Maurice Kamto reproduit les pratiques d'une opposition famélique

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Après la convocation du collège électoral en vue des sénatoriales du 14 avril 2013, (presque) tous les régards étaient tournés vers Maurice Kamto qui avait lancé un avertissement à Paul Biya au cas où il organisait lesdites élections avant les municipales et les législatives. Lors de la conférence de presse qu’il a donnée au siège du Mrc, le 04 mars 2013, les journalistes présents n’ont eu droit qu’aux (dis)cours comme s’ils étaient dans un amphithéâtre ; aux déclarations et incantations. Aucun mot d’ordre. Aucune action concrète envisagée. Seulement cet appel au peuple, ce cheval utilisé par le cavalier comme monture pour arriver à Etoudi ou à Ngoa Ekellé. Au nom de la paix, du respect des lois et des institutions. Décidément, la lutte des places s’est substituée à la lutte pour la démocratie et pour un État de droit, au détriment du peuple. Les Camerounais ne sont plus dupes. Ils n’ont pas la mémoire courte.
Dans Les mains sales de Jean-Paul Sartre, deux protagonistes, Hoederer, chef du parti communiste et Hugo Barine, jeune intellectuel bourgeois, qui incarnent la dichotomie entre la théorie et la pratique de la révolution, s’affrontent dans un dialogue politique qui prend la forme d’une confrontation idéologique. Par rapport aux hésitations et scrupules d’Hugo Barine, Hoederer déclare : « Si tu ne veux pas courir de risque, il ne faut pas faire de la politique […] Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars. Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! À quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. […] Un intellectuel, ça n’est pas un révolutionnaire ; c’est juste bon pour faire un assassin ». Autrement dit, selon Hoederer, l’intellectuel n’est pas un homme d’action. On aurait bien souhaité que cette sentence de Sartre au sujet d’Hugo Barine ne soit valable que dans l’univers de la fiction théâtrale. Hélas, elle peut être appliquée, à quelques nuances près, dans le contexte camerounais, notamment lorsqu’on scrute les actes de certains acteurs politiques, en l’occurrence Maurice Kamto, brillant intellectuel reconnu, depuis qu’il trône à la tête du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc).
Face à la presse le 04 mars 2013 au siège de cette formation politique, le leader du Mrc a donné l’impression d’être toujours et encore à la recherche de ses marches. Ses hésitations et scrupules font penser à Hugo Barine. L’absence de vigueur dans ses prises de position et la manie à scander urbi et orbi que « le MRC , Parti républicain,  a toujours tenu, en tout temps et en tout lieu, à affirmer son attachement au respect des institutions et des lois de la République, dans le souci de la préservation de la paix si chère à notre peuple et à lui-même », sont révélatrices d’une pensée politique qui cherche sa forme et de la peur qui tenaille ce leader et, par ricochet, le Mrc. Face au public, on dirait qu’il a les larmes dans la voix. Ses propos montrent à suffisance qu’il n’est pas encore un homme d’action.
Si Martin Lutherking King tenait les propos sus-cités à longueur de discours, la lutte pour les droits civiques dans une Amérique raciste aurait pris un sérieux coup. D’ailleurs, soutient un proche de Maurice Kamto, « il n’a jamais été un homme d’action. On dirait qu’on l’a piégé et qu’il n’a pas suffisamment réfléchi avant de prendre les rênes du Mrc».
L’une des raisons de ce manque de tonicité se trouverait bien au-delà de son tempérament. Son entrée au gouvernement le 08 décembre 2004 constitue un boulet qu’il trainera et qui brouillera pour longtemps son discours. D’ailleurs, jusqu’à présent, certains parmi ses admirateurs continuent de se poser des questions sur les raisons qui avaient motivé son entrée (comme ministre délégué auprès du ministre la Justice) dans un système politique qu’il n’avait cessé de vilipender quelques années auparavant. Lui qui, dans L’urgence de la pensée, jetait l’opprobre  sur ces « lettrés » qui « emboitent le pas aux politiques et se posent en complices d’une politique de stérilisation des esprits » (Kamto, 1991). Même certains parmi ses partisans inconditionnels ne cessent sous cape de se demander ce qui avait poussé leur champion à entrer dans un système qui ment, tue, ne protège plus, n’éduque plus, fabrique illettrés et chômeurs, fait du village la référence politique absolue et favorise l’émergence d’une République et d’une citoyenneté villageoises, pour parler comme l’auteur de La déchéance du politique.

