Extrême-Nord: Une poudrière
L’Extrême-nord, « fille aînée du Renouveau » est l’une des trois régions de ce qui s’appelait sous son illustre prédécesseur Ahmadou Ahidjo « le Grand Nord » et qui allait être éclaté sous Biya, quelques années après qu’il arrive au pouvoir le 6 novembre 1982. Depuis Ahidjo, les populations de l’Extrême-nord ont toujours été victimes de la marginalisation en raison de ce qu’elles n’étaient pas islamisées. Cette marginalisation, ils continuent de la subir sous le régime de Biya, malgré que ça et là, quelques mesures cosmétiques ont été apportées, notamment comme la création de l’université et quelques grandes écoles. Le régime de Biya, héritier de celui d’Ahidjo, dont Mongo Beti disait qu’ils sont « blanc bonnet et bonnet blanc », reproduit exactement les mêmes tares qui tiennent pour l’essentiel à l’absence de tissu économique, aux privilèges des islamo-peulhs à qui reviennent tous les postes politiques et administratifs depuis les chefs de bureau jusqu’aux ministres en passant par les délégués régionaux, départementaux et d’arrondissement, et à l’injustice sociale généralisée. Région la plus peuplée avec une population estimée à 3.480.414 habitants, soit 17.9% de l’ensemble de la population camerounaise, l’Extrême-nord est la région la plus pauvre du pays. En 2007, une étude conjointe du Minepat et de l’INS, indiquait que 65.9% de la population vivait dans la pauvreté dont 24.6% en deçà du seuil de pauvreté, avec un taux de chômage de 67%, touchant essentiellement la tranche des 15 à 24 ans, et un taux de scolarisation de 28.9%. La précarité dans cette partie du Cameroun est davantage structurelle, du fait de sa situation dans le sahel. A cette précarité, vient s’ajouter sa proximité avec le nord du Nigeria et le Tchad, pays voisins qui historiquement ont été toujours marqués par des crises qui ne manquent pas alors d’affecter cette région.
En effet des bandes de rebelles, de bandits et de braconniers en provenance de ces pays, se sont toujours illustrés dans cette région et même dans celle du Nord, par des incursions sur le territoire camerounais et des attaques récurrentes des populations. A cela s’ajoute le sinistre phénomène des coupeurs de route. C’est sur ce terreau que Boko Haram est venu naturellement s’installer et menace aujourd’hui de déstabiliser le Cameroun tout entier.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment a-t-on laissé faire ? La vérité, c’est que de Ahidjo à Biya, on ne peut prétendre méconnaitre la situation géographique de l’Extrême-nord, son délaissement comme si cette région ne faisait pas partie du Cameroun, et qui aura contribué au délitement des tissus social et économique, et feindre d’ignorer qu’un jour ou l’autre le pays tout entier serait en danger ? Comment pouvait-il en être autrement, puisque « quand Yaoundé respire le Cameroun vit »
Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, a-t-on coutume d’entendre. Le Cameroun va très mal depuis belle lurette. Tout le monde le sait. Depuis l’ouverture du front de l’Extrême –nord, i.e. de la guerre contre Boko Haram, il est tombé de Charybde en Scylla. On aurait pu prévenir par une politique d’inclusion sociale et économique, ce que les populations vivent aujourd’hui, car gouverner, c’est prévoir. Les jeunes qui grossissent les rangs de Boko Haram, s’ils avaient eu un emploi stable, et s’il avait existé un tissu économique même rudimentaire, ne se seraient pas embarqués dans cette galère. Même à l’avenir, le Cameroun gagne la guerre contre Boko Haram, il n’est pas sûr que la menace soit conjurée étant donné que la misère ambiante persiste constitue à la fois le terreau et le ferment le plus fertile. Dans ces conditions, L’Extrême-nord, si ce n’est pour ce régime, sera pour celui à venir, une poudrière sur laquelle, il sera assis. Et le moindre soubresaut, la moindre convulsion sociale mettra le feu aux poudres qui pourraient faire exploser le pays.
R.E. Bonnemort