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Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte

Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte

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Index de l'article
Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte
Donner du sens à l’espérance
Pour une conscientisation des étudiants en mal d'action
Le logement estudiantin en crise au Cameroun
Au bonheur des petits métiers.
Campus : l’univers de l’insécurité
Génération sacrifiée Vs Génération privilégiée : Un débat vicieux
Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte
Toutes les pages

Jeunes : Le droit à la parole

Selon Hilaire Sikounmo, dans son ouvrage Jeunesse et Éducation en Afrique, « même si le système scolaire contrarie la famille africaine en bien de domaine, il renforce l’infirmité de l’éducation parentale en continuant de soumettre la jeunesse à une mesquine loi du silence qui hypothèque la survie même de la communauté ». Pour l’auteur de Débris de rêves, le travail d’assujettissement des enfants commence dès le bas âge dans la famille est parachevé de façon plus systématique par l’école étrangère. Cette position corrobore celle de Confucius, selon laquelle « une éducation qui exige l’obéissance aux parents et aux maîtres forme la base pour une obéissance absolue aux maîtres de la société ».

Dans nos sociétés, les jeunes n’ont presque rien à dire. Le droit à la parole est nié chez les plus jeunes. Les adultes pensent à leur place. Ils sont très souvent traités comme des animaux que le berger amène au pâturage sans leur demander quelles herbes ils veulent manger.

Comme le souligne Roger Kaffo la jeunesse scolaire "fait la fierté des autorités et c’est elle qui a défilé pour donner l’éclat approprié aux manifestations du 11 février. Que représente-telle au juste ? À 58%, elle a pu cahin-caha se hisser au niveau d’une classe de CM2. À partir du niveau 3 du secondaire, elle ne représente plus que 26% de sa classe d’âge ; au niveau terminal, à peine 5%. La grande majorité des jeunes n’a donc pas été sur les places de fête le 11 février. Où était-elle et qu’était-elle en train d’y faire pendant ce temps ?  C’est son affaire. Ces jeunes-là, que le train de l’école a abandonné trop tôt sur un quai d’une gare perdu n’a pas les armes pour se frayer un chemin dans la jungle de la vie actuelle et se consume dans la débrouillardise, traquée comme des hordes de bêtes féroces par l’armée des urbanistes et des fiscalistes de la république. Leur salut se trouve dans les petits métiers informels du marché noir et du trafic en tous genres où près de 90 fois sur 100 l’échec et la misère sont au rendez-vous pour la vie. Quant à la fraction qui a pu suivre des études et glaner des parchemins, elle finit elle aussi sur le trottoir, au sens propre du terme, se prostituant dans tous les petits métiers pour gagner son bout de pain." Visiblement, au Cameroun, tous les ingrédients sont réunis pour que les jeunes partent  Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte. Profitant de la célébration de la fête nationale de la jeunesse, Germinal sort des sentiers battus et choisit de donner la parole aux jeunes de l’Association de défense des droits des étudiants au Cameroun (Addec), afin que librement, ils essayent d’évoquer certains de leurs problèmes. Ces journalistes d’un jour n’ont pas donné leur langue au chat. Avec la fougue juvénile, ils ont dit ce qu’ils avaient sur le cœur, en ce qui concerne la politique, l’engagement, la citoyenneté, l’insécurité dans les universités camerounaises, la crise de logement, la duplicité des bailleurs, entre autres.
Donner du sens à l’espérance
Le souci de construire une nation prospère, la détermination à faire triompher les valeurs qui élèvent l’homme et font honneur à notre pays, ne sont pas la préoccupation exclusive de quelques élites, membres de clubs hermétiques, institutionnels ou non. Les visages séniles qu’affichent la plupart des leaders des appareils politiques – appareils politiques que l’on sait être (ou censés être) des cadres indispensables et de loin les plus importants où l’on conçoit collectivement une vision du progrès, exprime la volonté et élabore les stratégies adéquates de sa mise en œuvre à travers l’occupation des postes de responsabilité les plus sensibles au sein de l’État – est le signe du choix de confiscation de l’engagement politique par une caste dont les compétences jusqu’ici n’ont pas été à la hauteur des attentes du Cameroun. Les stratagèmes connus qui se manifestent par diverses pratiques d’embrigadement, de servitude et d’endormissement des esprits des jeunes afin de leur garantir un rôle de marionnettes malpropres, achèvent de convaincre la communauté nationale de n’accorder d’emblée aucun crédit à toute expression de leur part d’un attachement à l’idéal d’une société où se meuvent à suffisance les valeurs les plus nobles. Cet état de fait donne inéluctablement l’illusion, oui l’illusion, auprès des observateurs non avertis d’un refus, et même d’une incapacité de la vigueur juvénile de s’impliquer de manière résolue sur le long et rugueux chemin de la construction de la nation. À y voir de plus près, et en prenant en compte l’histoire politique et les acteurs qui la vivifiaient, dans la mesure où les éminents hérauts de la liberté, auteurs des pages les plus glorieuses de la lutte pour l’émancipation et la dignité de notre peuple étaient dans leur grande majorité des jeunes, l’on ne peut qu’être désolé et particulièrement amer de constater que le système actuel, qui à un moment donné de son existence s’est collé de manière pompeuse l’étiquette de « renouveau », est, conformément à la logique du système colonial qui l’a engendré, responsable de la situation regrettable de l’abandon du champ politique par une importante majorité des membres les plus frais de la communauté nationale. Le renouveau, dont les principaux animateurs, jeunes à l’époque et impopulaire encore aujourd’hui, ont bénéficié du casting orchestré par les colons d’antan, par la pollution de la mémoire collective, le culte accru de l’apolitisme, véritable stratégie d’abrutissement massif, détruit la dignité du citoyen, entretient à suffisance une démission et une complicité active de nombreux jeunes ainsi dépouillés de toute conscience éveillée, au drame du sous-développement que nous connaissons et à la pérennisation d’un système où les élites ont fait du pouvoir « rien de moins qu’une vaste machine à jouir » comme l’a dit Achille Mbebe dans la narration de ses souvenirs d’enfance (Cameroun mon pays). En effet la fameuse et honteuse phrase « l’école aux écoliers et la politique aux politiciens » du grand fauve, prédateur en chef, et le souvenir du contexte dans lequel elle fut prononcée, au même titre que la vraie fausse histoire du Cameroun enseignée à la jeunesse, à travers les programmes scolaires, les médias et autres cinquantenaire de l‘indépendance, participent de la volonté d’embastillement de l’esprit critique, l’intolérance des opinion divergentes, l’inhibition des consciences politiques, l’apologie du suivisme et la pensée dictée qui sévit en milieu scolaire et s’étend aussi, avec aisance, dans tous les espaces de la « République ». La censure voire le bannissement des esprits les plus brillants de notre nation dans le but de construire une jeunesse sans repères crédibles participe de la même logique. Le moins que l’on puisse ajouter, c’est simplement que l’autre tactique, qui constitue un pan important de cette « vision » du système, en tout temps, a consisté à appauvrir le peuple pour mieux jouir de sa sève, exploiter sa vaillance à des fins totalement opposées à ses intérêts. Le chômage chez les jeunes est à un niveau déplorable, la formation est à l’image piteuse, des infrastructures obsolètes qui plus est se raréfient au fil du temps. Des prédateurs patentés, conscients de la réalité bien explicitée par Maurice Kamto, devenu par ailleurs membre important du système, selon laquelle « la pensée ne fleurit pas sur des terres ravagées par la misère », prestes dans leurs diverses besognes malsaines, accentuent par la privatisation et la personnalisation des ressources et deniers publics, la précarité en partie responsable de la facilité avec laquelle sont organisées les motions et autres marches, non-sens, de soutien au potentat, prédateur en chef, sont constitués des charters pour des votes multiples et des brigades  d’applaudissement aussi assourdissants qu’inconsistants, aux vibrations ravageuses pour l’essor de la démocratie. Cette ambiance propice à la profusion des béni-oui-oui, où la promotion sociale est très souvent le fruit de l’adaptation et de l’inclination au vice, a ceci de particulièrement dramatique pour notre génération, qu’elle a construit dans les esprits, une sorte de préjugé qui considère tout engagement dissident chez les jeunes comme suspect, dénué de toute conviction progressiste réelle, mais par contre, motivé par le seul désir du gagne-pain. Elle laisse planer sur ces derniers, inconsciemment installés dans une léthargie légendaire, l’insulte qui consiste à laisser entendre qu’ils sont incapables de défendre avec fermeté, loyauté et intégrité des convictions qui engagent leur destin, parce que moulés dans un système où règne le pouvoir du vice et la loi du plus fort. Mais tout n’est pas perdu. Pas encore. Car, malgré la présence des aventuriers et des «arnaco-profito-opportunistes » qui foisonnent en milieu du leadership jeune et qui reflètent pitoyablement les conséquences dévastatrices du travail – reconnaissons-le, efficace – d’avilissement du renouveau, malgré les préconçus qui persistent à cet effet et suscite de la méfiance et parfois du rejet, des leaders jeunes exprimant des convictions sincères, manifestant avec ardeur un engagement progressiste, existent bel et bien et arrivent à se faire entendre dans cet environnement dont le caractère hostile à la contradiction pour des raisons de « dressage » ne souffre d’aucune ambigüité. C’est parce qu’existent ces esprits vifs et consciencieux, qui parviennent à se souscrire de ce « soufisme à la renouveau » que notre génération peu donner du sens à l’espérance.

