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La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 13

La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas - Page 13

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Index de l'article
La fin d'une génération. Pour qui sonne le glas
Prémonition d’une fin de génération
La stratégie du caméléon
Gilbert Andzé Tsoungui: Le bourreau des nationalistes
L’aloi du sérail
La fin des espérances
La décimation du dernier carré présidentiel
Les empêcheurs de piller et de tuer en rond
Mongo Beti: le voltaire camerounais
Mgr Paul Verdzekov: Un Grand Homme de Dieu
Mgr André Wouking
Samuel Eboua : le sage
Engelbert Mveng: Itinéraire prométhéen d’un prophète incompris
Pierre Meinrad Hebga: la dialectique de la foi et de la raison
Toutes les pages
Engelbert Mveng: Itinéraire prométhéen d’un prophète incompris
Engelbert Mveng voit le jour le 09 mai 1930 à Enam-Ngal, paroisse de Minlaba rattachée à la commune de Ngulemakong (Sud-Cameroun). Son père, Jean Amugu est cultivateur. D’abord marié à une veuve qui meurt quelques années après le mariage, il rencontre Barbara Ntolo, originaire de Mvengue (Sud-Cameroun) avec qui prend comme épouse. De leur union naissent deux enfants : Engelberg Mveng et sa sœur Amugu.

Auprès de ses parents protestants, Engelbert. Mveng reçoit une solide éducation religieuse. Il est très tôt remarqué par P. Pichon, Père spiritain qui milite contre les travaux forcés. Le jeune Mveng est très éveillé par rapport à son âge. Il n’a que 5 ans. Il a le verbe facile et apprend vite. Ses parents sont fiers de voir un blanc s’intéresser  à leur enfant. Ils  nourrissent l’espoir de le voir devenir leur digne héritier comme il est de coutume dans leur tradition. Il continuera donc leurs œuvres.

Le 14 juillet 1935, il est baptisé à de Minlaba. Il a alors 5 ans. 7 ans plus tard, le 28 juillet 1942, il reçoit la confirmation.

Très tôt repéré pour son intelligence, il est recueilli par le Père Hebrard, successeur du Père Pichon. Il en fait son garçon de chambre, communément appelé «boy». D’après Jean-Paul Messina, « ce type d’engagement était scellé par un contrat qui obligeait le petit africain à exécuter les tâches domestiques au profit du Père, et contrepartie, lui donnait droit à la nourriture, aux vêtements et à la scolarisation ».

À l’âge de 6 ans environs, vers 1936, il est inscrit à l’école primaire de Minlaba.  Ses études se déroulent sans difficulté et s’achèvent  en 1942. Cependant, il doit encore rester à la mission, le temps de décider de ce qu’il fera et de ce qu’il deviendra, et ce, à cause d’un conflit qui l’oppose à son père spirituel. Connaissant les aptitudes intellectuelles et spirituelles et son « domestique », le père Hebrard avait compris que le jeune prodige pouvait aller loin comme serviteur de l’Église. À la rentrée scolaire 1943-1944, il est inscrit Efok, localité où étaient évaluées les vocations issues des différentes missions catholiques. Au plan moral, spirituel et intellectuel. Son séjour dans cette localité se déroule dans conditions très difficiles. À la rentrée 1944-1945, il est envoyé au petit séminaire d’Akono où il rencontre Alexandre Biyidi, alias Mongo Beti, d’autres personnalités et sommités bien connues des Camerounais(es). Il connaît un parcours régulier à Akono où il est admis en 5è en 1945, réussit l’entrée en 4è en 1946, puis en 3è en 1947, en seconde en 1948 et en première en 1949.

Après la classe de première, il connaît une période de probation à Akono où il devient enseignant stagiaire en 1949-1950. Il dispense les cours de latin et du grec aux élèves des classes de 5è. Malgré ses difficultés vocales, il donne aussi des cours de musique en plus des cours de dessin qu’il donnait déjà depuis la classe de seconde. Son désir de devenir prêtre reste ferme.

