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Lettre ouverte à Jean-Baptiste Placca

Lettre ouverte à Jean-Baptiste Placca

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Index de l'article
Lettre ouverte à Jean-Baptiste Placca
Tout ce qui n’est pas analphabète…
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Votre chronique révèle un faux monnayage intellectuel
Monsieur,
J’ai pris connaissance du contenu de la chronique lue le samedi 26 mars 2011 sur les antennes de Radio France Internationale (Rfi) et publiée ce même jour sur le site de la « radio mondiale ».
D’emblée, je dois préciser que je ne vous écris pas pour vous donner  «les critères [qui] définissent précisément l’intellectuel » en Afrique. Je n’écris pas non plus pour donner un contenu à ce concept, n’ayant aucune envie d’avoir à justifier de la capacité ou de la qualité pour le faire. Des auteurs et penseurs d’envergure (Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga, Le Père Engelbert Mveng, Le Père Hebga, Paulin Houtoundji, Michel Foucault, Raymond Aron, Sartre, Luc Ferry, V.Y. Mudimbe, Achille Mbembe, Célestin Monga, Ambroise Kom, Mongo Beti, Pierre Bourdieu, Jürgen Habermas, Jacques Derrida, Mireille Delmas-Marty, Levi-Strauss, Hannah Arendt, que sais-je encore !.) ont déjà conceptualisé cette notion, même si avec des approches diverses. Les médias et revues tels que Terroirs, Marianne, Le Nouvel Observateur, Libération, Le Monde, Le Monde diplomatique, Manière de voir, Historia, Le Magazine littéraire, Sciences humaines, Esprit, Politique africaine, Sociétés africaines et diaspora, Alternatives sud etc., ont déjà permis de construire le sens de ce concept et de bien d’autres afin que d’idées vagues ils deviennent des objets et des outils de la pensée. Paul N’Da a publié en 1987 aux éditions L’Harmattan, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique noire. Michel Winock a même obtenu le Prix Medicis en 1997 après avoir publié Le Siècle des intellectuels aux éditions du Seuil. Michel Leymarie et Jean-François Sirinelli de leur côté ont coordonné un ouvrage sur L’histoire des intellectuels, publié aux éditions PUF en 2003. Ce ne sont là que les écrits les plus récents sur la question. C’est dire s’il suffit de se donner la peine de lire un tout petit peu pour savoir ce que c’est qu’un intellectuel et partant, ce que c’est qu’un intellectuel en Afrique. Je suis convaincu que dans leurs écrits, ils n’ont jamais affirmé que de grands diplômés et/ou des individus qui ne sont pas analphabètes sont forcément des intellectuels, pour reprendre vos propos, ni d’ailleurs qu’un analphabète, cela dépend du sens, ne saurait en être un.

C’est bien beau, Monsieur Placca, de stigmatiser les prises de position de ceux que vous taxez avec condescendance d’« intellectuels outrés », de mauvaise foi qui « convoque[nt] le panafricanisme au secours des causes les plus problématiques » et de vous ériger en porte-parole des « Africains [qui] ont besoin de savoir d’où parlent les intellectuels ». Aussi, je vous retourne la question : d’où parlez-vous ?

Vos prises de position sur les multiples crises en Afrique, principalement sur la crise ivoirienne et l’agression de la Libye par les forces au service de l’impérialisme marchand, n’étonnent plus grand monde sur le continent. Elles se confondent si souvent avec la position officielle de la France relayée par Rfi qui paye vos piges que l’on se demande pourquoi vous n’avez pas encore le titre officiel de porte-parole. C’est la raison pour laquelle vos propos donnent souvent l’impression d’être ceux d’un homme qui a mal à sa conscience, pour ne pas dire ceux d’un homme aux prises avec sa propre raison. Je ne convoquerai pas ici l’Illustre Frantz Fanon, auteur de Peau noire masques blancs, pour comprendre votre position.

