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L’équation Boko Haram, la géopolitique internationale et les Africains

L’équation Boko Haram, la géopolitique internationale et les Africains

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Ce monde n’est pas un paradis. Mais faut-il pour autant accepter que la vie des peuples africains en ce vingt et unième siècle vire au cauchemar collectif et permanent ? Telle est la spirale obscurantiste qui envahit actuellement le Nigeria, le Nord-Cameroun, le Niger et le Mali. Tel est le sort affreux des victimes innocentes de Boko Haram à Maiduguri, Damaturu, Waza, Konduga, Dumba, Gashigar, Bama, Njaba, Firgu, Benisheik et consorts. Lorsque l’horreur et la terreur s’unissent pour infliger à une société l’expérience quotidienne de l’enfer, le devoir de tous les hommes et femmes de bonne volonté est de s’unir autour de principes éthiques clairs et intangibles, afin de répondre avec fermeté et humanité à l’offense faite à leur dignité. La secte terroriste Boko Haram, groupe sunnite pour la prédication et le Jihad , fondée en 2002 par Mohamed Yusuf, avec pour objectif l’application de la Charia aux peuples africains, pose la barre  à un niveau de radicalité qui requiert nos réponses claires à trois questions : 1) En quoi consiste l’équation Boko Haram pour l’Afrique contemporaine ? 2) Quelles sont les implications internationales dans l’équation Boko Haram et comment les cerner pour ne pas être dupe de certaines morales à deux sous ? 3) Comment l’Afrique contemporaine peut-elle efficacement affronter le phénomène Boko Haram sans tomber, ni dans l’islamophobie, ni dans une fièvre sécuritaire susceptible de favoriser une remontée en force, voire une consolidation des autoritarismes locaux ?  Il me semble justement que passer à côté de ces trois interrogations risque de coûter plus cher au Continent Noir, objet de tous les enjeux géopolitiques du 21ème siècle, que la Traite des Noirs et la Colonisation réunies.
Signification de l’équation Boko Haram pour l’Afrique contemporaine
La secte Boko Haram est, pour ainsi dire, une équation à trois termes, dont deux inconnus. Les deux termes inconnus de l’équation Boko Haram portent sur son capital matériel et son capital humain. Il n’est pas aisé de comprendre comment une secte terroriste fondée en 2002 peut aujourd’hui attaquer des villages, des mégapoles et des régions entières avec un armement typique d’une armée nationale : fusils d’assauts, lance-roquettes, grenades, chars d’assaut, véhicules militaires pour tous terrains, moyens de télécommunications performants, tels sont les grands axes du capital matériel de Boko Haram. Il est encore moins aisé de comprendre comment s’entraînent les milliers de combattants de cette organisation monstrueuse, dans un territoire encastré entre quatre Etats africains, avertis des risques qu’ils courent, et assistés de puissantes armées internationales (USA, France, Grande Bretagne, et bientôt Chine et Allemagne).
Avant de revenir sur ces zones sombres de l’origine des capitaux matériel et humain de Boko Haram, précisons pourtant que Boko Haram est aisé à comprendre du point de vue idéologique. La secte a une finalité simple : tuer quiconque ne veut pas adhérer à sa conception de l’Islam et détruire toutes les infrastructures matérielles ou sociales au service du modèle culturel dit occidental, transmis dans les écoles, collèges, universités d’Afrique. L’enjeu ultime de la guerre des sectaires de Boko Haram est donc la pleine application de la Charia, loi islamique qui consacrerait la soumission des femmes et l’instauration d’un Califat Mondial Islamique que certains interprètes du Prophète Mohammed considèrent comme le summum de l’aventure humaine. En cela, les thèses de Boko Haram se recoupent clairement avec l’essentiel de l’idéologie salafiste internationale.
Faut-il ici souligner les contradictions de l’idéologie de Boko Haram ? On peut en énoncer au moins trois avec certitude : d’abord, les sectaires de Boko Haram ne respectent pas eux-mêmes les préceptes de sainteté qu’ils prétendent vouloir imposer aux populations qu’ils étranglent. Drogue, alcool, sexe et corruptions de toutes sortes prospèrent à outrance dans les hordes de criminels du Jihad International. Ensuite, les sectaires de Boko Haram, qui décrètent que tout ce qui est occidental est mauvais, usent évidemment des technologies militaires, des télécommunications, du système médiatique, des savoirs théoriques et pratiques de l’Occident qu’ils diabolisent par ailleurs. Enfin, il est évident que Boko Haram est le principal ennemi de l’Islam en Afrique contemporaine, puisqu’en plus de ses nombreuses victimes chrétiennes, civiles et toutes innocentes, Boko Haram verse sans pitié le sang des musulmans africains qui ne se soumettent pas à ses oukases, allant même jusqu’à tuer à l’aveuglette sur la place publique. Pour toutes ces casseroles que la secte traînera à jamais, il est clair que sa vocation à gouverner un Etat quelconque est nulle, puisqu’avec de telles idées et pratiques,  la clandestinité est inévitable dans la planète globalisée de l’information contemporaine.
