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Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée

Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable - Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée

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Index de l'article
Communauté internationale: Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Entre diplomatie et stratégie à géométrie variable
Quelques réflexions sur la notion de communauté internationale
La communauté internationale est-elle gardienne des élections présidentielles africaines ?
Communauté internationale et reconnaissance de gouvernement
Crises politiques en Afrique : Le Cas de la Côte d’Ivoire
Côte d'Ivoire : la démocratie au bazooka?
Au-dela de Gbagbo : L’Afrique
Au-dela de Gbagbo, L’Afrique et les tiers-monde de demain
Médias: Entre mercantilisme, conformisme et révérence
La face cachée de la
Ces hommes politiques adoubés par la
Communauté internationnale et les crises politiques au Cameroun de 1948 à jours
Quelle place et quel rôle pour l'Onu au sein de la communauté internationale?
Jusqu'où peut on avoir confiance en l'Onu?
Révolution arabe: quel impact sur le nouvel équilibre mondial?
Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée
L’Afrique entre Révolution et manipulations
Toutes les pages

Crise ivoirienne: une opinion africaine de toutes parts handicapée
C’est depuis des siècles que l’Afrique n’est point en mesure de réagir promptement, de façon organisée, quelque peu homogène, même à des agressions qui menacent jusqu’à sa survie. Ce au niveau du continent comme à celui des pays ou des vieilles ethnies pourtant moulées chacune dans un long passé de vie commune, de souffrances et de petites gloires partagées. Au contraire, pour avoir pu préserver l’intégrité de ses valeurs culturelles, religieuses, l’Asie a mieux résisté que le reste du monde dompté à la bourrasque de l’occidentalisation.
La bouillonnante situation en Côte-d’Ivoire est venue rappeler la justesse du titre que Chinua Achebe trouva à son premier roman, Things fall apart ; parce que notre monde s’est effondré, que le Blanc est venu « mettre un couteau sur les choses qui nous tenaient ensemble et nous sommes tombés en morceaux » : plus nous tentons d’agir en organisme vivant, plus nous nous découvrons éloignés les uns des autres, du fait même de nos propres mouvements diversement centrifuges devenus mécaniques, notre éducation à l’école étrangère nous y ayant préparés de longue date ou du fait des dernières manœuvres de l’ennemi commun. Le matraquage médiatique, par des campagnes retentissantes de désinformation, est depuis longtemps conçu pour susciter, provoquer à souhait chez nous le chaos propice à la protection si ce n’est à la promotion des intérêts étrangers, de la Communauté Internationale.

Nous sommes à la fois coincés et éparpillés de maintes façons, au sein même de nos sociétés structurellement et mentalement déstabilisées. Très souvent l’Africain lambda ne dispose guère de moyen fiable d’accéder à l’information qui sauve ; il est tenu en respect par une classe politico administrative massivement infiltrée, globalement aliénée, dans un contexte mondial de retour à la fois feutré et précipité à la Guerre froide.

Que d’énigmes autour de la crise ivoirienne !

- L’Onu (du Conseil de Sécurité) peut-elle promouvoir la Démocratie ? En a-t-elle seulement l’intention ? Honnêtement !? Il lui faudrait commencer par démocratiser ses propres structures, son fonctionnement. En attendant, elle se sert du prétexte démocratique plutôt comme un instrument de domination du monde au profit de certaines puissances nucléaires : la fraude électorale est reconnue et assumée pour maintenir le fraudeur au pouvoir d’État alibi en Afghanistan, en même temps qu’elle est planifiée pour subvertir le nationalisme ivoirien, zimbabwéen, etc.  brandie pour ajouter à la diabolisation de Cuba, la Corée du Nord, l’Iran, la Libye, de la Chine, etc.