André Benang

Addec, Source, Germinal n° 070


Pour une conscientisation des étudiants en mal d'action

La jeunesse camerounaise se trouve face à la crise de la citoyenneté. Il faut pourtant qu’elle prenne conscience des jeux et des enjeux.

La jeunesse se sent dupée. Elle a accumulé au fil du temps bon nombre de frustrations. Ces frustrations ne sont pas le fruit de considérations subjectives. Au contraire, ces spoliations émanent d'une oppression sociale de plus en plus contraignante. Un sentiment dont s'accommode mal la jeunesse. Appréhender « la crise de la citoyenneté »

de la jeunesse dans son essence et tenir compte des dynamiques qui la travaille sans chauvinisme aucun, c’est l’analyser sous le prisme de son acuité dans la communauté estudiantine. Tâche ardue, s’il en est.

Les frustrations et les contraintes dans le milieu universitaire : des raisons pour s’engager.

Le milieu universitaire n’est pas isolé des problèmes de la société dans laquelle il baigne. Parfois, ces problèmes sociaux s’y retrouvent avec acuité. Et le problème du logement démontre comment le manque de prévision des pouvoirs publics, n’ont pas pu éviter l’enlisement. 2000 lits sont proposés à 200.000 étudiants. Ce qui entraine la promiscuité.

Les étudiants ont du mal vivre et à se nourrir décemment. Les prix des produits de première nécessité en perpétuelle hausse, plusieurs d’entre eux, à défaut de faire la queue pendant trois heures devant les restaurants universitaires lorsque ces derniers sont ouverts, sont réduits à un régime alimentaire frugal dont la qualité est fort déplorable. Il y a aussi le problème de chômage. En effet, les statistiques du document pour la croissance et l’emploi indiquent que 60% des diplômés du supérieur ne trouvent pas d’emploi. Ce constat alarmant contribue à renforcer une crainte de l’avenir chez l’étudiant. Ce qui les pousse à faire des choix opportunistes. Cependant, il est d’autres phénomènes qui sont propres au monde universitaire. Il s’agit, entre autres, des notes sexuellement transmissibles, de la vente illicite des polycopiés, le bizutage au premier cycle orchestré par les enseignants adeptes des taux de réussite très bas de 6% à 15% etc…

Autant de réalités qui, dans un autre contexte, auraient suscité une prise de conscience chez les étudiants. Ce qui n’est malheureusement pas le cas dans le contexte camerounais.

Un engagement au degré zéro malgré une pléthore de raisons objectives de s’engager

Malgré les nombreux problèmes sociaux décriés, la jeunesse estudiantine manque d’intérêt face aux questions et faits socio-politiques qui régissent la république. La preuve, sur les 750.000 inscrits sur les listes électorales, très peu sont étudiants. À l’origine, une réaction inconsciente face à un système politique qui a tout intérêt que cette situation perdure. De manière générale, le système n’a pas tari d’initiatives savamment pensées afin de dissuader la jeunesse estudiantine de prendre conscience des phénomènes dont elle est victime.

La plus lâche et la plus facile des méthodes est la répression violente. Chaque fois que les étudiants ont revendiqué des solutions aux problèmes qui les affectent, les pouvoirs publics ont fait recours à la force. Des exemples sont légion de 1962 à nos jours. La violence atteint son paroxysme en1990 et 2005. Avec la clé, des leaders torturés. C’est le cas de Batogna (second président de l’Addec), Ibrahim Mohaman et Aurelie Temenou victimes des sévices corporels graves, des leaders de la gente féminine (Anne Marie Sob, Fadimatou, Nguiadem) des années 90, déshabillées,  battues, torturées et/ou violées. Ces violences sont perpétrées par les forces de l’ordre ou par les multiples milices qui peuplent les campus. Ainsi, le recours à la violence dans nos universités entretient un climat de terreur et  conduit à une sorte de paranoïa. Ce qui tue dans l’œuf toute velléité de réclamation. Parler de politique au campus, suscite crainte et peur de représailles. La seconde méthode plus subtile, consiste à peupler le campus des universités d’État d’agents de sécurité publique en civil. Aidés de quelques indics, ils parviennent à identifier des dissidents ou potentiels dissidents afin d’éradiquer le « Mal à la racine ». Ainsi, ils s’acharnent sur leurs parcours académiques en les semant d’embûches. Parfois, ces barbouzes procèdent  à des enlèvements des leaders un peu trop gênants (cas de Linjuom Mbowou, Okala Ebode et Samba Samba Patrick naguère enlevés par les services secrets). À combien d'étudiants l’on a fait croire qu’ils étaient sans intelligence ? Seuls les barbouzes peuvent le savoir (un cas patent, celui d’Yves Mintoogue, actuellement l’un des plus brillants étudiants de la Sorbonne et fervent militant de l’Addec, qui n’a pu soutenir son mémoire de maitrise après l’avoir déposé 1 an et demi plus tôt au décanat. Et comme si cela ne suffisait pas, ce mémoire, pourtant salué par les intellectuels dont on ne peut douter de la renommée, a reçu une note passable et des critiques insultantes du président du jury, Pr Daniel Abwa, affichant sans vergogne son acharnement contre l’étudiant, dont le génie lui posait quelques problèmes).

Une autre méthode abjecte: le tribalisme et la corruption des leaders. Les systèmes répressifs ont toujours eu l’art de manier la cravache de la main droite et la carotte de la main gauche. Ainsi, ils parviennent à acheter des leaders même les plus sincères. Dans le contexte camerounais, nombreux sont ceux qui ont profité des grèves estudiantines de 2005 à 2006 pour se vendre au plus offrant. D’aucuns ont été corrompus pour créer une Addec-Bis afin de lever le mot d’ordre de grèves et paraître comme les principaux interlocuteurs, seuls capables de résoudre la crise. D’autres ont été encouragés à créer des organisations tribalistes s’apparentant à des mouvements d’extrême droite afin de s’en prendre violemment aux membres de l’Addec (le Cafev ou l’Action Directe Républicaine)

Une seule thérapie : Un syndicalisme estudiantin fort.

