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Patchwork 13 octobre 2018 - 13 octobre 2022 : Remember Fabien Eboussi Boulaga

13 octobre 2018 - 13 octobre 2022 : Remember Fabien Eboussi Boulaga

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13 octobre 2018 - 13 octobre 2022 : Remember Fabien Eboussi Boulaga
Hommage à Fabien Eboussi Boulaga
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A l'ocassion du quatrième anniversaire de la transition douloureuse de ce monde de souffrance à l'univers céleste ethéré ( plans spirituels supérieurs), du philosophe Fabien Eboussi Boulaga, j'ai choisi de publier le texte ci-dessous que j'avais écrit, de son vivant, pour magnifier son oeuvre lors des journées d'études organisées, par le Professeur Ambroise Kom, en son hommage, les 24 et 25 juillet 2009 à l'amphitheâtre 350 des sciences de l'université de Yaoundé 1.
Penser l’événement, les institutions et la société
Pourquoi aimons-nous Fabien Eboussi Boulaga? La réponse, de mon point de vue, se trouve dans ces deux vers de Lessing cité par Hannah Arendt : « Ce qui l’émeut, émeut. Ce qui lui plaît, plaît. Son heureux goût est le goût du monde » (1986 : 12-13).
Lire et relire Eboussi Boulaga, c’est ressentir et vivre pour soi ce partage de l’émotion et du plaisir, « cette disposition à partager le monde avec ces éternels étrangers qui sont nos semblables, avec d’autres qui se rencontrent alors même que tout les sépare » (Myriam Revault d’Allonnes, 1995 : 22).

Cela ne veut pas dire que l’on partage entièrement ses prises de position ou que l’on fait siennes ses interprétations et cogitations philosophiques. L’expérience, le cheminement intellectuel, les choix et les options d’Eboussi Boulaga sont différents, surprenants, déconcertants et difficiles. Peut-on imiter Eboussi Boulaga? Est-il même imitable ?
Que dit-on ? Que ne dit-on pas ? Ses prises de position agacent et embar­rassent. On le dit très dur vis-à-vis de l’ordre établi. Ses écrits sont hermé­tiques. On dit qu’il mène une vie d’ascète. Il serait même un ermite. Il fait partie de l’aristocratie intellectuelle.
Quoi qu’on dise de lui, quoi qu’on pense de ses écrits, une évidence s’im­pose : on ne commente pas Eboussi Boulaga, on entretient avec lui une conversation infinie parce qu’avec lui, à travers ses prises de position impro­visées et/ou élaborées, les sans voix, ceux qui n’ont pas le confort intellectuel adéquat pour décrypter les mécanismes de domination, ceux qui ont été abrutis plus ou moins subtilement par le sexe, l’alcool, les multinationales de Dieu et ces vacarmes étourdissants, ceux qui sont victimes de la violence réelle ou symbolique prennent la parole.