- L’agressé est souvent pris pour l’agresseur – toute lâcheté bue : « Si quelqu’un veut vivre en paix, il faut éviter d’attaquer la France. - Et si la France vous attaque !? - … - C’est Gbagbo qui a appelé la France et l’Onu ! qui s’accroche au pouvoir, pour faire souffrir les Ivoiriens ! » On planifie une crise post électorale en Côte-d’Ivoire, pour aussitôt violemment refuser le Président issu de la légalité constitutionnelle ivoirienne, pour ne pas devoir reconnaître, la flagrante imposture : l’accouchement par césarienne d’un Président homme lige de la Communauté Internationale. Un coup d’État, un hold-up électoral soigneusement concerté de longue main par les loups blancs d’une mondialisation cannibale est agité tel un haut fait d’humanisme, le tout premier maillon d’assainissement vertueux des relations internationales en pays pauvres (N. Sarkozy).
- La cécité du Nigeria, avec son Ecomog, au départ d’une guerre civile panafricaine sous prétexte de punir la morgue du « singulier » Bagbo qui s’obstine à refuser à haute voix de faire comme la majorité de ses homologues de l’Afrique noire, de baisser promptement la culotte au moindre désir du Maître aux yeux bleus : « Nous sommes la Cdeao : il n’y a pas de pays ouest africain qui n’ait de ressortissants en Côte-d’Ivoire. » (Laurent Gbagbo) Il n’y a pas une crise ivoirienne, il y a menace fantasmée à terme sur les intérêts occidentaux et apparentés en Côte- d’Ivoire.
- L’amalgame d’une France-Communauté Internationale-la quasi-totalité du Monde Entier, d’une Union Européenne à la discipline de fourmis entre des États apparemment sous tutelle automatique de l’Hexagone chaque fois qu’il faut punir « l’audace », «l’effronterie » d’un pays dominé. La fameuse Ivoirité de l’histoire ancienne, ressuscitée aujourd’hui pour espérer confondre celui qui a pu la contourner, après mout concessions plus ou moins suicidaires, pour permettre à quelqu’un de citoyenneté avérée douteuse de briguer la magistrature suprême.
- L’Union Africaine surgit in extremis et met sur pied une Commission de Facilitation en vue d’« évaluer le processus électoral » et le Secrétaire Général de l’Onu, sans aucun mandat moralement avouable, en prescrit l’objectif (négatif) : la Commission peut tout faire sauf procéder au recomptage des voix. C’est pourtant la même vénérable institution qui a exigé le recomptage en Afghanistan, à Haïti et ailleurs dans le monde, qui n’a pas levé le petit doigt en l’an 2000 lorsque les Usa se sont livrés à une telle opération en Floride pour pouvoir départager Bush et son malheureux vis-à-vis. Des députés Ump sont empêchés par Sarkozy d’aller observer de visu en Côte-d’Ivoire les dernières basses manœuvres de leur gouvernement pour tenter de maintenir pour l’éternité leur pays parmi les Grandes Puissances.
- L’épée à double tranchant de la désinformation, de l’arrogance tonitruante, en vue de pulvériser sa proie, ne manque pas,  à la longue, de discréditer gravement plutôt le bourreau : on crie au hold-up électoral de Gbagbo tout en refusant le recomptage qu’il propose. Sarkozy s’agite (à partir de la tribune de Bruxelles) comme s’il suffisait qu’il tousse pour que Gbagbo démissionne, en perdant certainement de vue le discrédit qu’il jette en même temps sur la fonction présidentielle en France, sur le gaullisme, sur l’humanisme de la culture française des Lumières, sur le sérieux de sa propre personnalité.
- Obama fait miroiter au regard de Gbagbo le costaud salaire d’une chaire à Boston s’il consent à quitter son poste à Abidjan. Est-ce pour reconnaître qu’il n’est lui-même à la recherche, à la Maison Blanche, que d’un peu plus de fortune personnelle, que le sort du peuple américain, du monde, de l’humanité ne l’intéresse guère hors des discours grandiloquents ? C’est à se demander si son étonnant Prix Nobel de la Paix n’est pas paradoxalement pour quelque chose dans la fulgurante maturation de son soudain esprit va-t’en-guerre ; s’il n’est qu’un naïf prisonnier du Système (Yankee) ou s’il a déjà basculé dans le cynisme arrogant d’un Nixon, des Bush ou des illustres Cows Boys géniteurs de la Guerre des Étoiles.

