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Cameroun, 2017-2018: Zone de fortes turbulences; Tout est prêt pour que tout explose - Victoires des Lions indomptables: une hirondelle ne fait pas le printemps

Cameroun, 2017-2018: Zone de fortes turbulences; Tout est prêt pour que tout explose - Victoires des Lions indomptables: une hirondelle ne fait pas le printemps

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Index de l'article
Cameroun, 2017-2018: Zone de fortes turbulences; Tout est prêt pour que tout explose
Vers une crise sociale majeure comme en février 2008
Prémonition: Aux abris
Jeu politique pipé: source d'une déflagration sociale
Extrême-Nord: Une poudrière
La bombe jeune en passe d'être dégoupillée!
L'Est colère!
Le droi à l'Education n'est pas suppérieur aux autres droits fondamentaux
Les injustices sociales: sources d'explosion sociale
Victoires des Lions indomptables: une hirondelle ne fait pas le printemps
Toutes les pages

Victoires des Lions indomptables: une hirondelle ne fait pas le printemps
La victoire des Lions indomptables masque mal la triste et dure réalité de nos vies quotidiennes. Après ce triomphe inespéré, le Cameroun continue d’être traversé par de multiples crises sur les plans économique, social, sécuritaire et politiqu. Sur ces multiples fronts, le gouvernement échoue à apporter des solutions efficaces et durables. En clair, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Dimanche 5 février 2017, les lions indomptables du Cameroun ont remporté leur cinquième Coupe d’Afrique des Nations de football. Ce fut, à proprement parlé, une victoire inespérée. Un authentique exploit ! Les nombreuses défections de joueurs pouvant avoir un apport majeur ne disposaient pas les amateurs de football aux meilleurs espoirs concernant cette cuvée. Nul ne pouvait parier sur cette équipe. Cette dernière réunissait toutes les conditions pour que l’on ne pense pas qu’elle puisse faire mieux que passer le premier tour. La preuve, selon certaines indiscrétions, des mesures financières n’avaient été prises que pour le premier tour par le ministère des sports et celui des finances.
Cette équipe de « no names », sans célébrités et sans grands talents particuliers, avec à sa tête un coach décrié pour ses choix, son manque d’expérience, son incompétence, ne faisait pas rêver. A cette configuration, s’ajoutait l’encadrement d’une fédération de football toujours dans le discrédit. Et pour cause, elle continue d’avoir à sa tête quelqu’un dont la légalité et la légitimité sont contestées. Pour preuve, les comptes bancaires de cette institution demeurent gelés jusqu’à ce que la situation soit tirée au clair au niveau des tribunaux et des instances sportives internationales.

Une victoire accueillie avec beaucoup de joie au Cameroun
A tout point de vue, cette victoire des lions aura été un miracle. C’est ce caractère miraculeux qui explique sans doute pourquoi elle a eu tant d’échos et a été célébrée avec autant de ferveur aussi bien par les dirigeants que par les populations. Pour le peuple Camerounais, elle est clairement apparue comme le retour de l’enfant prodigue qui, du fait de ses performances sportives médiocres, ne donnait plus de motifs de fierté légitimes depuis des années.
Evidemment, cette joie et cette fierté sont compréhensibles. Tout peuple est à la recherche de victoires et de motifs de fierté aux yeux des autres. Du fait de la nature narcissique et de la volonté de puissance inhérente à tous les êtres humains, toute victoire sur les autres est toujours vécue comme un moment unique. Toute victoire dans l’arène internationale est perçue comme la confirmation de notre valeur et de notre excellence. Aucun peuple n’aime la défaite et les réactions des Camerounais ont démontré que ces derniers étaient las de tant d’années infructueuses sur le plan sportif international.
Ce rapport spécial au football, car quasi religieux, est d’autant plus fort que dans le passé, ce n’est presque le seul domaine où, en tant que nation, nous avons pu nous affirmer dans la cour des grands. Domaine dans lequel nous avons pu apparaitre comme une référence aux yeux des autres nations. Comme l’a dit Paul Biya dans son discours, cette victoire peut signifier que « le Cameroun est de retour ! ».

