence nationale souveraine était sans objet ». La pression se faisant de plus en plus forte, le "meilleur élève de Mitterrand" devait lâcher du lest et en novembre 1991, une rencontre tripartite pouvoir, opposition et société civile est organisée.

Constitution du consensus

Au cours de cette rencontre boycottée par certains leaders de l’opposition, à l’instar de Ni John Fru Ndi du Sdf, les discussions avaient porté sur plusieurs sujets liés à la vie de la nation et à son avenir politique. Mais le point qui aura le plus retenu l’attention était celui sur la révision constitutionnelle. Étant entendu que le régime de M. Biya était déjà fragilisé, ses représentants à cette rencontre n’avaient pas hésité à faire des concessions politiques qui s’étaient traduits dans la constitution publiée le 18 janvier 1996, par une disposition consensuelle, à savoir la limitation du nombre de mandats présidentiels. En effet, l’article 6 en son alinéa 2 dispose : « Le Président de la République est élu pour un mandant de sept (7) ans, renouvelable une fois ».
Au vu de cette disposition constitutionnelle, M. Biya, dont le départ immédiat était réclamé par la diffusion des tracts portant des messages du genre "Biya must go", ne devait plus se présenter qu’à deux élections présidentielles, celle de 1997 et celle de 2004. L’élégance politique l’imposait pour quelqu’un qui avait servi l’État pendant de nombreuses années et qu’on ne pouvait débarquer comme le premier quidam venu. Cela supposait qu’en 2011, l’alternance, du moins un changement à la tête de l’État serait une évidence, étant donné que ce fils de M’vomeka n’aurait plus la possibilité de se représenter. C’est cet esprit de consensus qui planait sur les travaux de la tripartite. Cet accord tacite entre le régime et l’opposition ne devait, aux dires de certains participants à cette rencontre, être trahi par aucune des parties. D’ailleurs, des pontes du parti au pouvoir ont constamment dit que leur champion était un "homme de principe" à qui il fallait faire confiance.
Malheureusement en avril 2008, suite à un projet de loi introduit par le gouvernement de la majorité présidentielle, la constitution du consensus a fait l’objet d’une révision par l’Assemblée nationale majoritairement dominée par le Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (Rdpc), partie au pouvoir. Principalement visé, l’alinéa 2 de l’article 6. Désormais, le nombre de mandats n’est plus limité, et du coup, les partisans de Paul Biya estiment qu'il a la possibilité de se représenter à la présidentielle autant de fois qu’il le désire. Le débat est ouvert et vif. Une bonne partie des Camerounais et observateurs  avertis pensent que Paul ne devrait pas se représenter à la prochaine élection présidentielle. Ils se fondent sur le fait qu'aucune disposition de la Consitution révisée ne l'y autorise. Ils estiment en outre que la loi n'est pas rétroactive et la disposition constitutionnelle revisée concerne l'élection présidentielle à venir et non celle d'octobre 2004. Les partisans de Paul Biya soutiennent le contraire. C'est bonne guerre. La présidentielle d'octobre prochain s'annonce houleuse.
Il est vrai qu’à cet instant, nul ne peut dire si l’actuel locataire du palais d’Etoudi se présentera en octobre prochain, mais toujours est-il que le pacte politique tacitement signé aura été trahi, ce qui a fait dire à certains observateurs que Paul Biya a roulé ses adversaires politiques dans la farine. Avec cet autre exemple, l’on pourrait croire que Paul Biya est maître dans l’art des promesses politiques non tenues.  
Simon Patrice Djomo

