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« Le Biyaïsme », l’électoralisme et la démocratie camerounaise

« Le Biyaïsme », l’électoralisme et la démocratie camerounaise

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Dans un écosystème socio-politique, le temps est une des choses qui lie un régime au peuple, au politique et à l’idéal démocratique. Il est le médium par et à travers lequel on saisit la nature profonde d’un régime, le lien qui s’établie entre celui-ci et le peuple puis, ce que son règne, en longue période, fait du politique et de l’idéal démocratique.
Renouveau National et électoralisme : une union sacrée
Arrivé au pouvoir sans passer par le vote du peuple camerounais, une des caractéristiques du « Biyaïsme » est le fait d’avoir transformé le moment préélectoral et l’acte de voter en moyens de sanctuarisation de sa gouvernance et de perpétuation de l’autocratie afin que le pouvoir acquis en 1982 sans le concours du vote, se maintienne grâce à un vote et à son moment ritualisés en obstructions démocratiques : c’est l’électoralisme. C’est-à-dire la transformation des scrutins en schèmes démocratiques indépassables alors que ceux-ci (les scrutins), dans la conception du Renouveau national, ne sont que des moments intermittents de crispation, de cristallisation, de réduction, de confinement et de vidage de la vie politique et démocratique camerounaise de leur substance. L’électoralisme est en effet la fin de la vitalité démocratique au sens où, quoiqu’étant un instrument procédural important dans la vie démocratique, il ne dit rien sur le contexte du vote, c’est-à-dire sur la nature des structures de pouvoir et celle des institutions qui l’organisent, le sanctionnent et le mettent en vedette au Cameroun pour mieux se couvrir de leurs carences, turpitudes et malversations quotidiennes entre deux élections et pendant. « Le Biyaïsme » est donc aussi un électoralisme en ce sens qu’il transforme le temps préélectoral, le temps du vote et l’acte de voter moins en périodes et instruments d’expression réelle de la citoyenneté camerounaise, qu’en mécanismes d’abêtissement populaire par dépérissement de la rationalité publique en faisant du vote un facteur et un temps de non-intelligence du pays : réduire la démocratie au vote revient à la nier totalement. Négation d’autant plus draconienne que le Renouveau National a opté pour une élection présidentielle à un seul tour, le meilleur moyen pour que le vote serve à la conservation de la dictature et non à la transformation émancipatrice d’une société par sa mise en mouvement politique grâce à une présidentielle à deux tours.

Congrès du Rdpc : grand instant au service de l’électoralisme

Si « le Biyaïsme », par sa durée au pouvoir et la gouvernance de jouissance des privilèges du pouvoir qu’il a installée, est une réussite totale en termes purement personnels, machiavéliques, égocentriques et corporatistes, alors il est la médiocrité faite système et la médiocrité incarnée à la fois par son leader, ses équipes et leurs résultats sur le plan de la construction sociétale. A partir de là, il est un modèle politique et une gouvernance contre-exemplaires par rapport aux objectifs de développement du Cameroun et de l’Afrique noire. Dès lors, aborder les liens incestueux, par rapport à l’idéal démocratique, que le Renouveau national entretient avec l’électoralisme et la démocratie, ne peut avoir meilleur point d’ancrage que le tableau panoramique présenté par le dernier Congrès du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Grand instant au service de l’électoralisme, ce Congrès fut en effet le lieu de confluence spatiale de tous les caciques du régime, l’espace de contraction temporelle de trente ans de Renouveau National, et l’instant de focalisation médiatique d’une masse plébéienne éberluée devant les fausses notes de la partition jouée par le chef d’orchestre Paul Biya mis en scène par lui-même pour lui-même. Ce moment de pure propagande politique fut, et c’est cela l’ironie du sort, une répétition contractée et révélatrice de la manière dont est gouverné le Cameroun depuis 1982.
Avec la tenue de ce Congrès,  le Rdpc que le Président camerounais présenta, dans le but de contrecarrer les revendications du multipartisme, comme le parti incubateur, laboratoire et facilitateur de la démocratie à la camerounaise, sortait d’une très longue période d’hibernation, à cause, non seulement d’un floue artistique volontairement entretenu par son candidat naturel, mais aussi d’obstruction de toutes les velléités progressistes et démocratiques en son sein. La démocratie que préparait le Rdpc pour tout le Cameroun est donc connue trente ans après. C’est un électoralisme où le parti n’existe que par et pour Paul Biya qui le ressuscite en période électorale pour son auto-perpétuation et le plonge tout de suite après dans une profonde léthargie une fois que l’acte de voter et le moment électoral ont joué leur rôle d’effaceurs des principes démocratiques. Le Président Biya applique donc la même stratégie sur tout le pays: la direction par le mutisme et l’absence entre deux élections présidentielles ; le fonctionnement à vide et sans résultats du pouvoir comme argument pertinent de sa longue durée; l’instauration d’une présidence à vie par invention du « candidat naturel » comme type idéal autocratique adossé sur le droit naturel censé s’imposer à tout un peuple.

