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Médias Au nom de notre amitié

Au nom de notre amitié

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Index de l'article
Au nom de notre amitié
Pius Njawé: Fin tragique d’une vie titanesque
Pius N. Njawe plus vivant que jamais
Pius Njawé : Né pour combattre
Pius N. Njawe: Bloc-notes du Bagnard
Toutes les pages
Je suis sans voix depuis l’annonce de ton décès survenu des suites d’un accident de circulation à quelques encablures de Virginie, aux États-Unis où, nous dit-on, après avoir été associé à des compatriotes pour penser l’avenir du Cameroun, tu allais rendre visite à ta fille. Les grandes douleurs sont muettes. Je n’ai pas envie de spéculer sur la question de savoir s’il y a une main diabolique derrière ta disparition subite. Dans ce plan d’existence où tu nous as laissés, tu étais en mission. Tu avais d’ailleurs pris conscience de celle-ci et t’y étais engagé sans réserve pour son accomplissement. Le Fabricateur Souverain a décidé que cette mission, parmi nous qui te suivrons un jour, est terminée. Comme il avait décidé que celles de Martin Luther King, de Mohandras K. Gandhi, de Um Nyobé, d’Ernest Ouandié, d’Osendé Afana, de Félix Moumié, des pères Engelbert Mveng et Jean-Marc Ela, de Patrice Lumumba, de Steve Biko, de Norbert Zongo, de Jean Helen, d’Aimé Césaire, entre autres, étaient terminées.
Aujourd’hui, je peux bomber mon torse, taper ma main droite sur ma poitrine et me vanter d’avoir été un des tiens. Nos relations étaient discrètes. Nous les avions voulues ainsi. De cette manière, nous étions efficaces.
Ce qui me chagrine, c’est la lourde charge que tu nous laisses. Souviens-toi de notre entretien, quelque temps après ma sortie de prison, au cœur de la nuit, à ton hôtel sis non loin de ce « machin » dénommé Elecam, visiblement érigé pour confisquer le vote des Camerounais épris de changement. Pendant plusieurs heures, nous avons parlé de tout : de la situation de notre pays, de celle de la presse, des fondés de pouvoir qui nous dirigent et nous tiennent captifs de nos instincts de conservation, de ceux qui aspirent à gouverner notre beau pays le Cameroun, de nos ennemis, de nos amis, de nos projets. Peut-être n’avais-je pas compris le sens de tes propos ce soir-là. Sept fois, tu avais répété : « nous ne devons pas lâcher ». Cinq fois tu avais dit : « Même si je ne suis pas là, vous devriez continuer le combat. C’est important pour nos enfants. C’est vital pour le Cameroun ». Pourquoi sept fois ? Pourquoi cinq fois ? Les spécialistes des mathématiques divines nous disent que 7 et 5 font 12 donc 3 qui, chez les chrétiens représente le Père, le Fils et Saint-Esprit qui, à leur tour, fusionnent dans l’Un (1). En Égypte ancienne ne disait-on pas que j’étais trois, je suis devenu Un? Voulais-tu m’indiquer la date fatidique ? Aujourd’hui je comprends, c’était ta façon de nous dire au revoir. Comme le laboureur et ses enfants, tu m’as invité à ton hôtel. Tu m’avais parlé sans témoin. Ni Momo, un de tes fidèles, qui m’avait amené au lieu du rendez-vous dans sa voiture et qui m’avait ramené chez moi tard dans la nuit, ni ton chauffeur n’étaient présents.
Le bal des caméléons que certains de tes ennemis organisent autour de ta dépouille nous fait sourire. D’aucuns vont même jusqu’à prendre leurs rêves pour des réalités. Ils affirment que désormais, ils vont dormir tranquillement parce que tu n’es plus. Mais, savent-ils seulement que tu n’es pas mort ? Qu’ils se le tiennent pour dit : Tu as tracé une « ligne de résistance ». Nous résisterons à « toute mutilation anthropologique », pour reprendre les mots de Fabien Eboussi Boulaga. Tu peux compter sur nous. Comme tu le sais, nous avons choisi de vivre libres dans un taudis en mangeant du pain que d’être esclaves dans un château en mangeant des gâteaux. Repose-toi en paix, Cher Ami.