A la rentrée scolaire de septembre 1950, il est admis, avec 18 autres candidats, au grand séminaire d’Otélé où son projet de devenir jésuite prend forme. « C’est l’époque des pères de Lubac et Theillard de Chardin, considérés par Rome comme les théologiens qui dérangent », affirme le Père jésuite Alain Renard. Vraisemblablement, le jeune Mveng avait été séduit par la foi et la  liberté de pensée et d’expression de ces théologiens. C’est au cours de cette année 50 qu’il décide de devenir jésuite.

Le 21 septembre 1951, Engelbert Mveng arrive au premier noviciat des jésuites d’Afrique noire crée en 1948 à Djuma (localité située dans le Kwilu, République démocratique du Congo) où il séjourne pendant trois ans.

En 1954, il quitte Djuma pour l’Institut Saint Robert Bellarmin de Wépion (Belgique) où il étudie la philosophie de 1954 à 1957. En Belgique, il entre en contact avec le Père Theillard de Chardin. Il est marqué par la place qu’occupe le thème de la vie dans l’œuvre de ce brillant collègue qu’il n’avait fait connaissance qu’à travers les écrits. Au fur et à mesure qu’il avançait dans la connaissance de la civilisation occidentale, il se posait des questions sur l’historicité du monde africain. En 1957, Engelbert Mveng quitte la Belgique pour la France où il étudie la philosophie pendant un an. Après ses études en philosophie, il rentre au Cameroun et effectue un stage apostolique de trois ans, de 1958 à 1960, conformément au parcours habituel des Jésuites. C’est la période de régence au cours de laquelle le futur jésuite met en pratique tout ce qu’il a appris. Au cours de cette période, il est observé et apprécié par ses frères et son supérieur. Ceux-ci apprécient ses capacités à intégrer la vie communautaire avec ses contraintes, ses exigences disciplinaires ; sa serviabilité et ses aptitudes intellectuelles et spirituelles. C’est dire si la période de régence est une étape capitale pour le futur jésuite.

Pendant cette période, il est enseignant au collège Libermann de Douala où les jésuites viennent de s’installer. Dans cet établissement, il est chargé des cours de grammaire et d’histoire auxquels s’ajouteront le latin et le grec. Selon certaines sources, de nombreuses personnalités de la République du Cameroun ont été ses élèves. Parmi celles-ci,  des noms tels que Guillaume Bwellé, Louis Yinda, Bipoum Woum etc, sont avancés. Ses collègues, ses anciens élèves et ses supérieurs sont unanimes pour reconnaître que le régent Mveng était très exigeant et doué d’une grande compétence, d’une serviabilité et des qualités pédagogiques à nulle autre pareille.

Au cours de ses conférences sur la culture africaine, il ne cessait de susciter chez ses élèves et auditeurs une prise de conscience sur l’identité culturelle de l’Afrique noire. Au cours de l’une d’elles, il avait critiqué tous les ornements occidentaux (vestes, cravates) dont se drapent ceux qui « singent l’homme blanc » en déphasage avec  les climats et les réalités africaines. « Le lendemain, les élèves, pour marquer leur adhésion à son discours, étaient venus en classe, dans une large majorité, habillés en tissu cotonnade noué autour des reins. Mais ce retour subit à l’authenticité africaine ne plut pas à Mveng qui tança ses élèves. » ( Messina, 2003). L’homme était paradoxal, il fallait l’accepter ainsi et vivre avec, conclut l’auteur de Engelbert Mveng ; La plume et la pioche. Un message pour le 3è millénaire.

Cette période de régence sera aussi un moment important pour sa vie d’artiste doublée d’historien. Au cours de cette période, il se rend à Foumban en compagnie  du père Éric de Rosny. Dans cette localité connue pour les prouesses artistiques de ses habitants, Engelbert Mveng s’initie aux mystères de l’art traditionnel : « intuition des formes et des lignes, les couleurs, les techniques de sculpture et dessin, mais aussi, et surtout la signification des symboles ». Il s’est également initié auprès des artistes bamilékés.  Il a séjourné à Bandjoun, Bafoussam, Foumban. Pendant cette période de régence, il réalise des œuvres d’art splendides. Parallèlement, il entreprend des recherches sur l’histoire du Cameroun.

