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Lettre ouverte au Premier ministre Yang Philemon

Lettre ouverte au Premier ministre Yang Philemon

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Que faites-vous du sort des 1000  fonctionnaires qui travaillent depuis 31 mois sans salaire?

Monsieur le Premier Ministre, chef du Gouvernement,
C’est en notre modeste qualité de citoyen d’une République que nous voulons tous considérer comme un Etat de droit que nous nous permettons de porter à votre illustre attention la situation ahurissante de ces milliers de fonctionnaires camerounais présumés coupables (contrairement au code de procédure pénale en vigueur !) de fautes diverses mais à établir, et qui depuis déjà 31 mois pour la plupart travaillent sans salaire.

Dans une correspondance datée du 13 novembre 2008 portant en objet « Situation intolérable des fonctionnaires suspendus de salaire depuis bientôt 1 an », nous attirions déjà l’attention des plus hautes personnalités de la république, notamment du Premier ministre, sur cette situation à la fois curieuse, ubuesque, et difficilement attribuable aux agissements de ce que l’on appelle d’ordinaire un Etat de droit. Regardons les choses d’un peu plus près. Ces fonctionnaires, délinquants sans doute, et qui ont peut-être usé de pratiques illicites pour obtenir, toujours peut-être, un ou des primes, des avancements d’échelon, de classe ou de grade indus constituent, si les faits présumés ci-dessus venaient à être établis à leur charge, de très mauvais exemples pour notre fonction publique en particulier et notre pays en général. Le cas échéant, ils devraient être sanctionnés sans la moindre faiblesse, conformément aux lois en vigueur, en vertu du vieux principe de droit selon lequel il ne peut y avoir de sanction sans texte. Seulement, voilà : avant même que lesdits faits aient été établis, dans un Etat que nous disons tous de droit, ces fonctionnaires ont vu leurs salaires suspendus, entièrement suspendus ! Dans ce contexte même, qui est, il faut le rappeler, celui d’un Etat de droit, une telle chose, qui ne se fonde sur aucun texte légal ni réglementaire, n’aurait jamais dû se produire. Elle viole, en l’occurrence, un nombre impressionnant de dispositions légales, qu’un véritable Etat de droit a l’obligation de défendre, puis de promouvoir.
Cette chose inqualifiable viole d’abord la présomption d’innocence, et condamne d’emblée des individus soupçonnés de fautes, ce avant même que leurs situations ne soient examinées et leurs culpabilités individuelles établies. Par le fait même, elle réduit à néant un des dispositifs centraux du nouveau (Il n’est plus si nouveau aujourd’hui, il faut bien le dire !) code de procédure pénale.
Elle viole les dispositions nombreuses et concordantes du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994  portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat modifié et complété par le décret N° 2000/287 du 12 octobre 2000 qui en son article 28 (2) et s’agissant des actes de saisie ou de cession du salaire des fonctionnaires dispose que « Toutefois, la quotité saisissable ou cessible ne peut excéder le tiers de la rémunération du fonctionnaire concerné », fonctionnaire qui dans le cas d’espèce exerce son service régulièrement, avec ponctualité et assiduité. D’ailleurs, les articles 106 (3), 107 et 109, qui parlent d’une situation de perte du droit à la rémunération liée aux cas de services non faits ou de suspension de fonction, ne prévoient aucune suspension totale de salaire : le fonctionnaire «perd droit à la solde indiciaire et aux indemnités et primes diverses, mais conserve, le cas échéant, l’intégralité de ses allocations familiales » (106 al. 3). Et vous savez parfaitement pourquoi ces allocations sont intouchables, Excellence Monsieur le Premier Ministre : c’est qu’elles n’appartiennent pas au fonctionnaire sanctionné mais à sa progéniture mineure qui, elle, n’a commis aucune faute et ne peut donc pas être sanctionnée pour la faute dûment établie de ses géniteurs.
Cette chose immonde viole de ce fait les principaux droits fondamentaux reconnus par la Convention des Nations Unis sur les droits de l’enfant (CIDE) que sont les droits à la survie, à la protection, et au développement. Car comment s’y prendrait un fonctionnaire suspendu entièrement de solde pendant trois années pour faire manger, pour soigner et envoyer à l’école ses enfants mineurs ?