Une plume en or se casse brutalement

Cruel destin que le sort qui a été réservé à Pius N. Njawe. Certes, l’annonce de son décès brutal, alors que personne ne s’y attendait, a crée la désolation. Mais, son mérite est d’être mort au front, comme beaucoup d’autres combattants qui l’ont précédé.

Dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 juillet 2010, la nouvelle, cruelle et inadmissible, circule, telle une trainée de poudre, dans la capitale camerounaise et peu après, sur l’ensemble du territoire national : Pius Noumeni Njawe, président du groupe de presse Free Media Group, entreprise émettrice du quotidien Le Messager dont il est par ailleurs directeur de la publication, est décédé en Virginie, aux Etats-Unis, ce mardi 12 juillet 2010, dans un accident de circulation. Tel un couperet qui s’abat sur des mouches, l’information qui circule déjà sur la toile, assomme. C’est l’émoi, la stupeur et la consternation au sein de la corporation et, d’une manière générale, auprès du peuple ; la communauté internationale qui s’est montrée tout aussi abattue par le cruel destin de Pius Njawe n’en est pas du reste (voir article ci-contre).
Personne, jusque-là, ne comprend ce qui s’est réellement passé. Que ce soit à la direction générale du journal à Akwa à Douala, à l’Agence régionale du Centre Sud et Est à la montée Anne Rouge à Yaoundé ou même au sein de la famille de M. Njawe à Babouantou (son village natal) et ailleurs au Cameroun, l’on est confus. Mais, en attendant d’y voir plus clair, beaucoup de proches, sympathisants et confrères de celui qui est considéré comme "le Mandela" de la presse camerounaise, ont déjà perdu la voix. "[…] je n’ai pas de mots !... Mon émotion est… je n’ai pas de mots […] ". Cette émouvante réaction de Séverin Tchounkeu, Directeur de la publication du quotidien La Nouvelle Expression, parue dans Le Jour du 14 juillet 2010, est représentative de la douleur ressentie un peu partout par tous.

Soupçon d’assassinat
Les circonstances tragiques dans lesquelles Pius N. Njawe a été ôté à la vie laissent planer une présomption d’exécution contre le combattant des droits de la presse et des droits de l’homme tout court qu’il n’avait jamais cessé d’être, en dépit de l’adversité. «  Etat Unis. Comment Pius N. Njawe a été tué… », a titré en grande une le journal "A l’écoute du peuple", édition n° 3141 du mercredi, 14 juillet 2010. Ce titre sur fond noir qui accompagne une belle illustration du combat mené par le fondateur de Le Messager exprime, de manière ambiguë, le sentiment qui a habité les employés de ce groupe de presse. Ce sentiment se précisera le lendemain, dans l’édition du 15 juillet dont le grand titre, interrogatif certes, ne fait aucun mystère sur les supputations autour de cette mort brutale : « Décès de Pius N. Njawe. Accident ou exécution ? », peut-on lire à la une. En lisant les articles consacrés à ce triste évènement, l’on se rend en effet bien compte qu’au Messager, l’on a du mal à comprendre pourquoi l’itinéraire du  patron du Free Media Group qui devait le conduire à Maryland chez un de ses amis d’enfance, tonton Nganyang Tchabong, a été modifié ? Bien plus, « pourquoi est-ce que l’hôtel n’a pas transmis à Pius N. Njawe le message de cet ami d’enfance ? », s’interroge notre confrère, tout comme il se demande comment cet accident a-t-il pu arriver dans un pays où des mesures sont régulièrement prises pour éviter l’irréparable ? Des questions et bien d’autres qui troublent et dont des réponses peuvent y être trouvées grâce à l’enquête que la police de l’Etat de Virginie a ouverte pour en savoir davantage sur les circonstances de cet accident paru dans un premier temps banal pour la police de cet Etat, mais qui par la suite a fait l’objet d’une attention particulière, du fait de l’écho qu’il a eu dans le monde.
Chez les autres confrères, à l’exception du quotidien gouvernemental, Cameroon Tribune, et du journal du Rdpc, L’Action, qui se sont contentés d’une simple annonce, des pages entières, voire des éditions sont consacrées aux circonstances de la survenue de l’accident, aux grands moments de sa vie de combattant, aux dizaines de réactions et témoignages qui viennent de tous les coins du triangle national et de partout dans le monde, etc.

