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Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence

Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence

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Index de l'article
Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Quelques réflexions sur la notion de communauté internationale
La communauté internationale est-elle gardienne des élections présidentielles africaines ?
Communauté internationale et reconnaissance de gouvernement
Crises politiques en Afrique : Le Cas de la Côte d’Ivoire
Côte d'Ivoire : la démocratie au bazooka?
Au-dela de Gbagbo : L’Afrique
Au-dela de Gbagbo, L’Afrique et les tiers-monde de demain
Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence
La face cachée de la
Ces hommes politiques adoubés par la
Communauté internationnale et les crises politiques au Cameroun de 1948 à jours
Quelle place et quel rôle pour l'Onu au sein de la communauté internationale?
Jusqu'où peut on avoir confiance en l'Onu?
Révolution arabe: quel impact sur le nouvel équilibre mondial?
Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée
L’Afrique entre Révolution et manipulations
Toutes les pages

Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence
Dans la lutte pour l’hégémonie mondiale(1), les puissances politiques dominantes(2) et les principaux groupes de résistance(3) mobilisent plus ou moins efficacement les moyens en leur possession, notamment les moyens médiatiques(4), en vue de s’assurer la suprématie ou une position de choix à l’échelle mondiale. Dans ce combat plusieurs fois séculaire(5), les opinions publiques(6) ciblées par les différentes entités (dominantes et dominées) qui s’affrontent ont un rôle souvent déterminant(7) quant à l’issue de la bataille. Pour garantir autant que possible l’adhésion de ces opinions à une ligne politique, idéologique, sociale ou culturelle donnée ces entités exercent une influence plus ou moins forte sur les médias de masse les plus usités, notamment la télévision et les réseaux sociaux de communication internet.
En effet, le 20ème et le 21ème siècle sont caractérisés par une mondialisation à outrance des technologies de l’information et de la communication instantanées. Or, de ce fait même, cette communication transcende les frontières. Il s’en suit qu’une simple information, pourvu qu’elle soit habilement utilisée, peut causer autant de dégâts à la cause d’un ennemi désigné et ciblé (et servir la cause de celui qui la manipule) qu’une attaque militaire. Ces technologies acquièrent pour ainsi dire une valeur hautement stratégique à l’échelle planétaire.
Or, il se trouve que dès l’enfance nous sommes inconsciemment habitués à considérer les médias comme une source fiable d’informations ; les journalistes comme des personnes libres. Puis, les années passant, pour peu que notre regard critique s’affine, certains paradoxes finissent par nous interpeller : les médias sont censés être neutres, mais ils soutiennent la plupart du temps les pouvoirs politiques et économiques(8) ; les médias sont censés être les miroirs de la réalité, mais certains sujets sont marginalisés voire occultés ; les médias sont de plus en plus nombreux, mais leur uniformité est souvent flagrante.

Ces paradoxes sont d’autant plus surprenants qu’on se trouve généralement en présence de médias opérant, pour les plus importants d’entre eux, au sein de sociétés dites démocratiques car, dans un régime totalitaire, il va de soit que les médias sont contrôlés par le pouvoir politique ; la censure et la propagande se devinent aisément. Mais, dans les démocraties représentatives occidentales, les médias sont censés être libres et animés par une exigence de vérité. Dans ces conditions, pourquoi présentent-ils la réalité d’une manière qui favorise les pouvoirs politiques et économiques ? Par quels mécanismes certains sujets sont-ils éliminés, certaines opinions marginalisées ?

I. Le conformisme des médias est la conséquence d’une logique économique.

Pour répondre à ces questions, Noam Chomsky et Edward Herman proposent, dans La fabrique de l’opinion publique, une analyse portant sur trente ans de traitement médiatique aux Etats-Unis. Celle-ci arrive à la conclusion que le conformisme des médias n’est pas nécessairement le résultat d’un ‘’complot organisé’’ par des officines politiques métropolitaines occidentales, mais avant tout la conséquence d’une logique économique implacable.