Les prix démentent le discours présidentiel

Il avait promis que les prix des denrées de première nécessité devaient être revus à la baisse. Sur le marché, les prix flambent.
Quelques jours après les inoubliables émeutes de la faim qui ont secoué le au Cameroun du 25 au 28 février 2008, le Président de la République a fait une apparition éclair sur la Cameroon Radio Television(Crtv). Après avoir fustigé les « apprentis sorciers » qui selon lui ont instrumentalisé les jeunes pour obtenir par la rue ce qu’ils n’ont pu obtenir par les urnes, il a aussitôt convoqué une rencontre express avec ses ministres et à l’issue de laquelle il a décidé la réduction des prix des denrées de première nécessité. Pour cela, Paul Biya a fait dresser une liste des produits de grande consommation qui doivent désormais entrer au Cameroun en franchise de douane. Y figurait en bonne place, le riz, le maquereau, les huiles de table…
Trois ans après, toutes ces denrées sont hors de prix. Pourtant, elles sont toujours importées en franchise de douane. Depuis des semaines, le sucre est devenu rare sur les étales. Le prix a considérablement augmenté. Selon les commerçants, la cartouche de cinq paquets de sucre qui coûtait 4 000 FCfa est passée à 4 500CFa. Même si pour l’instant, ce produit utilisé sur toute la chaine alimentaire se vend toujours 3 à 10 francs, il n’est pas exclu que le carreau de sucre coûte 5 francs dans les jours à venir. Surtout qu’aucun commerçant ne connait la date du retour du sucre en abondance sur le marché. Il en va de même pour les autres produits pourtant dits de première nécessité. Depuis deux semaines, il ne se passe plus un jour sans que les équipes de la brigade de contrôle des prix et de la répression des fraudes ne saisissant un stock de sucre vendu à prix d’or. Certes, le ministère du Commerce avance le respect du prix homologué pour justifier la traque. Il il demeure que la demande est largement supérieure à l’offre. La Société sucrière du Cameroun(Socucam) et ses usines vieillottes n’arrivent plus à satisfaire les besoins des Camerounais en la matière. Conscients de cet échec, les pouvoirs publics ont autorisé l’importation. Mais le problème demeure. Les autres denrées comme la farine de blé, le poisson sont à inscrire dans le même registre.
Le poulet s’envole
Dans la même logique d’inflation, l’Interprofession avicole du Cameroun(Ipavic) a annoncé l’envol du prix du poulet. C’est dire que le problème est profond. Il ne concerne pas seulement les produits importés. En effet, lors de la dernière assemblée générale de cette association des aviculteurs du Cameroun réunis le 12 mai dernier au parc zoologique de Mvog-Béti à Yaoundé, il a été décidé le passage du prix du poulet de chair. Ahmadou Moussa, le président de l’Ipavic explique que les intrants nécessaires dans la production du poulet de chair sont devenus chers. Il s’agit en l’occurrence du maïs. Or ce produit n’est pas seulement utilisé dans la production avicole. Bien au contraire, il rentre dans l’alimentation d’une bonne frange de la population camerounaise. Ce qui revient à dire qu’avant les poulets de chers, les humains souffrent déjà de cette flambée des prix du maïs. Et les répercussions sur la production avicole représentent un double coup porté sur le porte-monnaie déjà désempli des Camerounais. Lesquels doivent se contenter d’un salaire minimum interprofessionnel garanti d’environ 29 000FCfa.
Koumpa Mahamat

