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Paul Biya, un homme dépassé, du passé et du passif - 6 avril 1984 ; un progrome prémédité

Paul Biya, un homme dépassé, du passé et du passif - 6 avril 1984 ; un progrome prémédité

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Index de l'article
Paul Biya, un homme dépassé, du passé et du passif
La Républiques des vampires
Paul Biya, incapable de balayer devant sa porte
Biya/Ahidjo: Je t'aime moi non plus
Conserver le pouvoir par la corruption
L'histoire du Renouveau-Rdpc s'écrit en lettres de sang
Au moins 70 000 morts sur les chemins du Renouveau
Emasculer pour régner
Valsero : Emotions de soutien pour encourager la ruine du Cameroun
Insécurités, lots quotidien des bizarreries
6 avril 1984 ; un progrome prémédité
Toutes les pages

6 avril 1984 ; un progrome prémédité
Des chiffres officiels avancés ne reflètent pas la réalité vécue. Entre 1000 et 1500 morts lors des événements du 06 avril 1984. Un véritable pogrome qu’on aurait pu éviter. Évocation.

L'histoire, comme on dit, est un éternel recommencement. Dans l'histoire contemporaine, des événements majeurs ont marqué la vie de certains État au cours des mois d'avril. On dirait que ce mois est celui des putschs. Alger, 21 avril 1961 : les généraux Salle Sallan, Jouhaud et Zeller organisent un putsch. 24 avril 1974, le Portugal connait la " révolution des œillets ". En rupture avec le système en place institué par Salazar, des capitaines prennent le pouvoir. Libéria, 12 avril 1980, Samuel Doe prend le pouvoir à Monrovia. Le 06 avril 1984, le Cameroun connaît une tentative de putsch.
Yaoundé, 06 avril 1984. Il est un peu plus de 3 heures du matin. Une pluie torrentielle arrose la ville. Quelques étudiants de l'Université de Yaoundé, qui étaient au " front ", et qui n'ont pas pu rejoindre leurs chambres, parce que bloqués par l'orage qui est en train de s'abattre sur la ville, se demandent comment faire pour regagner leur domicile. Soudain, ils entendent des coups de feu du coté de la garde présidentielle située à un jet de pierre du campus. Ils n'y prêtent pas beaucoup attention. Certains soutiennent qu'il s'agit des grondements du tonnerre.
Pourtant, quelque chose d'étrange se produit non loin du campus et dans la capitale politique du Cameroun, abondamment arrosée en cette fin de saison des pluies. Des chars d'assaut de la garde présidentielle, des camions militaires conduits par des soldats (en majorité originaires du nord Cameroun) sous le commandement du colonel Salé Ibrahim, patron de la garde présidentielle, et du capitaine Awal Abassi, vont dans tous les sens. En quelques minutes, ils verrouillent le quartier général. Des chars prennent d'assaut les résidences de certains hauts gradés de l'armée. Le portail de la résidence du général de division et chef d'état major des armées, Pierre Semengue, est démoli. Pierre Semengue raconte : " Vers 3h 50 le téléphone de sécurité sonne. Le Général Meka à l'époque Colonel est au bout du fil. Il était à l'époque Directeur de la Sécurité Présidentielle. Il me dit exactement ceci: " Les blindés se dirigent vers la Présidence de la République ".  Je me lève et écarte le rideau.  Je vois que des blindés se dirigent vers mon domicile. Puis des coups de feu. Je réalise alors que c'est effectivement un coup d'État et qu'on en voulait à ma personne " (Ateba Eyene, 2002 :136). Cet officier supérieur de l'armée parvient à s'enfuir.