A. Six facteurs structurels comme autant de ‘’filtres’’ des nouvelles publiables

En effet, l’analyse révèle que les médias occidentaux sont, eux aussi, devenus des industries capitalistes dont les contraintes financières déterminent en général, sauf cas exceptionnels, le contenu et la qualité des informations. La fabrique de l’opinion publique décrit cinq facteurs structurels de l’industrie médiatique, comme autant de ‘’filtres’’ qui sélectionnent, parmi la réalité, les nouvelles publiables, les critiques à marginaliser ou à taire. Ces cinq facteurs structurels sont : la propriété capitaliste des médias ; la prédominance des financements publicitaires ; la concentration des sources d’information ; la puissance des lobbies conservateurs et l’idéologie anticommuniste. Ces deux derniers facteurs constituant une particularité des Etats-Unis. Il existe un sixième facteur structurel : l’influence de l’État.

1. Les industries médiatiques sont sous la pression de propriétaires

La dynamique opératoire de ces différents facteurs peut être observée en France comme aux États-Unis où la quasi-totalité des médias sont aux mains de multinationales dont les actionnaires sont principalement préoccupés par la recherche de profits économiques. Souvent cotées en bourse, les industries médiatiques sont sous la pression de propriétaires qui ont l’œil sur les résultats et exigent des retours sur investissement de l’ordre de 10 ; 25, voire 50%. Depuis les années 90, ce contrôle capitaliste des médias se double d’une dynamique de concentration. En France, la plus grande partie des médias sont détenus par cinq multinationales : Bouygues, Dassault, Lagardère, Bertelsmann, Vivendi-Universal, empires financiers dont le chiffre d’affaire oscille entre 10 et 25 milliards d’euros(9). La concentration capitaliste des médias est elle-même liée à celle des richesses. En France, une quinzaine de familles contrôlait environ 35% de la capitalisation de la Bourse de Paris en 2004. Plus de la moitié des dix familles les plus riches de France se sont lancées dans l’industrie médiatique et publicitaire : Arnault, Dassault, Pinault, Decaux, Bouygues, Bolloré, autant d’acteurs évidemment intéressés par la perpétuation et l’épanouissement du capitalisme.

Par ailleurs, l’attrait des multinationales pour les médias n’est pas seulement financier. Il est également politique, dans la mesure où le développement des grands secteurs d’activités industrielles dépend fortement des marchés publics octroyés par l’État. Dans cette logique de compétition farouche qui oppose les grandes entreprises souhaitant s’accaparer de parts de marchés, la possession d’outils médiatiques constitue un atout redoutable pour influencer les décideurs politiques. De plus, ces outils contribuent grandement à renforcer des liens pourtant déjà étroits entre le monde industriel et le pouvoir politique(10).

2. La concentration des médias s’accompagne d’un enchevêtrement des intérêts

Au renforcement de ces liens s’ajoute un jeu de participations croisées qui abouti à la concentration des médias suivi d’un enchevêtrement des intérêts. Ainsi par exemple, si Bouygues est le premier actionnaire de TF1, les groupes Pinault (Fnac, Printemps, Le Point, Radio BFM…) et Arnault (La Tribune, Investir, Lvmh…) en sont également actionnaires. Il en découle que de manière générale, les magnats de l’industrie médiatique partagent souvent les mêmes conseils d’administration et savent nouer des alliances fructueuses. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer la relation entre Dassaut et Lagardère, qui contrôlaient ensemble 70% de la presse en 2005. D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’Arnaud Lagardère déclarait : « Il faut que nous arrivions à une entente et même une coopération étroite avec Dassault. » (Arnaud Lagardère, Les Echos, 13/06/03).

3. Des sources de financement de moins en moins le public
A cette concentration de la propriété des médias s’ajoute la problématique de leur financement. En effet, les sources de financement des médias sont de moins en moins le public (ventes, redevance audiovisuelle...) et de plus en plus la publicité. C’est ce constat qu’effectuait le directeur de TF1 lorsqu’il expliquait avec beaucoup de sincérité que le but capitaliste d’un média industriel est de vendre l’attention du public aux annonceurs publicitaires. C’est pourquoi les agences publicitaires ne financeront pas des médias mettant sérieusement en cause les activités des grandes firmes de l’automobile, de la grande distribution, de la téléphonie, etc. il s’en suit qu’en règle général ces médias éviteront des contenus complexes qui bouleversent les idées reçues des populations, ainsi que les controverses dérangeantes qui risquent de gâcher l’envie d’acheter et de se divertir. Et si par inadvertance il arrivait qu’ils en parlent, ils le feront sur un mode caricatural ou confus.

