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L'après-Macron: le Cameroun nous interpelle

L'après-Macron: le Cameroun nous interpelle

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Comme des millions de Camerounais, j’ai suivi avec un intérêt particulier la visite à Yaoundé du 25 au 26 juillet du président de la République française Emmanuel Macron. En dépit des débats contradictoires, nourris parfois de spéculations de toutes sortes sur l’agenda public et celui supposé caché de la visite, tenus sur différentes plateformes, et du folklore d'animation autour de l'arrivée de cet invité de marque, je dirais que le reste, du moins ce qui s’est joué sur la place publique, était à la fois prévisible et attendu. Certes, la présence physique sur le sol camerounais est un point auquel tenait tant le régime de Yaoundé, mais en somme, Emmanuel Macron a pu tirer son épingle du jeu, pour lui et pour sa patrie la France. De surcroît, j’ai ressenti une intention réelle et actée de se dérober du rôle de bouc émissaire permanent derrière lequel se cachent certains autocrates africains et leurs complices zélés pour se dédouaner de la gestion calamiteuse de leurs propres pays et du piétinement des droits et libertés fondamentales de leurs concitoyens.


Trois aspects de la visite ont retenu mon attention: la conférence de presse conjointe, pénible à suivre, tellement les aspects liés à l'état physique et d’alerte des intervenants, étaient visiblement déséquilibrés en notre défaveur; la rencontre avec la société civile avec des passages de discours sur la pratique de la démocratie que les démocrates camerounais eux-mêmes n’ont cessé de clamer depuis des décennies; et la visite par la partie parlementaire de la délégation française à notre Assemblée nationale avec des leçons élémentaires sur le rôle des élus et le fonctionnement des institutions démocratiques.
De grâce, 62 ans après l'indépendance, notre fierté, et la dignité qui en découlent exigent que nous élevions nous-mêmes le niveau de nos performances professionnelles individuelles ou collectives, pour ne pas avoir à recevoir des leçons des autres. Encore qu’en d’autres circonstances, certains des visiteurs passeraient facilement pour nos propres élèves, si ce n'était la couleur de notre peau et l'histoire écrite des civilisations humaines. C’est de cela aussi qu’il s’agit pour l’avenir de notre pays, le Cameroun.
Aujourd'hui, la quasi-unanimité se dégage sur le fait que le pays va mal. Même ceux qui nous gouvernent auraient souhaité que le conflit armé en zone anglophone ainsi que les multiples autres crises sécuritaires cessent, que le niveau de confiance des citoyens par rapport aux institutions étatiques soit plus élevé, que l'économie marche à merveille, que la justice soit plus rassurante dans son indépendance et son équité, que les jeunes puissent trouver des emplois et autres opportunités socio-économiques, ou que les espaces de libertés et de démocratie participative soient une réalité incontestable chez nous. Hélas, en ce jour du 21e siècle, tous ces idéaux me paraissent lointains au Camerounais lambda, en réalité à la grande majorité de nos compatriotes, pour le bien être desquels nous devrons tous œuvrer. Certains diront que l'État vit son train normal. Mais à cette allure, nous finirons par reculer pendant que les autres pays s’empressent d’avancer. Que s’est-il passé avec l’Afrique en miniature tant respectée, et tant adorée par le reste du continent? L’impératif du jour serait de susciter un temps de mûre réflexion pour dégager de nouvelles orientations à même de sauver les meubles et de donner un souffle nouveau à un peuple dont les qualités humaines et intellectuelles forcent encore l’admiration. L’heure est donc à l'interpellation individuelle et collective qui devrait dépasser les petits calculs de conservation et de conquête de pouvoir. Le Cameroun nous interpelle!
Cela fait cinq ans que les Camerounais s’entretuent dans le Nord Ouest et le Sud Ouest, principalement parce que les politiques ont décidé de sous-traiter aux militaires, les responsabilités qui devraient être les leurs: celles de gérer les griefs et récriminations légitimes des populations anglophones, lassées d'être marginalisées et malmenées dans une République forgée en 1961 par une réunification voulue par la grande majorité d'entre eux. Aujourd’hui, nous comptons des morts en milliers parmi les populations civiles et aussi les membres des forces de défense et de sécurité; des centaines des villages rasés; près d’un million de déplacés internes, y compris des réfugiés, près de 800,000 enfants qui n’ont pas eu accès à l'éducation et trois ou quatre millions de personnes