- L’étendard de l’humanisme chrétien tant déployé par des États qui sont en train d’étouffer le peuple ivoirien sous l’embargo multiforme du Vieux Continent, qui ont laissé bombarder tous les châteaux d’eau en Irak, qui viennent de débloquer deux cents millions de francs pour la promotion de l’homosexualité au Cameroun ; tout à fait comme s’ils ignoraient l’unique motif pour lequel leur Dieu avait, aux temps préhistoriques, fait pleuvoir des napalms bibliques sur Sodome et Gomorrhe. J.J. Rawlings disait que « ce qui distingue l’homme de l’animal c’est la honte », devant tout acte posé ou cautionné qui tend à dégrader l’homme, à susciter une idée malheureuse de l’humanité.

Le Front médiatique de la reconquête coloniale

De nos jours, une guerre se gagne ou se perd d’abord par les médias. Et les moyens africains de résistance, ici comme ailleurs se révèlent insignifiants, désespérément résiduels. Presque rien de consistant à l’échelle internationale : Nkrumah au pouvoir avait prévu une radio panafricaine ; Mengistu avait nationalisé dans le même but de conscientisation à longue portée « La Voix de l’Évangile » qui émettait depuis Adis Abeba. Un groupe de journalistes afro antillais avait lancé « Black » au début des années 80, qui avait vite fait long feu, non sans avoir fait un éclairage inédit sur les circonstances de l’assassinat de Syvanius Olympio, et les répugnantes implications françaises à tous les niveaux. A la même époque devait paraître en météore « Afrique », une initiative d’un groupe de journalistes ougandais et nigérians dont une  des constantes avait été d’attirer l’attention du monde sur la perpétuation de la traite négrière au XXe siècle en Afrique même, notamment en Mauritanie et au Soudan, où par exemple, sur les places des marchés périodiques un Noir s’échangeait contre cinq vaches. « Afrique nouvelle », journal catholique paraissant à Dakar, a beaucoup fait, au cours des deux premières décennies des Indépendances, pour accompagner, populariser dans l’opinion africaine, les luttes de libération nationale dans les colonies portugaises d’Afrique, en Namibie, au Zimbabwe et en Afrique du Sud.

A côté (ou en face), le nouveau colon avait lancé avec les Indépendances des années 60 une gamme de périodiques « africanistes » dont le porte-étendard était et demeure Jeune Afrique de Béchir Ben Yamed, révélé Jeune-à-fric par Canard Enchaîné dès 1983 et plus tard vulgarisé dans cette posture par François Xavier Vershave de regrettée mémoire, qui s’en est souvent pris à la presse organique de manipulation françafricaine,
« comme Jeune Afrique, qui ne cachait même plus ses longues relations avec Foccart - qui lui a légué ses archives. Elle est plus riche des articles qu’elle n’a pas publiés que des articles qu’elle a publiés : quand elle a préparé un article gênant, elle demande au dictateur concerné combien il l’achète. »(1).
C’est ainsi depuis longtemps de notoriété publique la perversion mafieuse de ses rapports avec Jacques Foccart, l’âme damnée de la Françafrique. Comme moyen fonctionnel de communication, il ne reste principalement aux résistants diversement isolés du panafricanisme que les pages des réseaux sociaux de l’Internet pour exprimer leur point de vue, se donner éventuellement la main pour plus d’efficacité dans leurs efforts de libération collective.
A l’échelle de chaque pays africain, il ne manque pas de « feuilles de chou » assez téméraires pour tirer plus ou moins fréquemment sur la sonnette d’alarme face à la fulgurante avancée du néocolonialisme. Mais presque partout ces organes de presse manquent de ressources à la fois humaines et matérielles (on ne peut s’y engager et persévérer que si l’on ne nourrit pas certaines ambitions immédiates, que si l’on préfère l’honneur aux honneurs, l’ascèse aux bombances, comme Pius Njawé). Ils n,ont pas accès aux grandes sources d’informations toutes aux mains d’une administration sous trop pesante tutelle, des agences internationales de presse en général montées et fonctionnant comme systèmes de conditionnement perpétuel des peuples à maintenir sous domination, à exploiter sans état d’âme.
Le souverain mépris du Nègre marron continue à se faire ostentatoire, pour pouvoir servir à jamais d’exemple : c’est en mondovision que commence le lynchage à mort de Lumumba par les forces de l’ordre colonial de reconquête immédiate2. Cinquante ans plus tard, Sarkozy procède de la même façon devant ses paires de l’Union Européenne en réunion à Bruxelles, pour hurler à Bagbo l’ordre de démissionner, de s’enfuir dans les 48 heures. Sinon, implicitement, qu’il s’attende à connaître soit le destin de Um Nyobe, de Marien Ngouabi, de Sankara, soit celui de Sékou Touré et consorts.