Face à la gravité d’une telle situation et compte tenu de la ténacité des adjuvants, une thérapie efficace s’impose. Dans le milieu estudiantin, rien de mieux qu’un syndicat estudiantin fort et non partisan. Ce mouvement estudiantin doit comprendre que, de même que la nature a horreur du vide, l’absence de relais sociaux conduit à des mouvements spontanés et infructueux. Février 2008- notre Commune de Paris à nous- n’a pas eu de fruit pour les défavorisés, parce que ce mouvement n’avait pas une direction-stratège, structurée et solide. L’impérieuse nécessité d’une structuration des organisations de la société civile camerounaise et de les  doter d’une direction capable de comprendre que la violence répressive et symbolique, la corruption inhérentes à cet État sont la conséquence de sa nature : un État néocoloniale. Et que pour mieux atteindre ses objectifs, il doit être armé théoriquement pour mieux appréhender les véritables problématiques afin d’en finir avec l’empirisme, l’aventurisme et le spontanéisme. Ainsi, ce mouvement, qui doit fédérer toutes les forces progressistes estudiantines et sociales jeunes, et dont la direction serait plus stratège et armée théoriquement, aura plus de hardiesse à résoudre les crises profondes qui touchent le monde universitaire et la société toute entière.

Hervé Nzouabet

Président de l’Association pour la défense des Droits des Étudiants du Cameroun (Addec)

Le logement estudiantin en crise au Cameroun

La place des étudiants dans la politique du renouveau sacrifiée sur l’autel des atermoiements des autorités.
41 444 bacheliers sur 71 396 candidats inscrits; soit 58,94% de réussite. Pour la session de 2010, l’office du baccalauréat du Cameroun se frotte les mains. La société civile attribue ce pourcentage en hausse à la campagne électorale du parti au pouvoir, les élections présidentielles se profilant à l’horizon. Bon gré, mal gré, les jeunes bacheliers ne crachent pas sur leur réussite, même dévaluée. Par satisfaction du travail accompli pour les uns,  par curiosité de découvrir le monde nouveau qu’est l’Université pour les autres. Ou encore par accomplissement de l’ambition d’une autonomie longtemps recherchée, se disant : « J’irai enfin vivre loin des parents qui commencent à devenir un peu trop regardant sur la gestion de mes affaires ». En réalité, l’expérience que suggère la vie solitaire d’étudiants est à mille lieues de l’imagination du calvaire lié au logement qui, bientôt, va les frapper de plein fouet.

Dès le mois d’août, l’euphorie de la réussite laisse place à l’anxiété et la réflexion sur l’inscription à l’Université. Mais, avant toute chose, il faut résoudre l’épineux et sempiternel problème de logement. Une priorité, mais aussi un impératif catégorique pour toute activité académique. Ainsi, les jeunes étudiants vont très vite avoir l’impression d’avoir été piégés. On les a félicités d’avoir obtenu le baccalauréat mais ils constatent qu’on ne s’est pas beaucoup préoccupé de ce qu’ils deviendront après. Pour le comprendre le visiteur n’a qu’à faire un tour à la cité universitaire de l’Université de Yaoundé I qui ne compte que 200 lits pour une population estudiantine estimée à 40 000 étudiants. Mieux encore, la division du logement du centre des œuvres universitaires a enregistré, pour l’année académique en cours, environ 1550 demandes de lits pour seulement 300 places disponibles. Disons 300 places supposées disponibles parce qu’en réalité, ces lits dits disponibles seraient déjà attribués à quelques proches des autorités universitaires au grand dam des miséreux désireux. Dans ce cas, le communiqué d’appel à candidature qui précède les dépôts des dossiers ne sert qu’à noyer le poisson de la corruption et des magouilles diverses. Ainsi, ne pouvant s’offrir une place à la cité universitaire où en plus les attributions sont généralement très tardives -en janvier pourtant les cours débutent en octobre de l’année précédente- ces jeunes étudiants vont se rabattre sur les mini-cités autour de l’Université, appartenant aux privés et pompeusement désignées « Zone de Résidence Universitaire(Zru)». En effet, contrairement à l’article 5, alinéa(3) de l’arrêté inter-ministériel du 30 juin 2005 portant réglementation des loyers des logements d’étudiants des Universités d’État du Cameroun, qui dispose que « La perte de la qualité d’étudiant emporte la perte du droit au renouvellement du contrat de location en zone de résidence universitaire », ces lieux sont fortement habités par des non étudiants sous le regard attentiste et complice des autorités en charge de la question. Pire encore, dans ces zones, on est comme dans une jungle où étudiants et bailleurs se livrent un combat sans merci. Pour y avoir une chambre, il faudrait d’abord braver les astuces vicieuses des prétendus agents immobiliers qui en réalité ne sont autres choses que des « ar naquo-profito-opportunistes ». Ensuite, lorsqu’on a pu trouver une chambre vide, être à la hauteur des enchères des bailleurs qui se font du beurre sur le dos des étudiants dans un contexte où la demande est outrageusement supérieur à l’offre. La grande majorité de ces bailleurs, pratiquent des prix nettement supérieurs aux prix homologués et consacrés dans la grille des loyers en ZRU de l’Université de Yaoundé I signé du 12 décembre 2007 pour le premier et le 04 octobre 2010 pour le second par le préfet du département du Mfoundi.

Morceaux choisis

« Mini-cité Doctor’s city » appartenant à Monsieur Kenfack ; prix homologué : 11 000fcfa, prix appliqué : 20 000 FCFA.

« Mini-cité de l’Entente » appartenant à Monsieur Wonkam ; prix homologué : 7 000 FCfa, prix appliqué : 10 000 FCfa. Ils sont ainsi nombreux les bailleurs qui foulent impunément aux pieds l’arrêté préfectoral qui classifie le prix des chambres en Zone de Résidence Universitaire(Zru). La seule victime de cette délinquance étant les étudiants qui se font molester au quotidien pour avoir osé citer les textes. Le cas de l’étudiante Bitang Marie Catherine (Lettre anglaise, niveau III)  tombée en syncope dans la nuit du 17/09/2010 à la suite d’une bastonnade à elle infligée par son bailleur (M. Kenfack), son épouse, son fils et son concierge est révélateur de la duplicité rampante dans ce milieu. La grille des loyers est une fuite en avant des autorités. Loin de résoudre le problème de logement contribue à exacerber les affrontements entre étudiants et bailleurs. D’autre part, les zones dites de résidence universitaire sont le théâtre d’une prolifération de bars à nulle autre pareille, entrainant une pollution sonore déconcertante. Le cambriolage et le grand banditisme y ont trouvé un terreau fertile. La surpopulation y a entrainé une promiscuité et une insalubrité notoires. N’osons pas parler du danger d’électrocution que courent les étudiants à cause de l’installation électrique anarchique orchestrée par certains bailleurs. Malheureusement, la situation n’est guère réjouissante ailleurs, car des sept Universités d’État que compte le Cameroun aujourd’hui, rares sont celles qui ont une cité universitaire. En réalité, ces cités sont symboliques. Leurs capacités d’accueil sont insignifiantes, l’État n’ayant plus construit de logement universitaire public depuis trente années, malgré l’augmentation décuplée de la population estudiantine. L’espoir d’une solution annoncée par la rumeur a fait long feu à l’Université de Yaoundé I (Université mère). L’ouverture pour l’année académique en cours des nouveaux bâtiments de 800 lits, construits par le budget d’investissement de l’enseignement supérieur sur le terrain de l’Université de Yaoundé I. Pour   des raisons inavouées, les choses trainent encore. L’Association pour la Défense des Droits Étudiants du Cameroun (Addec) et la foule des étudiants présents au meeting du 03 novembre 2010, ont fait un constat alarmant : en plus d’autres inadéquations relevées ici et là : les chambres collectives sont d’une exigüité à vous couper le souffle, pas de table d’étude, pas d’espace pour la cuisine lorsqu’on sait que les restaurants universitaires n’ouvrent leurs portes qu’en février. Bref ces bâtiments jugés irrecevables par les étudiants ont été baptisés la « cité de la honte »