Mise en garde
On peut le comprendre aujourd’hui, quand il met en garde « le gouvernement contre une manœuvre politicienne à haut risque » et attire son attention «sur les risques graves d’atteinte aux principes démocratiques » qu’entraînerait l’organisation des sénatoriales avant les législatives et les municipales.
Objectivement, dans son discours à la presse, Maurice Kamto met le doigt sur la plaie. Il considère, à raison, que l’inversion du calendrier électoral est une énième inélégance de la part du système gouvernant. La décision, du président de la République d’organiser les sénatoriales malgré toutes les mises en garde de l’opposition, du moins ce qui en tient lieu, n’est,  ni plus ni moins, qu’un acte relevant du banditisme politique. On comprend le président du Mrc quand il refuse de commenter les propos des autres leaders de l’opposition. Chat échaudé craint l’eau froide, dit l’adage
L’analyse qu’il fait du contexte de la convocation des sénatoriales permet de comprendre les mensonges, les stratégies et mécanismes de provocation et les embuscades mis en place par le système actuel pour faire main basse sur l’agenda politique.
Mais le paradoxe dans cette posture est qu’en 2008, Maurice Kamto était au service du système Biya qu’il vilipende aujourd’hui, quand il modifiait la constitution afin de rendre possible l’organisation desdites sénatoriales avant les municipales et les législatives. Alors question à zéro sou : en sa qualité de président de la Commission des Nations unies pour les droits de l’Homme, pourquoi n’avait-il pas démissionné en février 2008 quand ce système inique et moyenâgeux massacrait près de 139 Camerounais aux mains nues ? Pourquoi, s’il avait rapidement perçu la médiocrité de la gouvernance du renouveau, n’avait-il pas aussitôt démissionné ? De là à penser que c’est l’opportunisme politique et le carriérisme qui avait motivé son acceptation du poste de ministre délégué auprès du ministre de la Justice, il y a un pas que des Camerounais n’hésitent pas à franchir. En tout cas, la bouche qui mange ne parle pas.
Son discours sur les manœuvres politiciennes de Paul Biya serait crédible s’il n’avait pas, par son silence et son inaction quand il était au gouvernement, contribué à foutre les Camerounais dans la merde. C’est peut-être pourquoi le président du Mrc avait réservé une fin de non-recevoir au protocole d’interview que nous lui avons soumis. (Cf Germinal n°082)
Après 7 années, du 08 décembre 2004 au 30 novembre 2011, passées autour de la mangeoire, Maurice Kamto est comptable, du moins pour cette période, des dérives et sévices d’un système où « l’obsession possessionnelle de la classe dirigeante a ruiné les bases même de l’État [camerounais] qui postule pourtant que “ les pouvoirs publics “ sont sensés assurer le “ bien public” et que l’engagement politique vise à construire le bonheur collectif “ (Kamto, 1999), un système où la politique a cessé d’être l’art de gouverner et d’arbitrer pour devenir un art de mépriser et de détruire, pour parler comme Maurice Kamto.

Peur de l’action
À ce qui s’apparente à une peur bleue de l’action s’ajoute l’amateurisme dans la communication et dans la gestion de ce mouvement politique. Ce dilettantisme a encore été observé au cours de la récente conférence de presse. Pour un leader politique qui proclame, pour le moment sans convaincre, qu’il veut faire la politique autrement et qui ambitionne de diriger le Cameroun, il est inadmissible que la ponctualité ne fasse pas partie de ces principes cardinaux. Tout comme il est inadmissible que plus de deux (2) semaines après une rencontre avec la presse, les prises de position du parti qu’il dirige et les documents ne soient pas mis en ligne sur leur site internet. Comme pour ne pas faciliter les choses, il se chuchote au sein du Mrc que les webmasters se trouvent aux États-Unis et en Europe, comme si sur place au Cameroun cette formation politique n’avait pas de personnel qualifié pour assumer cette charge et rendre le site plus attrayant qu’un blog d’un paysan de Nguelemendouka.
