• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
RDPC: Vers un bain de sang - Mathias Eric Owona Nguini: « Le RDPC est à la croisée des chemins parce que les forces sont préoccupées par la succession présidentielle »

RDPC: Vers un bain de sang - Mathias Eric Owona Nguini: « Le RDPC est à la croisée des chemins parce que les forces sont préoccupées par la succession présidentielle »

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 
Index de l'article
RDPC: Vers un bain de sang
S'achmine-t-on vers un bain de sang?
Lutte contre la corruption:l'autre point de discorde dans le RDPC
RDPC: un parti d'état-major
Les Progressistes
Les Conservateurs
Les non-alignés
La permanence du conflit de génération
Marasme et paupérisation: sources des conflits
Mathias Eric Owona Nguini: « Le RDPC est à la croisée des chemins parce que les forces sont préoccupées par la succession présidentielle »
Toutes les pages

Mathias Eric Owona Nguini: « Le RDPC est à la croisée des chemins parce que les forces sont préoccupées par la succession présidentielle »

On le présente plus.?Coordonnateur de La Grande Palabre et de la Fondation Paul Ango Ela, le sociopolitiste Mathias Eric Owona Nguini jette un regard sur les dissensions qui secouent le RDPC et donnent son avis sur les questions d’actualité relative à la modification de la Constitution, l’anticipation de la présidentielle de 2018 et autres. Lisez plutôt!
Germinal: Au regard de son fonctionnement, peut-on dire que le RDPC est un parti ou une formation politique ?
Mathias Eric Owona Nguini: Le RDPC est bel et bien un parti politique, si l’on entend par là, une organisation politique qui vise à collecter les mandats électifs pour accéder aux positions décisionnelles liées aux commandes de l’État. Seulement, le RDPC est un parti politique singulier ; c’est un ancien parti unique, c’est-à-dire un Parti officiel ayant assuré au groupe gouvernant, une emprise monopolistique sur les chances de représentation et les ressources de décision. Le RDPC est un Parti d’État qui assure la captation de l’espace politique officiellement pluraliste et démocratique au profit du groupe dirigeant central dominé par le Leader Présidentiel-Présidentialiste camerounais. Le RDPC est comme le disait Abel Eyinga, un Parti administratif permettant à la bureaucratie centrale et à son chef présidentiel de truster les capacités et les ressources politiques dans une perspective oligo-monopolistique le posant en entreprise politique bénéficiant d’une position dominante sur le marché politique.

De votre position d’enseignant-chercheur avez-vous une idée du projet de société du RDPC ?
Le Projet de société du RDPC met l’accent sur la démocratie, la libéralisation économique et politique, la justice sociale et l’attachement aux valeurs communautaires africaines traditionnelles. Pourtant, la référence à ces valeurs et principes politico-idéologiques et politico-moraux est essentiellement rituel et formel même s’il est mentionné dans le Livre-Programme («Pour le libéralisme communautaire»), dans les brochures de propagande de ce parti, dans les professions de foi de ses candidats aux différentes échéances électorales ou dans les résolutions de ses instances supérieures ou les meetings politiques.

Les militants du RDPC présentent Pour le libéralisme communautaire comme étant le projet de société du RDPC. Qu’est ce qui peut d’après vous expliquer le fait que le président national du RDPC, Paul Biya, a très rarement, pour ne pas dire jamais, cité cet ouvrage dans ses discours ?
Si le Président Paul Biya évoque rarement son livre-Programme («Pour le Libéralisme communautaire»), c’est parce que le Leader central camerounais est conscient que ce livre qui est présenté comme bréviaire politique censé orienter l’action gouvernante du RDPC, ne répond plus aux conditions politiques existantes. M. Paul Biya sait que ce livre est décalé par rapport à l’évolution politique du RDPC et du système institutionnel camerounais après sa sortie en 1987.En effet, du fait de la crise économique de survenue entre 1986 et 1988 et de la montée de la contestation anti-autoritaire entre 1985 et 1990, ce livre est devenu un programme politique mort-né parce qu’il avait été conçu pour gérer une libéralisation contrôlée dans le cadre d’un système de parti unique.

