Cette semaine qui s’achève [semaine du 6 au 12 juin 2016, Ndlr] , je me suis rendu dans la région natale du président, de la capitale politique du Cameroun à la capitale régionale du Sud. Oui, j’étais chez vous. Mais ce que j’ai vu ne m’a pas enchanté ! Je croyais qu’au crépuscule de ce trop long règne qui ne se renouvellera plus, au moins votre région natale, la région du sud, pouvait faire valoir vos réalisations, défendre votre bilan. De Yaoundé à Ebolowa, ce qui frappe en premier le voyageur, c’est, avant tout, la petitesse serpentine de la voie qui y mène, ses virages mortifères et ses habitations, toujours les mêmes, qui renvoient aux origines de l’humanité. Des maisons, du moins ce qui en tient lieu, bâties en pisé et en bambou, inclinées à toucher le sol, ouvertes aux intempéries, perdues dans une forêt épaisse, étouffante, impénétrable ! Mais, une Forêt pénétrée par les grumiers qui parcourent cette voie à longueur de journée, transportant le bois, et oubliant de laisser un peu de progrès ou de développement
sur leurs traces, par exemple sous forme d’investissements sociaux. Visiblement, quand le bois s’en va, la misère suit, les habitants fuient et les survivants sont menacés à chaque pas d’être écrasés par ces mastodontes érigés en rois de la route.
Sur le chemin de votre village où vous avez pris l’habitude de passer plus de temps qu’au Palais d’Etoudi, vous n’avez certainement pas manqué, en parcourant ce tronçon de la mort, ce havre de la misère, de constater l’écart qu’il y a entre vos discours servis depuis bientôt 34 ans et le dénuement dans lequel vous avez plongé vos compatriotes, dont vos frères du village. Des personnalités éminentes de votre entourage y ont laissé leur vie, pressées d’aller répondre à l’appel du devoir républicain et fatalement aussi, à celui du destin final, tragique et implacable. Certainement que vous ne vous êtes jamais posé la question de savoir combien de générations il faudrait pour que votre région atteigne l’émergence. Une chose est certaine en tout cas, ce ne sera pas à l’horizon 2035! L’horizon ici est encore celui de la subsistance et de la survie, malgré quelques îlots d’opulence créés par les braqueurs de nos maigres impôts, des bandits à col blanc, pour parler comme vous, dont certains originaires du sud semblent avoir le secret, pour le malheur de la fortune nationale !
La capitale régionale elle-même, Ebolowa la belle comme on dit, ne paye pas de mine pour autant. Le niveau d’activité est si faible qu’il ne peut qu’encourager exode et débauche. Sa position au carrefour de plusieurs pays de la Cemac ne semble pas avoir impulsé un dynamisme économique ou incité à investir davantage dans l’agriculture ou dans d’autres secteurs. Ah ! j’oubliais qu’un génie de votre entourage avait trouvé la mirifique idée d’y bâtir une usine de montage de tracteurs, peut-être pour booster l’activité agricole ! Hélas! avait-il oublié que le relief aussi escarpé et la forêt aussi dense ne pouvaient permettre une mécanisation de l’agriculture. Le pouvoir d’achat des paysans très proche de zéro n’était pas non plus un élément favorisant le marché. De plus, les surcoûts liés à l’importation du matériel de montage et des pièces à monter, couplés à l’obligation de réexporter vers les zones éloignées où ces machines pourraient davantage servir, allaient plomber l’usine et pousser à l’abandon des machines dans la broussaille à la merci de la rouille! Quelle lumineuse idée que d’aller monter les tracteurs à Ebolowa ! Tout semble indiquer que le choix de ce site fut dicté par des considérations autres que la rentabilité économique du projet et le développement de la région du Sud ! Mais certains parmi vos courtisans et originaires du Sud sont coutumiers des opérations de ce genre. Comme cette fondation dont la statue symbole fut commandée en Italie, dit-on à hauteur de deux milliards et demi FCFA, par un haut fonctionnaire dont l’unique prouesse n’a été que celle de mériter la faveur d’un décret aux relents régionalistes pour se jucher au-dessus de la caisse qui encaisse et décaisse l’épargne de nos retraites, avec la gabegie et la boulimie que l’on sait.
De retour de cette villégiature, je ne puis m’empêcher de penser qu’il n’est point besoin de chercher midi à quatorze heures pour faire le bilan d’un règne et rapprocher la grandeur des ambitions à la petitesse des résultats.
Que dire alors des autres parties du pays ? Lorsque le cordonnier est lui-même très mal chaussé quel miracle peut-on espérer de lui ? Tous les pans de la société camerounaise respirent l’absence de vision et de stratégie de développement. Il y a comme une malédiction qui voudrait que tout aille toujours mal malgré ce grand potentiel que tout le monde reconnait au Cameroun. Un investisseur invité à la conférence économique de Yaoundé, en partant de Nsimalen pour son hôtel au cœur de la ville, ne peut s’empêcher de constater le manque d’organisation, l’anarchie et le gaspillage, la vision de toutes les facettes de notre misère nationale, l’insolente opulence de ceux qui ont domestiqué les caisses de l’État pour leur profit personnel et l’étendue de l’incompétence de ceux qui ont la charge de conduire les politiques publiques, à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Le constat général est celui d’une déresponsabilisation collective, puisque personne n’est comptable de ce que tout le monde réprouve et décrie. Ce qui donne l’impression que le visiteur va à la rencontre d’une société écervelée, imbibée d’alcool et de luxure, amoureuse du tapage, mais inapte à impulser une dynamique positive porteuse de sens, de progrès et de prospérité partagée pour tous ses habitants. Face à tant d’inconscience et d’incompétence, des hommes normaux sont tentés de demander de dégager, pour laisser la chance et l’opportunité aux Patriotes visionnaires capables de dessiner un autre avenir, que tout le monde espère meilleur et plus radieux, porteurs d’espérance, de justice sociale et de grandeur
Sehou Ahmadou
Source: Germinal n°087