Comment Paul Biya verrouille le processus de dévolution du pouvoir au Cameroun

Imprimer
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 

Paul Biya met tout en œuvre pour rester au pouvoir ad vitam aeternam et pérenniser son système.
La scène était cocasse à l’Assemblée nationale le vendredi 13 avril 2012 au cours de la plénière consacrée à l’adoption de la loi portant code électoral.  Pour manifester leur mécontentement du fait de la non-prise en compte des amendements proposés pour améliorer ce texte, les députés de certains partis politiques de l’opposition, notamment ceux de  l’Union démocratique du Cameroun (Udc) et du Social Democratic Front (Sdf), ont décidé de quitter spectaculairement l’hémicycle en donnant à voir un spectacle digne d’une représentation théâtrale, mais dont la charge  symbolique a marqué les esprits de nombreux Camerounais. Ils seront rejoints à la fin de la plénière par les députés de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) et celui du Mouvement progressiste (Mp), Jean-Jacques Ekindi, qui ont, eux aussi, décidé de ne pas cautionner « une loi qui ne satisfait pas les aspirations du peuple camerounais ».
Tout commence par un geste, « une provocation, dixit un député du Rdpc », de l’honorable Hermine Ndam Njoya, députée Udc qui,  visiblement outrée, a déclenché les hostilités. À peine Cavaye Yeguié Djibril, éternel président de l’Assemblée nationale, vient-il de procéder à l’ouverture de la plénière qu’elle se lève de son siège, récupère son sac à main qu’elle ajuste sur son épaule gauche, ramasse le projet de loi posé sur son pupitre et se dirige vers les escaliers qu’elle descend d’un pas alerte. Soudain au milieu de l’hémicycle, suivi par les députés Udc, elle lance le projet de loi en l’air. Les feuilles retombent tels des confettis. Immédiatement après, les députés Sdf leur emboîtent le pas. Poings levés par les uns, ils quittent l’hémicycle. Imitant l’honorable Ndam Ndoya, Jean-Michel Nintcheu n’hésite pas lui aussi à jeter en l’air le projet de loi. Le milieu de l’hémicycle devient couvert de feuilles blanches qui seront par la suite ramassées.
Comme il fallait s’y attendre, certains députés de l’opposition ont ainsi mis en exécution des  menaces qu’ils ont proférées au moment où le projet de loi était en étude au sein de la commission des lois constitutionnelles. En effet, soupçonnant un mauvais coup préparé par le régime Rdpc, Jean-Michel Nintcheu, député Sdf déclarait dans une interview accordée à Germinal : « Si les différents amendements ne sont pas pris en compte, nous allons prendre le peuple camerounais à témoin à travers les actions de mobilisation et de protestation que nous poserons. En tout cas, sachez que nous ne resterons pas les bras croisés, que ce soit à l’hémicycle, que ce soit au niveau des populations ».

Ingrédients
Tous les ingrédients étaient réunis pour susciter la grogne des députés et des responsables des organisations de la société civile. Ces derniers s’étaient d’ailleurs mobilisés pour manifester contre un code électoral inique. Naturellement, cette manifestation avait été réprimée, et quelques militants avaient été interpellés devant l’Assemblée nationale avant d’être relâchés.
À l’examen du code électoral adopté par les députés Rdpc, on peut conclure que le pouvoir en place a fait très peu de concessions.
Présenté comme un code électoral révolutionnaire regroupant l’ensemble des dispositions réglementaires régissant l’organisation des élections au Cameroun, cette loi ne prend pas en compte les revendications majeures de l’opposition qui sont, entre autres : « la limitation du mandat du président de la république à 5 ans, renouvelable une seule fois ; le scrutin présidentiel à deux tours ; le scrutin uninominal pour les législatives ; le bulletin unique, la majorité électorale à 18 ans ; le redécoupage électoral ; l'utilisation de la technologie biométrique avec délivrance immédiate de la carte électorale ; la définition légale du calendrier électoral ».
En revanche, elle rejette le mandat impératif et consacre l’utilisation de la biométrie dans les opérations de refonte des listes électorales. Aussi procède-t-elle à la hausse des différentes cautions que les candidats aux différentes élections doivent versées au trésor public. C’est ainsi que pour être candidats à l’élection présidentielle, le candidat devra désormais débourser 30 millions de francs Cfa au lieu de 5 millions de francs Cfa, le candidat aux élections législatives devront versés 3 millions de Cfa au lieu de 500 milles francs FCfa, tandis que ceux qui aspirent à la fonction de conseiller municipal verseront 50 milles francs Cfa au lieu 25 mille francs Cfa.
Répondant à une question des confrères de Cameroon Tribune dans  leur  édition du 16 avril 2012, Zondol Herssesse, député Rdpc et président de la commission des lois constitutionnelles se dit satisfait. Pour lui, « les incidents enregistrés lors de l’adoption sont l’œuvre de collègues qui n’ont plus d’arguments. Nous sommes surpris, qu’après avoir contribué efficacement aux travaux en commission, qu’ils viennent quitter la salle de la sorte. C’est un comportement qui va en droite ligne de la préparation des prochaines élections. Nous avons l’habitude de vivre ce genre d’attitudes ». Jean-Jacques Ekindi estime dans les colonnes de ce confrère que « la loi est mal partie ». Pour le Chasseur du Lion, « Le Rdpc a cru que c’était une occasion pour faire une démonstration de force, alors que cette loi devait être le résultat de la recherche d’un consensus. Ce parti n’a véritablement écouté personne pour la mise en place des dispositions qui doivent régler les élections. Elle est dangereuse sur beaucoup de points comme la politisation des chefs traditionnels. Le fait que l’on ne permette pas que dans les bureaux de vote on puisse avoir la capacité de défendre ses intérêts…qu’il n’y ait pas de bulletin unique alors que tout le monde sait que toute la fraude y gît ».

