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Politique Odile Tobner: "Ceux qui profitent du régime souhaitent que Paul Biya reste après 2018"

Odile Tobner: "Ceux qui profitent du régime souhaitent que Paul Biya reste après 2018"

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Odile Tobner: "Ceux qui profitent du régime souhaitent que Paul Biya reste après 2018"
Présidentielle 2018: Les pétites manoeuvres du pouvoir
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Agrégée de Lettres classiques, intellectuelle engagée, observatrice avertie de la société camerounaise, ex-présidente de l'Ong Survie, Odile Tobner jette un regard sur des sujets de l'actualité nationale et internationale
Qu’est-ce qui vous a motivée à rééditer les deux livres de Mongo Béti que sont : Mission terminée et Le roi miraculé, des livres publiés il y a près de 60 ans ?
Ils ont été longtemps disponibles parce que pendant un certain temps l’éditeur Buchet les a réimprimés. Ils auraient dû l’être en permanence, comme d’autres titres de Mongo Beti, plus anciens. Les nouveaux propriétaires des éditions Buchet/Chastel n’ont pas voulu les rééditer. Nous avons récupéré les droits et réédité nous-même ces deux ouvrages qui manquaient.

Vous arrivez au Cameroun au moment où le paysage sociopolitique est divisé pratiquement en deux camps. On a d’un côté ceux qui invitent le président Paul Biya, 83 ans, à se représenter à la présidentielle de 2018 et en face, ceux qui s’y opposent. Quelle est votre position dans ce débat ?
Elle n’est pas difficile à deviner.

Si on consulte la totalité des plus de 20 millions de Camerounais, je doute fort qu’il en ait plus de 50% qui soient pour que Biya fasse un nouveau mandat étant donné que c’est un octogénaire, qui est au pouvoir depuis 34 ans. Non c’est tout à fait excessif et c’est vraiment le grand facteur d’immobilisme du Cameroun, figé depuis des années et qui ne progresse pas du tout, comme on le constate. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens à part ceux qui profitent du régime (une très petite minorité) qui souhaitent que M. Biya reste au pouvoir après 2018.

Vous avez été présidente de l’ONG Survie. Les deux derniers présidents français à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande ont annoncé la fin de la Françafrique. Pensez-vous que celle-ci soit aujourd’hui morte et enterrée ?
Longtemps avant Sarkozy il y avait des journalistes complaisants et des hommes politiques qui disaient que la Françafrique c’était terminé. Pratiquement depuis que François-Xavier Verschave a publié son livre intitulé La françafrique à la fin des années 90, tout le monde a crié en disant « la françafrique a peut-être existé, mais ça n’existe plus ». Donc ça fait au moins 20 ans qu’on a enterré la Françafrique.  Mais elle est bien vivante et elle remue encore beaucoup. Non. La Françafrique c’est un système qui perdure même s’il change d’aspect. Sous Foccart c’était une Françafrique affichée, avec l’ingérence directe de la coopération, et la circulation des valises de billets, maintenant c’est la Françafrique, tout aussi impérialiste, des multinationales, la Françafrique des affaires et des commissions. Le ministre des Affaires étrangères français devient un commis-voyageur des intérêts privés français, ce qui était d’ailleurs déjà le rôle de l’État sous la colonisation. La Françafrique demeure aussi par ses interventions militaires puisque la France est très présente militairement en Afrique et de plus en plus d’ailleurs. C’est loin d’être le recul annoncé, aujourd’hui sa présence est plus envahissante qu’il y a quelques années. Donc la Françafrique est bien vivante. Elle doit être observée, étudiée, critiquée. Et nous demandons plus que jamais qu’on passe à de nouvelles relations avec l’Afrique.