A la fin de la période de régence, il s’envole pour la France afin d’entamer les études de théologie. A la rentrée académique 1960-1961, il  s’inscrit au Collegium Maximum de Chantilly pour le cours majeur. L’année d’après, la province de Paris le prend en charge pour sa deuxième année de Théologie au Collegium Maximum de Lyon. C’est dans cette localité qu’il achève, en 1962 probablement, la rédaction de son ouvrage, Histoire du Cameroun qui est publié aux éditions Présence africaine en 1963. Cet ouvrage reçoit le prix Broquette-Gonin et la médaille de l’Académie de France d’Outer-mer. La même année, il publie aux éditions Mane sa première œuvre d’art graphique, «  Chemin de croix » publié sous le titre Si quelqu’un… dont il dira lui-même que ce chemin de croix résume toute sa pensée et toute sa béatitude (Père Alain Renard).

Pendant trois ans à Lyon, il étudie la théologie. Le 07 septembre 1963, il est ordonné prêtre avant la fin de ses études en théologie en 1964. Sa thèse de doctorat troisième cycle en théologie, soutenue en 1964, est consacrée à saint Augustin l’Africain.

Au cours de la période conciliaire, 1962-1965, qualifié par le Professeur Muiji Malamba «d’ivresse culturelle». Engelbert Mveng donne des conférences à Rome.

En 1965, Engelbert Mveng rentre définitivement au Cameroun bardé de diplômes et titres universitaires. Au cours de son long séjour, il perd sa mère et sa sœur. Son retour au pays natal ne met pourtant pas fin à ses études universitaires. Encore moins, à ces activités dans le domaine culturel. C’est ainsi qu’en 1966 à Dakar au Sénégal, il est l’un des organisateurs du premier festival mondial des arts nègres.

En 1968, il s’inscrit à l’université de Dakar et obtient en 1969 les certificats de latin et de grec. Il s’adonne ensuite à la recherche archéologique au Cameroun. Il fait des investigations à Ngoro (1966), à Mimetala (1968) et à Mvolyé (1970). Au même moment, il s’intéresse à l’inculturation et à la liturgie. En 1970, il soutient sa thèse de doctorat d’État à la Sorbonne où il s’était inscrit après l’obtention de son doctorat de troisième cycle. Sa recherche est intitulée : Les sources grecques de l’histoire négro-africaine depuis Homère jusqu’à strabon. Il lance  la même année le Mouvement des intellectuels africains (Mica)
En 1975, il fonde le collège le Sillon qu’il baptise du nom de son unique sœur décédée : Le collège Jeanne Amougou. En 1980, il crée l’Association religieuse dénommée «les Béatitudes», dénomination qui dévoile l’intention spirituelle qui guide sa marche vers Dieu. Cette famille représente son œuvre ultime.

Parallèlement à sa mission pastorale, il assume ses fonctions académiques au département d’histoire de l’Université de Yaoundé qu’il dirige de 1983 à 1986. Il est membre fondateur de l’Association œcuménique des théologies africaines (Aota). Il réalise plusieurs œuvres, dont la mosaïque qui orne le cœur de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé.

À partir de 1989, l’atmosphère de la communauté les Béatitudes devient invivable. La crise qui couvait éclate au jour en 1990. Le Père Engelbert Mveng vit très mal cette crise. Il est même obligé de se justifier et de se soumettre et à accepter contre son gré certaines décisions. En 1992, il fonde le Centre africain de la recherche sur l’inculturation (Ceri) et suit de près la préparation du Synode africain. En 1994, il participe à Rome aux séances de ce synode. Il est lâchement assassiné dans la nuit du 22 au 23 avril 1995, à son domicile.

Le Père Engelbert Mveng nous laisse un héritage immense. Il était à la fois, théologien, hommes de science et culture. Ses œuvres et sa parole resteront à jamais graver la conscience de ses concitoyens et des citoyens du monde. Les mains impies ont privé les générations de cette source vivifiante sans laquelle la vie n’a aucun sens, sans laquelle aune germination n’est possible. Son chemin n’était-il pas déjà symbolisé par son nom ?
Jean-Bosco Talla et V.T.N.
Source : Patrimoine n° 0013, avril 2001
Jean-PauL Messina, Engelberg Mveng. La plume et la pioche. Un message pour le 3e millénaire (1930-1995), Yaoundé, Presse de l’Ucac, 2003, 192p.



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