Quand on observe de l’extérieur le fonctionnement du Mrc, on a l’impression que l’on a affaire à une secte où le gourou est pris en otage par un groupe de quidams qui proclament du bout des lèvres leur attachement aux valeurs démocratiques et républicaines. Plaise à Dieu que ces différentes manquements ne soient pas la conséquence d’une confiscation du pouvoir par des clans ou groupes ethniques qui, estimant que leur heure a sonné, font obstruction à toutes initiatives allant dans le sens de la méritocratie. C’est vraisemblablement cette volonté de confisquer et de contrôler le pouvoir qui a poussé les fondateurs du Mrc à construire, comme au Rdpc, l’organigramme de leur organisation autour de son président

Toge et épitoge
Somme toute, ses analyses ne manquent pas de pertinence et de bon sens. Elles sont habituellement éclairées par ses savoirs multiples adossés à la pratique du droit en tant que brillant avocat et maître de la science juridique. Toutes choses malheureusement, dont semble ne pas s’imprégner son entourage. Ainsi, observe-t-on souvent en public chez certains membres et sympathisants du Mrc des attitudes qui frisent le larbinisme et la reptation, attitudes qui laisseraient penser qu’au sein de cette formation politique le chef est infaillible, que ses propos sont des paroles d’évangile et que l’existence de courants ne saurait être tolérée. Et la présence bruyante, brouillonne et fanfaronne des membres du Mrc qui transforment les conférences de presse en meeting politique au cours desquels toutes phrases « chocs » de leur président déclenchent un tonnerre d’applaudissements accompagnés de youyous n’est pas de nature à singulariser le Mrc et à le positionner comme un parti qui veut faire la politique autrement. Cette pratique le rapproche du Rdpc dont il veut combattre la vision, les pratiques managériales et les méthodes.  L’ordonnancement des articulations de la rencontre avec la presse s’avère par moment ennuyeux frisant l’impréparation. Illustration : au prétexte qu’une photocopieuse serait tombée en panne, les journalistes pourtant nombreux à la rencontre du 04 mars 2013 ont dû subir un long martyre d’attendre au-delà du temps imparti à la cérémonie pour recevoir des documents parfois illisibles ou incomplets.
Inviter la presse pour lui dire, sous les applaudissements délirants de ses thuriféraires, que l’on prend acte des décisions du président de la République et que l’on invite les Camerounais à sanctionner le parti au pouvoir lors des prochains scrutins à venir est-il vraiment orignal pour un parti qui ambitionne de faire renaitre le Cameroun ? N’est-ce pas aussi une manière de confondre conférence de presse et meeting politique?
Visiblement, l’amphithéâtre manque à Maurice Kamto, intellectuel reconverti à la politique. Ses scrupules laissent encore dubitatifs tous ceux qui avaient fondé des espoirs sur celui qui a choisi d’engager des actions pour la renaissance du Cameroun! Avait-il pris la mesure des défis à relever ? Peut-être. Mais, se contenter de psalmodier des incantations, de réactions verbales et de déclarations d’intention face au banditisme politique, dans des chaînes de télévision domptées et face aux journalistes triés sur le volet et visiblement timorés, d’une gestion territoriale partisane très limitée, n’est pas rassurant. Le temps nous semble venu pour cet éminent enseignant de se dépouiller de ses illusions, de sa toge et épitoge de professeur pour revêtir les habits du politique. Pour arriver à Etoudi ou à Ngoa Ekellé, il doit mouiller le maillot. On ne fait pas les omelettes sans casser les œufs, selon un aphorisme célèbre. Maurice Kamto sait mieux que quiconque que le champ politique n’est pas celui des moines trappistes ou bouddhistes mais, l’univers des Gladiateurs.