« Paul Biya, le Président qui rassure » : l’électoralisme purificateur

Le temps du Congrès Rdpc, version 2011, n’a pas dérogé à la règle qui régit la propagande politique. Le logo y était omniprésent, non seulement à travers l’accoutrement des membres et de la salle qui leur servit d’arène, mais aussi à travers ce qui constitue le prolongement politique du logo, c’est-à-dire le message politique qu’il véhicule et transmet. Parmi ces messages, « Paul Biya, le Président qui rassure » fut le plus marquant. C’est celui qui mettait en relief la photo du Président sortant tapissant le mur derrière la table d’honneur des cérémonies occupée par le Prince. C’est un message qui en dit long sur « le Biyaïsme » comme électoralisme et son pouvoir purificateur et rédempteur.
En effet, lire, dans tous les médias officiels, « Paul Biya, le Président qui rassure », est très trompeur un fois mis en évidence le fait que cette grande messe du régime rassure uniquement Paul Biya lui-même et ses adeptes dans leurs approches et exercices libidineuses du pouvoir car la démonstration de force que fut ce Congrès est pour eux le signe certains que les jouissances et les réjouissances des privilèges que procure le pouvoir qu’ils détiennent vont continuer. A contrario, « Paul Biya, le Président qui rassure », se mue en véritable escroquerie politique une fois qu’on le met en résonance avec la réalité sociale vécue et les résultats réels du régime depuis 1982. Dès lors, on se rend compte qu’au lieu d’être un Président qui rassure, Paul Biya est plutôt un Président qui abandonne le Cameroun chaque année à ses problèmes pendant des centaines de jours pour s’enfermer dans sa suite de l’Intercontinental en Suisse ; un Président qui a semé le désespoir chez plusieurs jeunes frappés par le chômage massif ; un Président qui rend instable la norme fondamentale camerounaise malmenée à sa guise ; un Président qui a semé la mort en mars 2008 en autorisant des tirs à balles réelles sur la jeunesse camerounaise ; un Président dont la politique de rigueur dans la gestion et de moralisation des comportements est un fiasco mémorable ; un Président à la politique étrangère paresseuse et contrite à la politique de la chaise vide. Bref, un Président qui, à 78 ans, fuit sa retraite comme la peste et refuse une commission électorale indépendante, ne rassure pas la jeunesse. Il obscurcie son avenir en instaurant un conservatisme anti-jeunes via son projet de société éternellement en route sans bilan ni horizon fini.
Dès lors, le temps préélectoral, le temps électoral et le vote deviennent des opérateurs politiques dont le rôle est de purifier, de sanctifier et de sanctuariser « le Biyaïsme » en présentant son leader comme un homme sans histoires, sans échecs et sans sang des Camerounais sur les mains. Cela se fait par effacement symbolique de tous les méfaits du régime de l’espace public par le biais du discours qui, à travers « Paul Biya, le Président qui rassure », construit un faux contrat social entre Biya et le peuple camerounais. Autrement dit, toutes les souffrances sociales engendrées par le fourvoiement du Renouveau National entre deux scrutins présidentiels depuis 1982, ne semblent plus exister devant la mise en scène du bourreau du peuple par effets d’annonce inflationnistes. On retrouve ici toute la caractéristique du « Biyaïsme » qui fonctionne à plein régime uniquement lorsqu’il fonctionne à vide, c’est-à-dire exclusivement orienté vers une politique par le verbe et pour le verbe. D’où le fait que le Président essaie de couvrir les échecs retentissants de son régime par un recours abusif aux superlatifs, signes d’une fuite en avant propre à la politique de l’autruche. Ces superlatifs ont pour but de cacher le vide des faits et des résultats tangibles. En conséquences, non seulement les Camerounais auraient pu se contenter d’ambitions modestes effectivement réalisées, le Président leur parle incessamment « des grandes ambitions » dont l’allumage a nécessité près de trente ans de pouvoir sans compter le fait que le même retard à l’allumage sera inévitablement plus grand pour « les grandes réalisations » qui, objectivement, ne verront jamais le jour car les trente ans d’incubation « des grandes ambitions » ont largement entamé le temps des réalisations concrètes et ne seront plus donnés par la nature au Prince âgé de 78 ans.
Le moment préélectoral, le moment électoral et le vote, démontrent, à travers ce Congrès, tant le déficit de sincérité et le déni de réalité qui habitent le régime, que le ratage de son rendez-vous avec lui-même dans l’histoire du pays. Le temps du vote devient ainsi l’instant où Paul Biya, l’hypo-Président aux hypo-résultats, essaie de se transformer et de se présenter en hyper- Président aux hyper-résultats. D’où l’éternelle prématurité du « Biyaïsme » qu’atteste avec une précision métronomique le fait qu’il lui a fallu trente ans pour qu’il pense à passer aux réalisations de ce qu’il promit. Comme si, par un coup de baguette magique, le temps perdu se rattrape aussi facilement. Comme si, les vies sacrifiées et détruites par la détention du pouvoir pour ne rien en faire, étaient réversibles. Pour Paul Biya, l’électoralisme purificateur véhicule l’image suivante : « après l’accident, la police efface rapidement les traces de sang sur la chaussée ; et lorsque vous passerez un quart d’heure plus tard, vous ne saurez même pas que quelqu’un vient de mourir : l’ambulance a déjà emporté le cadavre la circulation a repris son cours comme si de rien n’était, et les enfants recommencent à jouer sur le trottoir » : C’est ainsi que « le candidat naturel » reprend ses droits sur la vie des petites gens en annihilant le réel de ses victimes.

