Plus de trois ans en prison sans jugement
Détenu depuis trois ans à la prison de New Bell, Joshua Mbah n'a jamais été jugé. Sa requête de libération en Habeas corpus a été rejetée, au motif qu'il a toujours décliné les convocations des juges. En cause, l'absence de conseils et le mauvais système de notification aux prisonniers.
Accusé de vol aggravé, Joshua Mbah est incarcéré depuis le 16 novembre 2007 à la prison de New-Bell à Douala. Il souffre depuis quelques temps d'une hernie à un stade très avancé qui aurait nécessité une opération, mais attend toujours la décision des autorités. La mine toujours triste, il est moins stressé par cette maladie que par le sort qui lui est réservé depuis son incarcération. "Je suis dans cette prison depuis plus de trois ans, alors que je ne suis même pas condamné. Durant tout ce temps, je n'ai jamais été convié à me défendre auprès d'un juge", se plaint-il, les yeux larmoyants.
"Une situation inacceptable, affirme l’avocat Éric Nachou Tchoumi. A l'expiration de la durée de la détention provisoire, qui est de six mois et peut être prorogée au plus deux fois, le suspect doit être relâché comme l’exige la loi".Selon lui, aucun motif légal ne saurait être invoqué pour maintenir en détention le prévenu, après le délai prévu dans le mandat de détention provisoire.
Refus de se présenter
Les autorités pénitentiaires et les juges réfutent les allégations de Joshua Mbah. "Il a été convoqué plusieurs fois devant le juge d'instruction. Il ne s'est jamais présenté", soutient Henri Atangana Mbazoa, juge d'instruction auprès du Tribunal de grande instance du Wouri. Selon un registre de ce tribunal, son mandat de détention provisoire a été prorogé une fois de six mois, le 13 mars 2008, et est expiré depuis le mois de septembre de la même année. "Ce sont les multiples absences de Josua Mbah au Tribunal qui ont motivé cette prorogation, dans le but de lui permettre d'être jugé comme le veut la loi", justifie le magistrat. Sans l'avoir rencontré, le tribunal a poursuivi l'enquête préliminaire. Le registre du Tribunal de grande instance du Wouri indique que la phase d'instruction a finalement été close en mars 2011. L'affaire de l'inculpé a alors été renvoyée devant la juridiction de jugement.
Une fois derrière les barreaux, la plupart des détenus pauvres des prisons camerounaises, à l'instar de Joshua Mbah, ne sont pas au courant de la suite accordée à leurs affaires : ils n'ont pas d'avocats et sont pénalisés par le système de notification des détenus invités à se présenter devant les juridictions, en vigueur dans les prisons. En effet, une fois l'avis d'extraction reçu des différents tribunaux, les autorités des prisons se chargent certes d'informer les concernés, mais par des voies souvent peu efficaces. "A l'intérieur de la prison, nous affichons les noms des détenus concernés par les mandats d'extraction pour les tribunaux, et, le matin, nous procédons à l'appel de leurs noms", explique Dieudonné Engonga Mintsang, le régisseur de la prison de New Bell à Douala. Il soutient que cette technique est efficiente. "Après plus d'une convocation des magistrats, la probabilité qu'un inculpé ne connaisse pas la notification de son mandat d'extraction est inexistante, sauf en cas de maladie". Selon le régisseur, outre les malades, deux catégories de détenus ne répondent souvent pas aux convocations des instances judiciaires : les prévenus fatigués des nombreux renvois et ceux suspectés de crime. Ces derniers, qui encourent des peines d'emprisonnement d'au moins 10 ans, préfèrent feindre d'ignorer qu'ils ont été invités à comparaître devant les juges, afin d'introduire une requête en habeas corpus pour être libéré à l'expiration du délai légal de leur détention provisoire, explique le responsable du pénitencier. "La loi ne nous autorise pas à extraire un prisonnier sans son consentement", justifie-t-il.
Habeas Corpus
Ne sachant pas qu'il avait déjà été convoqué plusieurs fois par des juges, Josua Mbah a introduit une requête en habeas corpus le 25 avril dernier, pour être libéré immédiatement, faute d'une décision de justice qui le condamne à une peine d'emprisonnement. Pauvre, incapable de se payer les services d'un avocat, sa requête a été rédigée par l’un de ses compagnons de prison et adressée à la présidente du Tribunal de grande instance du Wouri. Dans cette demande, il explique l’illégalité de sa détention provisoire. Sa requête a été rejetée par les magistrats. Selon Thomas Roger Ntomb, le juge de l'affaire en Habeas corpus, cette demande était infondée. "Après vérification, nous avons constaté que le prévenu avait déjà été convoqué deux fois aux audiences publiques. S'il s'était présenté devant les magistrats, il aurait déjà été jugé", explique t-il. Des allégations que conteste l'avocat Éric Nachou Tchoumi qui soutient la libération inconditionnelle de Joshua Mbah. Pour lui, renvoyer ce suspect devant les tribunaux, après plus de trois ans de prison sans jugement, est un abus. "Le renvoi devant la juridiction de jugement en ce moment, ne peut en aucun cas couvrir le vice lié à l'illégalité de la détention de Joshua Mbah", précise t-il. Suite au constat des multiples absences de Joshua Mbah aux convocations du juge d'instruction, conclut l'avocat, il aurait dû être jugé par défaut avant l'expiration de son mandat de détention provisoire. Le malade continue de croupir en prison en attendant une prochaine convocation devant les juges.
Anne Matho (Jade)