Des habitudes d’impudentes manipulations médiatiques pour tourner en bourrique même l’opinion occidentale et justifier des guerres de reconquête coloniale : on se souvient peut-être encore de cette « infirmière » effondrée qui témoigna de la dernière cruauté de Saddam Hussein, le massacre d’enfants en couveuses, qui libéra le déclic, vainquit les derniers scrupules de l’opinion américaine, pour laisser les mains libres à Bush Père d’ordonner la première invasion de l’Irak. L’« infirmière » se révéla plus tard, à quelques curieux, n’être que la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, « montée » pour les besoins de la cause.

Une Classe politique mandataire

Le colon est resté égal à lui-même – dans ses intentions comme dans ses objectifs : le vampirisme infini de l’économie, de la culture du néocolonisé. La seule nouveauté est qu’il s’affuble désormais de masques vivants en plus grands nombre – il a même changé de peau en Afrique noire. Il a toujours choisi avec un soin méticuleux ceux à qui il a remis l’« indépendance » comme il tend à leur trouver de dignes successeurs de plus en plus obéissants, dépersonnalisés, dévoués à faire appliquer la volonté du Maître, jusqu’au sacrifice de leur vie, des intérêts les plus inaliénables de leurs peuples. Autant que possible, la bonne culture s’étant révélée héréditaire (« L’émotion est nègre comme la raison est hellène. »(3)), on veille désormais à ce que l’alternance au sommet de l’État « républicain » se fasse de père en fils. La stabilité de putréfaction d’une domination étrangère des plus impudiques !

L’Administration des républiques bananières a été conçue et mise sur pied sur la base de la corruption – des hommes et des structures qui continuent de les conditionner dans le sens d’une morale assassine du chacun pour soi et Dieu (l’État aliénant) pour tous. Chaque bénéficiaire d’un bout de Pouvoir Discrétionnaire s’en sert d’abord à des fins personnelles. N’attendez point qu’il manifeste le moindre esprit de service public. Il attend de l’usager au quotidien qu’il contribue à rembourser les sommes engagées pour l’achat de sa nomination-couronnement, à constituer celles nécessaires au maintien de la bonne humeur des innombrables décideurs de la Voie Hiérarchique. Sans oublier l’enrichissement personnel du préposé en question, pris comme tout le monde dans la frénésie de l’enrichissement « sans suer ». La présence voulue sans fin des conseillers techniques de la Métropole garantit le fonctionnement normal du système, veille à ce que le Pouvoir néocolonial demeure aux mains des plus médiocres. Ils n’ont rien à craindre des rescapés de la persécution qui a préparé, accompagné l’« indépendance » et protège son sommeil : l’armée néocolonisée rassure assez, sinon les bases militaires françaises ne sont pas loin.

Le Mal vient de très loin

Malgré le tapage fait jadis autour de l’Assimilation Culturelle comme gage de l’humanisme français au secours des peuplades à sauver généreusement de la barbarie de leurs coutumes anthropophages, la colonisation et ses succédanés (Françafrique, Mondialisation) n’ont jamais fonctionné pour libérer tant soi peu l’homme noir.

