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1982 -2017: 35 ans de sang, de larmes et d'inertie - L'assassinat de l'intelligence

1982 -2017: 35 ans de sang, de larmes et d'inertie - L'assassinat de l'intelligence

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Index de l'article
1982 -2017: 35 ans de sang, de larmes et d'inertie
La République des crimes capuleux et de l'inertie
Soeurs de Djoum tortuées, violées puis assassinées
Les assassins de Mgr Jean-Marie Benoît Bala courent toujours
Yves Plumeu: les mobiles restent inconnus, 26 ans après
L'assassinat de l'intelligence
Mgr Jean Kounou, Abbé Bikoa, Abbé Apolinaire Claude Ndi: Des meurtres non élucidés d'hommes de Dieu
Mgr Simon Pierre Tonyè Bakot: Les affaires d’argent emportent l’Archevêque de Yaoundé
Au royaume des moeurs sataniques
L'histoire du Renouveau-Rdpc s'écrit en lettres de sang
Au 100 000 morts sur les chemins du Renouveau
Qui a assassiné le colonel Nnanga Abo'o Pépin
Toutes les pages

L'assassinat de l'intelligence

Un prêtre jésuite assassiné dans des conditions non encore élucidée. le pouvoir en place à Yaoundé entretient avec les intellectuels camerounais dissidents un rapport  violent et meurtrier

Le père Engelbert Mveng, prêtre de la Compagnie de Jésus (Jésuite), est assassiné le 24 avril 1995. Au petit matin, le petit village de Nkolfané (dans la banlieue ouest de Yaoundé) découvre le corps du père jésuite Engelbert Mveng, étranglé, couché dans son lit face au plafond. Dans la nuit, des assassins, sans doute commandités, avaient fait leur triste besogne. Impossible de dire quelles sont les origines de la mort du Père Mveng. C'est l'émoi dans le monde entier. Léopold Sédar Senghor appelle la présidence de la République du Cameroun. L'ancien président sénégalais ne comprend pas qu'un homme comme Engelbert Mveng ait pu vivre sans garde du corps. Des voix vont courir pour révéler que l´assassinat du Père Mveng est l´œuvre de "groupes mystiques'´, pratiquant des cultes exotériques et se disputant le contrôle de l´apparat de l´Etat. Ils procèdent à l´élimination des intellectuels, des gens qui dérangent. La disparition du Père Mveng est aujourd´hui encore ressentie comme une perte monumentale pour l´Eglise catholique locale, le Cameroun et toute l´Afrique. Outre la prêtrise, le religieux était historien émérite, artiste distingué, théologien réputé et intellectuel intègre.
Le Père Mveng était né le 9 mai 1930 à Enam-Nkal, paroisse de Miniaba, de Jean Amougou et Barbe Ntolo. Études secondaires au Petit Séminaire de Yaoundé. Après une année au Grand Séminaire de Yaoundé, en 1951, il entra au noviciat de la Compagnie de Jésus à Djuma (Rep. Dém. du Congo). Le 22 septembre 1953 il fit sa première profession. Études philosophiques à Eigenhoven (Belgique) et théologiques à Lyon (France). Ordonné prêtre en 1963. Poète, peintre, écrivain, enseignant d´histoire à l´Université de Yaoundé de 1965 à 1995. ''La riche personnalité du Père Mveng faisait de lui un jésuite aux qualités remarquables dont la réputation avait depuis longtemps franchi les frontières du Cameroun et même celles du continent africain". Engagé dans le mouvement culturel de la Négritude, le Père Mveng fut un promoteur convaincu de la nécessité et de la possibilité d´un christianisme inculturé. “L´inculturation est probablement le problème-clé ainsi que le plus grand défi de la théologie africaine…".
L´atelier d´art religieux fondé par le Père Mveng à Yaoundé se proposait de concrétiser l´inculturation et de reproduire des modèles d´ornements liturgiques puisant leur inspiration dans l´art africain. Parmi les œuvres artistiques du Père Mveng : les mosaïques de Notre Dame d´Afrique (basilique de Nazareth, Israël) et de Notre Dame des Victoires (cathédrale de Yaoundé; les tableaux de la chapelle du Collège Hekima (Nairobi). Pendant plusieurs années, le Père Mveng fut le secrétaire de l´Association œcuménique des Théologiens Africains (Eatwot). En présentant le livre des Actes de la Rencontre Panafricaine du Caire, il écrivait: ''L´œcuménisme en Afrique doit aller au-delà de l´inventaire de nos traditions respectives, de la simple affirmation de nos vieilles identités. Nous sommes invités aujourd´hui à nous engager pour refaire l´unité visible de l´Eglise du Christ. Les Eglises d´Afrique, très dynamiques et efficientes dans les premiers siècles de la chrétienté, peuvent fournir encore une contribution irremplaçable dans l´édification de l´unité visible du Corps du Christ".

Ela
A propos du rôle libérateur de la théologie, il souligna la force libératrice des Béatitudes. "La libération latino-américaine veut se libérer de l´impérialisme, du capitalisme du Nord… en Afrique la théologie de la libération pose la question de Dieu". En 1977 il fonda une association religieuse, la ''Famille des Béatitudes'', qui se heurta à plusieurs difficultés. Elle devait vivre le Message des Béatitudes, qui "proclament que les puissances et les agents de la mort qui nous assaillent tous les jours, la pauvreté, la faim, la soif, l´injustice, l´humiliation, le péché, la haine, la violence seront surmontés, vaincus et dépassés par l´amour". "Une des choses qui me font pleurer, je le dis tout haut, c´est que l´Afrique sacrifie chaque jour les meilleurs de ses enfants sous prétexte qu´un tel a dit qu´il n´est pas d´accord avec tel chef d´État. Je ne peux pas comprendre qu´on condamne un homme à mort pour ses opinions".
Jean Marc Ela, de son exil canadien, avait remis à l'ordre du jour politique et éthique la question de l'assassinat du Père Mveng. Jean Marc Ela écrivait : "Biya sait qui a assassiné le Père Mveng et doit le dire aux Camerounais. Biya a toutes les preuves, tous les faits pour dire qui a assassiné le Père Mveng." L'accusation était grave. Elle venait d'une des figures éthiques les plus exigeantes de l'histoire du Cameroun. Qu'un tel homme déclare péremptoirement que le chef de l'Etat, Paul Biya, sait qui a tué le Père Mveng, ouvre tous à un droit de vérité. En plaçant le président de la République au cœur du mystère qui entoure l'assassinat du Père Mveng, Jean Marc Ela poussait à repenser le rapport que le Père Mveng entretenait avec l'Etat. Dans un texte posthume, publié quelque temps après sa mort, le Père Mveng dit : " […] En tant que citoyen vivant dans une société organisée en Etat, j'ai également mon expérience, mes réactions, mes responsabilités de citoyen. Je suis responsable de mon destin. Et la société organisée en Etat, a d'abord pour mission, je crois, de m'aider à accomplir ma vie et mon destin de façon la meilleure possible. Je ne suis par conséquent pas prêt à me laisser entraîner à la dérive de quelque système politique, de gouvernement et de n'importe quelle conception de pouvoir. Que l'on soit politicien ou non, on a quelque chose à dire sur la situation politique, économique, sociale et culturelle de nos pays… "
Etienne Lantier
Source: Dossier et document de Germinal,n°°006

 



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