Prévenir le désordre, c'est mieux que rétablir l'ordre

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Il est évident qu’un discours de fin d’année du président de la République, est un peu comme un éléphant stationné au milieu d’un champ. Chacun ne peut en dire que ce qu’il perçoit de son point de vue. Ainsi par exemple, lorsque le Chef de l’Etat affirme qu’il « n’est pas convenable que certains veuillent se servir du cadre de liberté pour poser des actes de violence et chercher à porter atteinte à l’unité de notre pays », et ajoute qu’ « en pareille circonstance, l’Etat a le devoir impérieux de rétablir l’ordre, au nom de la loi et dans l’intérêt de tous », les tenants de l’ordre établi, ne se sentent pas visés (puisqu’ils supposent que le chef de l’Etat est acquis à leurs mensonges) et pointent du doigt les revendicateurs considérés comme condamnés par le Président.
Pourtant, ces propos peuvent aussi bien les viser, dans la mesure ou le Président ne peut ignorer que la provocation est coutumièrement inscrite dans leurs stratégies de déstabilisation qui consiste à piéger les libertés publiques, et à diviser

les Camerounais pour conforter leurs positions de pouvoir.
En l’occurrence, lorsque des Camerounais aux pratiques anglo-saxonnes imposées par l’Histoire étrangère, revendiquent pacifiquement ce qu’ils croient être leurs droits confisqués par l’Etat, dans une Nation qui appartient à tous les Camerounais au-delà des langues, des responsables gouvernementaux qui croient incarner un Etat intouchable par la Nation, leur répondent par réflexe automatique, que « les anglophones n’ont pas de problèmes ». Comme ils n’ont pas de problème, eux, ils sont convaincus que personne n’en a. Ou alors que comme tout le monde a des problèmes, nul n’a le droit de poser le sien spécialement.
Cette peur irrationnelle d’entendre parler de problèmes, parce qu’ils se croient libres de ne pas les résoudre, ou veulent dissimuler derrière l’usage de la force leur incapacité de le faire, provoque les frustrations des populations qui veulent au minimum, directement ou par des représentants, être écoutées quand elles se plaignent. Et c’est l’accumulation de ces frustrations qui amène les citoyens plaignants à un usage émotif et irrationnel de la liberté.
L’élite gouvernementale, et l’administration publique qu’elle a privatisée, auraient un tout autre comportement devant les revendications populaires, si elles ne faisaient pas leur, la philosophie bien connue du cycle totalitaire infernal : provocation-violence-répression. Un gouvernement de Docteurs et d’Agrégés de toutes disciplines, ne peut confondre par pur hasard ce que M. Biya appelle « le devoir impérieux de l’Etat de rétablir l’ordre, au nom de la loi et dans l’intérêt de tous », avec le réflexe systémique de réprimer la liberté pour protéger ses intérêts particuliers. Il s’agit d’un programme de terrorisme intellectuel pour dissuader quelque fraction du peuple que ce soit, de remettre en cause, d’une manière ou d’une autre, l’ordre bourgeois établi.
Et puisque nous parlons du rapport de forces entre la légitime violence de l’Etat dont abusent les dirigeants contre des plaignants désarmés (au propre et au figuré), n’accuse-t-on pas de rage le chien qu’on veut noyer ? Il leur suffit de se convaincre, comme ils l’ont suggéré au président de la République pour son discours, que « Agir autrement, c’est compromettre notre démocratie ; c’est laisser l’anarchie s’installer à la place de l’État de droit. »
Or, pour le gouvernement, oublier l’obligation constitutionnelle de mettre en même temps à la disposition des francophones et des anglophones de notre pays bilingue, tous les documents officiels dans les deux langues, est un défi à l’État de droit dont la première caractéristique est de garantir l’égalité citoyenne, et le droit égal d’accès aux services publics. C’est aussi un indicateur de la tentation anarchique.
Ce qui est donc, ou devrait être inacceptable chez le chef de l’Etat, ce n’est pas seulement la profanation des symboles les plus sacrés de notre nation et les vies humaines enlevées par des manifestants, mais aussi le refus d’écouter les doléances du peuple pour le compte de l’Etat, par des gens qui se cachent derrière leur incompétence ou leur capacité de nuisance pour laisser pourrir des situations sociopolitiques et provoquer les colères. Avant le devoir de rétablir l’ordre, l’Etat à l’obligation d’empêcher par la prévention et le dialogue que l’ordre soit troublé par la colère des citoyens frustrés.
 Si « chaque citoyen est bien fondé d’exprimer son opinion sur tout sujet de la vie nationale, y compris par l’observation pacifique d’un mot d’ordre de grève, dûment déclaré », il ne peut exercer ce droit que si l’autorité publique ne l’infantilise pas, ne l’étouffe pas, mais l’écoute et dialogue avec lui. Agir autrement c’est mentir que le pouvoir et le peuple camerounais peuvent construire quelque chose ensemble
Heureusement que 2017 sonne comme une opportunité de prise de conscience que la Nation camerounaise est une et indivisible, que son État institutionnel n’est la propriété privée, ni d’un parti politique, ni d’une oligarchie, ni même d’un individu, fut-il le tout-puissant président de la République, mais seulement l’instrument créé par la nation pour promouvoir et gérer le bien-être de tous.
Si comme nous l’espérons, Monsieur Biya est lui-même dans cette logique de prise de conscience, la franchise du dialogue dont il a prescrit les instances au gouvernement, devrait apporter à la crise sociale un apaisement à court terme. Mais, il devra démontrer comment il est « prêt à aller plus loin ».
« Nous sommes disposés, à la suite et dans l’esprit des artisans de la Réunification, promet-il, à créer une structure nationale dont la mission sera de nous proposer des solutions pour maintenir la paix, consolider l’unité de notre pays et renforcer notre volonté et notre pratique quotidienne du VIVRE ENSEMBLE ». Beaucoup de promesses non tenues du Président Biya font partie des frustrations populaires qui mettent à mal notre vivre ensemble.
Pourtant, à condition d’être mise en place dans la foulée du discours, cette structure peut concrétiser un rendez-vous que l’Histoire refuse aux camerounais depuis au moins 1949 : celui de réunir les citoyens de la « Nation kamerounaise » autour d’une table pour se donner un projet patriotique (une mystique nationale), et une forme consensuelle d’Etat, capable à la fois d’affirmer sa souveraineté internationale, et de lui donner une camerounité originale, promue et protégée par une gouvernance endogène, porteuse d’un destin mondiale à la hauteur de son potentiel.
Les objectifs de cette structure pourraient être déterminés par voie de consultation populaire, son fonctionnement étant assuré par une assemblée sociopolitique tripartite, et un comité pluridisciplinaire d’experts. Nous ne serions plus dans la préfiguration de la démocratie que M. Biya a promise pour l’Histoire, mais dans sa réalisation grandeur nature.
Par Jean-Baptiste Sipa