Mais, vous ne me démentirez pas si je vous le rappelais :  (1)Rfi fait partie l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), holding chapeautant France 24 (Société privée détenue à 50/50 par TF1 et France Télévisions), RFI-Monte Carlo Doualiya et 49 % de TV5Monde, dirigé par Christine Ockrent directrice générale déléguée et Alain de Pouzilhac (président directeur général); (2) « La radio mondiale » est chargée, au même titre que France 24 et TV5Monde, de « contribuer à la diffusion de la culture et des valeurs françaises et francophones dans le monde » et, par ricochet de soigner l'image de la France et de soutenir la politique française à l'extérieur.

Toutes ces chaînes nous disent que leur travail s’appuie sur des valeurs telles que  « l’honnêteté, l’indépendance, l’analyse, la rigueur, le respect, l’écoute, l’esprit d’équipe, l’humilité, la modernité et l’exigence ». Dans la pratique hélas, le traitement qu’elles font des informations relatives à certaines crises africaines dans lesquelles la France est impliquée, et au comportement de certains despotes africains soutenus par la France officielle est loin d’illustrer une si belle profession de foi.
Venons-en à cette résolution 1973 adoptée au forceps le 18 mars par le Conseil de discipline de ce machin dénommé ONU, sous prétexte de « protéger les populations civiles ».

Monsieur Placca, de quelles populations civiles parlez-vous donc avec tant d’emphase? Se pourrait-il qu’il s’agisse de ces populations « civiles  armées » que nous montrent les chaînes de télévision occidentales ? Y a-t-il à vos yeux une différence entre ces « populations civiles armées » et celles qui se sont illustrées dans les mouvements en Tunisie ou en Égypte ? Votre réponse à cette question est, j’imagine, non. Pour vous, ce ne sont pas des rebelles qui doivent être traités comme tels.

Au nom de quelle morale, dites-moi, les puissances impérialistes, la communauté des intérêts dite « communauté internationale », sous prétexte de démocratie et de « devoir d’ingérence » ou de « responsabilité de protection de civils en danger » doivent-elles partir en « croisade » (dixit Claude Guéant, ministre français de l’Intérieur) contre les États souverains, tuer, piller et faire main basse sur les ressources du continent africain après avoir pris soin d’installer à la tête des États qui le constituent des potiches à leur solde ? Pourquoi ces puissances impérialistes et néocoloniales ne coalisent-elles pas pour bombarder et tuer les Israéliens et détruire leurs installations militaires, eux qui sont devenus les parangons les plus achevés de la violation des résolutions onusiennes et qui semblent avoir besoin de tuer au quotidien une quantité de civils palestiniens comme un drogué a besoin de sa dose d’héroïne ? Pourquoi n’ont-elles pas coalisé pour bombarder les États Unis et le Royaume Uni qui, sous de fallacieux prétextes, ont bombardé et tuer des milliers de civils irakiens ? Pourquoi ne pensez-vous pas que ces puissances destructrices veulent simplement se débarrasser des satrapes qu’ils ont soutenus hier contre leur peuple afin de les remplacer par d’autres potiches qu’ils tiendront en laisse tout en leur permettant d’administrer à leur peuple un vernis de démocratie et de liberté ? Pensez-vous honnêtement, si ce mot veut encore dire quelque chose pour vous, que la démocratie telle qu’elle est théorisée et vécue en Occident est exportable en Afrique et dans le monde arabe ? N’est-il pas curieux, pour dire le moins, que l’homme très informé que vous semblez être ne se doute point de ce que le conflit contre Kadhafi puisse être une aubaine pour les marchands d'armes, principalement pour la France dont le nouvel avion, le Rafale, n'arrive pas à se vendre depuis son entrée en service, comme il se murmure dans certains cercles ?