Dans une précédente interview accordée à Investig’Action, vous indiquiez que « la morale et la dignité voudraient que Blaise Compaoré soit jugé au Burkina Faso ». Depuis le mois de février 2016, l’ancien président du Faso est officiellement Ivoirien. Que pensez-vous de cette naturalisation ?
Elle est d’un cynisme absolu. C’est une manipulation grossière pour échapper à la justice. Compaoré a fui le Burkina Faso exfiltré par l’armée française vers la Côte-d’Ivoire et Ouattara n’a rien à lui refuser puisque c’est grâce à Compaoré qu’il est devenu président en Côte-d’Ivoire. La rébellion qui est apparue en 2002 et la tentative de Coup d’État pour chasser M. Gbagbo étaient pilotées depuis le Burkina Faso. C’est évident. Guillaume Soro et tous les chefs de la rébellion ont des villas somptueuses à Ouagadougou qui était leur base arrière. La Côte-d’Ivoire en 2002 a été attaquée de l’étranger. Il ne s’agissait pas d’une mutinerie à l’intérieur de l’armée ivoirienne, mais d’un complot ourdi de l’étranger. Les accords de défense qui existaient entre la France et la Côte-d’Ivoire obligeaient donc les Français à rétablir la Côte-d’Ivoire dans ses limites. Ce qu’ils n’ont pas fait, étant donné que le coup d’État était fait par leur protégé.
Il y a donc eu cette ligne de démarcation, cette interposition qui n’en était pas une et tous les troubles et les douleurs qui ont été engendrés pour les Ivoiriens pendant 10 ans. La France a achevé en 2011 ce qu’elle n’avait pas pu faire en 2002 avec la rébellion ; c’est-à-dire éliminer Gbagbo.

Aujourd’hui, Laurent Gbagbo est poursuivi par la Cour pénale internationale. Ce qui n’est pas le cas des autres protagonistes de la crise postélectorale ivoirienne de 2011, à l’instar de Ouattara, Soro et les autres. Que pensez-vous de la CPI ?
La CPI se ridiculise et perd toute crédibilité. Le procès de Gbagbo est une caricature puisque la procureure n’a pas réussi dans un premier temps à constituer un dossier qui tienne la route. Les crimes prétendus de génocide ne passent pas quand même inaperçus ! Qu’elle manque à ce point de preuves, c’est déjà un désaveu. Et elle n’a guère pu étoffer son dossier après. Donc ce qu’on voit se tramer c’est une comédie ridicule avec des témoins ridicules. En faisant traduire Gbagbo à la Haye, évidemment avec l’accord et la complicité de la France qui le manipule aussi, Ouattara se débarrasse d’un homme politique très populaire et qui a été le seul à essayer de conduire la Côte-d’Ivoire vers une plus grande indépendance à l’égard de la tutelle néocoloniale.

Comprenez-vous la position de certains chefs d‘États africains qui envisagent une sortie collective du Traité de Rome qui fonde la CPI ?
Je pense qu’elle est justifiée. L’ensemble des poursuites engagées jusqu’à présent se fait uniquement contre des Africains alors que des chefs d‘État d’autres parties du monde commettent, par leurs armées interposées, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Donc là il y a une partialité évidente. Je viens d’apprendre avec stupéfaction qu’on a traduit devant la Cour Pénale Internationale un chef touareg qui serait l’auteur des dégradations des monuments dans le nord du Mali. Franchement c’est grotesque ! Les plus splendides monuments de la Perse ancienne ont été rasés à Bagdad par les bombardements américains. Les grands musées de Bagdad qui étaient remplis de pièces uniques ont été pillés à l’occasion de la prise de la ville par les Américains et tout çà est passé dans le silence complet. Donc s’il y a des destructeurs, des profanateurs avant ce Touareg qui a démoli quelques tombeaux, ce sont les Américains. La guerre qu’ils ont faite en Irak a détruit des vestiges inestimables de la Perse ancienne.

Le nombre de réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe ne cesse d’augmenter, ainsi que le nombre de personnes mortes durant le trajet. À votre avis qui est responsable de cette situation ?
Les gens qui bombardent la Syrie. Les gens qui ont détruit l’Irak et l’Afghanistan puisque ce sont des Afghans, des Irakiens, des Syriens en masse qui fuient leur pays dévasté, livré aux factions. Qui a été mettre le feu de la guerre dans ces pays ? Et le résultat maintenant ce sont ces populations misérables qui fuient ce désastre.

