Jean-Michel Nintcheu lance un avertissement au gouvernement

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« Si nos différents amendements ne sont pas pris en compte, nous engagerons des actions de mobilisation et de protestation à tous les niveaux »

Germinal : Quelles sont vos impressions à l’issue de la session ordinaire de l’Assemblée nationale qui vient de s’achever et au début de la session extraordinaire qui vient de s’ouvrir ?
Jean-Michel Nintcheu : Mes impressions sont celles d’un député profondément déçu. Ma déception tient au fait que nous avons passé le plus clair de notre temps à nous rouler les pouces en attendant  le dépôt par le gouvernement du Projet de loi portant code électoral. C’est précisément à 3 jours  de la fin de la session - comme vous le savez la session dure 30 jours - que le gouvernement a déposé ce projet de loi sur la table des députés. Ce dépôt tardif a suscité l’indignation, voire la colère des députés, toutes chapelles politiques confondues. Cette indignation était d’autant plus compréhensible que ce Code électoral, très attendu par le peuple camerounais,  constitue un élément très important dans la clarification des mécanismes de dévolution du pouvoir politique au Cameroun. Compte tenu de l’importance de ce texte, le déposer avec une telle désinvolture

est symptomatique du banditisme auquel le pouvoir en place a habitué les Camerounais. Face à cette levée des boucliers chez les députés, le gouvernement a retiré ledit projet de loi et a suscité la convocation d’une session extraordinaire.

N’empêche qu’avant le dépôt du projet de loi portant Code électoral, le mandat des députés a été prorogé lors de la récente session ordinaire.
Il fallait s’y attendre. L’introduction du système biométrique et la décision, après moult atermoiements, de procéder à la refonte des listes électorales ne pouvaient que conduire à la prorogation du mandat des députés, compte tenu des délais impartis pour mettre en pratique toutes ces réformes importantes. C’est une question de bon sens. Cette prorogation de notre mandat d’une durée de six (6) mois renouvelable permettra à Elections Cameroon (Elecam) et à tous les autres acteurs (politiques et de la société civile) d’accomplir efficacement, je suppose, les tâches qui leur incombent.

Le texte qui proroge votre mandat parle de six mois renouvelable. Cela veut dire que l’incertitude persiste quant à la fin de votre mandat de député.
Nous sommes dans l’incertitude parce que nous mettons en place un nouveau système qui, sur le plan électoral, n’a jamais été expérimenté au Cameroun. C’est un peu comme si nous faisions un saut dans l’inconnu. En outre, il faudra du temps pour commander le matériel, former certainement les intervenants tels que les agents d’Elecam qui manipuleront le matériel biométrique. Des observateurs avisés pensent d’ailleurs qu’il est impossible que le processus soit bouclé au bout de six (6) mois. Ils pensent qu’il y aura une autre prorogation de six mois. Donc les élections législatives, et probablement municipales, auront lieu au plus tôt en janvier 2013, et, au plus tard en juin ou juillet 2013.

Cette incertitude sur la date des prochaines municipales et législatives, favorable aux candidats (députés actuels) qui ne devaient plus être investis par leur parti,  ne posera-t-il pas un problème de timing aux candidats qui devaient être réinvestis par leur parti dans la préparation des prochaines élections ?
Vous savez Paul Biya est le seul maître du calendrier électoral au Cameroun. Il est le seul à savoir quand se tiendront les élections de manière précise. Autrement dit, les citoyens savent très approximativement quand se tiendront les élections dans notre pays. Nous sommes habitués à ce genre de situation. L’important pour les uns et les autres est qu’ils puissent s’assurer que le processus électoral est bien conduit et qu’il se déroule normalement. Nous devons reconnaître que l’introduction de la biométrie est une avancée dans le processus électoral camerounais.
En tout état de cause, chacun, qu’il soit candidat potentiel à la députation ou candidat-député, devra mettre ce temps à profit pour mieux se préparer.

Le projet de loi portant code électoral déposé par le gouvernement vient-il satisfaire l’une de vos revendications majeures, à savoir l’existence d’un code électoral unique ?
Effectivement, nous avons toujours revendiqué à cor et à cri  l’existence d’un code électoral unique. Comme vous le savez, les élections au Cameroun ont toujours été régies par des textes disparates et épars. Sur la forme, on peut dire que le dépôt de ce projet de loi constitue une victoire pour les forces politiques d’opposition.

 En quelques mots peut-on savoir quelles sont les faiblesses de ce texte ? Ce texte apporte-t-il des solutions aux contradictions existant entre les textes qui régissaient les différentes élections au Cameroun ?
En quelques mots, je ne peux relever les multiples faiblesses de ce projet de loi. Même si certaines imperfections ont été plus ou moins corrigées, il reste que, au fond, il constitue une véritable provocation, car il n’a pas tenu compte des propositions faites par les partis politiques qui ont pourtant été consultés à grand ramdam de publicité par le premier ministre. Ce texte nous laisse sur notre faim. Entre autres imperfections ou incongruités: le maintien des élections à un tour ; la majorité électorale est maintenue à 20 ans ; le retour en force du mandat impératif, en violation flagrante de l’article 15 (3) de la constitution qui dispose que « tout mandat impératif est nul » ; le maintien de la limitation du mandat présidentiel à 7 ans renouvelable alors que le peuple camerounais souhaite que ce mandat soit réduit à 5 ans  renouvelable une fois ; l’élévation du montant de la caution qui passe de 25 000 FCfa à 100 000 FCfa pour les conseillers municipaux, de 5 millions FCfa à 30 millions pour l’élection présidentielle et de 500 mille francs à 5 millions de FCfa pour les législatives ce qui accentue la discrimination entre les citoyens d’un même pays et n’ouvre les portes de l’Assemblée nationale qu’aux hommes d’affaires et aux feymen. Le paradoxe est que cette élévation des montants des cautions se fait dans un Pays pauvre très endetté où le Smig est d’environ 28 000 FCfa.