Cyrille Sape
Addec


Au bonheur des petits métiers

Yaoundé, 25 janvier 2011. Marché central. Sous un soleil accablant, règne un calme apparent d’un mois sans paie. Les commerçants discutent entre eux. Le sujet de la crise ivoirienne anime les conversations et les détournent de la morosité des étals très peu visités en cette fin de mois. Ce qui frappe dans ces discussions, c’est les arguments avancés et la profondeur des interventions. À écouter les intervenants, on se rend tout de suite compte que ce sont des lettrés, du moins des diplômés. Regroupés dans des carrefours ou en bordure des trottoirs, ils sont nombreux à se battre chaque jour afin de pouvoir « subvenir à leur besoins  personnels et parfois à ceux de la famille ». Le désœuvrement, l’avenir incertain et les charges familiales font que, malgré le diplôme en poche un titulaire d’une Licence, d’un Master et même parfois d’un doctorat, s’en remettent au système « D ». Ils sont conducteurs de mototaxi, callboxeurs, coiffeurs, serveurs dans des restaurants. Le problème du chômage endémique au Cameroun est, selon eux, une conséquence de la négligence de l’État. Comment ne pas s’étonner que « plein de jeunes frais émoulus sortis des écoles de formations financées par l’État avec pour certains, des projets concrets souvent appréciés lors des salons de l’étudiant par des experts présents, mais après rien n’est fait et les jeunes n’ont plus d’autres choix que de se lancer ailleurs », lance un jeune licencié en géographie, propriétaire d’un call box. Ainsi, l’État pourrait-il par exemple promouvoir le secteur privé en encourageant ces jeunes diplômés car, « pleins de bons projets meurent dans les tiroirs faute de financement ou alors ils sont tout simplement récupérés par ceux à qui nous les présentons dans les ministères», fulmine Antoine K., vendeur d’ananas et diplômé issu d’un institut privé de la place. Face à cet état des lieux peu reluisant, il y a ceux qui se lancent dans ces métiers en attendant mieux. C’est le cas des « abonnés aux concours » des grandes écoles : ENS, ENAM, INJS et autres… Les chanceux réussissent mais n’abandonnent pas pour autant les petits métiers, car la réussite au concours n’exclut pas le coup de pouce salutaire de l’activité devenue incontournable qui leur permet de louer leur chambre. Madeleine Ngah jeune dame dont l’âge oscille entre 27 et 30 ans, maîtrise en Lettres modernes française,  explique : « j’ai eu le concours de l’École normale de Maroua. Partir suivre les cours, m’installer et acheter mes polycopiés n’auraient pas pu se faire si je n’avais pas mon secrétariat. Je ne sais pas ce que j’aurais fait. Et même à la sortie, j’ai été affecté à l’extrême nord et pendant près de deux ans, je n’avais pas eu de salaire. N’eut été mon secrétariat, je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui». De  plus, la plupart des jeunes diplômés sont gagnés par deux sentiments antagonistes : la résignation et la révolte. La résignation, c’est pour ceux des diplômés, qui, ayant tenté tous les concours ou presque et n’ayant pas de fonds de commerce pour se lancer dans une activité rémunératrice errent dans les villes et quartiers sans savoir à quel saint se vouer et face à cet avenir incertain, les concernés n’ont qu’une seule réponse : « on va faire comment ? » à la question de savoir pourquoi avec tous ces diplômes ils n’ont pas d’emploi. Le sentiment de révolte caractérise les jeunes diplômés qui face à ce constat de démission de l’État, se lancent dans la bataille du gagne-pain quotidien, car « si la montagne ne vient pas vers toi, va vers la montagne ». Alors, ils se lancent, soit dans les petits métiers ou tout simplement, se lancent dans l’aventure vers l’inconnu avec tout ce que cela comporte. Leur principes : « qui ne tente rien n’a rien »

Jessie Bikoko

Jeurac


Campus : l’univers de l’insécurité

Selon le dictionnaire Larousse l’insécurité se définit comme le manque de confiance, de tranquillité d’esprit résultant de la pensée qu’il y’a un danger à redouter ; en d’autres termes l’insécurité, c’est la présence constante d’un danger.

Cette insécurité, les étudiants la vivent quotidiennement dans les universités au Cameroun. L’Université ici comprend le campus universitaire proprement dit et les zones de résidences universitaires où logent les étudiants. Le principal type d’insécurité auquel l’étudiant fait face est l’agression physique provenant des voleurs et délinquants de tout poil qui, une fois la nuit tombée, s’infiltrent dans les campus et les zones de résidences universitaires pour commettre leurs forfaits. Les forfaits vont du simple vol à la tire aux braquages à mains armés avec violences sur les victimes. A l’université de Buéa par exemple de nombreux cas de vols à mains armés accompagnés de viols sur des étudiant(e)s dans leurs mini-cités sont enregistrés quotidiennement. A l’Université de Yaoundé I la situation est à peu près similaire, la zone dite « matéco » est réputée extrêmement dangereuse une fois la nuit tombée. En effet de nombreux cas d’agressions à mains armés et viols y ont été enregistrés de manière récurrente depuis quelques années. Que se soit à l’Université de Douala, de Dschang ou de Ngaoundéré le problème de l’insécurité se pose quasiment de la même manière. La réaction des autorités universitaires face aux drames que vivent les étudiants est partout la même, l’indifférence. Bien qu’il soit stipulé dans les textes régissant le fonctionnement des universités que  le recteur est responsable de la sécurité dans les campus, l’administration universitaire décline toujours toute responsabilité devant les cas d’agression au sein des campus. Ainsi les plaintes quotidiennes des étudiants face à la multiplication des braquages restent lettre morte. Les zones réputées dangereuses restent toujours dans l’obscurité. Les victimes des agressions ne sont jamais prises en charge de quelque manière que se soit. Plus grave les agents recrutés par les Université pour assurer le gardiennage seraient auteurs de nombreuses agressions au sein des campus ; par exemple à Yaoundé I des témoignages concordants font état de ce que ces agents seraient en fait les auteurs de nombreux cas d’agressions enregistrées  dans la zone « matéco » et   malgré les plaintes formulées dans ce sens au recteur, rien n’a changé sur le terrain. Les Forces de l’ordre semblent être dépassées par l’ampleur de la situation, au début il y avait des patrouilles de nuit, des descentes sur les lieux d’agression, des enquêtes, depuis quelques temps les étudiants sont abandonnés à eux-mêmes. Ainsi lorsqu’on compose le 117 pour des cas d’agression flagrante dans les cités, à l’autre bout du fil on vous répond généralement qu’il n’y a pas d’essence dans les véhicules ou d’effectifs sur place pour une intervention. Les étudiants, conscients que leur sécurité repose désormais entre leurs mains, adoptent depuis lors deux attitudes : Premièrement la prudence, ils sont nombreux qui la nuit tombée qui ne s’hasardent plus seuls dans les  zones dangereuses et obscures du campus ou marchent en groupes pour aller réviser leurs cours à l’approche des examens. Deuxièmement, Ils forment des groupes d’auto-défense qui sillonnent les zones de résidence universitaires une fois la nuit tombée. Ces groupes rencontrent plus ou moins de succès face au bandit isolé et mal armé mais restent impuissants devant les gangs armés de pistolets automatiques. La situation alarmante en matière d’insécurité est révélatrice du manque de politique de sécurisation des universités au Cameroun. Ceci se voit lorsqu’on crée une université on laisse se créer et se développer tout autour des taudis et bidonvilles que l’on rebaptise après coût pompeusement de zones de résidences universitaires ; or, il est de notoriété publique que les taudis et bidonvilles sont des zones par essence criminogènes. Nos autorités doivent d’avantage prendre conscience de ce que l’insécurité affecte significativement la production intellectuelle dans nos Universités et par là hypothèque la contribution de l’Université camerounaise au développement national.