Le mérite d’être mort au front
L’impression qui se dégage de la revue de la presse que nous avons faites, est que pas un seul confrère, homme politique, membre de la société civile, homme de science et de culture, sportif, ne veulent louper l’occasion pour rendre un vibrant hommage à celui que Anicet Ekane du Manidem a qualifié de "racine de la presse privée". Cette semaine dans certains médias audiovisuels, sont rediffusées, en guise d’hommage, des entretiens que l’une des icônes du journalisme indépendant au Cameroun a accordés. Même les confrères étrangers tels que Babakar Touré du Sénégal, Diao Diallo de Guinée, etc., ne sont pas restés indifférents face à cette énorme perte.
Les réactions et témoignages sont donc nombreux qui tendent presque tous à montrer que le militant de la liberté d’expression et de la liberté tout court s’en est allé, dans un accident de circulation au pays de l’oncle Sam, terre des libertés, comme il a vécu : dans la douleur. Quel symbolique !  Ce coup du sort est d’autant plus symbolique que Pius N. Njawe qui est né dans le combat et a vécu dans le combat a fini par mourir au front, dans le combat, loin de la promiscuité d’un système sociopolitique qu’il a passé l’essentiel de sa vie à fustiger. Bon à savoir, c’est en réponse à une invitation de la Diaspora camerounaise aux Etats-Unis, réunie sous la houlette de la Cameroon Diaspora pour le Changement (Camdiac) que le combattant Njawe se retrouve au pays de Barack Obama. Notons que ce mouvement a organisé une convention le samedi, 10 juillet 2010, à Washington Dc., dont le centre d’intérêt portait sur les stratégies à adopter pour l’alternance en 2011, au Cameroun. Aux côtés de M. Njawe, de nombreuses personnalités qui animent, de l’intérieur comme de l’extérieur, la scène politique camerounaise à l’instar de Bernard Muna (Afp), Adamou Ndam Njoya (Udc), Victorin Hameni Bialeu (Ufdc), Eugène Nyambal (économiste), Mboua Massock (le père des villes mortes), Christopher Fomunyoh (Ndi), Guérandi Mbara (ancien putschiste), Célestin Bedzigui  (Camdiac), entre autres.
Iconoclaste jusqu’au bout, Njawe est ainsi tombé les armes à la main ; lui qui était déjà une référence, mieux, un maître et par ricochet, un fusible pour beaucoup de jeunes journalistes qui se sentiront à jamais orphelins. Mais y avait-il meilleurs récompense divine que de quitter la scène de cette manière, la mort étant inscrite dans nos gènes ?
Simon Patrice Djomo


Pius N. Njawe plus vivant que jamais

Les témoignages affluent de partout et sont tous unanimes non seulement sur la grandeur du maître, du confrère, du combattant, de l’ami ou du frère qu’il était, mais aussi sur le bien fondé des actions qu’il menées en faveur de la justice sociale, des droits de l’homme et de la liberté tout court.