Dans cette logique, seront marginalisé les informations concernant : les mouvements squat ou féministes, les collectifs de soutien aux détenus, les collectifs contre la torture ou la répression policière, la situation dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques ou les maisons de retraite, les détournements de fonds publics, le commerce des armes par les pays occidentaux, la destination finale de l’aide publique au développement, la situation des droits de l’homme dans les pays alliés aux grandes puissances occidentales, les conséquences sociales des politiques de la Banque Mondiale, les nuisances de l’agriculture intensive, la Françafrique, etc.

4. Les conséquences de l’information ‘’clé en main’’

Cette sorte de censure financière des agences publicitaires est rendu possible par le fait que le journalisme d’investigation nécessite du temps et de l’argent. Or, suivant la logique capitaliste, il est plus rentable de privilégier l’information ‘’clé en main’’, mobilisant moins de journalistes. Cette situation privilégie :

Les multinationales, les institutions publiques ou privées, lobbies, etc., qui disposent de cabinets de communication aux budgets parfois colossaux ;
Les agences de presse comme l’Associated Press (Etats-Unis), Reuters (Angleterre) et l’Agence France Presse (AFP)(11) qui, au niveau mondial, fournissent l’essentiel des informations ;
Quelques médias ‘’de référence’’ disposant de moyens d’enquête, notamment les journaux Le Monde, Le Figaro, Les échos, etc.

En effet, force est de constater que de nombreux médias se contentent de puiser les informations dans ce type de sources et de les mettre en forme. D’ailleurs, les journaux gratuits grand public constituent sans doute le cas extrême de cette démarche. Ainsi, les journaux gratuits 20 minutes et Métro, diffusés ensemble à plus d’un million d’exemplaires, totalisent tous deux à peine une centaine de journalistes, contre 100 à 250 journalistes par journal pour des quotidiens beaucoup moins diffusés comme Libération ou Le Monde. Il s’en suit que le succès des journaux gratuits renforce les pires tendances de l’industrie médiatique : une information simpliste, consensuelle et commerciale.

5. L’influence de l’idéologie.

A ces dérives imputables à la logique capitaliste de la recherche effrénée du profit, il faut ajouter un autre point commun de la majorité des journalistes occidentaux, à savoir leur idéologie. « Pour résumer leur croyance fondamentale, on pourrait dire qu’ils croient sincèrement au bilan finalement positif d’un capitalisme à visage humain, et ils croient que cette croyance n’a rien d’idéologique ni de dépassé. Ils voient bien, par exemple, les innombrables manifestations d’inhumanité de l’ordre capitaliste partout où il a libre cours mais, ils se refusent à y voir un trait consubstantiel, inhérent à l’essence même du capitalisme, pour en faire un simple accident. Ils parlent de ‘’dysfonctionnements’’, de ‘’dérives’’, de ‘’bavures’’, de ‘’brebis galeuses’’, condamnables certes, mais qui ne compromettent pas le principe même du système qu’ils sont spontanément enclins à défendre. »(12)

C’est ainsi que s’est constituée à une classe dominante de journalistes, qui rassemble les responsables de l’industrie médiatique. Elle se recrute parmi les éditorialistes, les présentateurs et les journalistes renommés et généralement sélectionnés par les propriétaires des journaux. Ils partagent avec les milieux économiques et politiques non seulement des intérêts communs(13), mais surtout l’idéologie dominante. Les journalistes les plus influents sont ouvertement favorables aux guerres des puissances occidentales, à la croissance, aux privatisations, aux choix politiques du pouvoir en place. C’est à ce niveau que le conformisme des médias cesse d’être la conséquence d’une logique économique pour se transformer en stratégie de communication au service d’une politique d’Etat. En règle générale, une telle métamorphose a cours lorsque la puissance politique s’exprime à l’étranger ; exceptionnellement, cela peut se produire au plan interne des sociétés occidentales.