Simulacres de consultations
Dans un communiqué de presse rendu public le 14 avril 2012, Bernard Muna, s’exprimant au nom du parti aux destinées duquel il préside, déclare que « l’Afp est au regret de constater que le peuple a une fois de plus été floué par le Renouveau. Les simulacres de consultations entre organisations et gouvernement se sont avéré n'être qu'une mise en scène malhonnête pour donner l'impression d'une quête de consensus ». Il pointe du doigt les principales failles de ce code qui sont, entre autres : « La volonté de confiscation de la représentativité par le Rdpc qui regorge en son sein des multimilliardaires et des feymen. L’intention étant d'assurer la reproduction au pouvoir de la même clique après le départ de monsieur Biya ; le renforcement de la présence du Minatd dans le processus électoral, lorsqu'on sait que l'administration centrale est fortement politisée et partisane ;  le refus de prendre en compte toutes les possibilités qu'offre la technologie biométrique en matière de rapidité et d'efficacité dans la réalisation du fichier électoral, la délivrance immédiate de la carte électorale, et la prompte proclamation des résultats des scrutins ; le refus de s’arrimer à la modernité en matière d’élection et de mandat présidentiel comme la plupart des pays africains par le maintien dans le code électoral non seulement de l’élection présidentielle à un tour, mais aussi du mandat de 7 ans renouvelable n fois pour le président de la République.»  Pour conclure,  son parti, l’Afp, prend acte « de la volonté pour le régime Rdpc de resserrer l'étau sur la démocratie dans le seul but d’assurer aussi longtemps que possible son hégémonie et faire main basse sur le développement et l'entrée du Cameroun dans la Troisième République [et] en appelle au peuple camerounais de se tenir prêt à soutenir toutes les actions qui seront initiées ultérieurement afin qu'ensemble nous apportions une résistance conséquente à ce coup de force ».

Charly Gabriel Mbock, porte parole de l'Upc estime qu'"en faisant entrave à la libre expression des suffrages sur le prétexte de son obésité parlementaire, le  peuple du RDPC choisit de frustrer le peuple du Cameroun. Comme inspirateur de ce dol démocratique, le gouvernement du Cameroun se prévaut de son arrogance répressive pour  cristalliser cette frustration : un Exécutif s’est donc érigé en législateur pour, paradoxalement, se défendre contre les aspirations du peuple à la démocratie. Cette contradiction expose la nation à une insécurité électorale propre à dégénérer en insécurité sociale.'
Il n’est de l’honneur d’aucun Camerounais que cinquante ans après son accession à la souveraineté internationale, le Cameroun demeure victime d’une démocratie tolérée.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’une manœuvre orchestrée par le régime en place pour verrouiller les mécanismes de dévolution du pouvoir au Cameroun. Selon un ancien ministre, « ce code montre clairement que Paul Biya veut faire tout pour que son régime perdure après lui. Il sait que ses jours sont désormais comptés à la tête de l’État. Pour cela, il faut qu’il s’assure que ce sont ses partisans qui contrôleront tous les leviers du pouvoir et les deux chambres du Parlement. On peut comprendre que la caution à la présidentielle soit élevée, mais en portant la caution aux législatives de 500 milles francs Cfa à 3 millions de francs Cfa, il veut limiter le champ d’action des partis politiques de l’opposition, sachant que si un parti s’engage à procéder à l’investiture de ses candidats dans toutes les circonscriptions électorales, ce parti devra débourser au minimum 540 millions de FCfa. Dans le champ politique camerounais actuel, il n’y a que le Rdpc, qui a confisqué toutes les ressources de l’État et qui compte dans ses rangs tous les hommes d’affaires, pour réaliser l’exploit de procéder à la désignation d’un candidat dans toutes les circonscriptions électorales. Agissant ainsi, le pouvoir en place veut cantonner les partis politiques dans leurs régions. Comment ? En faisant en sorte que les partis politiques ne procèdent aux investitures que dans leurs soi-disant fiefs, où dans des circonscriptions électorales où ils ont de réelles chances de l’emporter, laissant ainsi le champ libre au Rdpc dans les autres circonscriptions. C’est ce qu’on peut aussi qualifier de cynisme et d’immoralité politiques ».

Déflagration
Selon un chercheur, « les militants et sympathisants du Rdpc sont conscients du fait que la fin de Biya est proche. Ce n’est pas sûr qu’il ira au bout du mandat qu’il vient de commencer. Les arrestations de Marafa Hamidou Yaya et d’Inoni Ephraïm sont révélatrices des guerres de clans qui ont cours au sein de ce parti. Le système est verrouillé. Le Rdpc a la main mise sur Elecam, les préfets, sous-préfets, gouverneurs, et,  plus tard, les présidents des conseils régionaux. Même les candidatures indépendantes ne prospéreront guère, car les maires, conseillers municipaux et députés Rdpc, majoritaires n’accepteront de parrainer un candidat indépendant». Cependant, poursuit-il, « il y a un paramètre que le Rdpc ne maîtrise pas : c’est le peuple, les citoyens conscients qui, à tout moment, peuvent décider de prendre leur destin en main, car nous sommes comme assis sur une poudrière. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il y ait déflagration ».
La Tunisie et l’Égypte sont si loin, mais si proche de nous.
Jean-Bosco Talla