Aussitôt la nouvelle de la mort de Puis N. Njawe connue, de nombreux  témoignages sont enregistrés sur internet et dans les journaux. Toutes ces réactions qui viennent des quatre coins de la République et du monde entier, saluent la mémoire d’un grand homme.
Issa Tchiroma Bakary, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement qui s’est dit consterné quand il a appris la nouvelle de la mort tragique de "notre compatriote", rappelle qu’il avait des "relations assez particulières avec le directeur de publication de Le Messager" qu’il a côtoyé au début des années de braises "quand nous menions notre combat pour l’amélioration des conditions des vies des Camerounais". Quant à Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), très attristé par cette mort tragique, dit garder de Pius N. Njawe "le souvenir d’un journaliste engagé et d’un esprit libre".
Du côté de l’opposition, des réactions ont aussi été enregistrées. Pour Ni John Fru Ndi, président national du Social democratic front (Sdf), la presse camerounaise perd en ce "grand homme" qu’il a, lui aussi, côtoyé pendant les années de braise, un de ses "grands vétérans". Anicet Ekane du Manidem pense qu’avec le décès brusque et poignant de celui qu’il qualifie de combattant "c’est la racine de la presse privée qui s’écroule". Anicet Ekane invite par ailleurs la jeunesse camerounaise à chercher des "repères dans la vie de Njawe". Emboitant le pas au Manidem, la Dynamique, par la voix de son président Albert Dzongang, regrette la perte de quelqu’un de cette trempe avant de conclure que la mort de Njawe "constitue une page qui se referme dans l’histoire du Cameroun".
Au sein de la société civile dont Pius N. Njawe se sentait très proche, le poids des mots témoigne de la douleur ressentie. Le cardinal Tumi, archevêque émérite de Douala, reconnaît en Njawe "un homme de conviction, un homme courageux, un patriote" qui était animé par l’amour de la vérité et de la liberté d’expression. Pour sa part, le citoyen Hilaire Kamga, Secrétaire permanent et porte-parole de la Plate-Forme de la Société Civile pour la Démocratie, pense que "cette triste et dévastatrice nouvelle du décès du citoyen/combattant Pius Njawe […] constitue une des plus graves que notre pays ait connus depuis deux décennies de lutte pour la libération du Cameroun". Tandis que Blaz J.E Essomba du groupe Blaz Design Management and Investment S.A reconnaît de Pius Njawe que sa "hargne aux combats est demeurée intacte", le Révérend Jérôme Ebua, quant à lui estime que ce grand legs laissé à la postérité doit être valorisé.  
Dans la corporation, la consternation est aussi perceptible. A titre individuel ou à travers une association, les confrères de M. Njawe ne tarissent point d’éloges sur l’exemplarité professionnelle de ce défenseur des libertés.  Pour Nta à Bitang, vice-président de l’Union des journalistes du Cameroun (l’Ujc), "l’Ujc et la grande famille de journalistes du Cameroun subissent une grande perte" avec le décès du patron du Messager. Quant au Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), par la plume de son premier secrétaire a. i, "Pius Njawe était surtout un humaniste très sensible aux difficultés de la vie de ceux qui l’entouraient.  Ce qui enfaisait un gestionnaire plutôt  paternaliste". Le président de la Presse économique du Cameroun (Press Eco), François Bambou, pour sa part, reconnaît que ce "professionnel autodidacte était une grosse pointure pour la presse nationale et un des pionniers du développement de la presse indépendante au Cameroun".
A côté de ces associations, les amis et confrères ont exprimé également leur douleur. Abodel Karimou est directeur de La Gazette, journal dans lequel Pius N. Njawe a fait ses premiers pas en journaliste en tant que localier. "Pour la presse camerounaise […],  c’est une figure emblématique […] un journaliste engagé […] parti de manière brutale et à un très mauvais moment", surtout que les futures échéances électorales s’annoncent très chaudes. Il aurait en tout cas souhaité qu’il fût là pour continuer le combat du changement. Henriette Ekwé, directeur de la publication du journal Bebela, évoque la mémoire de Pius en parlant aussi d’un "journaliste engagé", tandis que  Ferdinand Chindji Kouleu, enseignant de journalisme et ami de Njawe, souhaite pour sa part, qu’"on ne laisse pas tomber Le Messager, mais qu’on le fasse grandir encore plus" étant entendu qu’il était "quelqu’un de courageux, de téméraire, une très forte personnalité qui était convaincu de son combat." La brutalité de cette mort suscite des interrogations quand on sait que M. Njawe n’était pas tendre avec le régime. Du coup, l’on comprend que André Parfait Bell, directeur de publication de Foot Africa et Hera, espère qu’il soit mort dans "un accident ordinaire". Quant à Melvin Akam, ancien rédacteur-en-chef au Messager, est convaincu que "tous ceux qui fleurissent dans les kiosques ainsi que ces nombreuses radios et télévisions nées après 1995, sont quelque part les fruits du combat de Pius Njawe pour la liberté d’expression".
La réputation de Pius N. Njawe, tout comme la portée de son combat traversent les frontières du triangle national. Ainsi, de l’extérieur, de nombreux messages ont aussi été enregistrés. Abdou Diouf, ancien chef d’Etat sénégalais et actuel secrétaire général de la Francophonie, regrette la disparition d’"un pionnier de la presse indépendante en Afrique francophone". Le deuxième conseiller à l’Ambassade de France à Yaoundé, Jean Louis Roth, se dit d’autant ému du décès de Pius Njawe qu’il a été en conversation téléphonique avec lui la veille de sa mort. Le journaliste sénégalais Babacar Touré parle de son illustre confrère camerounais comme de quelqu’un qui "nous a marqué en même temps qu’il a laissé une empreinte indélébile sur la marche de l’espace-temps démocratique et du champ toujours en friche des libertés et de l’engagement citoyen". "Pius Njawe devrait vivre encore pour parachever ses nombreux combats dont celui pour la sécurité", regrette Diao Diallo, journaliste guinéen.
Plusieurs autres témoignages ont été enregistrés, mais ce qui reste à souhaiter est que cet élan de solidarité se manifeste davantage afin les œuvres de celui dont nous regrettons tous la brutale et tragique disparition aujourd’hui, alors même qu’il n’avait pas encore achevé ses multiples combats, ne connaissent point le même sort que leur auteur, la mort. Car comme il l’avait déjà dit dans un entretien accordé à Edmond Kamguia K. de La Nouvelle Expression, en 1991 : « J’estime que nos héros doivent continuer au-delà même de la mort ». N’en est-il pas un aujourd’hui ?