II. Le conformisme des médias comme conséquence d’une logique de politique étrangère.

En effet, dans l’arène des relations internationales et surtout interétatiques, la liberté de presse tant clamée et vantée en Occident perd sérieusement de sa substance pour s’aligner sur la raison d’état. Bien sûr, il y a forcément des exceptions mineures à ce constat. Mais la règle est bien à l’affirmation continue de la pensée et du modèle unique occidental. L’État peut donc être considéré comme un facteur structurel de l’industrie médiatique occidentale dans sa dynamique internationaliste. Cela participe d’une stratégie de domination idéologique, économique et culturelle du monde hors occident par le moyen du monopole médiatique et communicationnel.

A. Plusieurs chaînes de télévision et de radio appartiennent aux Etats
Pour ce faire, au niveau national, plusieurs chaînes de télévision et de radio appartiennent aux Etats, à l’instar de la très célèbre radio Rfi qui est d’ailleurs rattachée au Quai d’Orsay (Ministère français des affaires étrangères). Il faut aussi noter que la chaîne de télévision française France 24 a été expressément crée par l’Elysée dans un but de stratégie médiatique internationale. Il était question de faire entendre la voix de la France (ou plus exactement du gouvernement français) à l’étranger. Leurs dirigeants sont généralement nommés sur des critères politiques. Ainsi en France, pays phare du camp occidental, le Pdg de France Télévision, Patrick de Carolis, est un proche de Jacques Chirac. Tout comme le Pdg de Radio France, Jean- Paul Cluzel, est un intime d’Alain Juppé et proche de Nicolas Sarkozy. Il ne cache d’ailleurs pas ses « idées de droite, catholiques et libérales ». Au niveau local, les mairies, communautés de communes, conseils généraux et régionaux possèdent de nombreux journaux d’informations. Ils exercent de plus une influence sur les médias locaux par les subventions qu’ils leur allouent. L’Etat français a également une influence sur l’Afp, principale source française d’informations, et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (Csa), organisme de contrôle des médias. Bien que l’Afp soit théoriquement indépendante des pouvoirs publics, l’État français constitue sa principale source de revenu et peut faire des pressions sur les nominations. Il en va de même pour le Csa, dont les 9 membres sont nommés par le Sénat, l’Assemblée nationale et le président de la République. Actuellement d’ailleurs, les 9 membres appartiennent à l’Ump. Il s’agit de : Dominique Baudis (maire de Toulouse), Sylvie Genevoix (ex responsable à Madame Figaro), Marie-Laure Denis (ex cabinet du maire de Paris Jean Tibéri), Agnès Vincent (réalisatrice pour France 3 de l’élogieux documentaire Bernadette Chirac, première dame de France).
Le monopole de la production de l’information est un objectif affiché. Ainsi, dans les années 1970, près de 80% des informations qui circulent dans le monde émanent de quatre agences de presse occidentales : Associated Press, United Press International, l’Agence France Presse et Reuters. Ces agences ne consacrent qu’entre 20 et 30% de leur information aux pays en développement qui, pourtant, représentent les trois quarts de l’humanité (Char, 2000 ; Magrebi, 1980 ; Masmoudi, 1979). Pour assurer cette domination médiatique mondiale, les pays développés ont invoqué l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, qui consacre le principe de la libre circulation de l’information (free flow of information). Par contre, les pays en développement ont toujours réclamé une information libre, certes, mais équilibrée. C’est dans ce but qu’ils ont dénoncé, dans le cadre de la Commission McBride, mise en place par l’Unesco pour réfléchir sur les problèmes et enjeux d’un Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic), les distorsions contenues dans l’information diffusée par les médias occidentaux sur leurs réalités (Abel, 1984 ; Masmoudi, 1979).