Prisonniers
Un autre groupe de soldats marche sur la résidence du colonel Asso Ename, commandant du quartier général. Le Colonel Asso Ename évoque : " Je peux vous dire que quelques semaines avant les événements, j'ai été informé de ce qui se tramait. […] Le colonel Réné Claude Meka, directeur de la sécurité présidentielle, m'appelle le 05 avril et me demande de renforcer la garde. Je lui demande pour quelles raisons. Il me répond qu'on en parlera. Ce soir-là, je reçois chez moi le secrétaire général du ministère des forces armées et le ministre de l'Administration territoriale, accompagnés de leurs épouses que j'ai invité à diner. Il s'avère que c'est pendant qu'on mangeait que les gars ont réussi à enlever toutes les munitions des points sensibles du Plateau Atemengue. Après le diner, mon épouse et moi décidons de regarder un film. Je me couche vers 3h45 mn. Et ce sont les coups de feu qui me réveillent. Et je me dis : "je savais bien que ces gars-là allaient passer à l'action et voici maintenant qu'ils nous surprennent " "(Les cahiers de Mutations n°018) Il réussit, malgré la présence de deux chars d'assaut dans sa concession, à s'enfuir. Les putschistes enlèvent quelques membres de sa famille. Le domicile de Gilbert Andzé Tsoungui, ministre d'État chargé des Forces armées, qui s'est enfui après avoir entendu les coups de feu, n'échappe pas au pilonnage. Joseph Zambo, secrétaire général à la présidence de la République, René-Claude Meka, directeur de la Sécurité présidentielle, Mbarga Nguélé, délégué général à la Sûreté nationale et quelques autres personnalités n'ont pas la même chance. Ils sont faits prisonniers.
Dans le même temps, vers un peu plus de 4 heures du matin, la colonne de chars d'assauts pilotés par les putschistes se dirige vers le Palais présidentiel d'Etoudi où ils bloquent toutes les issues. Deux chars enfoncent le portail d'entrée sans que les gardes qui s'y trouvent n'opposent une résistance. Ils sont abattus de sang froid à la mitraillette.
A l'intérieur, Paul Biya est réveillé en sursaut. Il est rapidement conduit avec ses proches parents dans le bunker qui se trouve dans le sous sol du palais. Le chef de l'Etat ne sait pas ce qui lui arrive. D'aucuns affirment qu'il aurait envisagé de se rendre afin " d'éviter un bain de sang inutile". Il aurait été rassuré dans l'immédiat par ses " anges gardiens " qui lui aurait demandé de garder confiance. A l'extérieur, quelques soldats loyalistes organisent timidement la résistance. Certains éléments, avec à leur tête le chef de bataillon, Benaé Mpéké, occupent et sécurisent la radio de commandement, situé sur le mont Mbankolo. Entre temps, dans leur avancée, les putschistes se sont emparés d'autres points stratégiques : la radio, l'aéroport, les centraux téléphoniques…Ils coupent toutes les communications avec l'extérieur.
En milieu de matinée, les radios étrangères annoncent la tentative de coup d'État militaire au Cameroun. Certaines chaines parlent même de la chute du régime Biya. Dans les quartiers de la Capitale, c'est la confusion générale. Les populations sont terrées chez elles. Les rues sont presque désertes. Les civils y sont très peu nombreux. A presque tous les carrefours, on rencontre les hommes en tenues, surtout les mutins. Des commerçants qui avaient imprudemment ouvert leurs boutiques referment précipitamment les portes, après s'être rendu compte qu'il y avait de l'électricité dans l'air. Interrogé par Radio Monté Carlo (Rmc) vers 10 h30 mm, l'ancien président de la République, Ahmadou Ahidjo fait une déclaration surprenante " J'ai été trop insulté et calomnié par les Camerounais, ils n'ont qu'à se débrouiller tous seuls... Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ".
Cette déclaration est d'autant plus surprenante qu'elle est faite par un homme d'Etat chevronné qui a centré son action politique sur l'" unité nationale et le respect des institutions ".
Entre temps, la radio qui est tombée aux mains des insurgés n'émet que de la musique militaire. À 13 heures, dans le journal parlé de la mi-journée, la radio nationale, par la voie de Yaya Adoum, diffuse le message enregistré quelques instants plus tôt. La diffusion de ce message lève un pan de voile sur l'identité des auteurs du coup de force. C'est ainsi que l'on apprend qu'il s'agit de " Jeunes officiers et sous-officiers prêts au sacrifice suprême pour la nation, regroupés au sein du mouvement J'OSE ". Ce message, lu et émis sur la bande FM, ne sera entendu qu'à Yaoundé et ses environs. Il fait l'effet d'une bombe.