S.P.D


Pius Njawé : Né pour combattre

Durant son existence, Pius N. Njawe  n’aura pas connu une vie du tout aisée. Que ce soit comme journaliste, parent ou simplement comme citoyen, tout n’aura été que douleur et  combat

La fin tragique et douloureuse du Président du Free media group, entreprise éditrice du quotidien Le Messager dont il était par ailleurs le directeur de la publication, est à l’image de l’existence que Pius N. Njawe aura menée. Il aura en effet affronté une adversité plurielle dès sa naissance.
Né le 04 mars 1957, à Babouantou dans le département du Haut-Nkam, région de l’Ouest, Pius Noumeni Njawe doit, dès l’entame de sa vie, se battre contre le destin. Du fait des troubles sociopolitiques ayant précédé l’indépendance, son père abandonne le jeune Pius pour prendre la route de "l’exil intérieur". Il meurt quand il a neuf ans. Dès lors, Njawe se débrouille tout seul et obtient son Cepe en 1968. Départ pour Douala, puis inscription dans un collège de la ville et abandon des études, quatre années plutard, faute de soutien financier.
A partir de cet instant, il signe son entrée dans la vie active. Première activité, garçon de course, entre 1972 et 1974, dans le journal Semences Africaines, crée par René Philombe et un groupe d’amis. "Je me suis intéressé très tôt au métier de journaliste", se confiait-il en 1991, à son confrère de La Nouvelle Expression. En 1974, Semences Africaines est contraint à la fermeture du fait de sa ligne éditoriale impertinente pour la classe politique dirigeante de l’époque. Du coup, pendant quelques années, Pius N. Njawe a été vendeur à la crié dans les rues de Yaoundé avant  d’atterrir à Douala où il se fait recruter comme localier à La Gazette de Abodel Karimou. En 1979, pour des raisons de convenance personnelle, le jeune reporter quitte La Gazette et va à Bafoussam créer son propre journal, Le Messager.
Dès lors, s’ouvre un autre front pour lui. Il a alors 22 ans, mais malgré cette jeunesse, il s’engage résolument sur la voie du combat pour la liberté de presse. C’est ainsi que le journal rentre définitivement dans la cour des grands en publiant dans les années 1985, c’est-à-dire, trois ans seulement après l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, un échange épistolaire par média interposé entre le philosophe pro biyaiste, Hubert Mono Ndjana et le juriste anti biyaiste, Maurice Kamto. Njawe et son canard sont désormais dans le point de mire du régime Biya : intimidations, interpellations, arrestations, emprisonnement, tentatives d’enlèvement, tentatives de "récupération", procès, puis censures, etc., sont au menu de la vie du journal et de ses dirigeants. Tout cela ne leur a pas fait que de mal puisque dans les années 1990, périodes de braise, Le Messager  a atteint un record de tirage jamais égalé : 120 000 exemplaires par semaine.