Malheureusement, le Nomic a été un échec douloureux car il a créé plus de problèmes à l’Unesco14 qu’il n’a satisfait les revendications des pays en développement (Char, 1999).

A. Le conformisme des médias occidentaux tourné contre l’Afrique

Les distorsions médiatiques des réalités africaines sont évidentes. Les bonnes nouvelles qui viennent de l’Afrique sont rarement présentées dans les médias occidentaux comme le fruit des efforts des Africains eux-mêmes. Elles sont, soit le fait de l’intervention d’un pays, d’une institution ou d’une personnalité en Occident, soit le fait de la providence ou du hasard. C’est pour cela que certains auteurs parlent de couverture idéologique du Tiers-Monde(15). L’information venant de l’Afrique conforte ainsi les pensées néocoloniales(16), renforce les préjugés contre l’Afrique et justifie l’afro-pessimisme. Tout tend à faire croire que si l’Afrique n’est pas une cause perdue, elle a forcément besoin de l’Occident pour se développer.

1. La thèse idéologique et commerciale justifiant l’hostilité médiatique occidentale à l’égard de l’Afrique

En vue d’expliquer cette diabolisation et cette infantilisation des sociétés et des élites africaines par les médias occidentaux, diverses théories ont été avancées. En effet, certains auteurs pensent que les médias choisissent, pour des raisons idéologiques, de traiter l’information sur le Tiers-Monde de façon biaisée(17). Selon Van Dijk et Smitherman-Donald (1988), « les médias ne font pas que rapporter passivement les faits, pas plus qu’ils ne reflètent le consensus ethnocentrique ; ils contribuent à le construire et à le reproduire. Ils grossissent les attitudes de la minorité dominante, réinterprètent et diffusent cette idéologie à ceux qui ne détiennent pas le pouvoir, mais qui néanmoins sont les membres du groupe dominant : celui des Blancs »(18). La thèse idéologique a été mise en avant dans les premières études du Glasgow Media Group (1980, 1976), et a même trouvé un écho favorable sur les tribunes de l’Unesco. En effet, dans son rapport sur le Nomic, la Commission McBride soutient que « [l]’opinion publique des pays industrialisés n’aura pas véritablement accès à une information complète sur le Tiers-Monde, ses exigences, ses aspirations et ses besoins, tant que les modèles de l’information et de la communication ne s’affranchiront pas du sensationnalisme et du style de présentation des nouvelles qui les caractérisent actuellement et qu’ils ne se dépouilleront pas de tout préjugé ethnocentrique […] » (Unesco, 1986). D’autres auteurs expliquent le contenu de l’information internationale relative aux pays en développement par la logique commerciale des décideurs des médias, qui sont prêts à formater cette information en fonction des goûts de leurs publics(19). Ainsi, la couverture de l’actualité africaine n’échapperait pas à la course aux audiences. Mais, très vite, les objectifs idéologiques et commerciaux peuvent évoluer vers l’impérialisme néocolonial.

2. La thèse impérialiste justifiant l’hostilité médiatique occidentale à l’égard de l’Afrique
Pour illustrer la thèse de l’impérialisme néocolonial, il suffit de considérer le cas contemporain de la République de Côte d’Ivoire. Dans ce pays, la France et sa force Licorne, à côté - et surtout aux côtés dit-on – de M. Alassane Ouattara, s’est rendue suspecte puis impopulaire auprès d’une certaine frange de l’opinion ivoirienne et africaine lorsqu’elle s’est heurtée aux forces armées de M. Laurent Gbagbo et qu’elle a neutralisé en novembre 2004 l’aviation militaire ivoirienne. La légitimité de ce dernier n’était nullement encore en question et ses forces armées étaient considérées par tous comme les forces armées nationales de Côte d’ivoire (Fanci). Dès lors, la force Licorne est apparue comme une force d’occupation, quoi qu’en disent les accords secrets d’indépendance de 1961 qui ne sont plus guère aujourd’hui que des secrets de polichinelle. Et d’ailleurs, comment admettre qu’une force qui coûte à la France pas moins de 200 millions d’euros(20) par an soit installée en Côte d’ivoire depuis 2002 pour le bien de ce pays ?