Le complexe du salvateur : la perversion du caractère collectif du projet démocratique

Une des pièces fondamentales du « Biyaïsme » comme électoralisme est le complexe du salvateur dont souffre l’homme du 6 novembre 1982 en se targuant maintes fois d’être celui qui aura sauvé les Camerounais en leur apportant la démocratie. Non seulement cela est une ineptie une fois mise en évidence la foultitude de blocages qu’il fait à cette démocratie, mais aussi, c’est le même complexe du salvateur qui mène ledit Président à se présenter comme celui qui lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics. Il est cependant vrai qu’autant l’électoralisme est un paramètre de médiocrité démocratique, autant le complexe du salvateur y contribue en dénaturant le caractère collectif de la construction d’une société démocratique et donc de sa justice. Ce n’est pas une seule personne qui incarne la justice dans un pays comme c’est le cas au Cameroun où Paul Biya pilote et dirige l’opération Épervier à sa guise : la justice et la vertu, en démocratie, se construisent à plusieurs. Elles sont l’œuvre même du progressif et du collectif, autant de choses aux antipodes du complexe du salvateur qui caractérise notre Président à vie. Au Cameroun, nous avons un superman à la tête de l’État car il dit avoir apporté la démocratie et être actuellement dans un one man show de lutte contre « la (dé)civilisations des mœurs » que son régime a instaurée. D’où le fait que celui qui traîne le complexe du salvateur est le propre du paranoïaque car convaincu de son caractère exceptionnel alors que ses œuvres ne font que faire reculer la naissance d’un espace public démocratique en détruisant la multiplicité d’infrastructures normatives et les contre-pouvoirs qui définissent les conditions de participation démocratique au sein d’une société.

