À la prison de Mbanga, les détenus ne reçoivent qu'un repas par jour, faute d'un budget suffisant. Seuls les plus nantis tirent leur épingle du jeu. Reportage Prison de Mbanga à 60 km au nord-ouest de Douala. Ce mercredi, comme tous les jours, quatre jeunes gens dont trois prisonniers s’activent autour des foyers disposés dans un hangar à l’entrée de la prison. Cinq portent de grandes marmites sous lesquelles jaillissent des flammes. Régulièrement, ces cordon-bleu sans uniformes ouvrent chaque marmite pour y ajouter de l’eau ou apprécier le niveau de la cuisson. Plus loin, une cour aussi petite qu'un stade de hand-ball a du mal à contenir ses 274 détenus, sa capacité étant seulement de 150 personnes, pour un peu plus d’une dizaine de cellules. Au centre de la cour, d’autres prisonniers cuisinent à l’aide de petites marmites sales et noircis par le feu de bois, à proximité d’un tas d’ordures. Diverses sauces, des tubercules, des bananes, des plantains, et des mets traditionnels sont au rendez-vous. "Ceux-là cuisinent pour eux-mêmes ou pour revendre. Ce sont des denrées qu'ils ont achetées hors de la prison ou amenées par des parents. Ils y sont autorisés", explique Jean Jacques Kwedi, gardien chef de prison et chef du bureau de la discipline.
Il est quinze heures et la famine se lit sur le visage de la plupart des détenus. Surtout parmi les plus jeunes, qui attendent toujours leur premier repas du jour. A cet instant, six marmites arrivent. Cinq contiennent du riz bouilli. La dernière est remplie de sauce, une sorte de liquide coloré aux feuilles de manioc, sans viande, ni poisson. Une file de prisonniers se forme à l'instant, sous le cliquetis des plats, des cuillères et des fourchettes.
Selon que vous êtes riche ou pauvre Comme pour toutes les autres activités de la prison, le moment du repas a ses règles. Un détenu tient en main une liste des pensionnaires qu'il lit par cellule. A la lecture d’un nom, l'intéressé se présente devant l’équipe chargée de la distribution, reçoit sa ration de riz dans un plat, et la sauce dans un autre. Certains reçoivent le tout dans un seul et même plat. Les quantités servies ne sont pas les mêmes pour tous "Les mineurs et les malades étant plus fragiles, nous avons expressément demandé que leurs quantités soient un peu plus importantes", justifie Jean Jacques Kwedi.
Cependant, il y a des cas où des détenus corrompent les serveurs pour être mieux servis. "Cela se fait de manière subtile, au point où il est difficile de s’en apercevoir, reconnaît Eyong Simon Enow, régisseur de la prison de Mbanga. Mais chaque fois que des prisonniers se plaignent, nous rappelons les auteurs à l’ordre". Faute de réfectoire, les détenus rentrent dans leurs cellules pour manger. Faute d'espace, ils s’entassent ainsi parfois jusqu’à 80 dans un espace de moins de 50 m2.
Les détenus absents parce que partis au tribunal ne sont pas oubliés. "Nous avons ici un détenu qui joue le rôle de premier ministre dans le gouvernement de la prison. C’est lui qui reçoit la nourriture des absents et la leur remet dès leur retour", précise l'homme occupé à faire l’appel. D’autres détenus, vendeurs de circonstance, assis non loin, proposent au même moment des sauces à des prix à la portée des prisonniers. L'un d'eux explique : "Plusieurs prisonniers refusent de manger cette eau colorée appelée sauce qu’on sert et viennent se ravitailler chez nous qui proposons de vraies sauces avec du poisson ou de la viande. Nous les servons alors en fonction de leur poche".
Les pensionnaires démunis n'ont que cette seule ration journalière. Ceux qui ont de l'argent pour le faire complètent leur repas auprès des vendeurs de nourriture. Cependant, logés dans des cellules spéciales, les détenus plus nantis cuisinent dans leurs chambres. Ils offrent leur part de ration alimentaire à des protégés contre de petits services. Pourquoi la ration alimentaire est-elle si maigre? "La dotation de six millions de Francs cfa que nous recevons tous les semestres pour la prise en charge des détenus est insuffisante pour bien les nourrir, répond le régisseur. Nous nous contentons du peu qui peut les maintenir en vie et en bonne santé". Conscient, le gouvernement leur accorde souvent des crédits supplémentaires. Mais depuis quelques années, cette rallonge tarde à leur parvenir.
Charles Nforgang (Jade)