« Pour lutter contre les tares héréditaires, ou tout au moins pour les atténuer, pour essayer d’améliorer physiquement et moralement l’indigène, il ne faut pas s’adresser aux parents asservis par les traditions séculaires, mais agir sur la mentalité des enfants. Et pour cela, il est indispensable de l’envoyer à l’école. »(4)
Il fallait donc bâtir la société coloniale sur les cendres de la civilisation africaine. Un homme tué spirituellement peut conserver son corps, comme il arrive qu’un arbre vermoulu, rongé de l’intérieur de sa substance noble, continue à afficher une apparence normale. Cet homme n’est plus un homme. Il a cependant gardé toute sa musculature, sa fonctionnalité animale. Il est devenu zombi, sans volonté propre, à la merci de son tueur utilisateur.

Ses enfants, on prétend pouvoir les sauver – sans leur passé - de leurs croyances ancestrales. Et le Salut, le Chemin de Damas, est dramatiquement élitiste : « Beaucoup sont appelés, mais peu seront élus ». C’est alors une société foncièrement inégalitaire, celle de la loi du plus fort, du plus armé (au fusil) qui se met en place. Civilisation ou barbarie(5) ? s’est inquiété Cheikh Anta Diop.

Sans un effort soutenu d’auto-libération, l’universitaire, l’intellectuel nègre ordinaire demeure culturellement aliéné, complexé à en mourir de haine de tout ce qui n’est pas conforme aux canons établis sur le Vieux Continent, de tous ceux qui ne cessent de prétendre que la source principale de leurs malheurs est la colonisation qui n’a pas cessé : « Il n’y a jamais eu décolonisation française de l’Afrique. Il y a cinquante ans, la France s’est aperçu que la première forme de colonisation lui coûtait trop cher. »(6) Un exemple tout simple : « Aime ton prochain comme toi-même ! » A l’exemple des États coloniaux, néocoloniaux ? De l’Onu, du Fmi ? … L’école coloniale a fait et continue de faire du bon boulot pour le maître d’esclave ; nombre de ses produits, même avant-gardistes continuent de céder à l’envie de penser et agir, de ressentir toujours dans l’attente plus ou moins consciente d’être approuvés, félicités par leurs formateurs dont le dressage a réussi au-delà des espérances les plus folles.

Ainsi, l’intellectuel africain moulé à l’afro pessimisme quelque peu refoulé a du mal à repérer ses meilleurs objectifs stratégiques, à les défendre ardemment, de toutes ses ressources. Il est plus souvent porté à se faire valoir personnnellement, à comprendre qu’à écouter, qu’à observer. Au niveau de la structuration de son argumentaire, il reste prisonnier de la vieille rhétorique de l’équilibrisme spéculatif, artificiel, qui d’habitude ne quitte les cours de philosophie orthodoxe qu’en vue de plomber la réflexion libératrice des « meilleurs élèves » de la Francophonie. Comme si sur un champ de bataille, pour faire Bien, juste mesure, il faudrait tirer autant de balles dans le camp ennemi que dans son camp à soi, dans ses propres jambes. Il en est même qui songent tout le temps à jouer aux arbitres impartiaux entre les paysans sans terre et les multinationales de des Ogm., entre un voisin, un parent en difficulté, agressé, et son bourreau. Voire à excuser ce dernier, par-dessus la tête de sa victime : en bon chrétien, Senghor n’hésite pas à pardonner à la France la perfidie, la roublardise perpétuelles de ses rapports avec ses colonisés.

En général c’est au moment de passer à l’action sociopolitique que l’intelligentsia e nègre conditionné est obligée de repérer par elle-même les innombrables pièges du champ de bataille où elle opère depuis toujours, à son corps plus ou moins défendant. Un autre cache-sexe dont elle s’affuble souvent est le non-alignement – ni à droite ni à gauche, ni du côté des paupérisés comme de celui l’État vampire ; à l’en croire, si les requins politiques de la Mondialisation sont au Nord, leurs victimes du Sud sont d’abord  prisonniers de leurs « sales » coutumes, des égoïsmes féroces de leurs carnassiers politiques.

C’est beau le non-engagement ; mais à quoi, à qui ça sert ? Comme on peut se révéler parfaitement inutile tout en se gargarisant tout le temps d’être le plus beau, le plus courtisé par les Maîtres du Monde ! heureux qu’ils sont de vous voir intéressé au sort de votre peuple uniquement à titre d’expert froid des plus désincarnés. Vous en méritez le salaire, le haut et disproportionné standing de vie par rapport à vos congénères. C’est la moindre des choses pour combler un précieux allié si sûr, même s’il est loin de pouvoir deviner son déterminant apport dans l’asservissement du monde, pour être psychologiquement en mesure d’exiger une rétribution conséquente.