Monsieur le Premier Ministre,
Cette chose est en même temps un non sens aux plans éthique et managérial.
Au plan éthique, elle positionne notre pays comme un univers monstrueux où l’on fait travailler des êtres humains pendant des années, contrôlant quotidiennement leur ponctualité et leur assiduité aux postes, sans leur donner les moyens de se nourrir, de se vêtir, de se soigner, de se rendre au travail. Faut-il, Excellence, revenir à l’ancienne strophe de notre hymne national et l’actualiser ? Nous proposerions alors : « Aujourd’hui comme hier tu vis la barbarie/ Comme un soleil qui refuse de paraître/ Tu t’obstines au fond de ta sauvagerie ». Mais non ! nous sommes convaincus que nul ne souhaite une telle régression, surtout pas Monsieur le Premier Ministre chef du Gouvernement. Que même s’il existait dans notre beau pays des lois aussi obscures, retrogrades et inhumaines, permettant de condamner en toute légalité des êtres humains et leurs enfants à trois années de diète noire, sans pain sec et sans eau, sans médicament et sans toit, avec obligation de travailler avec ponctualité et assiduité, Nous sommes suis sûr que Monsieur le Premier Ministre serait le premier des citoyens de ce pays à disqualifier de pareilles lois et à leur substituer d’autres plus morales, plus humaines, plus dignes d’une république moderne, fière et unie.
Au plan managérial et dans un contexte de recherche de la performance pour gagner la lutte contre la pauvreté et devenir à l’horizon 2035 un pays émergent : comment concilier une pratique qui envoie assidûment des fonctionnaires au travail pendant trois années sans rémunération avec le souci de développer une administration de performance ? Sont-ce les heures au travail qui comptent ou les heures de travail ? Combien de temps Monsieur le Premier Ministre est-il capable de jeûner en  fournissant un travail de quelque rendement ? Une semaine ? Deux ? Un mois ? dix mois ? Trente et un mois ? Y a-t-il un quelconque bon sens à demander à un être humain qui ne peut ni manger, se soigner, se loger ni se vêtir de travailler avec ponctualité et assiduité pendant plus de trois années ? Quelle idée voulez-vous que les Camerounais se fassent de ceux qui les dirigent quand ces derniers organisent et entretiennent un tel état de fait ? Quelle image voulez-vous que les étrangers qui sont tentés de nous respecter se fassent de notre pays quand on leur montre le peu de cas que ceux qui nous gouvernent font de la vie de nos concitoyens y compris de ceux qui sont mineurs et légalement irresponsables ?

Monsieur le Premier Ministre,
Votre prédécesseur est resté sourd à notre lettre du 13 novembre 2008 il y a déjà deux ans de cela. Vous pouvez agir autrement et montrer que s’il y a eu négligence, cela s’est fait sans la caution des plus hautes autorités de ce pays, ces autorités qui aux yeux du citoyen ordinaire incarnent les valeurs les plus hautes et les plus irréprochables auxquelles chacun de nous devrait aspirer. Nombre de fonctionnaires concernés par la mesure sus évoquée sont déjà décédés : morts de misère, de maladie, laissant des veuves ou des veufs et des orphelins contre qui l’Etat ne pouvait soulever aucun grief et qui pourtant paient depuis des années et pour longtemps pour ces fautes qu’ils n’ont pas commises. Pour ces citoyens sinistrés dont la majorité est constituée de mineurs, ce n’est que lorsque cette sombre parenthèse sera refermée qu’il admettront comme vrai que leur pays, « qui vécut autrefois dans la barbarie, sort peu à peu de sa sauvagerie ».
Recevez, Excellence Monsieur le Premier Ministre chef du Gouvernement, l’expression du profond dévouement de l’humble citoyen que nous sommes.
Roger Kaffo Fokou
Enseignant/Ecrivain

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