Une victoire récupérée par le pouvoir politique
Cette compétition a été aussi l’occasion de voir le manège habituel du pouvoir de Yaoundé en matière de récupération des exploits de nos sportifs dans les compétitions internationales. Lors de la Coupe d’Afrique des Nations, on a vu des affiches à la gloire du RDPC et de son chef au lieu de la célébration stricte des lionnes indomptables.
En effet, au fur et à mesure que cette équipe montait en puissance, engrangeant des victoires, on a vu sur les réseaux sociaux, des parodies de déclarations de Issa Tchiroma, Ministre de la communication et porte-parole du Gouvernement. Parodies qui prêtaient au ministre des déclarations attribuant la victoire des lions au Chef de l’Etat. Parodies qui en réalité, lorsqu’on observe le passé et le présent des actions gouvernementales, sont conformes dans leur trame de fond à la réalité du discours du pouvoir en place. Ne dit-on pas que la défaite est orpheline mais la victoire est fille de tous ? En particulier du pouvoir en place. C’est ainsi qu’on va voir des réceptions grandioses organisées par la Présidence, des tours de ville des lions indomptables et des discours qui tendent à faire croire que le Cameroun d’aujourd’hui est à l’image de cette équipe de football qui vient de s’illustrer lors de la CAN GABON 2017.
Dans cet exercice, le pouvoir en place tend à s’associer voire à se présenter comme le responsable principal de cette réussite. Laissant entendre que ce qui s’observe avec les lions indomptables, c’est une simple illustration des victoires en cours ou à venir dans tous les secteurs de la vie nationale. La diversité et les qualités (Engagement, esprit d’équipe, fighting spirit) démontrées par les joueurs de l’équipe nationale étant présentées comme des caractéristiques de ce que nous sommes en réalité en tant que Nation. Dans ces moments de liesse populaire et de fierté nationale, la nation tend à se confondre à son équipe nationale qui, sans l’encadrement éclairé et déterminé du Chef de l’Etat, n’aurait pas pu réaliser de tels exploits.
On peut considérer que cette récupération est somme toute légitime dans une perspective d’analyse du jeu politique comme une lutte acharnée et sans répit pour la conquête et la conservation du pouvoir. On peut également considérer que tout exploit ou toute victoire sportive peut et doit être utilisée comme un ferment patriotique et une invite collective à travailler ensemble pour la réussite du pays. On peut enfin considérer que cette récupération est légitime tant elle sert à se projeter dans le futur, en invitant les uns et les autres à transcender les difficultés et les challenges actuels.

Une victoire qui ne saurait effacer nos tristes et dures réalités !
Cependant, on ne peut et ne doit pas oublier la réalité des choses. La triste et dure réalité de nos vies quotidiennes. En effet, notre pays continue d’être traversé par de multiples crises sur les plans économique, social, sécuritaire et politique. Sur ces multiples fronts, le Gouvernement échoue à apporter des solutions efficaces et durables.
Sur le plan sportif, le football lui-même connait d’énormes difficultés. Une professionnalisation sans contenu, une fédération avec des dirigeants à la légalité et la légitimité contestées, des problèmes récurrents de primes, une indigence des footballeurs évoluant dans le championnat local (sensé être la pépinière des futures lions), l’absence d’infrastructures dignes de ce nom, la corruption qui gangrène le processus de sélection des joueurs. Et que dire des autres disciplines sportives qui sont manifestement, des sports mineurs pour le Gouvernement actuel du Cameroun. L’amateurisme et la corruption ont prédisposé nos sportifs à un parcours désastreux aux derniers jeux olympiques de rio.
Sur le plan socio-politique, la question anglophone constitue une formidable illustration de l’échec de Gouvernement (du gouvernement ou de gouvernance ?). Incapable de négocier et d’apporter des réponses aux multiples revendications sectorielles et politiques soulevées par les avocats et enseignants, il choisit le passage en force. Il décide de procéder à l’arrestation ede ses interlocuteurs d’hier désormais accusés de terroriste, de couper internet, de réprimer de manière barbare et abjecte les manifestants, de brider la presse afin de décapiter tout le mouvement de protestation, organisé et pacifique, né de revendications légitimes. Ce faisant, ce sont au moins 5 millions de Camerounais qui vivent l’enfer depuis plus de trois mois.
Sur le plan économique, après le sommet extraordinaire de la CEMAC, nul ne peut dire quelle sera l’ampleur et les conséquences négatives du nouvel ajustement structurel auquel nous avons consenti. Par ailleurs, la ratification récente des accords de partenariat économique compromet significativement les chances d’industrialisation de notre pays, transformant notre économie en comptoir colonial des temps modernes.
Ce Pouvoir continue à être, plus que jamais, répressif à l’égard des Camerounais qui essayent de manifester leur opinion, défendre leurs droits ou appeler à des réformes. A titre d’illustration, tous les travailleurs ayant osé manifester pacifiquement ces derniers temps se sont vus arrêtés. Toutes les formations politiques et organisations de la société civile qui souhaitent mener leurs activités continuent à être réprimées. Surtout lorsqu’elles osent parler de changement du système électoral, d’alternance ou de la nécessité d’une transition politique démocratique dans notre pays.
Ce Pouvoir continue à s’enfoncer dans le cercle vicieux de le corruption . Les derniers rapports de la CONAC et de Transparency International démontrent que le mal reste plus profond que jamais. La juxtaposition et la multiplication des structures de prévention et de répression de la corruption n’y fait rien.
Ce Pouvoir continue à être inefficace dans la délivrance des services de base aux populations tels que l’eau, l’électricité, la santé et les infrastructures. Les coupures d’eau, d’électricité, l’accès difficile et onéreux à des soins de santé de qualité douteuse continuent de meubler le quotidien de la majorité des Camerounais.
La Constitution continue, plus de 21 ans après sa révision en 1996, à ne pas être appliquée. La déclaration des biens n’est pas effective, la décentralisation reste embryonnaire , le Conseil Constitutionnel n’est pas mis en place.
Le système électoral reste problématique, suscitant une démobilisation des citoyens qui ne voient pas comment leur voix sera prise en compte dans un processus biaisé de toutes parts. A un an de 2018, année exceptionnelle pour le Cameroun, car sensée abriter plusieurs élections (Présidentielle, sénatoriales, législatives et municipales), nul ne peut dire ce qui attend le Cameroun sur le plan politique. Ceci est d’autant plus grave qu’avec l’âge avancé du Président, 84 ans ce 13 février 2017, le risque politique majeur est son décès brusque dans un environnement institutionnel où le consensus sur les règles du jeu de la vie politique n’est qu’apparent.