Événement : foyer de la pensée

Si dans son cheminement intellectuel Eboussi a publié des ouvrages théo­riques, il partage la même conviction que Hannah Arendt selon laquelle la théorie politique ne s’élabore pas dans un tabernacle inaccessible ou dans une tour d’ivoire. Comme elle, le théoricien du Muntu a vu dans l’événe­ment - fait d’actualité notable - le foyer même de la pensée. On comprend pourquoi il a établi, comme l’auteure de Penser l’événement, un rapport poin­tilleux à l’actualité dont témoignent ses multiples prises de position (chro­niques) dans les médias, les revues et ses voyages pour le compte de certains journaux, notamment Le Messager. Comme l’auteure d'Eichmann à Jérusalem dont l’ouvrage a été écrit aux termes d’un reportage qu’elle avait fait en tant qu’envoyée spéciale du New Yorker au procès de Jérusalem, le voyage d’Eboussi Boulaga au Bénin et au Congo pour le compte du journal Le Messager a débouché sur la rédaction d’un ouvrage : Les conférences nationales en Afrique noire. Une affaire à suivre. Ce livre est une parfaite illustration de son souci de penser la société, les institutions et les événements. Dans Les Conférences nationales, Eboussi écrit : « [ J]e demeure un débiteur insolvable à l’égard du Messager et de son directeur Pius Njawé. Je n’ai pu confectionner le numéro spécial pour lequel il m’a fait séjourner brièvement au Bénin en sa compagnie, puis tout seul et davantage au Congo. C’est à ces déplacements que ce livre doit sa partie narrative et les docu­ments dont une sélection constitue la partie annexe » (1993 : 5).
Comme le souligne Yaovi Akakpo, « les conférences nationales, et les diffé­rentes situations des transitions africaines offrent à la théorie un défi pros­pectif susceptible d’éclairer en Afrique les normes référentielles de l’agir politique moderne » (1998 : 62). Dans cet ouvrage, l’intention du témoin de « ces assises sans pareil » est moins de rouvrir le débat « pour ou contre » les conférences nationales - « une prise de position pour ou contre la confé­rence nationale est de peu d’intérêt», souligne Eboussi - et de faire un bilan des transitions démocratiques en Afrique, que d’éviter la banalisation desdites assises afin de « restituer l’esprit original, le sens, le vecteur, la portée» (ibid.) car, écrit Eboussi, «la nouveauté se cache plus qu’elle ne se montre sous le déguisement des formes anciennes» (1993 : 173). À la lecture de cet ouvrage, on comprend qu’il est le prolongement de la problématique de l’aliénation du Muntu et de sa libération, d’autant plus que, selon l’au­teur, au cours de la construction de leurs communautés historiques que nous appelons États et de la mise en place des institutions étatiques, les Africains ont singé les puissances tutélaires (l’Occident), en recopiant mécaniquement leurs constitutions, leurs organisations administratives, législatives, juri­diques, militaires, etc. Il s’est donc construit en Afrique une forme politique vide qui n’est « à la limite [...] qu’un corps-fantôme, imaginaire, produit par le discours institutionnel » (ibid. : 102).
C’est, sans doute pourquoi, dans ces États fictifs, comme le nôtre, les constitutions sont malaxées, autrement dit violées, les citoyens ou les peuples ne sont ni respectés ni éduqués, encore moins en sécurité. Dans ces Républiques monarchiques drapées dans des oripeaux de démocratie, les rois ou les monarques proclament qu’ils réaliseront l’intégration nationale, stade suprême de l’unité nationale et font exploser la nation en offrant à leurs concitoyens, visiblement considérés comme des « sujets », le tribalisme, le régionalisme, le népotisme. Partisans de la politique du verbe, ils procla­ment qu’ils apporteront la démocratie, le développement et confisquent le patrimoine commun tout en offrant à leur peuple la dictature, les élections truquées, la misère, le pillage systématique. Ils déclarent du bout des lèvres qu’ils veulent conduire leur peuple vers la prospérité et transforment leur pays aux énormes potentialités en pays pauvres très endettés (PPTE). Ils proclament qu’ils sont contre toutes formes de discriminations et constitutionnalisent les notions de « minorité » et d’« autochtone». Ils ambitionnent d’œuvrer pour la réalisation des libertés et offrent les fers, les incarcérations, le muselage des voix dissidentes, sortent chars d’assauts, armes de guerre, pour réprimer dans le sang les manifestations pacifiques. Somme toute, écrit Eboussi, « la réalité africaine se montre comme son négatif » (ibid. : 99). Yaovi renchérit : « La vérité de l’État étant donc réalisée hors de soi, en opposition avec soi (c’est-à-dire en opposition avec sa propre réalité), il ne reste plus qu’à reproduire, à imiter, à constituer une puissance structurante de fiction, contre les peuples qui sont en principe l’âme vivante de l’État » (1998 : 62). Un État idéologique considéré par Eboussi comme étant « le geste inaugural d’aliénation » (Eboussi, 1993 : 23).
 