exposées au risque de la famine tant que le conflit perdure. Pendant cinq ans, j’ai toujours insisté sur la recherche des solutions politiques par le dialogue et les négociations. Et il me reviendra toujours des voix aussi crédibles telles celles, entre autres, de l’ancien ministre Abouem A Tchoyi (par ailleurs la seule personnalité à avoir exercé les fonctions de gouverneur dans les deux régions Anglophones, et plus tard au plus haut niveau politique et administratif du pays), de Protais Ayangma, de Dieudonné Essomba, de Maitre Joseph Lavoisier Tsapi, de Emmanuel Koungne. Ceux-là avaient vu juste, même si leur bon sens a été vite étouffé par les va-t’en guerre qui pensaient qu’une guerre fratricide aurait un gagnant, en quelques semaines. Aujourd’hui, force est de constater qu’une approche militaire ne nous mènera pas à bon port, car pour la réussir, il faudra tuer davantage. Or, avec chaque mort sur le champ de bataille ou dans un village de la zone, se creuse davantage le fossé entre ces peuples et le régime qui prétend vouloir sauvegarder leur bien être et leur avenir.
Pendant le bref séjour de Macron à Yaoundé, la question a été encore évoquée, et à juste titre, sur le rôle de la France dans les massacres qui ont eu lieu au Cameroun il y a de cela plus de 60 ans, donc avant l'indépendance, en pays Bassa, et plus tard en pays Bamiléké jusqu’au 1971. Pensons-nous, sincèrement, que les populations anglophones et tous ceux qui ont perdu les leurs dans cette guerre inutile, oublierons de sitôt les blessures et les cœurs brisés de ces cinq dernières années? Aux politiques d'avoir le courage de s’asseoir pour négocier la fin de cette guerre, ce qui mettra fin à la psychose qui règne et qui de façon sournoise contribue à la multiplicité des actes de violence même en zone de non-conflit. Oui, aujourd’hui, les Camerounais constatent que la violence se normalise et s’accepte comme mode de fonctionnement de la société. Elle se voit partout, et même dans les écoles et les foyers.
Traiter la crise anglophone sous son aspect politique permettra à nos forces de défense et de sécurité et au pays en général de se focaliser sur les véritables sources de menaces sécuritaires plus ardentes, parce que menées par des étrangers avec une force de frappe plus meurtrière. C’est contre-productif de voir le redéploiement vers le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du matériel et du personnel, y compris des officiers supérieurs, formés pour lutter contre Boko Haram dans l'Extrême Nord. Et pourtant, cela n’est un secret pour personne, l’existence de Boko Haram freine les initiatives de développement dans le Grand Nord et toute opportunité d'épanouissement pour la jeunesse de la zone dont les chiffres démographiques sont croissants. Mon dernier séjour dans le Grand Nord date de 2015, et il me revient chaque jour avec insistance que les conditions de vie se sont détériorée encore davantage; les frustrations et les tensions sociales aussi.
Certains peuvent se dire qu’en dehors du Grand Nord et de la zone anglophone avec cinq régions au total, le bonheur se trouverait dans les cinq régions restantes. Que non. L'Ouest et le Littoral subissent le poids démesuré des déplacés internes de la guerre et le marasme socio-économique qui vient avec, tandis que l’Est est exposé aux fracas de la République centrafricaine avec ses mélanges toxiques des groupes armés locaux et Russes. Comment ne pas se rappeler que sur ces terres centrafricaines, les militaires camerounais ont perdu certains des leurs, y inclus le Général de Division Martin Tumenta de regrettée mémoire. Au Sud, nous entendons de temps à autre les cris de colère et de revendication contre ‘ces élites qui ont trahi.’ Bien sûr qu'à Yaoundé dans le Centre, on fait semblant de respirer le bel air, mais c’est un faux-semblant mélangé d’incertitudes par rapport aux lendemains imprévisibles. Paradoxalement, pour ce cas précis, la seule constance est la saison pluvieuse comme c'est le cas en ce mois d'août pendant lequel les aléas d'une infrastructure urbaine très vétuste nous rappellent que la capitale à l’instar du pays tout entier est à refaire, et cela de tout point de vue.
Ressusciter un Cameroun à même de donner de l’espoir à sa jeunesse et à tous ses fils et filles ne sera pas une tâche facile. Cela demandera une refondation des structures existantes, mais démodées; cela demandera la refonte du contrat social liant les populations à ceux qui reçoivent mandat pour les représenter à durée déterminée; cela demandera de la vision et un état d’esprit nouveau et plus humain. Ah oui, l’interpellation en faveur des générations futures est réelle et existentielle!
Christopher Fomunyoh