Or, depuis le second tour de la présidentielle intervenue le 28 novembre 2010 en Côte d’Ivoire, ce pays subi une « guerre des médias »(21) incluse dans l’environnement général de son étouffement et de son étranglement économique. Dans cette logique, M. Guillaume Soro, Premier ministre de M. Alassane Ouattara et Secrétaire général des Forces Nouvelles, a demandé à l’opérateur satellitaire américain qui diffuse les signaux de la Rti de mettre fin à la diffusion des émissions de ce dernier médias. « En effet, l’opérateur avec lequel l’Etat de Côte d’Ivoire a un contrat en bonne et due forme, qui court jusqu’au 15 novembre 2011, n’a pas osé prendre le risque d’interrompre le signal, qui l’exposait à un procès, mais en revanche, il a autorisé, de façon implicite le brouillage [des] émissions [de la Rti] à partir de l’hôtel du golf »(22).

3. Multiplicité des médias occidentaux en Afrique et uniformité de l’information

Dans ce contexte, inutile de compter sur la multiplicité des médias occidentaux pour échapper à la stratégie médiatique conduite par les Etats du Nord. En effet, un média entraîne l’autre et la multiplicité des médias couvrant un événement en Afrique n’est pas le gage d’une diversité de l’information. Lorsqu’il s’agit de l’Afrique, les médias rapportent, de façon quasi unanime, les mêmes genres de faits, de la même façon, selon leurs connaissances et leurs préjugés sur l’Afrique. Les sources d’information africaines sont souvent exclues de la production de la nouvelle. Les journalistes occidentaux s’emparent du fait brut africain ou des événements spontanés comme d’une matière première qu’ils introduisent dans leur système d’agenda-setting de l’Afrique. Il en ressort une nouvelle standardisée et normalisée au goût du public. Ce faisant, les médias occidentaux dictent à leurs audiences (consommatrices passives de la chose africaine) ce sur quoi elles doivent concentrer leur attention. Si on sonde ces audiences sur les événements les plus importants de l’actualité africaine de ces derniers mois, on peut présumer que la plupart d’entre elles parleront au premier chef de la crise politique en Côte d’Ivoire. Rares sont ceux qui mentionneront les stratégies de mise en œuvre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) ou d’autres sujets cruciaux pour la démocratie et le développement en Afrique. Il en résulte que le conflit, la confrontation et la crise sont au cœur des critères de couverture des nouvelles du continent noir. Les journalistes occidentaux ne vont pas en Afrique pour faire du journalisme civique international ou pour contribuer au développement et à la démocratie en Afrique. Un ancien rédacteur en chef de l’agence Reuters a d’ailleurs exprimé l’idée qu’une nouvelle est tout simplement «la quête de vérité dans les événements » et que le journaliste « ne peut se préoccuper de l’étude des problèmes »(23). Les journalistes occidentaux vont donc en Afrique essentiellement pour rapporter ou guetter ce qui va mal. Probablement parce que c’est ce qui se vend le mieux.

Cependant, il arrive que ces journalistes interviewent les acteurs clés de l’actualité africaine, mais l’information recueillie par ce procédé est en dernière analyse traduite sous l’angle choisi par les directions de publication desdits médias. Ainsi, les sources africaines peuvent parfois contribuer à la cueillette de l’information, ou suggérer aux médias un sujet. Mais le formatage et la hiérarchisation de la nouvelle qui en résulteront obéiront aux critères de couverture de l’actualité africaine. L’absence ou l’insuffisance d’interaction entre les médias occidentaux et les sources africaines ne donne pas à ces dernières les moyens d’imposer ou de faire passer leurs propres messages.

