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Où est passé l’avenir du Cameroun ? Comment le penser de nouveau ?

Où est passé l’avenir du Cameroun ? Comment le penser de nouveau ?

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En prenant le temps politique et institutionnel comme repère d’identification de la structure démographique du Cameroun de façon à en faire une lecture politique sur base des régimes qu’a connus le pays, trois catégories de Camerounais peuplent grosso modo le triangle national en 2012 : ceux qui ne connaissent que le Renouveau National, ceux qui ont fait l’expérience successive du système-Ahidjo et du système-Biya, et ceux qui, ayant vécu le moment colonial, ont ensuite vécu les deux régimes postcoloniaux subséquents. Ces trois types de Camerounais se répartissent en deux catégories sociopolitiques : les « insiders » ayant toujours été dans les hautes sphères du pouvoir politique, et les « outsiders » qui, malgré leurs liens plus ou moins étroits avec l’administration camerounaise et ses services dans différents secteurs d’activités, n’ont jamais été parmi les acteurs, les familles et les réseaux performants de l’Etat-colonial et de ses succédanés postcoloniaux. Dès lors, se poser la question de savoir où est passé l’avenir du Cameroun et comment le penser est une problématique que l’on peut formuler de deux façons interdépendantes.
La première consiste à se pencher sur l’état des lieux du pays Cameroun, c'est-à-dire à poser un regard critique sur son évolution historique sous-régionale, africaine et mondiale : c’est un regard externe qui fait du contexte sous-régional, africain et mondial, le matériau via lequel on analyse l’objet Cameroun dans sa trajectoire comme Etat.
La deuxième équivaut à faire un état de la question Cameroun, c'est-à-dire à analyser de l’intérieur ce qu’est devenu cet Etat dans ses promesses républicaines de justice sociale, de développement, bref d’épanouissement des citoyens. Il va sans dire que l’incomplétude qui frappe l’une des deux postures analytiques sans l’autre, n’enlève aucunement à chacune d’elle sa pertinence individuelle. Le problème qui apparaît par ailleurs est celui du positionnement de l’analyste : est-il extérieur au pouvoir et en analyse l’intérieur, la structure et la logique ? Est-il intérieur au pouvoir et en fait un état des lieux et non un état de la question qui souffrirait de sa partialité ? Est-il extérieur au pouvoir et capable de la distance nécessaire pour éviter à la fois la pensée de connivence à l’intérieur, l’externalisation des problèmes nationaux sur l’international, et l’enjolivement extrême de la pensée des acteurs exclus et contestataires d’un régime dont ils ignorent la réalité interne ? Sommes-nous capables, sans négliger le vécu réel et ses arcanes auprès desquels le penseur doit s’abreuver, de nous hisser à la lisière de la société camerounaise afin de mieux en analyser les souffrances, les désespoirs, les espoirs et les travers ? Le défi qui se pose à nous est d’analyser ce qui a été et ce qui est sans oublier, tant la distance nécessaire, que des proposions de ce qui pourrait être, soit le souhaitable et le possible.

  • Le désir de recommencer l’histoire face à un régime qui en incarne la fin ?