Absence de la pensée
C’est dire si les Conférences nationales prolongent la phase inaugurale d’un nouveau cycle dans le déploiement de la pensée d’Eboussi, cycle commencé quelques années plus tôt, au début des années 1990, et au cours duquel l’au­teur de La Démocratie de transit au Cameroun se déploie dans le champ de l’actualité et se distingue par ses prises de position publiques dans les médias et les revues. En 1992, dans le premier numéro de la revue Terroirs qu’il dirige, il met le doigt dans la plaie et identifie la racine du mal africain. Pour le philosophe du Muntu, «la racine du mal africain est l’absence de pensée » (Boulaga, 1992 : 4). Une absence de pensée, qui fait de nous des réceptacles de la « friperie politique et culturelle occidentale » (ibid. : 10), que l’on ne devrait pas « confondre avec une certaine idiotie de ceux qui ne savent pas toujours comment se conduire dans la vie, ni avec l’ignorance de ceux qui ne possèdent pas le savoir, ou de ceux qui n’ont que des connaissances médiocres. Même les érudits et les savants sont concernés par ce problème de l’absence de pensée. Car à vrai dire, ceux qui conduisent nos peuples dans la misère, le chaos, bref dans le « désastre matériel », ne sont ni des idiots ni des montres » (Ernest-Marie Mbonda, 2006 : 273).

Ce sont, au contraire, « des gens de bonne compagnie, doués d’astuces, pleins de ressources et de savoirs » (Eboussi, 1998 : 8), des gens à l’origine de la violence que les citoyens subissent quotidiennement. Les écrits de Fabien Eboussi Boulaga permettent de déterminer les formes et les manifestations de l’absence de pensée. Par exemple, le « mimétisme de la pensée », forme la plus grave qui consiste à débiter mécaniquement, sans examen critique, sans aucun effort de contextualisation, « les théories préfabriquées, les concepts élaborés par d’autres, sous d’autres cieux, dans des contextes différents des nôtres » (Ernest-Marie Mbonda, 2006 : 274). On comprend pourquoi, dans Le Messager du 17 février 1992, il tance et ironise ces intellectuels qualifiés de « ventriloques » friands des « débats d’idées » du genre « la polygamie est-elle à abandonner ou non?», ces intellectuels qui «parlent comme des livres, au milieu d’ordures omniprésentes», qui défendent le statu quo sordide et qui font l’éloge des «trous» (nids de poule) qui envahissent les chaussées des routes de nos villes et campagnes et les considèrent comme une « bonne chose», car ils imposent une limitation de la vitesse salutaire, réduisent les accidents de circulation, contribuent à l’éducation civique des Camerounais, rappellent aux Camerounais qu’ils doivent obéir à la loi, attirent les touristes, favorisent « le sentiment religieux, par méditation sur la mort et la vanité des biens de ce monde» (Eboussi, 1999 : 16) et ont un effet bénéfique sur les automobilistes et les usagers en contribuant au renforcement de leur colonne vertébrale. Certains de ses écrits réunis dans l’ouvrage Lignes de résistance visent l’instauration d’une communauté humaine apte à survivre et à durer dans l’histoire et le monde, au sein de laquelle les membres sont capables de discuter, de délibérer et d’agir en conséquence dans le sens de cet intérêt primitif. Pour l’auteur de La crise du Muntu, il ne faudrait pas que nous nous installions dans « une société infra-humaine où régnent la funeste passion de l’enrichissement soudain, une joyeuse insouciance barbouillée de sang, de crasse, de stupre accompagnant la destruction de notre patrimoine d’huma­nité » (ibid. : 5). L’auteur de Christianisme sans fétiche nous invite ainsi à penser « pour ne pas être étranger à la cité ; pour que rien dans la société ne nous soit étranger ni indifférent ; pour que l’Êtat soit nôtre, parce que la politique est l’affaire de tous» (Maurice Kamto, 1993 : 35). On comprend le bien-fondé de ses critiques sans concession faites des orientations, options et choix politiques, des agissements de ceux qui nous gouvernent ou de ceux qui aspirent à nous gouverner.
Face aux dirigeants qui ne montrent aucun signe de faiblesse et qui ne font aucune concession, sinon pour la forme (Eboussi Boulaga, 1999 : 59), face à « ceux qui se parent du nom d’opposants [et] qui ne s’opposent en rien à un régime dont ils ne diffèrent pas» (ibid. : 54), l’«intellectuel authen­tique», le «marginal conscient», le «résistant», l’«ermite», le «fakir», l’«austère», conscient du fait que «tout se transforme en objet de pensée», que la « pensée exprime la puissance des possibilités humaines, l’être autant que les virtualités, [qu’elle] est l’expression de la conscience de soi, le regard de l’esprit sur l’Autre et sur le théâtre de l’existence» (Maurice Kamto, 1993 : 18), Eboussi Boulaga, disions-nous, ne pouvait que nous tracer des lignes de résistance à l’oppression nous permettant de « résister à toute mutilation anthropologique» (1999 : 291), d’éviter les venins paralysants du défaitisme, de la résignation, du renoncement et de la démission, et qui nous empêchent de nous accommoder de l’ignominie. Des lignes de résistance qu’il énumère :
« La première est celle qui tient l’humain comme acte émergeant de condition­nements physiques, biologiques, sociaux, historiques, économiques, qu’il conserve et sublime tout à la fois.
La deuxième consiste donc à maintenir tous les opérateurs d’émergence et à les considérer comme invisibles, interdépendants. Parole et symbole, outil et rite s’investissent toujours ensemble, quoique à des degrés variables, dans les processus humanisants de socialisation, de personnalisation, de sexualisation de civilisation. Il convient de résister à toute mutilation anthropologique. Le reste en découle :
Dénoncer les sophismes qui réduisent l’homme à ses conditionnements ou à ses appartenances.
Faire l’inventaire des principaux mécanismes qui permettent les hommes superflus, éliminables comme des déchets ou des insectes nuisibles.
Protéger l’idée simple d’humanité, la distinction instituante de l’humain entre le bien et le mal, le vrai et le faux, en prenant l’habitude de juger par soi- même, sans se faire dévorer ses propres rôles.
Il faut garder une mémoire allergique aux dénis d’humanité que sont les génocides, l’esclavage, l’impérialisme, la colonisation et la post-colonie. Il ne faut pas oublier nos continuelles descentes aux enfers du mépris de l’homme de notre continent » (ibid.)