Nzitat

Addec


"Génération sacrifiée"  Vs "Génération privilégiée" : Un débat vicieux

Au Cameroun, on parle de « Génération privilégiée » en référence aux « privilèges » qu’avaient les jeunes de la génération postindépendance et qui n’existent plus de nos jours. Il s’agit des facilités que l’on pouvait avoir dans le cursus éducatif, l’emploi, la qualité de vie, etc. Par opposition, on parle aussi de « Génération sacrifiée » en référence aux jeunes nés sous le Renouveau dans les années 1980 et qui connaissent un problème d’identité et d’intégration socioprofessionnelle. Ainsi, on relève à foison dans l’imaginaire populaire des accusations des jeunes ou de leurs parents allant dans le sens de ce que : « l’école d’aujourd’hui n’est plus l’école », « Paul Biya a coupé la bourse aux étudiants », « le travail est devenu njindja [rare] », « tu boulot, tu boulot mais, où sont les dos [le travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur] », « le dehors est gâté [les temps ont changé] », « on ne ya plus sa tête sur ce pays [on est désillusionné par les réalités du pays] », « on est là mon gars, on va faire comment ? [on a marre de subir les difficultés du quotidien] », « le Cameroun me fatigue [décourage inlassablement] », « le Cameroun est pourri [invivable] », « on va aller se chercher [il n’y a plus d’espoir au Cameroun] », etc. De telles représentations de la réalité de la vie sociale au Cameroun font appel à la recherche d’un bouc-émissaire. Et comme le montrent les sociologues, le tort est prioritairement rejeté sur le pouvoir en place.

Cela nous permet d’avoir la deuxième acception du mot « sacrifié ». En effet, la spécificité du Cameroun sur le plan polico-administratif (interaction entre les acteurs ou « politics ») est l’abondance des gens de la « Génération Biya [plus de 70 ans] » dans le cercle du pouvoir. On entend dire : « ce sont les gens qui sont là jusqu’à la mort ». Cela révèle l’existence des états d’âme qui se sentent écartés, voire même « marginalisés » de la gestion de l’Etat. Par conséquent, les lésés se disent « sacrifiés » pourtant, ils sont la plaque tournante de la vie active. On estime que les jeunes de moins de 35 ans constituent environ 75% de la population active en Afrique centrale. Cette polémique trouve sa justification chez Machiavel ou encore plus loin, dans la société antique d’Athènes où les adversaires de la démocratie conçue comme Loi de la majorité faisaient état de ce que cette ordre des choses est contre-nature car, disent-ils, « c’est toujours la minorité qui dirige la majorité ».

D’autre part, ceux qui sont à la « mangeoire suprême » et qui sont accusés d’avoir « sacrifiés » les jeunes du Renouveau estiment plutôt que les jeunes « d’aujourd’hui » appartiennent à une « Génération privilégiée » en référence au fait que les bienfaits de la libéralisation en général et de la liberté d’expression en particulier qui sont l’œuvre du « Père du Renouveau [Paul Biya] », n’existait pas à l’époque du parti unique dirigé de main de fer par le Président Ahidjo. De plus, ils estiment que les bienfaits du développement technologique dans la facilitation de la vie sociale sont un « privilège » que les jeunes qui vivaient « autrefois dans la barbarie » d’après les paroles de leur hymne nationale, n’ont pas connu. Dans l’imaginaire des membres de la « mangeoire », C’est souvent ridicule d’entendre : « aujourd’hui, tu peux tourner sur un boulon au mûr et l’eau coule, est-ce que nous avions ça ? », « ils ont les routes et ils se plaignent ! », « tu prends ton téléphone et tu appelles quelqu’un ; nous, on devait parcourir des kilomètres à pied pour transmettre nos messages ! », « aujourd’hui, vous avez l’école à côté, bref, tout est facile pour vous ! »

Ce débat est fondé sur une base de comparaison biaisée parce que, tel que présenté, il n’est pas faisable d’isoler la variable « jeune » avec l’évolution du contexte. De même, ceux qui, dans l’évaluation de la politique de la jeunesse sous le Renouveau postulent que le Président Paul Biya est la cause du désœuvrement des jeunes de nos jours, ne peuvent pas s’appuyer sur les standards d’évaluation car, la variable « Paul Biya [mauvaise gouvernance et corruption] » n’est pas la seule variable explicative. Il convient donc, dans un modèle de causalité plus fiable, d’étendre la réflexion sur les racines du problème. En d’autres termes, il n’est pas juste, comme le postulent les défenseurs acharnés de l’alternance au pouvoir, de faire penser que le remplacement de la variable « Président Biya » par « Président X » sera la solution plausible aux problèmes de la jeunesse. Toutefois, nous respectons le point de vue de ces personnes en espérant pour eux qu’après Biya, le hasard conduira Jésus ou Mohammed au pouvoir. Sinon, il est plus plausible de se concentrer sur les vrais problèmes d’ordre opérationnel.

Pour des personnes qui revendiquent leur appartenance aux raisonnements pragmatiques, il convient pour elles d’être sensible aux fonds de la pensée de Charles Sanders Pierce, fondateur du pragmatisme, qui pose quatre piliers susceptibles de permettre de bâtir une réflexion crédible sur le fonctionnement sous-jacent de la société : il s’agit de l’autorité, de la ténacité, de l’a priori et de l’empirisme. En gros, la logique de la gestion de la société n’est pas objective et équitable. En effet, si l’on prend une question comme celle de la justice sociale, Pierce nous incite à envisager que ce qui est juste, n’est juste que par rapport à l’autorité de ceux qui le disent, à la ténacité qu’ils utilisent pour défendre leur point de vue, à la force des a priori rendant favorable leur vision et à la place de leur vision dans les connaissances empiriques sur le sujet. Cela permet de mieux comprendre un certain nombre d’assertions qui existent et qui renseignent à suffisance sur le fonctionnement sous-jacent de notre société : « tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit », « ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique », « les occidentaux sont civilisés », « les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire », etc.

En clair, si nous voulons résoudre le problème de notre jeunesse, nous devons, dans une espèce de démarche générativiste, admettre l’existence d’un archi-trait sous-jacent ou d’un facteur majeur qui chapote tous les autres facteurs mineurs qu’on déplore en surface au niveau national. Nous ne parlons pas ici en termes de facteurs endogène et exogène. Nous indexons la « mafia » souterraine qui conditionne la mise en œuvre officielle des politiques publiques. Il est légitime de penser que le problème du Cameroun en particulier et de l’Afrique Noire en général, n’est pas celui du manque du savoir ou du savoir-faire. Peut-être, il s’agit d’un manque du savoir-être. Mais, à toute évidence, en ce jour, fort est de constater qu’on sait exactement ce qui ne marche pas et les solutions appropriées. Le problème réel réside dans le manque de volonté opérationnelle de mettre en œuvre les vraies solutions. On prescrit expressément le faux médicament au malade. Ou mieux, on lui donne des solutions palliatives au lieu de le guérir définitivement. Pourquoi cette « mafia [méchanceté] » ?

Une hypothèse plausible est de reconnaître que nous vivons aujourd’hui dans un monde acquis à la cause d’une « Autorité malsaine » qui défend avec une Ténacité déloyale ses intérêts partout où cela est nécessaire en diffusant à profusion des « Idées reçues » sur le Tiers-monde et en s’appuyant sur un Empirisme qu’il fabrique lui-même (« L’Afrique n’est pas encore entrée dans l’Histoire »). Il est à penser que les « Autorités nationales » échouent de résister à « l’Autorité internationale » malsaine ou écrasante et que les premiers finissent par mettre sur pied les mêmes types de fonctionnement malsains au sein de leur pays. Nous sommes dans un cercle vicieux préoccupant. Si l’on remplace le Président Biya par un Président X, ce dernier sera obligé de se soumettre à « l’Autorité internationale » malsaine pour régner. Kakdeu (2010c) qui a étudié le discours des putschistes en Afrique Noire Francophone révèle que ceux des putschistes qui ont pu régner sont aussi ceux qui ont finalement arrimé leurs discours aux normes des « idées reçues » promues par l’Autorité internationale malgré le fait que leur motivation de base était de lutter contre le chao social. Ils disaient : « Les militaires veillent à la défense de l’intégrité du territoire », « Nous avons pris en main nos responsabilités ». Et ils finissent par dire : « Nous voulons instaurer la démocratie », « nous respectons la volonté de la communauté internationale ». Les deux derniers putschistes en date à savoir Sékouba Konaté de la Guinée et Salou Djibo du Niger faisaient ressortir dans leurs discours, la soumission aux « pressions » de la Communauté internationale d’une part et de leurs peuples d’autre part. Et quand on sait que les intérêts des membres de la Communauté internationale qui sont encore ceux qui pratiquent l’impérialisme, sont souvent drastiquement opposés aux intérêts des populations africaines, on comprend pourquoi, même les militaires qui « prennent leurs responsabilités », n’arrivent pas à mettre fin aux chaos sociaux vécus en Afrique. Dans les faits, quand ils prennent le pouvoir, ils finissent toujours par « entrer dans la danse » à défaut de se faire assassiner ou renverser. Ceci nous inspire que la politique de la jeunesse doit être stratégique et minutieusement orientée vers le développement de leur pays.