Lorsqu’en pleins jeux olympiques de jeunes athlètes camerounais filent à l’anglaise avec pour seul objectif d’éviter par tous les moyens de retourner dans leurs pays, c’est qu’ils veulent fuir leur présent. Ils veulent modifier le cours de leur histoire. Ils veulent se réinventer un avenir meilleur. Ils ne veulent pas que le Renouveau National soit la fin de leur histoire. Ces jeunes garçons et filles qui n’ont connu que le Renouveau National comme régime savent assez sur sa médiocrité et son fiasco qu’ils rêvent désormais leur vie et leur futur ailleurs. Ce clin d’œil sur la désertion de nos athlètes, seule « médaille d’or » camerounaise aux derniers J.O de Londres, montre que penser l’avenir du Cameroun impose de se poser en premier la question de savoir où est passé l’avenir de la jeunesse sous le Renouveau National. Si la jeunesse dont la caractéristique générale est l’enthousiasme, l’insouciance et le courage n’attend plus que la moindre opportunité pour fuir le berceau de ses ancêtres, alors la gouvernance du Renouveau National a drastiquement entamé l’avenir du pays en tuant l’espoir de plusieurs jeunes camerounais. Il n’existe pas de signe plus pessimiste de l’Etat de notre pays et de son avenir qu’une jeunesse sans espoir chez elle mais avec tous ses rêves hors de son pays.
Si le refus de la fin de leur histoire est ce qui explique que plusieurs jeunes camerounais et camerounaises choisissent l’exil, la migration ou la désertion, penser l’avenir du Cameroun revient aussi à s’interroger sur ces jeunes-là qui volontairement ou pas, décident de rentrer au Cameroun après les J.O. Ils peuvent être parties intégrantes du système de pouvoir en place ou résignés à vivre ce que leur offre le présent sans aucun moyen de faire autrement. Où est passé l’avenir du Cameroun consiste de ce fait aussi à se demander pourquoi, alors qu’ils sont parfois au sein de la même classe d’âge, notre jeunesse est si éclatée en objectifs et aspirations. N’est-ce pas parce qu’on a laissé une grande partie du « fer de lance de la nation » se rouiller sous la pluie et le soleil quand d’autres jeunes, à défaut de l’exil et sans parrains ou parents stratégiques au sein de l’échiquier politique national, ne pouvaient s’en sortir qu’en répétant ce que pensent les possédants (politique du perroquet) aux seins d’associations performantes types Jachabi et Presby? Pourquoi notre jeunesse ne peut plus exister comme avenir du pays qu’à travers le masque des hommes et femmes de pouvoir ?
Le décalage entre les jeunes camerounais n’est plus seulement celui normal entre filles et garçons aux idées différentes, mais celui abyssal antre ces idées différentes et un avenir plombé par le régime ou assuré par le même régime selon qu’on descend des « outsiders » ou des « insiders» par rapport au pouvoir postcolonial.
Le désir de changer l’histoire et donc d’avenir est le moteur perpétuel de toutes les sociétés et de tout individu : nous voulons tous être mieux demain que ce que nous sommes aujourd’hui. Le drame camerounais réside ainsi dans le fait que la fin de l’histoire, à savoir l’horizon indépassable du bien-être, est la vie présente de plusieurs de ses acteurs au pouvoir : ce qu’ils vivent au présent est leur paradis et donc leur avenir. Les collabos ont par exemple vécu leur paradis au sein de l’Etat-colonial et ont saboté le rêve d’un avenir meilleur des résistants et des combattants nationalistes. La fin de l’histoire de ces derniers a été parachevée par le régime Ahidjo quand celui de Biya, continuité du premier, incarne, non seulement l’absence d’avenir pour tous les Camerounais « outsiders » nés en 1982, mais aussi le zénith de la corruption de l’Etat et de la déliquescence de ses promesses républicaines.
Il en résulte que les Camerounais qui ont connu l’Etat-colonial et les deux régimes camerounais postcoloniaux en situation « d’outsiders », sont dans le même sac que les « outsiders » trentenaires : leur rêve d’émancipation sociopolitique et économique est en contradiction avec le présent que ceux qui sont au pouvoir considèrent comme leur meilleure vie possible sur terre. Ce qui veut dire que l’enfer des uns est le nirvana des autres. D’où des angoisses concurrentes car les « insiders » veulent par tous les moyens préserver le pouvoir politique grâce auquel ils ont leurs privilèges, quand les « outsiders » veulent une redistribution des cartes du pouvoir politique dans une Afrique où ceux qui n’ont pas le pouvoir n’ont rien à espérer de ceux qui l’ont en matière de bien-être. Comme demain ne meurt jamais malgré le désastre du présent, penser le Cameroun oblige d’inventer, tant un nouveau logiciel politique qui (ré)enchante l’idée d’avenir dans l’esprit des jeunes camerounais par exaltation de la justice, du travail, du mérite, de l’équité et de la solidarité comme valeurs républicaines, qu’un mode de gouvernance qui fasse disparaître les angoisses concurrentes et historiques entre « outsiders » et « insiders » par la domestication de la violence du pouvoir via la diffusion des externalités positives de la démocratie dans la société. Cela implique de faire (ré) exister l’avenir du Cameroun comme réalité pensable et la penser toujours possible sous certaines conditions. Un axe majeur de cette réinvention de l’avenir est de transformer notre Etat afin qu’il ne soit plus jamais l’institution autour de laquelle s’agglutine tout le monde parce qu’elle est le principal canal d’accumulation personnelle, mais un acteur altruiste chargé de diffuser les structures développantes et les opportunités de bien-être au sein de la société camerounaise. Faute de cela, l’Etat  camerounais a aujourd’hui la gueule d’une colonie de vacance dirigée par des pédophiles.

  • Quelle attitude avoir pour refonder l’idée d’avenir et la penser à partir du pire ?