Ne nous laissons pas endormir par cette victoire des lions !
Nous le voyons, notre pays reste englué dans un enchevêtrement de crises conjoncturelles et structurelles dans presque tous les domaines. Crises nées et aggravées par un régime qui, en sa 35ième année, nous démontre qu’il ne peut plus faire mieux ou plus que ce que nous connaissons déjà.
Soyons lucides !
Cette victoire des lions n’effacera pas nos difficultés quotidiennes. Cette victoire des lions est un excitant voire un stimulant éphémère qui ne peut plus calmer longtemps les frustrations profondes descamerounais.
Cette victoire ne va pas entrainer la fin des villes mortes, des écoles mortes et des tribunaux morts dans les régions du Nord – Ouest et du Sud – Ouest.
Cette victoire ne va pas empêcher l’ajustement structurel qui nous a été annoncé et dont on ne connait pas encore l’ampleur des effets négatifs dans nos vies.
Cette victoire ne va pas mettre fin à la gabegie, la corruption, les détournements et le sacrifice de nos vies sous l’autel d’une gouvernance inefficace et kleptocratique.
Cette victoire ne va même pas changer les conditions de vie des sportifs camerounais, les footballeurs en particulier et les autres disciplines sportives en général.
Cette victoire ne va pas mettre un terme au mépris des dirigeants à l’égard des populations.
Elle ne mettra pas un terme à l’immigration clandestine et autres fléaux que connaissent les jeunes camerounais.
En bref, cette victoire ne changera pas le cours triste et difficile de nos vies sous le magistère de Mr Paul Biya.

Les Camerounais peuvent, les jeunes Camerounais peuvent !
Réjouissons – nous de ce que des compatriotes, sans l’encadrement adéquat continuent, dans le football comme dans d’autres domaines à démontrer que notre talent est réel et nos possibilités de succès illimitées.
Comprenons que nous pouvons faire mieux et plus que la gérontocratie actuellement au pouvoir ! Il nous suffit d’être déterminés, patriotes et solidaires dans les luttes pour surmonter nos challenges et contre nos adversaires communs.
Nos challenges communs sont l’indifférence vis-à-vis des souffrances des autres, le déficit de solidarité dans les luttes, notre déficit de citoyenneté…
Nos adversaires communs sont tous ceux et celles qui ne travaillent pour notre bien commun, qui s’accrochent au pouvoir et veulent à tous les prix empêcher que les ressources du pays soient gérées dans la transparence et partagées de manière équitable.
Comme le disait Frantz Fanon, chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. La mission de notre génération est de créer les conditions d’une transformation démocratique de notre société de manière à mettre en place des institutions et des leaders légitimes qui travailleront exclusivement pour le bien de leurs concitoyens. Il est temps de cesser de se contenter des miettes et d’obtenir, comme les lions indomptables, contre tous les pronostics et malgré les embûches des gérontocrates, notre place au soleil. Nous serons chacun d’entre nous des étoiles et des lions indomptables si nous savons nous débarrasser de ce régime qui vient de nous fait perdre au moins trois décennies.
Aucun pays ne nait grand. Tout grand pays est l’œuvre de ces citoyens. Il ne sert à rien de dénoncer l’injustice et l’arbitraire d’un système si l’action n’est pas organisée pour y mettre un terme. C’est maintenant ou jamais.
Ne nous laissons plus berner. Refusons de toutes nos forces d’être une génération sacrifiée. Réjouissons-nous de nos victoires sectorielles et intermédiaires. Mais soyons lucides : une hirondelle ne fait pas le printemps.
Franck Essi, Homme politique