Et pour faire un sort maintenant aux paramètres inconnus des conditions de constitution des capitaux matériel et humain de Boko Haram, avouons qu’ici, seules s’imposent des hypothèses. A propos du matériel de Boko Haram, le président François Hollande  a  récemment levé un coin de voile, en affirmant que comme les jihadistes du Nord-Mali qui lui sont alliés, Boko Haram se serait servi dans les soutes à munitions du régime ébranlé de Mouammar Kadhafi. N’est-ce pas l’ironie même du sort que les armes vendues par les puissances occidentales, dont la France, à Kadhafi, se retournent aujourd’hui contre les peuples Africains et les troupes françaises en Afrique ? On n’a pas fini de tirer les leçons tragiques de l’assistance coupable de la France et des autres puissances occidentales à bon nombre de dictatures africaines. L’autre information qui émergerait des médias indique que l’Arabie Saoudite et le Qatar seraient aussi des sources de financement des sectaires de Boko Haram. Que faire, dans une telle hypothèse de la proximité officielle de la puissance américaine avec les deux pays en question ? Quand on sait par ailleurs la force de pénétration avec laquelle la Chine s’est engouffrée dans les pays africains à fortes réserves de matières premières, comment ne pas voir dans le relatif laxisme dont a bénéficié le mouvement Boko Haram jusqu’ici, un alibi tout trouvé pour le renforcement militaire de la présence occidentale en Afrique, afin d’obtenir un contrepoids occidental à la montée en puissance des Chinois dans les offres de contrats officiels sur le continent noir ?  Sans conteste, toutes ces questions méritent d’être posées, sans dogmatisme ni paranoïa, afin de clarifier par de plus méticuleuses enquêtes, l’équation Boko Haram.
Il reste et il demeure cependant une chose sûre : Boko Haram, sous couvert de combattre l’assimilation occidentale, combat en fait l’émergence moderne d’une Afrique en paix avec ses partis politiques et ses différentes obédiences religieuses. Boko Haram incarne le projet de ravaler les peuples Africains dans une servitude volontaire où la terreur et l’horreur seraient les écoles normales de la moralité ordinaire. Boko Haram, par son rejet unilatéral et aveugle de tout ce qui est occidental, n’est surtout pas une association africaine au sens éthique du terme. Les sagesses de nos contrées africaines, les maximes des grands royaumes comme la Mâât négro-égyptienne ou le Manding Kanlikan au moyen-âge malien, l’Ubuntu sud-africain ou le Hémlè i Kundè kamerunais, ne sauraient s’accommoder de Boko Haram. Nos Etats en émergence démocratique, avec la floraison de leurs penseurs et créateurs en tous domaines,  et en pleine croissance économique s’accommoderont encore moins de Boko Haram.
Allons-nous nous laisser voler notre espérance ? Dans ces circonstances, il faut affirmer une africanité éthique. Est africain, au sens éthique du terme, l’humain qui se sent solidaire de l’humanité en tout autre, dans une fraternité de vie où le sens de  l’altérité et de la charité inspirent justice et vérité instituées et instituantes. Tout ce qui est occidental n’est pas mauvais, comme tout ce qui est africain n’est pas bon. Nous avons donc à affronter fermement et lucidement Boko Haram avec la certitude de mettre les civilisations africaines en obligation de se surpasser en exemplarité, de se définir dans les hauteurs sublimes d’une universalité qui ne sera ni mimétisme, ni chauvinisme, mais libre invention de nous-mêmes à partir de notre passé, de notre présent et en vue de notre propre avenir.
Dans la 2ème partie de la présente tribune, j’aborderai plus amplement les aspects internationaux de la crise Boko Haram et les récupérations politiciennes africaines qu’elle encourt. Affaire à suivre.
Franklin Nyamsi, Agrégé de philosophie, Paris, France