Mais aussi, pourquoi les médias français, si prompts, impertinents et incisifs dans le scandale Woerth-Bettencourt ; les faux pas à répétition et les justifications désastreuses de Michèle Alliot-Marie alors ministre des Affaires extérieures et européennes dans l’affaire tunisienne ; les bévues monumentales, les dérapages langagiers d’adolescent en pleine crise de puberté et l’amateurisme diplomatique de M. Nicolas Sarkozy, pourquoi dis-je, ces médias sont-ils devenus si mous, muets, si pusillanimes, voire complices des drames et intriques qui se nouent en ce moment en Afrique ? Pourquoi n’enquêtent-ils pas avec la même pugnacité sur la révélation faite par le fils de Kadhafi sur le financement occulte de la campagne électorale de M. Sarkozy ?

La réponse à ces questions est simple et évidente : ils ne veulent pas fragiliser leur « voyou de la République », selon les termes de l’hebdomadaire Marianne, devenu subitement « conquérant » qui veut s’accaparer les ressources naturelles de certains pays du continent  africain afin d’assurer le bien-être d’une caste de capitalistes et des membres du CAC 40.

D’aucuns vont jusqu’à faire un parallèle entre les situations ivoirienne et libyenne. Certains dictateurs et despotes africains, suppôts de la France officielle et vous êtes certainement conscients de l’ampleur de la responsabilité de cette France dans la situation actuelle de la Côte d’Ivoire, elle qui a financé et armé les rebelles, refusé d’appliquer les accords de défense la liant à la Côte d’Ivoire quand l’État ivoirien et son chef d’État légitime avaient été attaqués, elle qui a bombardé et détruit les installations militaires ivoiriennes, favorisé la scission de ce pays en deux, organisé le holdup électoral après le second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, exfiltré Youssouf Bakayoko, président de la CEI pour le loger dans un hôtel huppé à Paris aux frais du contribuable français, simplement parce que le président Laurent Gbagbo n’est pas l’homme pouvant agir à sa convenance.

C’est un secret de polichinelle : les ennuis du président ivoirien, ridiculement et comiquement qualifié de « président sortant » par certains médias occidentaux et africains à la solde des intérêts occultes,  alors que le processus électoral ivoirien est arrivé à son terme après la proclamation des résultats par le conseil Constitutionnel, ont commencé à partir du moment où, après son arrivée au pouvoir, il avait décidé d’ouvrir le marché national ivoirien à d’autres investisseurs. Colette Braeckman, dans Le Monde Diplomatique de septembre 2004 fait observer : « Les perspectives économiques sont jugées bonnes par la Banque mondiale, qui promet de nouveaux crédits, la Côte d'Ivoire semble se redresser. C'est alors que le président Gbagbo prend la décision d'aller plus loin : il veut ouvrir le marché national, car il estime que son pays ne doit plus être la chasse gardée de la France. De telles intentions provoquent des inquiétudes à Paris. En Côte d'Ivoire en effet, les intérêts français représentent un tiers des investissements étrangers et 30 % du produit intérieur brut. Dans chaque ministère, un conseiller français veille au grain, et les grands groupes (Bouygues, Bolloré, EDF, Saur et autres) sont habitués à se voir attribuer les contrats sans devoir affronter la concurrence internationale, tandis que la Société générale, la BNP et le Crédit lyonnais dominent sans partage le secteur bancaire. De plus, lors des campagnes électorales en France, les partis politiques de droite comptent traditionnellement sur les financements venus d'Afrique. […] Le président Gbagbo, lui, ne respecte pas les règles du jeu tacites : il fait entrer des Américains dans la filière cacao (Cargill, ADM), met en concurrence, notamment pour le troisième pont d'Abidjan, les offres françaises et chinoises (deux fois moins chères), menace de retirer à Bouygues les concessions d'eau et d'électricité. Véritable décolonisation économique, cette politique néglige le fait que la contrepartie des retours financiers vers l'ex-métropole, c'était la stabilité : le fameux pacte de défense passé avec la France, qui a installé à Port-Bouët le 43e Rima, avec pour mission de défendre la Côte d'Ivoire contre toute menace extérieure. Durant des décennies, cette assurance avait permis au pays d'investir plus dans le développement que dans les dépenses militaires.
C'est pourquoi, le 20 septembre 2002, les premiers succès de la rébellion surprennent tout le monde.»

