Comprendre le “pala-pala” politique de Maurice Kamto…

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altC’est toujours avec un sourire amusé que les vétérans de la politique camerounaise observent les contradictions et l’agitation de Maurice Kamto sur la scène politique nationale, trois ans avant les échéances majeures attendues en 2018. Comptant ses fautes et erreurs politiques à tous les coups, ils se gaussent de ce loup solitaire qui tente de susciter une dynamique favorable à sa candidature à la prochaine élection présidentielle.
L’ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé 2 essaie en effet de déclencher une tempête dans un océan calme et plat, dominé par l’indifférence aux activités des politiques hors saison. Dans le contexte aussi où le RDPC – qui porte bien son nom – rassemble justement l’essentiel des militants des partis politiques et jouit de la confiance de la majorité des non-militants, comme le révèle le sondage Afrobaromètre, rendu public le 2 décembre 2015.
Pour tenter de parvenir à ses fins, l’ancien ministre délégué auprès du Vice-premier ministre, ministre de la Justice, Garde des sceaux, que plusieurs militants de son parti dénoncent systématiquement

comme un tribaliste invétéré, a d’abord essayé de prendre de l’avance sur les autres partis politiques de l’opposition en annonçant sa candidature à la présidentielle et en organisant un grand meeting politique à Bafoussam, la capitale de son Grassfields natal le 21 novembre 2015. Il espérait certainement un meeting grandiose, à la manière de ceux que l’opposition camerounaise a réussi à organiser sous la férule de Samuel Eboua et du Chairman Ni John Fru Ndi au début des années 1990, ou à la manière des deux méga meetings politiques organisés par le RDPC à Bafoussam pour le compte du RDPC depuis le début des années 2000. Echec et mat. Seules quelques centaines de personnes ont pris part à la réunion, en dépit des efforts de mobilisation de ses lieutenants sur le terrain et des sommes d’argent englouties dans ce projet mal pensé. Pour la dynamique de campagne à partir de l’Ouest, il faudra repasser.
Pour faire oublier cet échec cuisant et en effacer le souvenir douloureux, il vient de tenter une nouvelle manœuvre, en organisant devant le Parlement une manifestation illégale, car non déclarée, le 5 décembre 2015. L’on ne se mêlera pas des aspects techniques de ce dossier, qui sera traité par les Institutions qui seront saisies à cet effet, Maurice Kamto ayant annoncé que son parti politique portera cette affaire devant les juridictions.
L’on s’étonne cependant qu’un parti politique représenté au Parlement (de l’anglais parliament, de l’espagnol, du portugais et de l’italien parlamento) qui désigne, depuis le  Moyen Âge, « une assemblée où l’on parle », s’engage à organiser une distribution de tracts dans le cadre d’une manifestation devant le Parlement et tente de s’y introduire, selon certains, afin de poursuivre cet activisme politique, en pleine session parlementaire. Le député du MRC, qui a dit et répété qu’il ne doit son siège qu’à lui-même, ne pouvait-il pas porter le message du MRC à l’Assemblée nationale ? Dès lors, qu’il pouvait bien le faire, à partir du moment où il participe à la vie du parti de Maurice Kamto, l’explication se trouve ailleurs.
Sans doute mal inspiré pour créer ses propres tactiques, le MRC tente en fait de reproduire les tactiques éculées – et abandonnées depuis longtemps – de certains acteurs politiques du début des années 1990 au Cameroun et dans d’autres pays fraîchement convertis au pluralisme, qui consistaient à tout faire pour créer des incidents avec les forces de maintien de l’ordre, afin d’assurer une publicité gratuite pour un livre censuré, un journal qui ne décolle pas ou une cause dont l’opinion ne voit pas la pertinence. En ces années chaudes au Cameroun, l’on a ainsi vu un directeur de publication se planter devant la police, torse bombé, en disant : « gifflez-moi ! », dans le vain espoir de se faire violenter et arrêter… pour ensuite se prévaloir du titre de martyr de la liberté d’expression, au même titre que Pius Njawé.
Revenant à la manifestation illégale du MRC, la presse rapporte en effet que la police a seulement eu recours à la force contre les manifestants du MRC, « les ayant au préalable persuadé [sic] en vain de libérer le trottoir devant l’Assemblée nationale pour celui d’en face, devant le lycée Leclerc. Face à l’incrédulité des ‘Mrcistes’ que chapeautait Alain Fogué le Trésorier général du parti, les forces de l’ordre se sont vues dans l’obligation d’user de violence pour les mettre au garde-à-vous » (La Nouvelle Expression du 10 décembre 2015, p. 3).