B. Des organisations internationales en faveur de l’image de l’Afrique malgré la corruption ambiante

C’est pourquoi, ces dernières années, des organisations internationales essaient de reprendre l’initiative du redressement de l’image de l’Afrique. En mai 2002, un colloque international sur les médias en Afrique s’est tenu à Libreville (Gabon), pour se pencher, entre autres, sur l’épineuse question de l’image de l’Afrique aussi bien dans les médias occidentaux que dans les médias africains. En 1997, le Unsia (United Nations System-Wide Special Initiative for Africa) établit une stratégie de communication visant à donner une image équilibrée et réaliste du continent africain. En décembre 1999, le Pnud (Programme des Nations Unies pour le Développement) organise, à Bamako (Mali), un colloque consacré à l’image de l’Afrique telle qu’elle est diffusée par les médias. Ces initiatives visent à développer une prise de conscience quant à la réalité du continent, à travers l’analyse des atteintes portées à l’image de l’Afrique par les moyens de communication (Mezzana et Anglana, 2002).

Malheureusement, en Afrique comme dans d’autres régions du Tiers-Monde, pour influencer l’agenda des médias, les sources procèdent souvent par des moyens contraires à l’éthique et à la déontologie des médias. L’argent, le trafic d’influence, voire le charlatanisme, peuvent facilement commander le contenu des médias. Le magazine Global Journalist de l’International Press Institute rapporte qu’un ancien directeur de la télévision nationale égyptienne a été condamné à quinze ans de travaux forcés pour avoir accepté un pot-de-vin de 2 000 dollars de la part d’un médecin qui voulait apparaître dans le show populaire « Good Morning Egypt » (McGraw, 2003). Au Kenya, la presse est infiltrée par des charlatans, des escrocs et des maîtres-chanteurs. En Chine, les entreprises et les organisations non gouvernementales trouvent moins cher de payer des journalistes pour obtenir des articles favorables que de payer des publicités qui auront moins d’impact sur le public. En Russie, certains politiciens ne se cachent pas pour acheter les journalistes. Les enveloppes que les journalistes y reçoivent sont appelées zakhazukha (ce qui signifie commande). Au Nigéria on les appelle brown envelope (McGraw, 2003). Au Bénin ces enveloppes prennent le nom de communiqué final, per-diem ou consultation (Adjovi, 2002 ; Frère, 2002). Ces pratiques existent aussi dans des pays d’Amérique latine comme l’Argentine et le Chili. Elles sont moins directes, dans les pays développés (Saint-Jean, 2002 ; Day, 2000). Pour preuve, certaines sources africaines achètent facilement la presse locale et essaient même d’acheter directement ou indirectement des médias publiés en Occident pour mieux y paraître. Mais, une source africaine qui « commanderait » l’agenda d’un média occidental serait de l’ordre des exceptions. De toute façon, ce ne serait pas la meilleure façon d’améliorer l’image de l’Afrique dans les médias occidentaux.
Georges Noula Nangue
Doctorant
1 L’hégémonie mondiale peut s’exprimer sur différents aspects, notamment idéologique, politique, économique, culturel et même religieux.
2 Les principales puissances politiques et économiques dominantes du monde contemporain sont incontestablement celles regroupées au sein de ce qu’il est convenu de nommer aujourd’hui le G7, avec à leur tête les Etats-Unis d’Amérique. Bien que des contradictions existent parmi ces Etats, elles demeurent mineures et sont sans commune mesure avec celles qui les opposent actuellement avec le Brica (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sur la scène internationale.
3 Il est ici fait allusion aussi bien aux pays relativement moins puissants qu’aux groupements non étatiques à l’instar des mouvements islamistes et altermondialistes.
4 Selon l’historien militaire Pierre Razoux, la première utilisation de la guerre médiatique remonterait à la Seconde Guerre mondiale
5 On se contente souvent de mentionner que l’opinion publique a vu le jour avec la philosophie du Siècle des Lumières, mais elle fait l’objet de nombreuses réflexions dès l’Antiquité grecque. Le philosophe Platon inaugure un jugement devenu traditionnel à son sujet en condamnant l’opinion publique (doxa vulgus) pour sa versatilité, sa trop grande sensibilité et sa superficialité qui la livrent en pâture aux sophistes formant les hommes politiques d’alors aux manipulations argumentaires (Yvon Lafrance, La théorie platonicienne de la Doxa, Éditions Les Belles lettre, 1981).