Une autre hypothèse plausible est de penser que la solution viendra de la rue comme en Tunisie. Mais, la rue peut renverser même le meilleur Président du monde à cause de la traversée d’une mauvaise conjoncture. La vraie et meilleure solution reste la consolidation des institutions souveraines. Il ne faut jamais oublier qu’une grande démocratie est faite des institutions fortes. Les institutions sont fortes lorsque tout le monde les respecte malgré les soutiens et connaissances personnelles que l’on peut avoir au sein de la communauté internationale. Les institutions sont toujours critiquables ou perfectibles mais, on doit les respecter pour accomplir les exigences de la démocratie. La jeunesse du Cameroun en particulier et de l’Afrique Noire Francophone en général, doit être préparée au respect des institutions et non à la descente dans la rue. Elle doit être formée à la maîtrise des outils institutionnels qui permettent de faire recours. C’est le seul gage de la stabilité et c’est le seul gage de l’épanouissement social.

Louis-Marie Kakdeu

Chercheur


Du trottoir à la rue comme en Tunisie et en Égypte

Le Cameroun vient de célébrer la 45è édition de la fête de la jeunesse. Dans un pays où plus que jamais la vieillesse s’agrippe aux rênes du pouvoir. Dans un pays où, allant sur ses quatre-vingts ans, le chef de l’État a enfin trouvé le chemin de la convivialité politique et reçoit désormais son naguère infréquentable opposant publiquement, magnanimement aussi, avec surtout tous les égards dus à son rang pour ne pas dire à son âge. Dans un pays tout en paradoxes : un pays théoriquement jeune mais qui apparaît politiquement et même administrativement si vieux qu’à 50 ans vous y êtes souvent considéré comme un simple gamin manquant de maturité et d’expérience pour accéder à certains postes de responsabilité ;  un pays décrépit où l’on gouverne avec les idées de 1955, et des institutions fossiles qu’on n’en finit pas de vernir et de revernir pour se rendre compte que même la version vernie fait trop jeune pour être adoptée franchement. Quand M. Paul Biya a pris la parole le 10 février au soir, il a prononcé un discours vieilli ou vieillissant, tiré des archives des années 1980 si ce n’est de celles des années 1960, réchauffé, additionné d’épices d’aujourd’hui, savamment conditionné et encadré par l’inimitable Crtv de hors-d’œuvre appropriés pour permettre d’en assurer la digestion à un auditoire qui a depuis longtemps perdu le rêve des surprises. La fête a été belle ! Surtout qu’elle coïncide avec les cinquantenaires dont les résonnances rendent des sonorités si incompréhensiblement nostalgiques aux oreilles de ceux qui gouvernent la cité actuelle ! Et après quoi ? Il faut craindre que l’après soit comme l’avant, et qu’à la longue ne se profile sur la rue camerounaise le spectre du syndrome tunisien et égyptien

Pour commencer, quelle est la jeunesse qui était en fête en ce 11 février 2011 ? Et qu’était-elle en train de fêter ? Ces questions peuvent paraître saugrenues. Commençons par la seconde : que nous rappelle la date du 11 février ? Un événement personnel ou national ?

Sur un plan purement personnel même si cela eut des résonnances nationales, le 11 février 1958 rappelle un exploit politique à connotation fortement tribaliste. Ce jour-là en effet, Ahidjo fit tomber le gouvernement Mbida en démissionnant, entraînant avec lui tous les députés du grand nord du pays. Cela fit sa fortune personnelle et lui permit de se retrouver deux ans plus tard et pour ¼ de siècle président du Cameroun. Le 11 février avait de toute évidence changé le destin du Cameroun, mais en y introduisant la « jurisprudence » d’une gestion ethniciste des conflits politiques. Ce 11 février-là, béni de certains et honni par bien d’autres, mais assumé souvent dans la douleur d’une répression brutale et à bien des époques inhumaine par l’ensemble du peuple camerounais fait partie de notre héritage commun. Avons-nous de bonnes raisons de le fêter ?

Cet événement mérite-t-il une fête ?

Mais, il y a aussi l’autre 11 février, celui de 1961 : il nous rappelle un certain plébiscite. Le 4 février 1916 (encore ce sacré mois de février !), en plein milieu de la Grande guerre, un accord franco-britannique confie une partie du Cameroun à la Grande-Bretagne. Certains continuent à dire que notre pays se serait volontiers contenté des Allemands mais on ne remonte pas le temps. 45 ans plus tard (remarquez la coïncidence avec le 45è anniversaire en cette année de grâce 2011 !), avec la bénédiction de l’Onu, un plébiscite est organisé et les résultats tripatouillés (en mettant ensemble les votes de tout le Cameroun britannique, le résultat donnait l’ensemble de ce territoire au Cameroun : aussi choisit-on d’en faire deux plébiscites différents, ce qui permit au Northen Cameroon de se rattacher à la fédération du Nigeria) pour soustraire de notre territoire un morceau de choix, et 800.000 compatriotes. Cet événement mérite-t-il une fête ? À l’époque, Ahidjo pensa comme beaucoup, patriotiquement, et organisa au lendemain, le 12 février 1961, un deuil national. N’empêche que 5 ans plus tard, en 1966, il décida d’en faire une journée de fête, qu’il offrit magnanimement à la jeunesse, celle qui de rage et de dépit avait marché en 1961 pour exprimer sa colère contre l’institution internationale et ses exactions au Cameroun. Qu’est-ce qui avait changé entre temps ?

Il faut dire que sur un plan personnel, les choses avaient beaucoup évolué en faveur d’Ahidjo. Les accords de Foumban en juillet 1961 et de Yaoundé en août de la même année lui avaient permis de conforter son pouvoir, grâce aux pleins pouvoirs que lui avait complaisamment concédés la délégation conduite par John Ngu Foncha. On peut se demander si l’issue de ces négociations aurait été la même si l’ensemble du Cameroun confié aux britanniques en 1916 s’était assis à cette table de négociation en ce mois de juillet 1961, béni des uns et honni des autres, une fois de plus. Un malheur national a-t-il pu faire les affaires d’Ahidjo et de ceux qui dans l’ombre derrière lui tiraient les ficelles ? Autre chose, en 1966, Ahidjo a déjà réduit toute l’opposition interne et même si ce n’est que le 1er septembre qu’il lance officiellement l’UNC, parti unique dont il est le chef, l’on sait qu’il ne s’agit que du moment de l’officialisation d’un processus depuis achevé et qui commence en février ( !) 1962 avec la neutralisation des principaux chefs de l’opposition (Mbida, Bebey Eyidi, Emah Ottu, Charles Okala…). Cette même année 1966 est tristement marquée par l’assassinat d’Ossendé Afana. Comme on peut le voir, si le 11 février 1961 méritait et mérite encore un deuil national, 1966 qui en fit une journée de fête fut une année faste pour Ahmadou Ahidjo qui ne devait pas avoir oublié que les mages avaient dû voir briller son étoile pour la première fois un 11 février, de 1958. Voilà pour la question. Mais de quelle jeunesse s’agit-il ?