Une nouvelle croisade impérialiste européenne en filigrane

L’Urss a disparu depuis la fin des années 80. La Chine s’est convertie à l’Économie du Marché – sans cependant rien perdre de l’essence de la révolution maoïste. Pour quel ennemi mortel l’occident chrétien se met-il sourdement en ébullition ces dernières décennies ? Peut-être pour en finir une fois pour tous avec Cuba, la Corée du Nord et l’Iran (après l’Irak de Saddam Hussein) ; ou pour achever de fermer le bec au Venezuela, à la Libye, à Mugabe, à Gbagbo ? Ce serait recourir à l’arme atomique juste pour assommer des mouches : la dernière, la moins nantie des puissances mondiales bénies du Saint Siège pourrait s’en occuper en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, si la survie de l’Empire du Bien devait passer par là.

Son enjeu réel en ligne de mire semble être le mondialisation absolue du Capital, surtout par la biais de ses travers les plus décapants : corruption des mœurs (de quoi fragiliser les victimes et les délester sûrement de leurs derniers scrupules humanistes) ; course perpétuelle au surarmement, avec les États amis ;  démilitarisation forcée ou « à l’amiable » des pays peu sûrs, jugés irresponsables ; le cynisme aggravé de faire prendre, de gré ou de force, aux nations dominées l’habitude de l’anormalie ; finalement faire de la grande majorité des habitants de la planète Terre de simples consommateurs impénitents, sans âme d’une industrie qui a depuis longtemps perdu le souci de l’humain.

Si l’humanité devait en périr, il resterait probablement la Solution Miracle du Savant Apprenti Sorcier, gai inspirateur de la Civilisation Universelle, un seul moyen de peupler à nouveau la Terre des hommes, cette fois uniquement de la race préférée de Dieu : le si apparemment controversé clonage. Qui prétend que Hitler est mort !? En tout cas pas en esprit. Le nazisme lui a survécu et prospère au XXIe siècle plus chez ses pires ennemis des années 40 que « nulle part ailleurs ».

Des leçons à tirer

Le premier mérite de la Crise ivoirienne est de révéler, de rappeler aux nations africaines, l’inanité, la vacuité de leurs indépendances ; qu’il est plus que temps de démarrer la dernière phase de la marche vers l’accomplissement total du Panafricanisme comme socle d’une libération collective mieux garantie. Un bon départ pour le second cinquantenaire, celui de la prise de conscience passée en acte ! de la fondation d’une solide tradition de lutte transfrontalière des peuples pour plus d’indépendance assumée. Ce que nous pouvons faire, Dieu ne le fera pas pour nous. Il nous faut davantage de discipline, savoir transformer la passion en compassion virile, sacrifier les plaisirs immédiats, égoïstes, au bien-être retardé, afin qu’il gagne en qualité, en profondeur, en équité. Montrer que l’on peut être à la fois candidat consciencieux au martyre, homme politique et homme de bien, en Afrique aussi. « L’Afrique de la honte, nous n’en voulons plus ! »(7)

Le soutien à Gbagbo va au-delà des clivages ethniques, idéologiques modernes, pour se situer dans l’espace du nationalisme panafricain, de la solidarité tiers-mondiste. De nombreux Gbagbo sont déjà tombés sur ce chemin escarpé de la libération des peuples par eux-mêmes. Mais leurs esprits, les diverses mélodies de leur foi en l’homme vont rythmer notre marche vers plus de hauteurs. « Quand c’est dur, ce sont les plus durs qui avancent. » (J. F. Kennedy)

Conserver la tête froide : le désespoir n’est pas nègre (nous avons survécu au Commerce Triangulaire !). Nos plus vielles cosmogonies révèlent un monde sans fin du monde, où n’est pas prévu le diable. Tout finit par s’arranger entre des hommes de bonne volonté, entre l’homme, la société et le monde, les Dieux. Les gladiateurs de la Rome antique, les Nègres marron de la forêt amazonienne et des environs, n’ont pas pour rien longtemps tenu tête. « Haïti où la Négritude se tint debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité ! »(8) Notre pire ennemi c’est la peur d’échouer, de nous tromper, et même de tenter l’aventure décidément émancipatrice, d’appuyer sur le déclic du processus de la libération collective.