Une scolarité gratuitement payante

Ce fut une bonne nouvelle, triomphalement accueillie dans les familles. Lorsque le même Paul Biya annonce la gratuité de la scolarité primaire au Cameroun, même ceux qui avaient abandonné les bancs faute de moyen ont pensé à un retour. On y a cru un instant…
Les choses ne pouvaient pas se passer autrement. Car dès l’annonce présidentielle, les observateurs avertis ont très tôt parlé d’effet d’annonce. Car au-delà des desseins de populisme politicien, aucune condition concrète n’était prise pour que « le fer de lance de la nation » reçoive une scolarisation gratuite. Déjà, la mesure présidentielle est prise alors que toutes les écoles camerounaises connaissent un manque d’enseignants. Le gap est important, surtout de depuis des années, l’État n’avait plus songé remplacer les départs en retraite et les désertions enregistrées dans les rangs de formateurs des tous petits. Le Cameroun connait à cette période la grogne des Ivacs (Instituteurs vacataires). Il s’agit des hommes et femmes formées dans les écoles normales d’instituteurs de l’enseignement général, mais abandonnées par le même État qui les a formés.
À s’y méprendre, la gratuité de l’école primaire au Cameroun ressemble à un abandon des élèves aux parents. Car faute d’enseignants suffisants et suffisamment motivés, faute d’infrastructures et de matériel pédagogique alloués par les pouvoirs publics, les parents sont obligés de faire ce qui est possible pour que leurs progénitures aient une éducation acceptable. À cet effet, les Associations des parents d’élèves(Ape) sont fortement créées et sollicitées. Même si ces Ape sont antérieures à la gratuité de la scolarité primaire au Cameroun, il convient de constater qu’elles ont repris du poids de la bête une fois celle-ci décidée. Ainsi, au lieu des frais exigibles qui s’élevaient à 2 300 FCfa par élève, les parents sont aujourd’hui obligés de débourser près de 5 000 pour payer les « maîtres des parents ». Dans les campagnes, le phénomène est plus préoccupant. Parce que certaines écoles là-bas n’ont que le directeur comme fonctionnaire, les parents doivent recruter et payer les maîtres de la SIL au CM2. Pour cela, il n’est pas rare de voir un parent payer jusqu’à 15 000 Fcfa pour un seul enfant. Dans les villes où les enseignants sont concentrés parce qu’ils refusent d’aller travailler en campagne, le problème de frais d’Ape se pose moins. Mais il est aussitôt remplacé par les frais d’informatique. 5 000 Fcfa par élève dans la plupart d’établissements scolaires. À quoi il faut ajouter les frais des épreuves de composition. Au nom d’une certaine modernisation, les enseignants n’entendent plus copier les épreuves au tableau. Ils préfèrent les faire saisir et photocopier. Malheureusement tout cela est fait aux frais du pauvre apprenant qui n’a aucune source de revenus. Une véritable gratuité payante
K. M

Cachez vos biens

Le patrimoine des élus, des hommes politiques  et des gestionnaires a toujours suscité au Cameroun, comme ailleurs, des interrogations qui tournent très rapidement à la critique et à la vindicte.
Les Camerounais n'acceptent pas, et ce, à juste titre, l'idée que les élus puissent s'enrichir illégalement au service de la Nation. Est considéré comme du patrimoine : les propriétés foncières et immobilières, les parts d'entreprises, les placements financiers (comptes bancaires, actions, obligations, etc.), les meubles, équipements domestiques et véhicules, les objets d'art et de collection. L'article 66 de la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006, soumet les personnalités de la République, du gouvernement, du parlement, des régions, des municipalités et de l'administration publique camerounaise à l'obligation de "faire une déclaration de leurs biens et au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction". Il s'agit précisément du président de la République; du premier ministre; des membres du gouvernement et assimilés; du président et des membres du bureau de l'Assemblée nationale; du président et des membres du bureau du sénat; des députés et des sénateurs; de tout détenteur d'un mandat électif; des secrétaires généraux des ministères et assimilés; des directeurs des administrations centrales;  des directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques; des magistrats; des personnels des administrations chargées de l'assiette, du recouvrement, du maniement des recettes publiques et du contrôle budgétaire; tout gestionnaire de crédit et de biens publics. Outre ces personnalités qui figurent dans l'article 66 de la constitution de 1996, la loi du 25 avril 2006 détermine également les autres catégories de personnes assujetties à l'obligation de déclaration des biens et avoirs.
Il s'agit dans ce deuxième groupe du président du Conseil économique et social; des ambassadeurs; des recteurs d'universités d'État; des délégués du gouvernement auprès de certaines municipalités; les présidents des conseils d'administration des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic; les gouverneurs de province et les préfets ; les présidents des commissions de passation des marchés publics; les présidents des chambres consulaires; les chefs de projets bénéficiant de financements extérieurs et /ou des subventions de l'État; les responsables des liquidations administratives et judiciaires; les responsables des établissements  publics administratifs et des sociétés à capital public jusqu'au rang de directeur; les responsables des administrations centrales ayant rang de directeur de l'administration centrale. De même, tout ordonnateur de deniers publics au sein d'une association ou de tout autre organisme privé, bénéficiant des deniers publics, au titre de dons ou de subventions, est aussi assujetti à l'obligation de déclaration des biens et avoirs; au début et à la fin de son mandat ou de sa fonction. D'après la loi du 25 avril 2006, les personnes assujetties, actuellement en fonction ou en cours de mandat, disposent, pour déclarer leurs biens et avoirs, d'un délai de 90 jours, dès le démarrage des activités de la Commission. Pourtant, le président de la République n'a pas encore signé le décret créant la commission chargée de recevoir, d'exploiter et de conserver les déclarations des biens et avoirs créée par la loi du 25 avril 2006. L'article 7, alinéa 6 de la loi relative à la déclaration des biens et avoirs précise en effet que "L'organisation et le fonctionnement de la Commission sont fixés par décret du président de la République. Le même texte indique aussi que le chef de l'État nomme le président et les sept membres de la commission. Les actes du président de la République restent attendus. De même, l'un des membres de la commission de déclaration des biens et avoirs doit être désigné par le président du sénat. Cet organe n'est pas encore mis sur pied. Le chef de l'État camerounais aura-t-il le courage de déclarer ses biens. Cette pratique n'est pourtant pas une exception camerounaise.