Nul n’ignore que la jeunesse camerounaise est, à l’image de notre pays, une population à multiples fractures. Le Cameroun ne compte que 5,5% de personnes âgées de 60 ans et plus : c’est donc démographiquement un pays jeune. Ce sont pourtant les vieillards qui gouvernent la république (cf. Germinal n°65, les 100 vieillards qui gouvernent le Cameroun). On a pu voir Sabal Lecco Félix – paix à son âme – rester au Conseil National de la communication jusqu’à… 91 ans ! Et Martin Mbarga Nguelé faire un come-back remarquable et remarqué à la tête de la sûreté nationale à 78 ans ! Crise de confiance entre M. Paul Biya et la jeunesse ? Cette jeunesse représente pourtant l’écrasante majorité du Cameroun : la moitié de la population du Cameroun a moins 17,7 ans, et les moins de 15 ans représentent pas moins de 43% de notre pays. Mais il s’agit d’une jeunesse atomisée, à plusieurs vitesses.

Il y a d’abord la jeunesse scolaire : elle fait la fierté des autorités et c’est elle qui a défilé pour donner l’éclat approprié aux manifestations du 11 février. Que représente-telle au juste ? À 58%, elle a pu cahin-caha se hisser au niveau d’une classe de CM2. À partir du niveau 3 du secondaire, elle ne représente plus que 26% de sa classe d’âge ; au niveau terminal, à peine 5%. La grande majorité des jeunes n’a donc pas été sur les places de fête le 11 février. Où était-elle et qu’était-elle en train d’y faire pendant ce temps ?  C’est son affaire. Ces jeunes-là, que le train de l’école a abandonné trop tôt sur un quai d’une gare perdu n’a pas les armes pour se frayer un chemin dans la jungle de la vie actuelle et se consume dans la débrouillardise, traquée comme des hordes de bêtes féroces par l’armée des urbanistes et des fiscalistes de la république. Leur salut se trouve dans les petits métiers informels du marché noir et du trafic en tous genres où près de 90 fois sur 100 l’échec et la misère sont au rendez-vous pour la vie. Quant à la fraction qui a pu suivre des études et glaner des parchemins, elle finit elle aussi sur le trottoir, au sens propre du terme, se prostituant dans tous les petits métiers pour gagner son bout de pain. En 2008, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle estimait leur nombre à 140 000 et donnait une prévision avoisinant les 300 000 en 2010. Chiffre à coup sûr sous-estimé, et se rapportant surtout aux diplômés de l’enseignement supérieur. Une étude réalisée en 2007 par l’Institut national de la statistique révèle que 30% des Camerounais au chômage ont moins de 30 ans et parmi eux, 22% résident à Yaoundé et à Douala. Que l’on imagine 66.000 personnes dans les rues de Douala et de Yaoundé ! Quelle force pourrait les en déloger ?

Crime de lèse-humanité

Cette jeunesse se sent flouée par ceux qui dirigent son pays, c’est-à-dire par nous les adultes et les vieux, et à bien des égards, elle a raison. D’abord la jeunesse non scolarisée. De quel droit et sur la base de quels textes peut-on justifier que ces millions de jeunes n’aient pas pu et ne puissent pas bénéficier des bienfaits de l’éducation ? Peut-on exciper de l’irresponsabilité parentale pour justifier un tel crime de lèse-humanité ? Notre loi fondamentale dit en son préambule que « L’État assure à l’enfant le droit à l’instruction ». Assure, c’est-à-dire prend des dispositions qui garantissent à ce petit être légalement irresponsable son droit à l’éducation.  Et la loi d’orientation de l’éducation de 1998 en son article 2 dispose que « (1) L’éducation est une grande priorité nationale. (2) Elle est assurée par l'Etat ». Alors, Pourquoi ces millions d’enfants n’ont-ils pas ou pas  eu droit à l’éducation ? Quant à tous ceux qui se consument dans le chômage, diplômés ou sans, en vertu de quoi les autres ont-ils droit à la vie et pas eux ? La loi N°92/007 du 14 août 1992 portant code du travail en son article 2 ne dit-elle pas expressément que « Le droit au travail est reconnu à chaque citoyen comme un droit fondamental...  L’État doit tout mettre en œuvre pour l’aider à trouver un emploi et à le conserver lorsqu’il l’a obtenu » ? Quelles possibilités leur offre-t-on aujourd’hui d’exercer ce droit au travail qui est un véritable droit à la vie ?

Le président de la république et son équipe, à première vue, semblent fort préoccupés et ne manquent pas d’idées pour venir à bout de ce fléau qu’est le chômage des jeunes. Mais sont-ce des idées lumineuses ? Le bon arbre, disait l’autre, se reconnaît à ses fruits. Ministère du travail et de la sécurité sociale, ministère de l’emploi et de la formation professionnelle et, en 1990, création du fonds national de l’emploi (Fne) financé par 1% de nos salaires bruts. Une sacrée masse d’argent n’est-ce pas ? Mais quelle inflation institutionnelle ! 14 ans plus tard, en 2004, création du ministère de la jeunesse  chargé "de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans le domaine de la jeunesse". Depuis sa création, ce ministère déborde d’une activité proprement délirante et manipule à foison les milliards. En 2007 il lance une opération « croisade contre le chômage des jeunes » ; le projet Pajer-U (Programme d’Appui à la Jeunesse Rurale et Urbaine) qu’il gère brasse dans ses caisses pas moins de 12 milliards de francs dont 11 milliards de fonds PPTE ; en 2009, il lance le conseil national de la jeunesse, sur la mode déjà fort répandue des forums nationaux de la jeunesse en vogue par exemple en Mauritanie, Bulgarie, au Mali, Niger, Bénin, et… aussi en Tunisie ! Pour quel résultat jusqu’ici ?

Il faut avoir le courage de le dire, la politique de l’emploi du chef de l’État est jusqu’ici un échec. Elle accorde une importance excessive au secteur public qui malheureusement n’en a pas ou plus les moyens. Sur un PIB de plus de 43 milliards de dollars, le budget de l’État camerounais gère un maximum de 3,5 milliards de dollars. On ne peut, d’une part accroître la part de l’État, et d’autre part résoudre le problème du chômage  qu’en produisant de la croissance économique, une croissance économique qui soit endogène et non extravertie, non majoritairement contrôlée par les acteurs économiques étrangers. Or tous les facteurs sont là, à commencer par le secteur bancaire, qui montrent que nous ne sommes pas sur le chemin de ce miracle. En attendant, nous gérons la pénurie, et celle-ci génère des maux bien connus, contre lesquels lutter sans modifier les paramètres qui les génèrent équivaut à s’armer contre des moulins à vent.

Presby ou Jachaby

Comment convaincre les jeunes, dans un contexte de paupérisation aiguë, que l’on travaille pour eux lorsqu’ils doivent acheter systématiquement le moindre concours ou recourir à des parrainages à risque quelles que soient leurs aptitudes intellectuelles et leurs diplômes ?  Quelles différences y a-t-il entre les innombrables initiatives du Minjeun en faveur de la jeunesse et les associations du genre Presby ou Jachaby dont le but évident est d’enrégimenter la jeunesse pour mieux la museler et en faire des milices destinées à contrecarrer toutes les actions véritablement libres de la jeunesse ? Déjà nombre d’associations de jeunes se plaignent de l’inféodation du CNJ au Minjeun. En créant le forum de la jeunesse en Tunisie, M. Ben Ali avait un instant nourri l’illusion d’avoir mis en place un fusible en cas de haute tension. C’était, affirmait ses thuriféraires, « Un espace de dialogue et d'initiative. La création du Forum national permanent des jeunes par décision présidentielle le 15 novembre dernier, réunissant les représentants des partis politiques, des composantes de la société civile et des ministères concernés, constitue une concrétisation du premier axe du 8è point du programme présidentiel «Ensemble, relevons les défis». Cet axe consacre le dialogue permanent avec les jeunes, l'écoute de leurs préoccupations et l'élargissement de leur participation dans les structures régionales et locales ». Ben Ali avait aussi crée une milice de près 14.000 personnes. Tout cela s’est effondré un matin. Le syndrome tunisien n’est-il pas là, au bord du précipice, qui nous guette ?