Partagez-vous l’idée selon laquelle Pour le libéralisme communautaire n’était en réalité qu’un mirage ?
De manière stricte, «Pour le Libéralisme communautaire» était un livre modelé par l’idéologie de l’autoritarisme réformé à travers «la démocratisation dans un seul parti» pensé dans les cercles dominants et gouvernants camerounais comme moyen de re-légitimation d’un ordre politique autoritaire. La démocratisation concurrentielle y était essentiellement une vue de l’esprit. C’est en cela qu’on peut dire que ce livre-programme participait d’une stratégie habile de séduction d’un leadership politique et étatique autoritaire. Le Leader présidentiel et son groupe dirigeant ont instrumentalisé ce livre comme un moyen de gagner en respectabilité à bon compte, sans envisager concrètement de mettre en place le cadre d’une démocratisation pluraliste réelle.

Êtes-vous d’avis avec ceux qui pensent que le RDPC est aujourd’hui à la croisée des chemins ?
Oui, le RDPC est effectivement à la croisée des chemins parce que l’essentiel des forces et puissances qui se sont installées dans cette formation politique sont essentiellement préoccupées des termes et voies de la succession présidentielle, même si la liturgie politique de ce parti commande que cette question soit un tabou. En effet, l’usure et l’âge du Capitaine-Président contribuent à développer l’orientation des coteries et factions inscrites dans le RDPC pour l’Après-Biya, même si personne n’a le courage de faire inscrire cette question de manière explicite dans les discussions publiques sur l’évolution du Parti d’État. Le RDPC est d’autant plus à la croisée des chemins que non seulement des baronnies et barons se préparent à s’y disputer l’investiture politique de ce Parti Hégémonique pour une éventuelle élection présidentielle devant assurer la succession du leader central Paul Biya, mais aussi parce que cette formation a été secouée par le choix de son Chef central de sacrifier certains de ses Lieutenants Politiques et Institutionnels avec la lutte contre la corruption comme prétexte commode. En effet, même si elles ne le disent pas en public, les baronnies du Renouveau se plaignent du fait que leur chef politique les aurait livrés à la vindicte populaire alors qu’ils ont agi pour défendre les intérêts du système gouvernant en le finançant de manière occulte. Nombre de ces baronnies et barons considèrent que le Président Paul Biya a entrepris de les affaiblir pour mieux s’éterniser à la tête de l’État, voulant leur faire porter à eux seuls la responsabilité de la corruption politique et économique systémique alors qu’il doit assumer cette situation en tant que Leader.

De nos jours, les Camerounais assistent amusés aux joutes oratoires ou aux guerres verbales que se livrent les membres du RDPC par médias interposés. Celles-ci sont-elles révélatrices d’une crise profonde qui traversent cette formation politique ?
Si le RDPC avait su profiter de l’affaire des Modernistes en 2002-004 pour institutionnaliser la pluralité des courants et des tendances dans le RDPC, on aurait pu interpréter ces divergences expressives comme des manifestations de la liberté d’expression au sein de cette formation partisane. Ce n’est pas le cas parce que le bloc dirigeant du RDPC a géré cette controverse autour des «Modernistes» selon ses vieilles méthodes autoritaires basées sur le centralisme politique et orientées vers la persistance du monolithisme idéologique. Ces expressions divergentes indiquent plutôt que le RDPC est colonisé par une multiplicité de coteries venues pour y profiter de sa position de Parti d’État en vue de la convertir en ressource d’ascension vers la Présidence en cas d’ouverture de la succession institutionnelle et politique de Paul Biya. On peut envisager de puissantes luttes politiques feutrées puis ouvertes entre les factions qui se sont incrustées dans le RDPC et qui le parasitent ; ces luttes pouvant même conduire à une militarisation et une milicianisation de ces concurrencess entre baronnies et barons logés dans cet appareil hégémonique.