Cassation

En France, les parlementaires, ministres, maires de grandes villes et certains autres élus doivent effectuer, en début et en fin de mandat, une déclaration de patrimoine, selon les lois sur la transparence financière de 1988 et 1995. Ces déclarations, confidentielles, ne peuvent être communiquées qu'à la demande de l'intéressée ou "sur requête des autorités judiciaires lorsque leur communication est nécessaire à la solution du litige ou utile pour la découverte de la vérité." Seules celles du président de la République française sont publiées au Journal officiel par le Conseil constitutionnel. La déclaration doit concerner tous les biens de l'élu, y compris les espèces et les biens détenus en communauté avec son conjoint ou en indivision. La loi de 1988, votée sous la première cohabitation (Jacques Chirac premier ministre et François Mitterrand président), prévoyait que les parlementaires déposassent leur déclaration au bureau de leur assemblée. La loi de 1995, votée sous la deuxième cohabitation (Édouard Balladur et François Mitterrand) confie ce rôle à la commission de transparence financière de la vie politique, composée du vice-président du Conseil d'État, du premier président de la Cour de cassation et du premier président de la Cour des comptes, qui s'en chargeait déjà pour les autres élus. En France, doivent déposer des déclarations de patrimoine, sous peine d'inéligibilité pendant un an, les parlementaires nationaux et européens, membres du gouvernement, présidents de conseils généraux et régionaux, maires de communes de plus de 30 000 habitants, autres élus disposant d'une délégation de signature, dirigeants d'entreprises publiques.
Le président Abdelaziz Bouteflika a rendu public, dimanche 22 février 2009, sa déclaration de patrimoine, en application de l'article 157 de l'ordonnance 97-07 du 6 mars 1997, modifiée et complétée, portant loi organique relative au régime électoral. Le président algérien a déclaré être propriétaire des biens ci-après : Biens immobiliers : une maison individuelle sise à Sidi Fredj (commune de Staouéli) suivant acte enregistré sous le n° 226 du 11.11.1987; une maison individuelle sise rue de la Rochelle, Alger, suivant livret foncier n° 70-68/07 du 11/12/2007 et un appartement sis au 135, rue Cheikh El Bachir El Ibrahimi, El Biar, suivant livret foncier n° 29-39/07 du 26/06/2007. Biens immobiliers : deux (02) véhicules particuliers. De même, Abdelaziz Bouteflika déclare qu'il n'est propriétaire d'aucun autre bien à l'intérieur du pays ou à l'étranger.
J.E.L.
Source: Germinal n° 043