En dehors du positionnement par rapport au pouvoir (interne, externe, lisière) de celui qui veut penser l’avenir du Cameroun, l’opportunisme politique des intellectuels, le pessimisme consommé et ce que nous appelons « le syndrome du Christ » sont d’autres écueils à l’activité libre de l’esprit critique.
Le pessimiste consommé arrive à la conclusion véridique et paralysante que ni des racines et encore moins des ailes ont été données au Cameroun et aux Camerounais par 22 ans de pouvoir Ahidjo et désormais 30 ans de pouvoir Biya. Les conditions de vie des petites gens, majoritaires dans notre pays et à l’aune desquelles le bien-être sociopolitique et économique d’un pays doit être jaugé, sont passées de mal en pis : ils mangent moins bien, se soignent moins bien et changent plus difficilement de classe sociale qu’en 1960. Pour les jeunes, le chômage est si exponentiel et endémique que « voyager » pour n’importe quelle destination en dehors du Cameroun est devenu un choix d’autant plus gagnant que la lame tribale réveille une dérive ethniciste et ethnicisante de la pratique et de la pensée politiques.  D’où la question « à quoi bon penser », étant donné qu’à plusieurs égards ces deux régimes sont des calamités ne serait-ce qu’en faisant le constat que les commodités élémentaires comme l’eau et l’électricité ne sont toujours pas des acquis pour les Camerounais et les Camerounaises 52 ans près les indépendances.
L’intellectuel opportuniste lui fait un raisonnement rationnel selon lequel tous les Camerounais qui ont osé penser leur pays par la critique radicale pendant l’Etat-colonial, sous Ahidjo et sous Biya ont été, soit mis en quarantaine, soit éliminé physiquement. L’attitude gagnante consiste donc, soit à ne pas le faire, soit à faire don de son savoir et de sa matière grise à ceux qui sont au pouvoir. La paix des vainqueurs ayant toujours assuré le pouvoir et la protection des vainqueurs, c’est l’un de ceux qui sont déjà au cœur du pouvoir camerounais en 2012 qui gardera le pouvoir politique après Biya. Il faut donc, soit se taire, soit chercher à entrer dans ce pouvoir afin de devenir un membre de l’intelligentsia du camp gagnant depuis 1960. L’avenir du Cameroun se pense dès lors via son ventre et s’y arrête dès que « le besoin de manger » est estimé plus important que lui. Le pays se meurt donc aussi parce que l’intelligentsia devient à la fois pusillanime et ventriloque.
En outre, ce que nous appelons « le syndrome du Christ » (voir notre ouvrage sur le cinquantenaire de l’Afrique indépendante), traduit la triste réalité selon laquelle tous les Africains et donc tous les Camerounais qui cherchent le salut de leur peuple, trouvent toujours malheur en chemin en perdant la vie à cause d’un complexe d’acteurs constitué de leurs compatriotes et des pouvoirs internationaux de domination. Sankara, Um Nyobè et Félix Moumié l’illustrent parfaitement. La rationalité politique qui s’en dégage entraîne donc plusieurs Camerounais et Africains qui s’engagent en politique à faire alliance avec l’ordre dominant interne et externe seul capable de préserver du « syndrome du Christ ».
Et pourtant, lorsqu’on est habité par un besoin d’avenir meilleur qui fonde la dimension onirique de toute vie et de tout projet politique digne de ce nom, on ne peut s’empêcher d’imaginer une autre trajectoire pour le Cameroun s’il avait été dirigé par ses héros nationalistes plutôt que par le binôme Ahidjo-Biya leurs vainqueurs politiques. On ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’il aurait pu devenir avec un Um Nyobè tenant les rênes du pouvoir politique. Même si dans d’autres cieux des nationalistes arrivés au pouvoir n’ont pas tenu la promesse de leur combat, le rêve camerounais reste intact parce que Um Nyobè, Félix Moumié et les autres n’ont pas exercé un seul instant le pouvoir politique.
Ce rêve intact est donc le meilleur héritage à nous légué par eux à conditions que nous l’actualisions sous contraintes des problèmes camerounais  de notre temps. Sachant de quoi hier a été fait dans notre pays et voulant que demain s’en démarque drastiquement, nous avons besoin d’un exil spirituel et intellectuel seul capable de nous décentrer par rapport à notre pensée pour y laisser la place au sort du Cameroun et des Camerounais que nous devons sortir de la tutelle par la critique radicale. Nous devons nous considérer moins important que le pays en nous rappelant que ce pays était déjà là sans nous, qu’il est là avec nous et qu’il continuera sans nous. Notre pays est dans un tel abîme que réinventer son avenir et le penser hors des sentiers battus s’apparente à une exigence de renaissance spirituelle et intellectuelle centrée sur le travail au service de la justice à rendre à autrui, à nos héros et à nos enfants. Nous devons refuser la version apocalyptique et évangélique du tout est accompli que le régime en place construit via son créationnisme politique. Être capable d’une telle élévation intellectuelle et spirituelle exige d’avoir des modèles, des hommes-repères et des motivations sans failles. Notre histoire de libération en regorge.
Thierry Amougou
Président de la Fondation Moumié