Cadavres et flaques de sang
Environ une demi-heure après le message, les combats reprennent dans la capitale. Les loyalistes, sous la conduite du Général Semengue organisent la contre offensive. Il libère la poudrière du quartier général, la radio et le palais de l'Unité suivront... Les unités présentes à Yaoundé redeviennent opérationnelles. Les soldats du 11è bataillon d'infanterie basé à Ebolowa et commandé par les lieutenants-colonels Titus Ebogo et Guillaume Mbomback libèrent l'aéroport de Yaoundé. Les mutins, comme on les appelle, ne vendent pas cher leur peau après avoir réalisé que le putsch pouvait échouer. Le samedi 7 avril, les rigoles, les rues des quartiers Obili et Etoudi sont jonchées de nombreux cadavres boueux des soldats (loyalistes et putschistes) et civils. On y observe des flaques de sang partout. Les combats ne sont pas pour autant terminés. Les hélicoptères "Gazelle" armés de roquettes antichars, des avions de combat Fouga magister décollent et affluent vers Étoudi où ils bombardent les positions tenues par les insurgés. Des troupes d'infanteries y sont également envoyées pour empêcher les putschistes de battre en retraite.
Vers la fin de la matinée, le quartier Étoudi est devenu à un vaste cimetière jonché de cadavres de soldats, de carcasses de chars détruits et de débris d'obus. Certains mutins se rendent, d'autres s'enfuient. D'autres encore se retranchent au camp Yeyap (siège de la gendarmerie) et à la garde républicaine à Obili, espérant pouvoir se mettre à l'abri. Erreur fatale, car, quelques instants plus tard, ces lieux sont encerclés par les soldats loyalistes qui ont pris soin de demander aux habitants de les évacuer. Par la suite, les lieux ainsi évacués sont bombardés à coup d'obus, anéantissant ainsi les dernières poches de résistance. S'ensuit une chasse à l'homme implacable.
Pendant ce temps, la radio nationale émet la musique de variété. A 19 heures, la diffusion de cette musique est interrompue. En trois minutes, Paul Biya, d'une voix fluette, tremblotante, presque hésitante s'adresse à ses compatriotes. Il rassure et indique que "le calme règne sur toute l'étendue du territoire national ". Quelques jours plus tard, le 10 avril, le président Biya s'adresse à nouveau à la nation. Pour éviter dérives et stigmatisations, Paul Biya précise : "En effet, l'actualité a retenu, l'Histoire retiendra que les forces ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient des Camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'État manqué est celle d'une minorité d'ambitieux, assoiffés de pouvoir et non de celle de telle ou telle province ou de Camerounais de telle ou de telle région".
S'ouvre alors l'ère des bilans, des procès expéditifs, des règlements de compte, des assassinats, des exécutions sommaires, des enlèvements et des emprisonnements. De nombreux officiers, fonctionnaires, hommes d'affaires "nordistes", quelque fois, sans lien quelconque avec les événements, sont exécutés et emprisonnés. Certains passent de très longues années en détention pour avoir, selon des dépositions, "exprimé leur joie au moment de l'annonce du putsch". Ceux qui y échappent demeurent des "putschistes potentiels" et restent confinés à des tâches subalternes. Ne pouvait-on pas éviter ce bain de sang ?
Plus de 25 ans après le putsch du 06 avril 1984, des blessures restent ouvertes. Des séquelles demeurent indélébiles. La  douleur est vive lorsqu'on évoque ces malheureux événements. Les restes du président Ahmadou Ahidjo, condamné à mort puis gracié, mort en exil le 29 novembre 1989 au Sénégal sont toujours abandonnés dans un cimetière à Dakar. Le chemin de la réconciliation est encore long. Les Camerounais vivent dans une paix de façade.
Jean-Bosco Talla
*Source: Les Dossiers et documents n°006
Sources consultées :
Célestin Monga, Cameroun : quel avenir ?, Paris, Silex, 1986, 315p.
Pierre Ela, Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris, Pyramide Papyrus Presse, 2002, 287 p.
Frédéric Fenkam, Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Minsi, 2003, 297p.
Charles Atéba Eyéné, Le Général Pierre Semengué, toute une vie dans les armées, Yaoundé, Clé, 2002, 274p.
Les Cahiers de Mutations, vol 18, janvier 2004.