SOS, enseignants en danger

Ils n’ont que la grève pour se faire entendre. À plusieurs reprises, ils ont été floués par les pouvoirs publics. Ils remettent le mot d’ordre de grève et formulent des revendications précises.
1-Revalorisation des salaires des enseignants, de leurs allocations familiales et de leurs indemnités de non-logement ;
2-Intégration sans condition dans la Fonction publique de tous les instituteurs contractuels et/ou contractualisés et ouverture  de l’évolution de leur carrière en fonction des diplômes académiques obtenus et la normalisation du mode d’affectation des dernières cuvées.
3-paiement effectif de la prime de documentation et de recherche  et   
des rappels  y afférents ;
4-Reprise du paiement des frais de départ en  congé  annuel des enseignants, de leurs frais de relève relatifs à leurs affectations et les arriérés de vacation dus des examens officiels antérieurs en fonction du respect du décret n°2010/1738/PM du 07juin 2010 portant révision des taux des indemnités de vacation ;
5-Publication solennelle des concours professionnels des enseignants du Minedub et allongement du délai de dépôt des dossiers
6- Révision du Statut particulier des Enseignants et réactualisation de la Loi d’orientation scolaire ;
7- Responsabilisation des cadres authentiques de l’Éducation de Base  dans les services centraux  du Minedub ;
8- Réalisation de l’effectivité de la gratuité de l’école et réorganisation opérationnelle et productive du paquet minimum ;
9- Signature de la Convention collective de l’Enseignement privé ;
10- Cessation des ingérences du Ministère de l’Éducation de Base – Minedub dans les affaires internes des syndicats notamment du Snuipen, l’unique syndicat authentique, représentatif et légal de l’Éducation de Base.
Le corollaire de cette cessation suppose l’expression effective et catégorique de la liberté syndicale et de la protection des droits syndicaux au Minedub. À ce titre, il faut :
- un cadre de concertation conforme aux normes en la matière ;
- une clarification de l’attribution des subventions aux syndicats au Minedub ou de simples associations créées par certains responsables du Minesub (S/Dsapps) en bénéficient aussi, en violation de la loi.

Roger Kaffo Fokou, Ensiegnant et Écrivain
Les Camerounais n'ont pas fini de payer le prix de divisions absurdes
Enseignant, syndicaliste et écrivain, Roger Kaffo Fokou, estime qu’en dépit d’un étalage ostentatoire des outils et des rites d’une gouvernance qui se veut moderne de type dit démocratique, nous avons affaire à un pouvoir fonctionnant en réalité sur un mode archaïque.
Germinal :   La gestion politique de Paul Biya semble se caractériser depuis trois décennies, par le double langage, autrement dit,  par les promesses non tenues. Quelle lecture pouvez-vous en faire ?
Roger Kaffo Fokou : Nous sommes à mon avis dans un contexte où, en dépit d’un étalage ostentatoire des outils et des rites d’une gouvernance qui se veut moderne de type dit démocratique, nous avons affaire à un pouvoir fonctionnant en réalité sur un mode archaïque. Un pouvoir dont le chef se considère comme un élu des dieux qui ne doit pas son ascension aux humains, et par conséquent n’a pas d’obligation envers eux. On comprend pourquoi le concept de magnanimité est central à ce type de pouvoir, de même que ce dernier agit sur le mode incantatoire et donne l’impression de croire qu’il suffit qu’il dise « Que la lumière soit » pour que celle-ci fût. Nous avons là le creuset dans lequel se moulent les habitudes de paresse, d’incompétence, d’incurie, de tricherie et finalement d’impuissance. Je pense que le Président Biya a dû être surpris en 1982 par le pouvoir qu’il n’attendait pas, même s’il a certainement dû en rêver, un pouvoir  pour lequel il ne s’était donc pas préparé. Cette surprise aura eu au moins deux inconvénients : le pouvoir lui est apparu comme tombant du ciel, ce qui a développé chez lui un messianisme fondamentalement antidémocratique ; deuxièmement il en a fait un fétiche et même une fin en soi et non un moyen au service de valeurs supérieures. On peut alors comprendre l’espèce de mépris avec lequel il traite son entourage, le peuple, et même l’institution qu’il représente d’une part, d’autre part le machiavélisme qu’il a su développer pour  manipuler comme un marionnettiste les élites tant modernistes que traditionnalistes afin de perpétuer son bien le plus précieux, le pouvoir . À titre d’exemple, le fait d’avoir signé un statut particulier pour les enseignants qui reste inappliqué onze ans plus tard montre qu’il n’attache aucune espèce de valeur à sa propre signature qui n’est pas seulement en l’occurrence celle de l’individu Biya, on s’en ficherait, mais surtout celle de l’institution qu’est le Président de la République, et cela dérange.