6 L’opinion publique est l’ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée. L’importance de l’opinion publique devient cruciale durant les périodes de campagnes électorales. Depuis le dernier quart du 20ème siècle, elle est fréquemment mesurée à l’aide de sondages d’opinion, le plus souvent effectués à la demande des partis politiques, des leaders ou des gouvernements. Dans leur grande majorité, ces sondages ne sont jamais rendus publics.
7 La défaite américaine au Viêt Nam serait en partie due aux média qui ont influencé l’opinion publique américaine. Forts de cette expérience, durant la guerre du Golfe, les médias ont fait l’objet d’un contrôle accru de la part des autorités américaines.
8 Quelques exemples parmi les plus flagrants : globalement, les médias français étaient pour la guerre d’Irak en 1992 et contre en 2003, pour le traité de Maastricht en 1992, contre les grèves de décembre 1995, pour le oui au référendum de la constitution européenne en 2005.
9 Au niveau mondial, 9 multinationales dominent les médias : Disney, AOL-Time Warner, Viacom (propriétaire de CBS), News Corporation, Bertelsman, General Electric (propriétaire de NBC), Sony, AT&T-Liberty Media et Vivendi Universal.
10 Les passerelles entre les milieux médiatiques et politiques sont fréquentes. Quelques exemples : les anciens ministres Michel Roussin (UMP) et Jean Glavany (PS) ont rejoint Bolloré, Anne-Marie Couderc (UMP) et Frédérique Bredin (PS) ont rejoint Hachette, Hubert Védrine (PS) a rejoint LVMH. Pour de nombreux autres exemples, cf. Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi, Raisons d’agir, 2005.
11 L’Afp compte 1200 journalistes, 200 photographes et 2000 pigistes répartis sur les cinq continents. Elle fournit son information sous forme de textes, photographies et infographies à environ 650 journaux, 400 radios et télévisions, 1500 administrations et entreprises, 100 agences de presse nationales. Au total, directement ou indirectement, elle touche près de trois milliards de personnes.
12 Alain Accardo, Derrière la subjectivité des journalistes, Monde Diplomatique, mai 2000.
13 La présentatrice Claire Chazal (TF1) est proche du ministre de la culture Donnedieu de Vabres (UMP) ; la présentatrice Béatrice Schönberg (France 2) est l’épouse de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi (UMP) ; Alain Minc, président du conseil de surveillance du journal Le Monde, est un proche du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy (UMP). Ce dernier a d’ailleurs affirmé en 2005 « J’ai tous les patrons de presse avec moi » (cité par Le Canard Enchaîné, 18/05/05). On pourrait également citer les liens entre Bernard Kouchner et Christine Ockrent, Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair, etc. Pour de nombreux autres exemples, cf. Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi, déjà cité.
14 Quand ils claquent la porte en 1984, suivis en 1985 par la Grande-Bretagne et Singapour, les États-Unis reprochent à Amadou Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’Unesco, «une déformation idéologique, une politisation excessive et une gestion inepte». Le projet de Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) agit sur eux comme un chiffon rouge. Ils le considèrent comme une attaque dirigée contre la libre circulation de l’information et les médias occidentaux. Conçu dans les années 1970, le NOMIC a le défaut d’être soutenu par l’URSS et les pays socialistes.
15 Thompson, 1990 ; Peterson, 1981
16 Mattelart, 1976
17 Mattelart, 2002, 1976 ; Philo, 1990 ; Thompson, 1990 ; Herman et Chomsky, 1988 ; Peterson, 1981 ; Schiller, 1976
18 McAndrew et Potvin, 1996
19 Stone, 2000 ; Philo et Miller, 2000
20 Soit 131 milliards de Fcfa
21 Selon M. Ouattara Gnonzié, ministre ivoirien de la Communication, « la guerre des médias est plus violente, plus insidieuse et plus dévastatrice que celle des armées conventionnelles ».
22 Propos tenus par M. Ouattara Gnonzié devant l’Assemblée Nationale ivoirienne.
23 Char, 1999 ; Richtead, Anderson et Schiller, 1981