Jean-Bosco Talla & Maheu
Source: Germinal n°084 du 26 mars 2013

Protocole d'interview envoyé à Maurice Kamto
1- Qu'est ce qui fait courir Maurice Kamto? Avez-vous le sentiment que les partisans de Paul Biya vous redoutent depuis votre départ du gouvernement?
2- Malgré les clarifications que vous avez déjà faites dans les médias, des Camerounais ne cessent de se poser des questions sur votre entrée au gouvernement comme ministre délégué auprès du ministre de la Justice. Une fois de plus et pour nos lecteurs, qu’est-ce qui justifie qu’une personnalité d’abord proche de l’opposition ait accepté de devenir un ministre du président Biya que vous avez au préalable longtemps critiqué ?
3- Et si on vous rétorquer que c’est  l’opportunisme politique et le carriérisme qui a motivé votre acceptation du poste de ministre délégué auprès du ministre de la Justice ?
4- Pensez-vous avoir pu agir efficacement sur le cours de la gouvernance au Cameroun dans le cadre de vos fonctions gouvernementales ?
5- Peut-on vous dissocier du bilan gouvernemental du septennat des Grandes ambitions de Paul Biya du mandat présidentiel de 2004 à 2011 ?
6- Votre démission quelques jours avant le remaniement ministériel peut laisser supposer, au-delà de la critique dont vous avez été l’objet, que vous avez perçu comme une sorte de médiocrité de la gouvernance. Pourquoi, si vous avez rapidement perçu la médiocrité de la gouvernance du renouveau, n’avez-vous pas aussitôt démissionné ?
7- Pensez-vous véritablement pouvoir apporter quelque chose de nouveau et d’important dans le débat politique au Cameroun ? Laquelle ?
8- Le positionnement programmatique et idéologique du parti dont vous avez pris la tête, le MRC, paraît flou. Qu’en pensez-vous ?
9- Pourquoi l’organigramme du MRC semble-t-il essentiellement construit autour de la position du président ? Est-ce une structuration efficace ?
10- Que comptez-vous faire pour sortir le Cameroun de la dérive monarchique, du népotisme, de l’autoritarisme, de la ploutocratie…bref de ces maux qui ont fait de cette Afrique en miniature une République bananière ?
11- Avec vous à la tête du MRC, votre parti obtiendra-t-il l’alternance démocratique ? Si oui comment ? et avec qui?
12- Votre sortie lors du colloque que nous avons organisé les 7, 8 et 9 novembre 2012 à Yaoundé sur le thème Repenser et reconstruire l’opposition camerounaise avait fait couler beaucoup d’encre et de salive. Des compatriotes avaient estimé que vous étiez, distant, condescendant et qu’en vous attaquant à l’opposition vous aviez raté votre cible. Que répondez-vous à ceux-là ? Votre propos visait-il à méconnaître le travail jusqu’ici abattu par les partis politique de l’opposition et les forces du changement ?
13- Pensez-vous, comme les membres et sympathisants de l’opposition camerounaise, que les partis politiques et les forces du changement doivent œuvrer pour une dynamique de rassemblement au sein des coalitions ou des alliances, se mettre d’accord sur un programme minimum commun sur la base duquel ils pourraient aller aux élections, et concentrer leurs tirs sur Paul Biya et son système s’ils veulent une alternance politique au Cameroun ?
14- Dans le contexte camerounais ce rassemblement de forces politiques et sociale, la formation des coalitions et des alliances sont-ils faisables ? Comment ?
15- Avez-vous déjà entrepris des actions allant dans ce sens ?
16- Que pensez-vous de l'Opération dite "Épervier"?
17- Peut-on du revers de la main, comme certains tentent de le faire, évacuer la dimension politique de cette opération?
18- Dans quelle mesure peut-on l'appréhender comme stratégie de position d'un dauphin, donc d'élimination d'éventuels prétendants au trône présidentiel?