A l’observation, peut-on dire qu’il s’agit d’un combat entre deux courants au sein de ce parti, à savoir d’un côté les progressistes ?
Non, l’essentiel des luttes entre les coteries en compétition pour le contrôle du Rdpc après son Champion Incontesté Paul Biya se déroule sur des lignes essentiellement conservatrices, entre des «conservateurs durs», des «conservateurs mous» et des «conservateurs opportunistes», les «progressistes» ou «modérés» voyant leurs penchants libéraux censurés par la fermeture persistante du Parti d’État à l’institutionnalisation du débat interne entre courants concurrents. De toutes les manières les «libéraux» que seraient des modernistes ou progressistes n’ont aucune emprise sérieuse sur les commandes du Parti...Le RDPC est, en tant que Parti d’Etat est un parti d’Etats-majors, c’est-à-dire une formation dominée par des oligarques et des hiérarques appartenant aux milieux de pouvoir et d’affaires.

Quelle peut être l’issue probable de cette crise ?
Le RDPC est appelé à être sérieusement ébranlé en cas d’ouverture d’une conjoncture de relève présidentielle en raison de la sédimentation au sein de cet appareil, de plusieurs blocs clientélistes et factionnalistes. Il est possible qu’une telle évolution mène à une véritable guerre d’influence et d’hégémonie entre les coteries et factions inscrites dans le RDPC, surtout si cette formation n’est pas mise hors-jeu par le scénario politique qui ouvrira la possibilité de relève à la Présidence de la République.

Trois points cristallisent les débats au sein du RDPC et même au sein de l’opinion publique : la modification de la Constitution, l’anticipation de l’élection présidentielle et la candidature de Paul Biya à la prochaine présidentielle d’octobre 2018. Quel est votre point de vue sur ces trois points ?
Ces trois points sont articulés même si c’est surtout la réélection du Président Biya qui est le point prioritaire et quasiment incontournable de convergence pour les coteries concurrentes du RDPC parce qu’il est le seul point de convergence entre les coteries présentes dans cette formation partisane encore essentiellement inscrite dans une optique politique conservatrice de facture monopoliste et oligopoliste. La révision constitutionnelle ne se fera que si le Président national du RDPC posé aussi en Président de la République veut en profiter pour orchestrer une succession dauphinale de structure monarchique, en faisant introduire dans la constitution un Vice -Président qui pourrait bénéficier d’une position de successeur constitutionnel. L’anticipation n’est pas impossible si les calculs tactiques du Leader Présidentialiste le commandent.

Le RDPC comme force politique survivra-t-il après son Chef ?
La survie du RDPC en tant que Parti et en tant que formation hégémonique après la tenance et la tenure du Président Biyava dépendre du scénario sociopolitique et politico-institutionnel qui va modeler la conjoncture de succession présidentielle. Si le système hégémonique et institutionnel n’est pas ébranlé ni inquiété dans sa position gouvernante, le RDPC peut survivre. Par contre, si le scénario qui ouvre l’Après -Biya est critique, le RDPC sera probablement dissous, de telle manière que ses réseaux et filières vont se diviser inexorablement ou presque. De toutes les manières, le RDPC sera secoué par la lutte pour le contrôle de son investiture à l’élection présidentielle dans l’hypothèse où le système gouvernant arrive à survivre à un départ du pouvoir de Paul Biya et à conserver ce Parti d’ État comme mécanisme politique.
Comment les partis politiques dits d’opposition peuvent-ils (ou ont-ils les moyens et la capacité de) tirer parti de cette situation au sein du RDPC ?
Les partis d’opposition sont de toutes les façons appelées ,s’ils veulent avoir un rôle certain ou significatif dans la succession,de suivre l’évolution du Rdpc qu’ils ne peuvent évidemment négliger parce que cette formation politique opère encore comme Parti d’État et que cela peut profiter à certaines de ses coteries même en cas de turbulence politique.
Propos recueillis par:
Jean-Bosco Talla