L’étau se resserre

A la faveur du multipartisme intervenu dans notre pays en 1990, Le Messager et son directeur seront une fois de plus au centre de l’actualité. Le 27 décembre 1990, Pius N. Njawe fait publier dans son journal une lettre ouverte de Célestin Monga intitulé "la démocratie truquée" à Paul Biya. Cette impétuosité vaut à Njawe et à Monga une condamnation à six mois d’emprisonnement, avec sursis de trois ans, et 300 000 F.Cfa d’amende chacun. Motif invoqué : "outrage au président de la République, outrage au membres de l’Assemblée nationale, outrage aux cours et tribunaux". Mais à sa sortie de prison, le combat continue. Le 04 septembre 1991, le patron du journal "à l’écoute du peuple" prend part à une marche de protestation contre la suspension arbitraire de cinq publications de la presse indépendante. Toujours en première ligne, au risque de perdre sa vie pour les autres, Njawe à failli être froidement abattu par un militaire lors de cette marche. "Je n’ai pas peur d’être sur la liste noire des personnes à abattre", confiait-il à Edmond Kamguia.
Comme il aimait souvent à le rappeler, il a été interpellé 126 fois pour presque autant de procès et 3 fois emprisonné . L’un des procès les plus retentissants est celui de décembre 1997 qui lui vaut 10 mois de prison à New Bell à Douala, pour avoir écrit que Paul Biya aurait eu un malaise cardiaque à la mi-temps de la finale de la coupe du Cameroun de football. Son épouse Jane Njawe, enceinte, donne naissance à un mort-né, suite aux tracasseries  et aux nombreuses bousculades dont elle a été victime aux portes de la prison centrale de Douala. Cela le marquera toute sa vie, tout comme cet exil au Benin, après l’élection présidentielle de 1992, parce que sa vie et celle de sa famille étaient menacées. Même au Benin où il a trouvé refuge, deux tueurs à gage ont failli lui ôter la vie n’eut été sa vigilance. Le 13 mai 1993, c’est-à-dire, à peine un mois après son retour d’exil, il est enlevé.
Avec toutes ces tracasseries, on aurait pu penser que c’en était trop pour ce journaliste, pourtant le plus dur était à venir. Septembre 2002, Jane Njawe, son épouse, trouve la mort dans un accident de la circulation, entre Douala et Yaoundé. Une fois de plus touché dans son amour profond, il crée en la mémoire de son épouse et de sa fille perdu du temps où il était en prison à New Bell la Fondation Jane & Justice dont la mission est de sensibiliser les usagers de la route sur le bien fondé du respect du code de la route.
Le 17 novembre dernier, il a célébré les 30 ans du Messager dans un sentiment mitigé. Il est vrai que 30 ans représentent plus de 3000 éditions, mais les défis restaient pourtant nombreux à relever. Par exemple, l’ouverture de sa chaîne de radio, et plutard celle de la télévision. Malheureusement, il quitte la scène sans avoir réalisé ses rêves, à cause d’un régime frileux qui n’aime pas avoir à faire aux esprits libres.
Professionnel aguerri, homme de cœur avéré, Pius N. Njawe était aussi un formateur, en dépit de tous les noms d’oiseau dont on l’affublait. Il enseignait le journalisme des les Universités américaines. Contradicteur et journaliste engagé, il l’a aussi été. Et c’est dans cette optique qu’il a répondu présent à l’appel du Camdiac le 10 juillet dernier, se privant ainsi d’un séjour d’agrément tous frais payés en Afrique du Sud où il était attendu pour la première coupe du monde de football organisée en terre africaine.
Au lieu donc de ce plaisir personnel, Njawe a préféré aller au front pour une cause commune. Il y trouve malheureusement la mort, les armes à la main. De la manière il est mort, après avoir vécu comme il a vécu, il sera désormais difficile de citer des exemples de patriote africains tels que Mandela, Amical Cabral, Diallo Telli, Kwame Nkrumah, Mongo Beti, Thomas Sankara, Norbert Zongo, etc., sans citer Pius N. Njawe. Et ce sera un autre honneur pour le Cameroun.