L’on se serait attendu que les citoyens, pour ne pas dire le peuple sanctionne une telle gestion, mais cette manière de gérer le Cameroun semble lui convenir. Peut-on considérer qu’au Cameroun, comme dans certains pays africains, la démagogie est une approche efficace dans la gestion des affaires publiques ?

Au regard de la longévité de M. Biya au pouvoir, l’on peut toujours prétendre que ce mode de gestion lui a réussi ; mais personne de sérieux ne saurait avancer qu’il a réussi aux compatriotes de M. Biya. On dit souvent que les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent, mais il s’agit de bien comprendre cette affirmation. M. Biya a hérité au sens propre du terme d’un pays divisé et en a profité. Les Camerounais, il faut le dire, n’ont pas fini de payer le prix de ces divisions absurdes et c’est en cela qu’ils méritent leur sort actuel. Il faudra bien qu’un jour ils se rendent compte qu’ils méritent mieux et que cela ne dépend que d’eux. De là à dire que la démagogie est une approche efficace de gestion des affaires publiques, il y a un fossé qui donne sur un gouffre. Nous ne pouvons tout de même pas affirmer que la catastrophe dans laquelle notre pays se trouve est, par la simple magie de la stabilité politique dont nous sommes devenus dépendants comme d’une drogue, une réussite à vendre sur la place internationale où nous sommes désormais des citoyens d’un pays pauvre très endetté. Tout l’enjeu des déchirements autour de l’Onel ou d’Elecam tient justement au fait qu’on redoute l’expression libre du peuple parce qu’on se doute bien que celle-ci se ferait au détriment d’une volonté de perpétuation d’un statu quo qui profite marginalement à la classe au pouvoir et massivement aux puissances que cette dernière sert.

Comment comprendre qu’au fil du temps, pendant que les discours de Paul Biya tendent à devenir une rengaine, les voix de la classe politique, notamment celles de l’opposition se limitent à quelques critiques mineures qui laissent les pouvoirs publics indifférents ?

Quand une génération rate sa révolution, elle a rarement la possibilité de se rattraper. Cela est vrai à la fois pour M. Biya et son équipe d’une part, d’autre part pour l’opposition et les diverses forces de pression. La rigueur et la moralisation ne furent qu’un slogan qui ne fit même pas illusion le temps d’un feu de paille. L’opération épervier comme tentative de restauration d’un ordre social éthique n’a aucune chance de réussir. M. Biya ne réussira pas sa révolution éthique même s’il la conduisait avec sérieux pour une fois parce que le train ne repasse pas toujours. L’opposition quant à elle a raté dans les années 90 de nombreux rendez-vous cruciaux avec l’histoire et a contracté puis diffusé jusque dans les subconscients le syndrome de l’impuissance. On se relève difficilement de tels processus sans tout remettre à plat, et ni le pouvoir ni l’opposition ne semblent prêts à une révision déchirante. Le mythe d’une toute-puissance illusoire du pouvoir est né, avec son pendant, celui d’une toute-impuissance tout aussi illusoire de l’opposition. Tout cela est décidément bien théâtral, dans un registre tragi-comique. Du moins, le Camerounais ordinaire n’y voit rien de sérieux. C’est l’emboitement de ces deux mythes antithétiques qui a formé le cercle narcotique du statu quo qui prévaut depuis des années dans notre pays, comme dans la cosmologie orientale du yin et du yang. Tant que les symboles de cette mythologie seront positionnés aux postes clés du champ politique, il ne se passera rien et les discours tiendront lieu d’action de part et d’autres.