L’on s’étonne donc que, dans un pays où, suivant les résultats du sondage d’Afrobarommètre précité, 73% de citoyens estiment que la liberté d’expression est effective, une minorité tente d’imposer par la violence – tout en prêchant un évangile de paix – une lecture différente de cette réalité qui fait partie de la respiration quotidienne des Camerounais. Le paradoxe entre d’une part, les déclarations du MRC et, d’autre part, ses méthodes violentes et ses menaces récurrentes montre ce que les promoteurs de ce parti tiennent des apôtres du cynisme politique. Ces derniers enseignent en effet que « la forme d’agression la plus efficace est celle qui se cache derrière des apparences dociles, voire aimantes ». Mais fort heureusement, le masque tombe souvent plus tôt que prévu.
Mais le plus important est, une nouvelle fois, le bilan de la manœuvre ourdie par le MRC qui, voulant donner à son message plus d’ampleur que les résultats des législatives (un député sur 180) ne permettent, a procédé à un mélange douteux d’action institutionnelle et de désordre dans la rue, s’inscrivant du coup dans ce qu’il convient désormais d’appeler le « pala-pala » politique. Le terme « pala-pala » renvoie à une lutte désordonnée, qui n’obéit à aucune règle connue. Etrange recours au « pala-pala », de la part d’un agrégé de droit public qui promet par ailleurs le respect de l’Etat de droit au Cameroun et la conquête du pouvoir dans la paix… mais constance dans le résultat. Ce rut guerrier visait sans doute minimalement, comme dans la même période de 2014, la création d’une mobilisation ou d’une effervescence autour du MRC et, au mieux, une insurrection contre le régime. Echec derechef. Les reportages les plus généreux mentionnent en effet tout au plus la participation d’une dizaine d’excités à la manifestation non déclarée à l’entrée de l’Assemblée nationale et l’indifférence générale de la population. Seul un micro parti sans envergure et non représenté au Parlement lui a apporté son soutien, sur les 298 partis politiques actuellement légalisés au Cameroun.
Pouvait-il en être autrement dans un pays où les citoyens ne s’intéressent aux questions électorales qu’à l’approche du scrutin ? Tous ceux qui ont travaillé à la refonte ou à la révision des listes électorales en dehors des périodes électorales ont gardé un souvenir très amer du mur d’indifférence auquel ils se sont heurtés... Toute croisade pour la révision du Code électoral restera une croisade contre les moulins à vent, tant qu’aucune élection ne sera en vue.
Le plus curieux est qu’après cet échec, le candidat précipité du MRC à la présidentielle attendue dans trois ans, qui a manifesté son impatience d’être à l’échéance de la présidentielle « même avant 2018 », a pris la parole pour annoncer le retour aux institutions. Une plainte sera donc déposée… Elle sera appréciée par ce que Maurice Kamto a appelé la « chaîne judiciaire sur laquelle le régime s’appuie » (Mutations du 7 octobre 2015, p. 15), nonobstant le fait qu’elle lui a presque toujours donné raison, même face à l’Etat, même en tordant le cou au droit, comme dans l’affaire du dépôt tardif des listes des candidats de son parti aux législatives et municipales de 2013. Malgré qu’il s’en sert pour infliger des poursuites judiciaires abusives aux auteurs qu’il a éhontément plagiés, pour se donner une respectabilité internationale tout en réduisant ses victimes au silence.

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Maurice Kamto, que le régime au pouvoir a amplement engraissé, veut manifestement faire du MRC une « start-up » politique, oubliant que les exigences de patience, de générosité et d’ascèse qui portent une recherche scientifique de qualité caractérisent également la politique. Cela se vérifie particulièrement en ce qui concerne le point spécifique d’application de la politique que constitue la conquête du pouvoir suprême, objectif pour lequel se rallier une frange significative de l’opinion, même dans son propre complexe ethno-culturel, est aussi difficile que de « tarauder des planches de bois dur », suivant la belle expression de Max Weber (Le savant et le politique, 1919, p. 185).
En lui souhaitant de joyeuses fêtes de fin d’année, on lui souhaite surtout, avec le même Max Weber, de « s’armer de la force d’âme qui [lui] permettra de surmonter le naufrage de tous [ses] espoirs ».
James Mouangue Kobila