Face à cette situation, nous avons déposé des dizaines d’amendements et espérons que ceux-ci seront pris en compte, parce que nous pensons que l’élaboration et l’adoption d’un Code électoral dans un pays comme le Cameroun où  les élections ont toujours été contestées devrait être moins le résultat d’un passage en force que celui d’un consensus entre les différentes forces politiques et sociales.

Quelle réflexion vous suggère l’introduction du mandat impératif dans ce code ?
Le Rdpc avait certainement très mal dirigé la démission du député Paul Ayah Abine. De nombreuses manœuvres avaient été orchestrées pour le chasser de l’hémicycle. Malheureusement, les manœuvriers avaient oublié qu’ils avaient affaire à un bon juriste, ancien magistrat de surcroit. Il leur a démontré que la Constitution est la norme juridique supérieure dans un État. Cette démission avait donc échaudé les hiérarques du Rdpc qui, en introduisant le mandat impératif, ne veulent plus être confrontés à une pareille situation au moment où il règne une atmosphère de fin de règne.

Vous touchez là un point sensible de la stratégie de conservation du pouvoir par le Rdpc. Dans la perspective des échéances à venir, l’introduction du mandat impératif viserait-elle donc, selon vous, à tenir en laisse les députés du Rdpc, au cas où Monsieur Biya n’allait pas au terme de son mandat actuel ?
Comme vous le dites, c’est une manœuvre du Rdpc mise en place par anticipation pour prendre en otage les députés de cette formation politique afin d’éviter les défections qui les affaibliraient en cas de vacance du pouvoir. Visiblement, il règne au sein de ce parti politique une atmosphère tellement délétère de sorte qu’on peut penser que c’est monsieur Biya qui essaie tant bien que mal de maintenir la cohésion. Si, d’une manière ou d’une autre, monsieur Biya se retire du pouvoir, ma conviction est qu’il faudrait envisager tous les scénarii, notamment la dislocation du Rdpc en de multiples factions concurrentes.

Ce code électoral expurgé des imperfections relevées permettrait-il d’organiser les élections libres, justes et transparentes au Cameroun ?
Je suis convaincu que toutes les imperfections relevées ne seront pas corrigées. Le gouvernement cédera sûrement sur quelques points, dont notamment le mandat impératif et les montants des cautions, mais fondamentalement rien ne changera. Ensuite, le gouvernement du renouveau est passé maître dans l’art de la fuite en avant et du passage en force. Quand bien même ces imperfections seraient corrigées, l’existence d’un bon code électoral est une conduite nécessaire, mais pas suffisante pour l’organisation des élections justes, libres et transparentes dans notre pays, étant donné que tous les acteurs impliqués dans le processus électoral ne sont pas toujours imprégnés d’une véritable culture démocratique. De plus, on ne peut pas penser que des acteurs qui ont cautionné et contribué à l’organisation des mascarades électorales dans notre pays ont changé du jour au lendemain simplement parce qu’on a adopté un bon code électoral. Quelques exemples : c‘est Elecam, constitué à plus de 80% des membres du Rdpc qui organisera les élections ; ce sont les mêmes autorités administratives affidés du régime, gouverneurs, préfets et sous-préfets, à la solde du Rdpc, qui sont en place, etc. Il sera extrêmement difficile que nous ayons des élections transparentes au Cameroun. Nous ne devons pas être naïfs et penser que ce code électoral viendra résoudre tous les problèmes de fraudes électorales que nous avons toujours dénoncées. Nous devons rester vigilants et nous préparer à livrer les batailles futures dont l’objectif ultime sera l’éradication la fraude électorale sous toutes ces formes et l’organisation des élections libres, justes et transparentes au Cameroun.

À vous entendre, on dirait que ce code électoral ne fait pas d’Elecam un organe indépendant ?
Il va de soi. Elecam, de par sa composition, est une excroissance du Rdpc. Nous avons dénoncé et continuons de dénoncer cet état de choses. À défaut de dissoudre Elecam et de le remplacer par un organisme véritablement indépendant, par exemple une Commission électorale indépendante, nous continuons à exiger que de nouveaux membres intègres, impartiaux et dont la probité morale ne souffre d’aucune ambiguïté soient nommés au sein de cette structure, conformément aux textes organiques qui le régissent et qui excluent la nomination en son sein des membres ayant appartenu à des formations politiques. Pour nous,  l’exigence de neutralité et d’impartialité doit se constater avant et non après la nomination au sein d’Elecam. Les Camerounais probes, neutres et impartiaux existent bien.

Que feriez-vous s’il advenait que les différents amendements dont il a été question dans cet entretien ne soient pas pris en compte ?
Si les différents amendements ne sont pas pris en compte, nous allons prendre le peuple camerounais à témoin à travers les actions de mobilisation et de protestation que nous poserons. En tout cas, sachez que nous ne resterons pas les bras croisés, que ce soit à l’hémicycle, que ce soit au niveau des populations. Je ne m’étendrais pas sur la nature des actions à mener, car, c’est une question de stratégie.


Propos recueillis par:
Jean-Bosco Talla