Simon Patrice Djomo


Pius N. Njawe: Bloc-notes du Bagnard

Le matin du lundi 12 octobre 1998, Pius Najwé, directeur du trihebdomadaire camerounais Le Messager, sort de la prison de New Bell à Douala, où il était détenu depuis neuf mois. Il y purgeait une peine d'un an d'emprisonnement pour « propagation de fausse nouvelle ». Le président de la République du Cameroun, Paul Biya, a finalement signé un décret de grâce.
C'est l'heureux dénouement longtemps attendu d'un des trop nombreux drames de la répression du droit d'expression et du droit à l'information. Pour Reporters sans frontières comme pour beaucoup d'autres organisations professionnelles et de défense des droits de l'homme, le cas de Pius Njawé était devenu exemplaire du non-respect généralisé de l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont on célèbre cette année le cinquantième anniversaire.
Quel était le « crime » de Pius Njawé ? Le 22 décembre 1997, sous le titre « Le président Biya est-il malade? », son journal avait fait état d'informations selon lesquelles le président avait souffert d'un malaise cardiaque alors qu'il assistait à la finale de la coupe du Cameroun de football. Arrêté dès le 24 décembre, selon une procédure d'urgence, il était condamné trois semaines plus tard à deux ans de prison et 500 000 francs Cfa d'amende. L'extrême sévérité du jugement, pour une infraction aussi contestable, avait provoqué dans le monde une vague de protestations qui contribua sans doute à ce que, au mois d'avril, la peine soit réduite de moitié en appel.
Depuis lors, toutes les interventions effectuées auprès du président et du gouvernement du Cameroun par de nombreuses personnalités internationales, pour obtenir la libération du directeur du Messager, se heurtaient à un fallacieux argument légaliste, qui a été finalement démenti par les faits. Pius Njawé, disait-on à Yaoundé, avait été condamné par une instance judiciaire pour un crime de droit commun, et la séparation des pouvoirs qui prévaut au Cameroun interdisait au président et à son gouvernement de se mêler de cette affaire.
En réalité, la condamnation de Pius Njawé était bel et bien politique. Elle a résulté, ici comme ailleurs, du refus de l'homme au pouvoir de respecter les droits démocratiques, et notamment les droits à l'expression et à l'information. Au Cameroun, comme ailleurs, c'est un droit qui se paie cher. L'histoire du Messager, et d'autres publications du pays, est une longue suite de saisies, de suspensions, de censures, de menaces, d'arrestations, d'amendes et d'emprisonnements.
Que Pius Njawé ait été, comme beaucoup d'autres journalistes dans le monde, condamné « légalement » pour un délit de « droit commun », n'est pas une justification acceptable. Cela prouve simplement qu'au Cameroun, comme dans beaucoup d'autres pays, il existe encore des lois liberticides. Ce n'est pas parce qu'ils sont inscrits aux codes que les délits élastiques d'injure aux détenteurs du pouvoir ou de propagation de fausse nouvelle, et les lourdes peines de prison qui les sanctionnent, sont autre chose que des prétextes à réprimer la liberté de l'information et les droits de l'opposition.
Reporters sans frontières présente ici quelques extraits du « Bloc-notes du bagnard » de Pius Njawé. C'est le cri d'un journaliste persécuté qui refuse de se laisser abattre et qui, du fond de sa prison, continue à faire entendre sa voix contestataire. Bien qu'il ait maintenant recouvré la liberté, nous faisons écho à sa voix car elle est au cœur même du combat que nous menons. Pour avoir rencontré Njawé à la prison de New Bell, six semaines avant sa libération, je peux témoigner qu'il était tout sauf abattu.
Un des moyens auxquels il a eu recours pour survivre aux conditions extrêmement dures de sa détention a été de continuer à écrire. Il a réussi à faire parvenir à son journal, avec une régularité variant selon l'humeur de l'administration pénitentiaire, une chronique de sa vie en prison. Le titre un peu mélodramatique de Bloc-notes du bagnard est compensé par l'humour dont il ne se départit jamais. Humour attendri lorsqu'il évoque les misères de ses codétenus, même ceux qu'il sait ne pas être très recommandables. Humour féroce lorsqu'il s'en prend aux hommes politiques, hauts fonctionnaires et magistrats qu'il tient pour responsables de ses épreuves... et pour coupables de bien d'autres crimes.
Humour donc mais colère aussi devant les injustices et les mauvais traitements dont sont souvent victimes les hommes simples et misérables qui l'entourent dans sa cellule, et qui n'ont pas les mêmes moyens que lui de se faire entendre. C'est surtout d'eux, et pour eux, que le « bagnard » parle dans son bloc-notes.
Pour nous qui tenons l'État de droit pour un acquis, cette rare chronique de la vie quotidienne dans une prison africaine peut paraître surprenante, voire incroyable. Elle est émaillée de notations reflétant des us et coutumes qui nous sont inconnus, de termes familiers propres à la région de Douala (que nous avons explicités en note). Mais en dépit de la distance, celui qui l'a écrite est un des nôtres, un homme de presse qui a souffert dans son corps et dans son esprit pour avoir exercé une liberté dont nous jouissons quotidiennement, sans y penser.
Avant propos de Claude Moisy, Vice-président de Reporters sans frontières
Source : Pius Njawé, Bloc notes du bagnard, Paris, Editions des mille et une nuit, 1998, pp.5-8

 

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