Avez-vous un message à l’endroit des jeunes Africains en particulier ?
Franchement je ne me vois pas délivrer des messages. Mais j’observe simplement que les jeunes Africains sont assez lucides eux-mêmes sur ce qu’ils subissent et ne croient plus tout et n’importe quoi. Ils sont très critiques aujourd’hui et il en sortira sûrement des choses meilleures pour eux à l’avenir.
Entretien mené par
Olivier Atemsing Ndenkop


Présidentielle 2018: Les pétites manoeuvres du pouvoir

Alors qu'ils doivent donner du vingt et du pain au peuple, le chef de l'Etat Paul Biya et son équipe surfent sur les émotions des Camerounais.
Au Cameroun, l’élection présidentielle de 2018 peut être anticipée comme au Congo-Brazzaville ou repoussée comme cela semble se dessiner de l’autre rive du fleuve Congo, en République démocratique du Congo (RDC) où elle finira toujours par avoir lieu, quelles que soient les tergiversations de Joseph Kabila, l’actuel président.
En attendant, on peut aisément constater que le Cameroun vit politiquement dans l’attente d’un scrutin qui n’en finit pas de défrayer la chronique. C’est au début du mois de janvier 2016 que le Secrétaire permanent du Conseil national de Sécurité lance un pavé dans la marre en évoquant l’idée d’une « présidentielle anticipée ». Alors que l’idée de l’anticipation de la présidentielle de 2018 circule dans les cercles du pouvoir depuis 2013, Cavaye Yéguié Djibril, principal signataire de la motion de soutien des «forces vives du département du Mayo Sava», rédigée à l’occasion des 33 ans de magistrature suprême du chef de l’État, choisit de demander, sur les ondes de la Crtv-Radio le 11 novembre 2016, à Paul Biya d’être candidat à sa propre succession. Même si au début de l’année 2016, Paul Atanga Nji quant à lui, suit les pas du président de l’Assemblé nationale en prenant le soin d’ajouter « probable », beaucoup d’acteurs de la scène politique nationale considèrent ces différentes sorties comme des ballons d’essai, dans l’optique de préparer les esprits à une anticipation de la présidentielle, comme ce fut le cas lors de la révision de la Constitution en mars 2008. Très vite, la presse nationale suit l’ « alerte » et commence à scruter les couloirs de l’Assemblée nationale où on parlait du dépôt d’un projet de loi portant modification de la constitution en vue de créer un poste de Vice-président serait déposé.
Si jusqu’ici rien ne laisse présager une anticipation de la présidentielle de 2018, il n’en demeure pas moins significatif qu’à travers l’avalanche de « Motions de soutien et de déférence » couplé aux « Appels à candidature » du président Paul Biya, le remue-ménage observé au sein du RDPC qui continue d’occuper l’espace public, ne laissent pas les observateurs avertis indifférents. Ceux-ci affirment que la frénésie des militants du RDPC prouve qu’il y a anguille sous roche. Car, poursuivent-il, on n’a pas besoin de demander à Paul Biya d’être candidat de son parti à la prochaine élection présidentielle, étant donné que de par les textes du RDPC il est déjà le « candidat naturel du parti » à toute élection présidentielle. Alors une question subséquente vient à l’esprit : si faute d’avoir un bilan à défendre, le pouvoir du Renouveau-RDPC s’était donné pour mission de faire diversion en détournant les regards de ses rivaux de sa principale faiblesse, à savoir l’absence de vision et donc de bilan ?
La seule mission historique d’un régime politique n’est pas d’organiser des élections. La démocratie n’est pas réductible à une série de scrutins plus ou moins transparents. Les populations ont droit au bien-être. Dans un pays où l’eau reste un bien de luxe dans les grandes métropoles, où l’électricité est intermittente, où se nourrir correctement relève encore d’un casse-tête chinois, la tendance pour l’équipe gouvernante de créer les épouvantails est grande.
Olivier A. Ndenko