Il est de notoriété publique que le chef d’État du Cameroun fustige dans presque tous ses discours  la corruption, ce mal qui plombe notre développement. Paradoxalement au même moment  le Cameroun demeure au peloton des pays les plus corrompus au monde. De même, il n’y a pas longtemps, Paul  Biya promettait la baisse des prix des produits de première nécessité. Sur le marché pourtant, on assiste à une inflation presque généralisée. Au regard de ce qui précède, doit-on comprendre qu’en politique il n’y a aucun rapport entre les discours et la réalité ? Peut-on conclure que les promesses de Paul Biya n’engagent que ceux qui y croient ?

La politique camerounaise ne résume heureusement pas la politique. Du G7 hier au G20 aujourd’hui, la preuve est largement faite qu’en politique, l’on peut arriver au pouvoir avec un programme et en exécuter une bonne part avec succès. Je ne suis pas de ceux qui veulent discréditer la politique de manière globale, parce qu’il n’y a aucun autre mode de gestion des sociétés qui ne soit pas politique. Ce type de discrédit débouche généralement sur une désaffection des masses par rapport à la chose politique, ce qui une fois de plus fait l’affaire des oligopoles politiques qui prospèrent sur la misère des masses. Disons-le, il existe une pratique positive du pouvoir politique et celle-ci a fait et continue à faire ses preuves ici et là. La démagogie, qui est un désajustement entre les discours et la pratique politique poussé jusqu’à l’inacceptable, n’est que la marque d’hommes d’État n’ayant jamais eu de vrais projets politiques ou fondamentalement incapables de mettre en œuvre un quelconque projet. La suprématie américaine sur le monde tout au long du XXe siècle ainsi que la montée en puissance actuelle de la Chine et d’autres pays dits émergents ne sont pas les fruits du hasard, mais les résultats de politiques théorisées puis mises en œuvre de façon rigoureuse. Bien sûr il y a toujours un certain pourcentage de désajustement entre le discours comme projet et la réalité construite à la suite, mais ce n’est pas cela que l’on appelle démagogie.

Quel bilan politique global pouvez-vous établir des 30 dernières années de Paul Biya à la tête de l’État du Cameroun ?

À mon avis, l’une des choses les plus importantes que l’on retiendra de M. Biya est qu’il nous a permis de mesurer les limites de la liberté d’expression comme outil au service de la démocratie. Ces 30 dernières années, les Camerounais ont certainement mieux compris l’adage selon lequel « Le chien aboie, la caravane passe » : parlez, criez, dénoncez, et tout se passe exactement comme si vous étiez muets. Tenez : des fonctionnaires, pris en faute sans doute, mais normalement présumés innocents travaillent depuis bientôt 4 ans sans salaire ; nous avons saisi par écrit le Premier Ministre à deux reprises, une fois par lettre ouverte, en pure perte de temps. Il y a là une véritable perversion de la liberté d’expression. Est-ce un acquis positif ? J’en doute. Les livres comme la presse ne se vendent plus parce que l’on a pu vérifier la relativité de l’efficacité de la vérité dans le champ sociopolitique camerounais. Conséquemment, toutes les formes de déviations se sont développées, bénéficiant de la quasi inefficacité de toute forme de dénonciation. Quant  à M. Biya s’en ira demain ou après-demain parce que cela est inscrit dans l’ordre de la nature à défaut de l’être dans l’ordre constitutionnel, il laissera un pays à refaire sur tous les plans fondamentaux : sens de responsabilité, civisme, esprit de sacrifice… Au plan politique, il aura laissé un pays profondément dépolitisé, où les citoyens ne croient ni en eux ni en ceux qui, même sincèrement, se sacrifient pour eux. C’est tout cela qui est grave. Je veux bien que l’on me parle de projets structurants, mais quand l’être humain est à ce point déconstruit, déstructuré, tout ce que l’on bâtit s’apparente à un château édifié sur du sable. Face à un tel drame, il me semble inutile de faire une comptabilité d’épicier.

