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La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 9

La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 9

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Index de l'article
La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas
Prémonition d’une fin de génération
La stratégie du caméléon
Gilbert Andzé Tsoungui: Le bourreau des nationalistes
L’aloi du sérail
La fin des espérances
La décimation du dernier carré présidentiel
Les empêcheurs de piller et de tuer en rond
Mongo Beti: le voltaire camerounais
Mgr Paul Verdzekov: Un Grand Homme de Dieu
Mgr André Wouking
Samuel Eboua : le sage
Engelbert Mveng: Itinéraire prométhéen d’un prophète incompris
Pierre Meinrad Hebga: la dialectique de la foi et de la raison
Toutes les pages
Mongo Beti: le voltaire camerounais
Voilà neuf ans déjà que Mongo Beti s’en est allé. C’est en effet le 7 octobre 2001 que cette grande voix s’est définitivement tue, à l’hôpital général de Douala où il avait été évacué d’urgence la veille pour cause d’insuffisance hépatique et rénale aiguë.
À Yaoundé où il était pourtant hospitalisé depuis le 1er octobre, il était resté pratiquement sans soin, aucun hôpital de la ville ne disposant d’un appareil de dialyse…
Ainsi donc, revenu au Cameroun en 1994, après 32 ans d’exil ininterrompu, Mongo Beti fut finalement victime sept ans plus tard - quarante ans après « l’indépendance » - d’une de ses formes de mort quasi gratuite dont on meurt si souvent chez nous.
C’est peut-être à partir du type de mort dont il est mort qu’il faudrait revisiter et méditer sur le combat auquel il a consacré toute son existence : la lutte contre toutes les forces qui, en Afrique et au Cameroun singulièrement, font que la satisfaction des besoins humains les plus basiques – pain, santé, abri, vêtement -  reste une gageure pour l’homme, trente, quarante et encore cinquante ans après ce qu’on appela « l’indépendance ».

Ceci s’explique non pas par une irréductible « pauvreté » du pays mais par la perpétuation d’un mode de gestion de la Cité caractérisé par une violence qui, tout en dilapidant les biens et en fatiguant les personnes sur lesquelles elle s’exerce (quasiment sans frein), ne vise ni la productivité économique ni le bien-être de l’ensemble des Camerounais.

Jadis, dans Ville cruelle, son premier roman publié en 1954 (quarante sept ans avant sa mort), Mongo Meti dénonçait le colonialisme dont les Africains faisaient alors l’expérience et le décrivait comme un système déshumanisant où quelques tout-puissants civilisateurs « pouvaient impunément s’offrir le luxe d’infliger la souffrance », laissant ainsi dans la conscience du colonisé une blessure béante et l’impression aiguë que « la sécurité s’était retirée à jamais de la grande forêt.»

L’indépendance est certes survenue peu après Ville cruelle. Mais qu’est-ce qui a véritablement changé dans la vie de l’homme commun et ordinaire, puisque depuis ce temps, ce sont nos « Nérons noirs, Francos des tropiques»1 et leurs suppôts qui peuvent « impunément s’offrir le luxe d’infliger la souffrance» aux indigènes ? De même, le désœuvrement qui caractérise encore nos hôpitaux – et auquel il faut bien imputer le décès de Mongo Beti - comme les mille autres visages hideux que prend aujourd’hui la précarité chez nous, laissent bien voir que « l’indépendance » et le « développement » transformés en slogans n’ont ni ramené la sécurité ni réduit l’incertitude radicale que le colonialisme avait répandue dans nos villes et nos campagnes.

Mais qu’est-ce qui a donc véritablement changé, puisque Trop de soleil tue l’amour, roman paru quarante-cinq ans après Ville cruelle et qui est une peinture du Cameroun contemporain, nous plonge lui aussi dans un monde où dominent l’inattendu et l’absurde, tout étant possible à tout moment et rien n’étant certain ? La mort et la mutilation de la vie y prolifèrent sous diverses formes, comme dans le Tanga de Ville Cruelle.