Les panafricanistes, figurez-vous, ne sont pas dupes. Ils gardent à l’esprit ce désaccord entre M. Jacques Chirac alors président de la République française, et Lionel Jospin son premier ministre, au sujet de la Côte d’Ivoire, désaccord qui permet de comprendre la situation ivoirienne. L’ex-premier ministre socialiste écrit dans l’ouvrage Lionel raconte Jospin paru aux éditions du Seuil en 2010 : « Le deuxième désaccord formel a concerné la Côte d’Ivoire et il s’est réglé au cours d’une série d’échanges au téléphone avec Jacques Chirac, car j’étais alors en Égypte. Le président de la République voulait tout simplement envoyer la Gendarmerie française dans ce pays pour rétablir le président d’alors dans son poste ! Les bras m’en sont tombés ! J’ai dit non. »

M. Sarkozy, président bling-bling selon les médias français, n’est-il pas en train de vouloir atteindre les mêmes objectifs que ceux fixés par M. Chirac ? Ce président d’alors que M. Chirac voulait rétablir dans son poste n’est-il pas aujourd’hui dans le « bon camp », celui des Anges et Archanges, aux yeux de la France officielle?

Monsieur Placca, est-ce cette « Autre Afrique », l’Afrique des lâches, des défenseurs des intérêts étrangers, des commissionnaires, pantins et potiches, des fondés de pouvoir, des buvards qui gobent, sans effort d’analyse critique, comme des paroles d’Évangile, des « vérités » sur l’Afrique ressassées à longueur de journée et d’année par des médias enrégimentés, ces médias machines de guerre, qui militent pour les intérêts de leur pays, est-ce dis-je cette « Autre Afrique » que vous souhaitiez en lançant un éphémère hebdomadaire panafricain du même nom, j’ai nommé L’Autre Afrique ?

Ne pensez-vous pas que le moment est venu pour que l’Afrique devienne son propre centre?
Les évènements en Côte d’Ivoire, les révélations de François-Xavier Verschave, d’Odile Tobner, de Patrick Benquet (Françafrique: (1) Raison d'État et (2) L'Argent roi), de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jaco Tatsitsa, auteurs de Kamerun: Une guerre cachée à l’origine de la françafrique, la liquidation des nationalistes camerounais (Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Osende Afana), les massacres à grande échelle perpétrés par l’armée française en régions bassa’a et bamiléké au Cameroun, la guerre du Biafra, les diamants de Bokassa, l’action du mercenaire Bob Denard, les coups d’État à répétition, les assassinats politiques, l’affaire Elf et ses valises de billets, le licenciement de Jean-Marie Bockel, la nomination d’Alain Juppé au ministère français des Affaires étrangères et européennes, les massacres en Libye au nom de l’impérialisme marchand, le maintien à la tête des États africains francophones des potiches dévoués à la France, etc., ne vous donnent-ils pas à penser sur la politique occulte de la France en Afrique dont l’objectif majeur a été et est de faire main basse sur les ressources naturelles du continent afin d’assurer l’approvisionnement de la France en énergie ? Non, évidemment.

Ce qui m’impressionne dans votre manière de vous exprimer, c’est le courage que vous avez à ne pas nommer ces intellectuels qui volent « au secours des causes problématiques ». Pourquoi parlez-vous à la cantonade dans votre chronique? La réponse m’est fournie par cet enseignement d’Amadou Hampâté Ba : « quand un homme insulte ses ennemis sans les nommer, il se retranche derrière l'anonymat pour éviter qu'un ennemi lui demande des comptes ». Mal vous en a pris, Monsieur, puisque nous autres Africains, intellectuels ou non, qui avons refusé l’exil alimentaire, ne l'entendons plus de cette oreille. Nous sommes décidés à mettre en application les enseignements de l'auteur de L'étrange destin de Wangrin, selon lesquels dans un duel,  « quand  un homme malpropre au moral et au physique te donne dans l'ombre un coup de pied, il faut lui en donner dix publiquement, sinon le salaud ira dire partout que la nature t'a privé de membre pour répondre».

