Une main d’œuvre pénale appréciée
Des détenus de Yabassi vivent de la corvée
Les corvées payantes permettent aux détenus de la prison principale de Yabassi de gagner leur autonomie financière. Une initiative qui rejoint les règles minimales de détention des Nations Unies.
Dans la cour de la prison principale de Yabassi, les détenus discutent de tout en cet après midi ensoleillé de fin novembre. Efanwa Charles de Gaulle se distingue par son franc parler. Ses codétenus s’éclipsent quand on évoque la corvée. Lui, non ! Au contraire, il prend les devants. "Le partage des retombées des corvées n’est pas toujours égal et cela amène parfois des disputes entre les corvéables. Certains veulent gagner plus que d’autres alors que nous avons fait le même travail. A mon avis, ce sont les chefs qui entretiennent ce désordre parce qu’ils laissent faire", tranche le détenu, avant de tempérer ce point de vue en saluant le caractère libre de l’activité. "On travaille vraiment selon nos forces; on ne fait pas des travaux pénibles. On n’impose pas la corvée : si tu ne te sens pas bien, tu le dis au chef et on te laisse au repos",s’empresse-t-il d’ajouter.
Du pain quotidien
Grâce aux corvées, Boteng est de moins en moins dépendant financièrement de sa famille qui lui rend, de temps en temps, visite en prison. "La corvée permet à chacun de nous de gagner son pain quotidien. Avec l’argent qu’on nous donne quand nous sortons, j’achète souvent des objets de toilettes comme le savon. Je mets le reste de côté. Parfois, on nous donne de la nourriture, des vêtements... En général, le travail consiste à défricher et à sarcler les champs; ce n’est pas dur", raconte ce détenu.
Selon Romuald Ngalani, régisseur de la prison centrale de Yabassi, il existe deux types d’intervention de la main d’œuvre pénale : "les corvées surveillées, effectuées par les prévenus et les femmes à l’intérieur et aux alentours de la prison, et les corvées dites payantes lorsqu’un cessionnaire sollicite l’embauche de détenu pour nettoyer sa plantation ou pour effectuer un travail spécifique", explique le régisseur. Dans ce dernier cas, le cessionnaire devra verser une somme de 2 000 Fcfa à l’administration de la prison qui met à sa disposition cinq détenus escortés par un gardien. Ce prix peut être revu à la hausse s’il faut mobiliser un détenu pour accomplir un travail technique.
Des profits et des risques
Dans ses règles minima de traitement des détenus, les Nations Unies recommandent que le travail pénitentiaire n’ait pas "un caractère afflictif". Ce travail doit être, ajoute le texte, "dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter la capacité des détenus de gagner honnêtement leur vie après leur libération". En respectant cette disposition, la prison principale de Yabassi allie profit et respect des droits de l’Homme puisqu’elle verse mensuellement au Trésor Public 30 000 Fcfa représentant les revenus des corvées payantes. Un exploit !
Devenir corvéable à la prison de Yabassi n’est pas une sinécure. À l’exception des femmes et des prévenus concernés par les corvées internes, les autres détenus doivent répondre à certains critères pour être éligibles aux corvées externes. "Après avoir été condamné, il faut avoir déjà purgé les deux tiers de sa peine et avoir une moralité acceptable parce que c’est un processus de réinsertion sociale. Si le détenu remplit ces critères et qu’il n’est pas discipliné, il n’est pas admis à la corvée", explique le régisseur. En dépit de ces précautions, les déceptions ne manquent pas. Il y a quelques années, deux détenus ont pu ainsi échapper à la vigilance du gardien, pendant la corvée. Des années plus tard, les risques d’évasion sont permanents parce que, estime le régisseur, les corvéables s’approvisionnent en stupéfiants forts comme le chanvre indien lors de ces sorties.
Des ouvriers moins chers
À Yabassi, la main d’œuvre pénale rencontre du succès auprès des paysans confrontés depuis peu à un problème de recrutement. "Ici, les jeunes n’aiment pas travailler. Quand bien même vous les sollicitez, ils acceptent mais après ils ne viennent pas. Parfois, ils prennent de l’argent et disparaissent. L’initiative de la prison nous aide énormément à éviter ce genre de déceptions", explique Emilienne Ekoum, cultivatrice, ancienne député du département du Nkam. "La main d’œuvre locale est plus chère parce qu’elle est rare. Ceux qui sont disponibles demandent plus d’argent. Parmi les prisonniers, il y en a qui travaillent bien. D’autres ne savent pas manier la machette parce qu’ils ne l’ont jamais fait. Mais on préfère quand même ce genre d’ouvriers", renchérit Baudelaire Yombock, cultivateur.
Certains paysans sont toutefois découragés d’y faire appel, estimant trop onéreux l’entretien des détenus. "Pour prendre un détenu à la journée, il faut réserver au moins 5 000 Fcfa. Car, après la réservation à la prison, le bénéficiaire doit prévoir les beignets, la nourriture, la cigarette, les jetons de présence et même parfois des vêtements à donner aux détenus", relève Ngoloko Rose, une cultivatrice qui vient d’expérimenter pour la première fois, la force de travail des prisonniers. Compatissante, elle conclut : "Ils méritent d’être encouragés parce que ce sont des êtres humains comme nous, et, demain, nous pouvons nous retrouver à leur place."
Christian Locka (Jade)