En un sens, c’est bien cet «immobilisme agité» (Fabien Eboussi Boulaga) que Mongo Beti a passé toute sa vie à conjurer. En un sens, toute son écriture fut une manière d’attirer l’attention sur la question de savoir de quels lendemains notre présent était porteur. Mongo Beti reste ce grand cri de protestation qui nous somme de nous déterminer et de dire dans quelles continuités ou dans quelles ruptures nous croyons devoir inscrire nos sociétés. Ceci dans un contexte où une longue histoire d’oppression et un face à face toujours dangereux avec les urgences qu’impose la nécessité de survivre au quotidien ont fini par installer un grand nombre de gens dans « l’habitude du malheur », inhibant la capacité à s’indigner et celle de se dresser contre l’injustice et la tyrannie.

L’auteur de Main basse sur le Cameroun est ainsi devenu la mauvaise conscience d’une certaine « élite » gouvernante africaine qui, ivre d’un pouvoir usurpé, joue depuis cinquante ans à une affligeante tragi-comédie qui veut donner de l’Afrique l’image d’un continent où la vie aurait de tout temps été traitée avec mépris, en droite ligne avec les dogmes imbéciles au fondement de la fable civilisatrice. Le silence dans lequel l’extinction de sa voix a plongé notre espace public est donc assourdissant. Car il avait su incarner une éthique caractérisée par un sens élevé de la dignité humaine et le refus de toute compromission. Il incarnait cette acception sublime de la vie qui veut que jamais le combat pour la justice, la dignité humaine et le progrès de la culture ne soit sacrifié aux impératifs d’une survie purement génitale. Et c’est en ceci qu’il reste d’une troublante actualité pour la société camerounaise qui se doit d’entretenir sa mémoire et de poursuivre son projet moral.

Car c’est souvent sur le terreau de l’amnésie que prospère l’arbitraire et la tyrannie. Le sort de tous les « héros maudits » de notre décolonisation est là pour nous le rappeler… Aussi, il est temps que les Camerounais se penchent une fois pour toute sur la question de savoir comment transformer en présence l’absence de ceux qui, comme Mongo Beti, s’en sont allés. Il ne faut point voir ici un appel au deuil permanent. Il s’agit plutôt de veiller à ce que « ces présences qui n’en sont plus et dont on se souvient » (le passé) soient remobilisées pour hâter l’avènement de « ces autres présences qui ne sont pas encore et qu’on anticipe » (l’utopie). Or c’est justement l’avenir qu’il faut rouvrir, l’utopie qu’il faut réinventer et l’espérance qu’il faut recréer. Se souvenir c’est donc aussi, en un sens, regarder loin devant soi ; c’est un désir de vie ascendante.
Yves Mintoogue
1- Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun, p. IV

Mongo béti en raccourci
Jusqu‘au dernier de ses jours, Alexandre Beyidi Awala a refusé toute compromission. Il fut le prototype de l’intellectuel en guerre perpétuelle contre l’injustice. Il rêvait d’un Cameroun plus juste et plus prospère.
Mongo Béti a vu le jour en 1932 à Mbalmayo. Il fait ses études primaires et secondaires au Cameroun avant de poursuivre ses études en Europe. Installé en France à la veille de l’indépendance du Cameroun, il se rapproche des milieux Upéciste. Ce qui lui vaut une interdiction de séjour au Cameroun. Même du Cameroun,  l’homme restera proche des réalités du pays. À preuve, lorsque commence l’Affaire Ndongmo-Ouandié, il décide de faire quelque chose. Au bout de deux ans, il publie Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une indépendance, ouvrage qui sera interdit au Cameroun. Interrogé sur cette période de l’histoire du Cameroun en rapport avec la sortie de son livre, il dira qu’il l’a écrit parce qu’il n’était pas au Cameroun.  « Si j’étais au pays, je devais être au front », dira-t-il à Ambroise Kom dans l’ouvrage Mongo Béti parle.
Pour donner la parole aux intellectuels bannis par les pouvoirs très peu démocratiques du continent, L’auteur de Ville Cruelle lance la Revue « Peuples Noirs Peuples Africains » en 1978. De retour de son exil long de 32 ans, il crée en 1994, la Librairie des Peuples Noirs à Yaoundé avec Odile Tobner son épouse. Mongo Béti meurt le 07 octobre 2001 à l’hôpital général de Douala.



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