Monsieur Placca, permettez que je convoque de mémoire le philosophe Fabien Eboussi Boulaga pour préciser certains aspects de la démocratie que vous semblez défendre pour m’interroger sur votre manière de traiter l’information en ce qui concerne certains pays africains. Sous l’angle anthropologique, nous enseigne le philosophe africain, on peut dire que la démocratie est un ensemble d’idées, de croyances et principes relatifs à la liberté, institutionnalisées et actualisées par des pratiques, des procédures et des comportements éprouvés par l’expérience politique et le temps. Autrement dit, le lien qu’instaure la démocratie n’est ni parental ni culturel. Elle capitalise les expériences et les pratiques historiques de la liberté, c’est-à-dire des actes par lesquels l’homme se pose et s’institue comme humain, mieux l’ensemble des droits inaliénables à être humain, parmi lesquels le droit à la liberté de pensée, de conscience ; le droit à la liberté d’opinion et d’expression. C’est dire si l’un des critères de la démocratie est l’information complète, dans les limites de temps raisonnables, de tous les membres d’une communauté historique, qui doivent avoir les mêmes et réelles possibilités de s’informer, sur les différentes politiques possibles et leurs conséquences prévisibles.

Au regard de ce qui précède, et compte tenu du traitement partiel et partial de l’information par le média auprès de qui vous monnayez votre littérature si peu épicée, vous comprendrez pourquoi de nombreux Africains souhaitent que les employés - journalistes et autres personnels - de Rfi lancent le plus souvent possible et suivent massivement des mots d’ordre de grève – illimitées pourquoi pas ? – afin de soulager leurs oreilles des mensonges, travestissements et manipulations diverses.

Monsieur Jean-Baptiste Placca, permettez que je parle comme vous. Vos prises de position très problématiques, vos manières qui puent si bien l’hypocrite, visent à brouiller nos repères. Parce que votre quotidien dépend certainement un peu trop de l’Occident à travers ses médias, votre argumentation donne l’insupportable impression que le sort des peuples africains dépend des étrangers et des impérialistes marchands.  Votre possible pour l’Afrique est une abstraction vide. L’Afrique à laquelle vous revenez malgré vous, contre laquelle on vous projette est de plus en plus abstraite, imaginaire, « virtuelle » pour vous, « dans la mesure où son mode d’existence et sa base matérielle sont devenus ceux du maître ou de l’ancien maître, où ses intérêts sont en liaison de plus en plus étroite avec ceux de l’ancien maître. Dans la négation de la négation de soi que représente ce retour, c’est l’intériorisation de la dépendance qui s’accomplit; par rapport à la masse et à ses valeurs, malgré la nostalgie et le jeu de l’unité perdue, la rupture se consomme. Et logiquement, la négation de la négation de soi fait place à l’affirmation d’un sujet qui cherche ses attributs, ceux de l’homme en général, à travers l’allégation [de la démocratie],  de la liberté, l’idéologie du développement, de l’État et de l’efficacité » (Fabien Eboussi Boulaga, La crise du Muntu, Paris, Présence africaine, 1977, p.18).

L’Afrique - vous avez tort de penser ainsi - est un univers complètement saturé et figé, peuplée de demeurés dont la mémoire collective a été bien encadrée et qui ont une perception négative des luttes héroïques de leurs aïeux et inspirateurs que sont Chaka, Soundjata Keita, Samory le Malinké, Toussaint Louverture, le Negusse Negest Menelik II, Patrice Lumumba, Martin Lutherking, Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Thomas Sankara, j’en oublie certainement. Pensant ainsi, vous vous alignez mécaniquement, comme la belle mécanique que vous semblez être devenu, derrière les positions de M. Sarkozy qui déclarait, le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar (Sénégal), moins de quatre mois après son entrée en fonction, que : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.

Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne, mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. »

Vous défendez les positions néocolonialistes et impérialistes avec l’ardeur d’un Don Quichotte écervelé.