Atteinte à l’honneur et à la considération

Ce faisant, l’intellectuel exigeant ne tolère pas que l’on porte atteinte à son honneur et à sa considération en spéculant ou en insinuant qu’il ne serait pas intellectuellement honnête. Jean-Godefroy Bidima l’a appris à ses dépens, lui qui, dans son ouvrage Théorie critique et modernité négro-africaine, avait insinué que La Crise du Muntu et certains écrits de Eboussi ne seraient que des « plagiats ». La réaction de Fabien Eboussi Boulaga avait été immédiate et à la hauteur de l’outrage. Illustration :« Que conclure de ce voyage [dans l’univers de Bidima] ? La dénonciation a fonctionné constamment sur la base invérifiable d’une libre association de mots et de thèmes. Elle s’achève par ce qui a toutes les apparences de la diffamation la plus grossière. Le plus surprenant, c’est la découverte, dans la « texture » même de l’ouvrage, de l’étendue du faux-monnayage intellectuel avec ses procédés « cyniques », en toile de fond.
1 ) Son érudition de bazar est du clinquant, un papillotement de phrases, de mots, de notions recueillis au hasard d’un vagabondage sans direction, au petit bonheur des modes, des mondanités et des potinages «philosophiques», et qui cherchent à s’accrocher, tels des confettis, au premier objet rencontré sur leur chemin. C’est que M. Bidima n’a pas de temps pour le mouvement discursif qui les engendre et les porte, la trame de l’argumentation dans laquelle ils s’inscri­vent et qui seul leur donne sens. Il n’a pas la patience de se construire une mémoire cohérente destinée à soutenir une interrogation, une pensée et un juge­ment personnels. Il ne peut que citer, à tort et à travers, hors de propos, en vue de « scintiller ». En effet, il ne se confronte qu’à lui-même, jamais à une altérité ou une « adversité » résistantes. Des auteurs, grands, (Aristote, Kant, entre autres !) et petits, sous ses références, sont de méconnaissables caricatures, des épouvantails en papier, dont il triomphe sans péril. Son érudition est de la pose ou de l’es­broufe » (Eboussi, 1998 : 12-13).
Avis donc à tous ceux qui s’aventurent dans la critique sans fondement et sans bases intellectuelles solides des œuvres d’Eboussi, ils connaîtront le même sort que celui qu’a connu Bidima. Cela ne veut pas dire que Fabien Eboussi Boulaga n’est pas ouvert à la critique. Ses ouvrages n’ont-ils pas fait l’objet de multiples thèses et mémoires ?

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