Récemment, la Sopecam a mis en vente plusieurs volumes d’un ouvrage intitulé L’appel du Peuple. Avez-vous le sentiment que le peuple camerounais adhère au discours et à la façon de gérer le Cameroun de Paul Biya ?

Le concept de « peuple » est aussi galvaudé que celui de « communauté internationale ». Le peuple, celui qui compte politiquement parce que constitué de personnes majeures, concrètes, que l’on peut toucher du doigt, est fait de travailleurs en activité ou au chômage. Remarquez que M. Biya promet tout au peuple, mais ne donne rien aux travailleurs. C’est qu’il sait que le peuple n’est qu’une fiction qui ne risque pas de revendiquer le respect de ces promesses, ce qui serait évidemment différent s’il s’agissait des travailleurs : depuis 11 ans par exemple, les enseignants n’ont cessé de revendiquer l’application de leur statut. C’est pourquoi des pavés comme L’appel du peuple n’ont aucune espèce de valeur, ni littéraire ni politique. C’est un usage du temps, de l’encre et du papier fondamentalement antiéconomique parce que ne tenant pas compte des coûts d’opportunité. Car, à qui s’adressent-ils ? Pour les lire, il faudrait une belle dose de masochisme qui ne court pas les rues. Inutile de demander si les Camerounais y adhèrent : combien sont-ils qui sont au courant de l’existence de telles fumisteries ?  

Quelle est votre lecture de cet « appel » ?

Dieu me garde de lire pareille littérature. Plus sérieusement, disons qu’un tel appel est une blague de très mauvais goût. Il s’agit d’une moquerie à l’endroit d’un peuple que l’on croit tenir suffisamment pour être sûr qu’il est inoffensif ad vitam aeternam, mais c’est une erreur grossière. Les peuples ont une mémoire d’éléphant et le nôtre s’en souviendra au moment opportun. L’histoire ancienne et récente abondent d’exemples qui le prouvent à suffisance, mais le pouvoir rend amnésique, sourd et aveugle. Le pouvoir est également une dangereuse drogue génératrice d’illusions tout aussi dangereuses. C’est pour cela que c’est si doux de mourir au pouvoir ! Quoi de mieux que de s’endormir dans l’illusion pour l’éternité ? Nous en rêvons tous. Ainsi, l’on pourrait échapper au jugement des hommes qui est le pire jugement qui soit. Pensez à Albert Camus dans La Chute : « Ne me parlez pas du jugement dernier, disait-il, j’ai connu pire, le jugement des hommes ». Il avait raison : ce n’est pas la culpabilité qui effraie, c’est le jugement, et plus que tout, le jugement des hommes. Cet appel dit du peuple, c’est pire qu’une simple tricherie, c’est une trahison du mandat populaire, une monstruosité humaine. Ceux qui s’adonnent aux délices de telles forfaitures savent que seule l’assurance d’échapper au jugement leur garantit de finir dans l’illusion. Mais sait-on jamais ? Il suffit de savoir que malgré tout, toutes les possibilités restent ouvertes et qu’à tout moment tout peut basculer…
Propos recueillis par
Jean-Bosco Talla