Les afropessimistes de formation, de conviction ou de pure spéculation ont un nouveau souci : l’Union Africaine est en train de leur échapper ; elle vient de révéler qu’elle est autre chose qu’un club de chefs d’État indigènes, sans la moindre autonomie ni indépendance d’esprit, qu’elle n’est pas toujours manipulable ; elle leur a administré une historique gifle morale, en prenant à contre-pied  la Communauté Internationale et son Onu dans le Dossier ivoirien : renvoi aux calendes grecques de la menace de la guerre d’agression contre ce peuple victime de ses « scandaleuses » richesses tant convoitées, envoi d’une Commission de cinq chefs d’État pour réévaluer le processus électoral et décider en fonction de la réalité ivoirienne seulement et non des projets d’approvisionnement en matières premières bon marché de certaines puissances nucléaires.

Les Français sont-ils responsables de tous les malheurs de l’Afrique ? Cette question rhétorique commande que l’intellectuel sage réponde par oui et non, avant de plonger dans une érudition embrouillée, de pacotille, pour tenter de masquer sa peur bleue qui l’amène, à tout bout de champs, à éviter d’« attaquer » la France, de se mettre à dos les dispensateurs de bons et mauvais points en matière de discipline intellectuelle, de comportement « civilisé ». Quoi qu’il en soit, les Français de moralité ordinaire, la France officielle, sont plus en profondeur impliqués dans le délabrement orchestré du destin de l’Afrique que ne sauraient l’imaginer ou l’admettre l’Africain lambda ou son concitoyen universitaire sans culture autonome. « Le néocolonialisme est plus dur que le colonialisme. » (Sékou Touré). « Si demain la survie de la France passe par une nouvelle invasion de l’Afrique, elle ne va pas hésiter vingt-quatre heures. »(9) Elle n’a d’ailleurs jamais quitté ce continent, qu’elle occupe corps et âme – « éducation-dressage », « coopération » sans fin prévisible, bases militaires.

Au bout du compte, le Continent Noir se révèle de nos jours comme pris dans une nasse aux fils de tissage incolores bien que suffisamment acérés pour que sa capture prenne de temps en temps une allure d’éternité. L’eau matrice se trouve diversement polluée selon les lieux et les époques. Quoi qu’il en soit, il n’est plus question qu’elle retrouve un jour sa composition naturelle ; mais de travailler inlassablement à assécher les multiples sources soigneusement identifiées de pollution et d’assainir méticuleusement le nouveau milieu de vie à l’autonomie conquise de haute lutte comme vivier de l’auto régénération collective. « Là s’écrit en Côte-d’Ivoire les plus belles pages de l’histoire africaine. »(10)
Hilaire Sikounmo
Enseignant- Ecrivain
1-De la Françafrique à la Mafiafrique, Éditions Tribord, 2004, p.63
2 Le Congo belge est déclaré indépendant le 30 juin 1960, et la sécession katangaise survient seulement quatre jours après, le 04 juillet de la même année.
3 Léopold Sédar Senghor, Négritude et humanisme.
4 Rapport annuel du gouvernement français sur l’administration sous mandat des territoire du Cameroun, 1922, p.22, cité par F. Kangue Ewane, Défi aux Africains du IIIe millénaire, CLE, Yaoundé, 2000, p.98.
5 Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance, Présence Africaine, Paris, 1981.
6 Malick Seck, journaliste sénégalais, à la Radio Télévision Ivoirienne, « Raison d’État », février 2011
7 Micro-trottoir, Paris, RTI, 22h30, 17/02/2011
8 A. Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine.
9Malick Seck, op. cit.
10 Calixte Beyala, RTI, 17/02/11