C’est vrai, il est toujours risqué de jouer les Cassandre. Pourtant, certains faits ne trompent pas. Février 2008 était prévisible et avait été annoncé. On dit souvent que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Que peut faire une jeunesse frustrée, dos au mur et désespérée sinon descendre dans la rue ? Et dans le cas du Cameroun aujourd’hui, quelle voie s’offre-t-elle à la jeunesse en dehors des impasses sus-évoquées ? Les acteurs politiques majeurs de l’opposition et ceux de la société civile ont largement montré leur incapacité à influer sur le système, parfois faute de vision mais souvent faute de moyens. L’argent, c’est le nerf de la guerre, et le pouvoir en place ainsi que ses parrains du monde des affaires l’ont bien compris et ont poussés ces forces du progrès à l’anémie totale pour obtenir leur allégeance et s’assurer l’apathie du bon peuple qui n’en finit pas de se lamenter mais est incapable de lever son « cul » du sol. Le Cameroun vit aujourd’hui une situation bloquée où une alliance entre le monde des affaires (majoritairement étranger) et les militaires, avec la bénédiction du clergé (le cardinal Tumi figure une remarquable exception dans ce landernau) permet au pouvoir plus ou moins fantoche d’État de réunir dans ses mains tous les leviers de contrôle d’un système ouvertement prébendier. N’est-ce pas significatif qu’au lendemain des émeutes de 2008 l’État ait signé des conventions avec trois organisations patronales, le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), la Chambre de commerce, de l’industrie des mines et de l’artisanat (Ccima) et le Syndicat patronal des industries de l’hôtellerie et du tourisme (Spiht) ? En Tunisie aussi, lorsque les jeunes sont descendus dans la rue, les patrons ont annoncé la création de 50.000 emplois, dans une tentative de sauver un système qui instrumente l’État et leur sert de couverture pour exploiter les richesses du pays. Aujourd’hui, nous savons que ce sont les militaires américains qui ont instruit leurs homologues tunisiens de débarquer, en douceur, Ben Ali. L’équation est donc la même. Sauf qu’en Tunisie, le clergé, fondamentaliste, est depuis longtemps de l’autre côté du pouvoir. Ainsi, tous les contre-pouvoirs neutralisés, l’on peut espérer gérer la grogne et les éventuelles sautes d’humeur. En attendant que les choses s’arrangent ou empirent. Et il vaut mieux qu’elles s’arrangent et dans les meilleurs délais, parce que dans le cas contraire, chacun sait ce qu’il arrivera.  D’ailleurs, l’autre véritable différence entre le Cameroun et la Tunisie, mis à part la position complice du clergé camerounais, est l’incapacité de ceux qui ont un emploi mal rémunéré à rejoindre les sans-emplois dans une lutte pour changer une situation qui les unit en profondeur plus qu’il n’y paraît en surface. Et le pouvoir camerounais qui le comprend parfaitement l’a montré amplement en février 2008 : cette augmentation de salaire dont ont bénéficié des travailleurs qui n’avaient pas osé descendre dans la rue soutenir les manifestants s’expliquait. C’était à la fois la prime de la trahison et une incitation à une désolidarisation sans laquelle un mouvement semblable n’aurait pas manqué de déboucher sur une situation à la tunisienne. Pour une fois, la peur aidant, le pouvoir avait convaincu les possédants qu’il fallait lâcher du lest pour empêcher les mal payés de se joindre aux sans feu ni lieu pour casser la machine à produire de la richesse.

Grammaire de la liberté

Terminons par cette anecdote. Dans un ouvrage intitulé Grammaire de la liberté, un philosophe contemporain invite à méditer sur un fait divers : « Un homme a été broyé hier par la rame 131 sur la ligne 3 à la station de métro saint-Lazare. Cet homme avait 29 ans. Hier Bernard marchait au bout du quai, de long en large ; il avait écarté les voyageurs, il s’est penché pour apercevoir les lumières de la motrice et il s’est jeté sur les rails, les pieds joints et les bras le long du corps, comme un plongeur. Les deux jambes sectionnées, le visage brûlé, il est mort sur le coup. […] Il avait appris un métier de son père : tailleur d’habits pour la confection ; depuis cinq mois il est en chômage : petites annonces, escaliers, rebuffades… et puis ses vêtements à lui sont devenus de telles loques qu’il n’ose plus sortir. Etes-vous resté des jours entiers sur votre lit avec le sentiment de n’avoir plus figure d’homme dans un monde qui refuse vos bras ? Bernard écoutait les casseroles de sa mère de l’autre côté de la cloison : il est à la charge de la mère ; il est sorti encore une fois ; à l’usine on l’a refusé comme manœuvre parce qu’il est trop faible ; au bureau un chef de service a regardé ses souliers troués : pas d’emploi. A sept heures du matin le lendemain, il s’est faufilé dans le métro saint-Lazare à l’heure de la rentrée du travail ». Quittons la France pour un autre lieu et une autre époque, et nous serons surpris des similitudes. R. Kelam, un Tunisien de France en vacances au pays témoigne : « Alors, tous les matins, c’est le même rituel. Après que ma cousine a servi son café à mon vieil oncle, ses quatre fils, tous diplômés de quelque chose d’intéressant, font la queue pour lui dire bonjour, et lui quémander l’équivalent en dinar d’un ou deux euros. Multipliée par quatre, c’est une somme pour un homme à la retraite. Il se lance dans une sorte de sermon pour tenter maladroitement de les sortir de leur apathie. Rien n’y fait. Tous les matins, il passe à la caisse. C’est ça ou les priver de ce qu’il leur reste de liberté, c’est-à-dire le café. […] Ils bousillent leurs poumons à fumer trois ou quatre paquets de cigarettes goudronnées et boivent jusqu’à huit tasses de cafés par jour. Dans le kawha qui fait l’angle de ma rue, certains ont même leur place attitrée. Les plus téméraires se cachent le soir pour s’envoyer quelques bières, quand bien sûr, ils en ont les moyens ». Quand l’un de ces jeunes trouve un semblant d’emploi, c’est à peine s’il est payé, comme c’est le cas pour le cousin Kerim. Quand son employeur est tombé en faillite, il s’en est allé avec les arriérés de salaire et le reste, et Kerim n’a rien pu faire, parce que « En Tunisie, tu ne peux pas te plaindre, sauf si tu as de l’argent ». D’autre part, « Des Kerim aux droits bafoués et aux espoirs déchus, il y en a des centaines de milliers ». Et parmi eux un certain Mohamed Bouazizi qui, un jour de désespoir, aura le courage de s’arroser d’essence et de se transformer en torche humaine, sur la place publique. Quand les matins se suivent et se ressemblent, que les scènes et les actes de la tragi-comédie défilent sans plus apporter de coup de théâtre, pourquoi s’accrocher à sa place dans le théâtre ? « Alors, le sacrifice de Mohamed Bouazizi n’a rien d’étonnant, conclut Kelam. Comme il savait qu’il n’allait rien rater ou presque, il s’est permis de partir à l’entracte. Il a anticipé parce qu’il connaissait d’avance la fin de la pièce. Son immolation par le feu aurait pu passer inaperçue. Seulement, ils sont des millions de Mohamed Bouazizi à commencer à trouver le café qu’on leur sert tout bonnement infect ». Et ces Mohammed Bouazizi ne sont pas seulement tunisiens : déjà on en trouve en Egypte, en Algérie aujourd’hui. Pourquoi pas demain au Cameroun ?

Roger Kaffo Fokou

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