Que reste-t-il au peuple camerounais dans ce cas?

La conséquence du « Biyaïsme » comme électoralisme est le décalage colossal entre ses déclarations principielles sur l’idéal démocratique depuis 1982, et leur mise en pratique effective dans sa gouvernance. D’où, comme déjà signalé, le caractère non-exemplaire de ce système pour l’émancipation, la liberté et le progrès. Il devient plutôt, au sens machiavélique de la conception du pouvoir, un moyen efficace pour jouir toujours du pouvoir par le pouvoir et pour le pouvoir. Par voie de conséquence, la démocratie, version « biyaïste », reste purement prosaïque et se conçoit dans un éternel lexique politique comme l’aventure onirique d’un hiatus indépassable entre principes et réalités. Dès lors, le Prince ne s’est pas adossé sur le peuple mais sur l’arithmétique du peuple facile à profiler à sa guise ; le politique ne s’est pas transformé en moyen d’autonomisation et d’optimisation de l’agir citoyen mais en un mode de troncature et de constriction de celui-ci ; l’exercice du pouvoir n’a pas multiplié les chances de développement duCameroun mais l’a transformé en un pays à hauts potentiels de risques d’implosion ; aucun principe cardinal et ordinal du jeu politique n’a été inventé pour construire un lien entre élites et peuple et créer une classe moyenne qui joue l’intermédiation politico-économique entre les deux ; le vote n’est pas devenue un procédure de choix libre, informée et sincère afin d’incarner le fondement solide d’une citoyenneté camerounaise, il est plutôt devenu l’orchestration d’une parodie funeste contre le développement d’une parole apte à délibérer, c’est-à-dire à peser dans le débat public..

Le danger ici est que la conscience de classe, dans ces conditions, peut s’affaiblir étant donné que les Camerounais commencent à penser qu’ils sont à leurs places et que leurs malheurs dépendent de leurs aptitudes et talents intrinsèques pas à la hauteur de la vie bonne dont ils rêvent. Et le politique devient un magma darwiniste qui oriente la société, non vers une lutte contre « la feymania d’État » qui le mine, mais vers le souci de la réalisation stricte de soi qui tue la force collective et dérive vers « la feymania populaire ». L’anomie sociale s’installe et plonge les Camerounais dans la médiocrité venue du haut d l’État. Ce peuple est pourtant la clé de tout changement au Cameroun à condition qu’il s’indigne de ce qu’il subit et retrouve son courage, seul capable de lui redonner sa souveraineté. A ce titre, l’élite camerounaise de l’intelligence à pour rôle de continuer à interroger, à critiquer sans concessions le système oppresseur et à informer le peuple. Le peuple lui-même a le droit et le devoir d’insolence, de désobéissance et de transgression de l’état du monde que ce système a érigé en règle. Ce peuple doit continuer la lutte en se rappelant ce que Zarathoustra dit à ses disciples en son temps : « Cherchez-vous un ennemi, faites votre guerre, battez-vous pour vos pensées. Et si votre pensée succombe, que votre probité chante victoire néanmoins […] Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. On ne peut garder le silence et rester en paix que si l’on a un arc et des flèches […] la guerre et le courage ont accompli plus de grandes choses que l’amour du prochain ».
L’électoralisme n’étant pas la démocratie mais sa négation profonde, ce peuple ne doit jamais croire sa souveraineté restituée parce qu’on parle de vote et parce qu’il va voter. Alors cher compatriote vote et bats-toi encore, ne vote pas et bats-toi toujours pour ta liberté !
Thiérry Amougou
Président de la Fondation Moumié
Dernier ouvrage publié : « Le Biyaïsme, le Cameroun pris au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs », Paris,  L’Harmattan, 2011, 392 pages.