Encadré 1
Entre 1000 et 1500 morts.
Combien y a-t-il eu de morts pendant les événements d'avril 1984 ? Comme toujours, après ce genre d'événement, les chiffres sont avancés, les uns aussi fantaisistes que les autres. Chaque partie y va de son imagination. L'estimation officielle a été faite le 12 avril 1984. Selon celle-ci, " il y a eu 70 morts, dont 04 civils et 8 soldats loyalistes, et 52 blessés ; 1053 mutins ont été arrêtés et 265 gendarmes sont portés disparus ". A Paris, l'Union de populations du Cameroun annonçait exagérément 6000 morts. Certains diplomates en poste à Yaoundé pendant ces événements situaient le nombre de victimes entre 800 et 1000 morts. Avec le recul, certaines sources crédibles situent le nombre de victimes (et de personnes disparues) entre 1000 et 1500 morts. Un véritable carnage.

Encadré 2
Coup d'Etat de 1984: un montage
« Ce que les Camerounais jusqu'à ce jour ont toujours pris pour une tentative de coup d’Etat, n’était en fait qu’un montage perpé¬tré par l’obscur clan tribaliste qui faisait pression sur M. Biya afin que ce dernier se démarquât de M. Ahidjo. Pour les barons du clan, le départ ou la fuite de M. Ahidjo n’était pas ce qu’ils espéraient. Après l’échec du grossier montage du mois d’août 1983. Ils voulaient Ahidjo mort, parce qu’il avait encore beaucoup d’hommes à lui au sein du gouvernement, surtout ceux originaires du Nord. Il fallait trouver un moyen pour éliminer (politiquement et physiquement) M. Ahidjo et affaiblir les hommes politiques du Nord. Tout ce programme n’était pas facile à exécuter, d’autant moins que l’armée camerounaise, surtout la garde républicaine, était entre leurs mains. La fonction publique elle aussi regorgeait de jeunes administrateurs civils de la même province et qui occu¬paient d’importants postes de commandement. Il fallait déraciner tout ce que les nordistes au pouvoir depuis trente ans, avaient implanté.
Il faut noter en passant, que tout ceci n’était pas pensé dans le seul but d’asseoir le pouvoir de M. Biya, mais pour implanter l’Autorité, le Pouvoir et la Suprématie de la tribu béti. Il est aussi très important de faire cette différence sinon, il sera très difficile de comprendre la politique camerounaise sous le règne de M. Biya. Tout en haut il y a le clan qui est la structure suprême et qui actuellement gouverne au Cameroun. Ensuite vient M. Biya qui est l’exécutif. S’il le fallait, le clan serait prêt à le sacrifier et le remplacer par un autre fils de la tribu, car il faut le souligner en passant, le clan est sérieusement armé et militairement bien proté¬gé. La question qui se pose est celle-ci, jusqu’à quel niveau le Chef de l’Etat est-il impliqué dans cette affaire ? Nul ne peut le dire. Il sait pourtant que tout cela existe et son ponce pilatisme est très significatif […]»
Frédéric Fenkam, Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Editions Minci, 2003, p.145.

Encadré 3
La faux complot de 1983
« Le lecteur pourra se référer à la tentative du complot français décrite au chapitre III, pour se faire une idée de la complexité d’un coup d’Etat : subversion, espionnage, couverture diplomatique, moyens matériels gigantesques, complicité au plus haut niveau des responsables en charge du Renseignement, de la Sécurité et de la Défense. Aucune de ces conditions n’était réunie dans le prétendu complot de 1983. Il ne suffit pas d’appréhender des individus qui "avouent" vouloir assassiner le chef de l’Etat pour que le coup d’Etat soit possible. En 1983, deux commis sont interpellés : le capitaine Salatou et le Commandant Ibrahim, deux anciens collaborateurs du Président Ahidjo. Ils sont accusés de complot contre la République et, selon Paul BIYA qui en informe person¬nellement la Nation par un message fort émotionnel, les mis en cause ‘’sont passés aux aveux complets’’.
A la stupéfaction générale, Ahmadou Ahidjo est reconnu commanditaire de cette tentative de complot. L’ancien Président sera condamné à mort par contumace, et voué à l’exil.»
Source : Pierre Ela, Dossiers noirs sur le Cameroun, Pyramide Papyrus Presse, 2002, pp. 174-175.