Que conclure de ce voyage ? Votre dénonciation a fonctionné sur la base des présupposés idéologiques et de vos intérêts alimentaires immédiats. Elle s’achève par ce qui a toute l’apparence d’une ignorance d’autant tragique qu’elle ne peut être que voulue. Il n’y a pas pire ignorant que celui qui refuse d’apprendre. Le plus surprenant, c’est la révélation d’un faux-monnayage intellectuel doublé d’une mauvaise foi manifeste avec, en toile de fond, ses procédés cyniques et machiavéliques. Vous auriez pu vous départir de fausses richesses afin de redécouvrir la réalité africaine dans sa simplicité native et de parler comme Saint-John Perse, auteur de Exil (œuvres complètes publiées chez Gallimard en 1972) :

« Les mains plus nues qu’à ma naissance et la lèvre plus libre, l’oreille à ces coraux où git la plainte d’un autre âge. Me voici restitué à ma vie natale…Avec l’achaine, l’anophèle, avec les chaumes et le sable, avec les choses les plus frêles, avec les choses les plus vaines, la simple chose, la simple chose que voilà, la simple chose d’être là, dans l’écoulement du jour […] Il n’est d’histoire que dans l’âme, il n’est d’aisance que de l’âme. Et c’est l’heure, ô poète, de décliner ton nom, ta naissance, et ta race »

Cordialement !

Jean-Bosco Talla

Directeur de la publication de Germinal


Tout ce qui n’est pas analphabète… À force d’entendre convoquer le panafricanisme au secours des causes les plus problématiques, nos repères se brouillent. Les intellectuels africains – et c’est justice – s’invitent de plus en plus dans l’actualité politique du continent. Mais l’argumentation de certains d’entre eux donne parfois l’insupportable impression que le sort des peuples peut être moins important que celui de leurs dirigeants.

La résolution adoptée le 18 mars par le Conseil de sécurité des Nations unies visait à protéger la population civile contre les attaques de l’armée du colonel Kadhafi. Jusque-là, ils étaient bien silencieux, les intellectuels africains, face au sort de ce peuple vaincu par ses propres dirigeants.
À peine la coalition s’est-elle mise à détruire la machine de guerre du pouvoir libyen que certains, retrouvant de la voix, se sont mis à crier au colonialisme, sans nous dire ce qu’il aurait fallu faire pour soustraire les populations au courroux du « frère Guide». À les entendre, on croirait bien que tous ces chars calcinés, stoppés dans leur course par les bombardements, se dirigeaient vers Benghazi pour le carnaval de la Cyrénaïque !
La mode, aujourd’hui, est d’aller faire du panafricanisme à bon marché dans des pays qui ne sont pas le vôtre, sur les souffrances d’autres peuples. En décembre 2010, notre confrère Venance Konan s’en était pris violemment à ceux qui, sous le label d’intellectuels africains, allaient dire aux Ivoiriens quelle imposture leur convenait. Il suffit, parfois, de transposer dans son propre pays la cause que l’on prétend défendre chez les autres, pour apprécier si l’on est ou pas dans la droiture.
Dans le bal des intellectuels outrés auquel nous assistons, il y a, certes, ceux qui s’offusquent de bonne foi. Mais il y a aussi ceux qui croient sauver ainsi quelques petits intérêts personnels. Voilà pourquoi, au-delà des apparats, les Africains ont besoin de savoir d’où parlent les intellectuels. Car leurs engagements présents ou passés peuvent éclairer sous un tout autre jour les poussées panafricanistes des uns et les saillies éblouissantes des autres.
Lorsque seront retombées les passions, les intellectuels africains devraient engager une réflexion collective sur la décence que doit inspirer à tous la soif de liberté des peuples. A l’occasion, ils nous diront quels critères définissent précisément l’intellectuel, sur ce continent, afin que l’on cesse de faire croire aux Africains que tout individu qui n’est pas analphabète est un intellectuel.
Jean-Baptiste Placca
Source : www.rfi.fr

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