À ses compatriotes qui ont porté « massivement » leur choix sur sa « modeste » personne, il veut les « en remercier à nouveau ». Dans les faits, il regrette l’acte manqué par la Côte d’Ivoire de tirer une « légitime fierté de cette campagne exemplaire » (clin d’œil au peuple Ivoirien) qui a connu une « approbation unanime » (clin d’œil à la communauté internationale). Il suscite le remords issu de la substitution du « deuil » à la « grande fête que devaient constituer les résultats de ce scrutin démocratique » et ce, « par la faute de ceux qui ne veulent pas accepter le verdict des urnes ». Pour ce faire, il se range du côté des victimes « mes condoléances, ma compassion ». Le « Président légitime » de Côte d’Ivoire ménage aussi la face de chacune des institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI et surtout « notre institution commune qu’est la Bceao ») qui « a su prendre ses responsabilités, sans parti pris ». A l’égard des Ivoiriens, il essaie d’utiliser les procédés fédérateurs autour de la croyance, de l’espoir et de l’action : « nous avons de nombreuses raisons de croire, d’espérer et d’agir ». Il finit son discours sur une notre poétique d’une durée de plus d’une minute qui peint un « avenir radieux » à sceller dans « un nouveau pacte d’amour, de fraternité et de solidarité ». Ainsi, Ouattara se rend aimable dans un contexte d’hostilité.
Le discours de Laurent Gbagbo par contre reflète ce qu’on appelle la politesse négative (dominance des adoucisseurs). Puisque le principe du dosage n’est pas respecté, ce discours côtoie l’impolitesse au sens scientifique du terme. En effet, en dehors des procédés traditionnels de politesse positive observé aussi chez Ouattara (remerciements, compassion, condoléances, formules votives, etc.), le « Président légale » fait beaucoup de justifications. A l’opposé de son adversaire, il fait des invitations au dialogue et des manifestations d’accords. Le taux d’impolitesse est élevé visiblement parce que ses adversaires sont aussi nombreux. En dehors du peuple Ivoirien, il attaque les autres acteurs de la scène politique ivoirienne que sont la Communauté internationale et ses adversaires. Il a une pensée pour « ceux qui ont perdu » dans les violences postélectorales et il dit des soldats qu’ils sont mort au « champ d’honneur ». Pour le reste, le « Président légale » de Côte d’Ivoire se justifie. Son combat postélectoral se résume en la recherche « de la vérité des faits ». Il fustige « l’hostilité internationale » à l’extérieur et la « rébellion » à l’intérieur. Il dit que cela est « injuste » et exprime sa détermination à résister : « nous n’allons pas céder ». Pour lui, les élections sont « passées » et les actions en cours relèvent d’une « tentative de coup d’Etat ». De façon péremptoire, il dit que la CEI « n’a jamais proclamé les résultats ». Il resitue le débat qui, à son avis, ne se trouve plus au niveau de « qui a gagné » mais, des enjeux géopolitiques et économiques. À ce niveau d’analyse, nous faisons une remarque générale qui se greffe à Kakdeu (2010c) et qui, suite à une étude longitudinale des discours politiques en Afrique Noire Francophone, fait état de ce que tous les leaders qui n’ont pas su ménager la face de la communauté internationale, ont été assassinés à l’exception de Moussa Dadis Camara qui a échappé de peu. Par le passé, la résistance à la communauté internationale a duré un temps, mais pas longtemps. Il sera intéressant de découvrir ce que nous réservera le cas de Laurent Gbagbo. Une deuxième observation est celle selon laquelle tous ceux des leaders qui ne font pas allégeance à la communauté internationale sont appelés « dictateurs ». Ainsi, malgré l’éternité au pouvoir, la transmission filiale de pouvoir ou les violations graves de droits de l’homme, on parle plutôt de « sages » pour désigner certains « monarques ». Louise Arbour par exemple, qui a été jusqu'au 30 juin 2008, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme et qui fut procureur en chef du Tribunal pénal international à La Haye au Pays-Bas, ne comprend pas toujours pourquoi Blaise Compaoré est utilisé par la communauté internationale comme modèle et médiateur attitré des conflits en Afrique de l’Ouest alors que la somme des reproches susceptibles de lui être attribuées, est importante. En l’état, ceux qui conquièrent le pouvoir et réussissent à l’exercer en Afrique Noire Francophone sont aussi ceux qui chantent l’hymne de la « communauté internationale ». On peut s’attendre à ce que la liste des Présidents comme Gbagbo s’élargisse pendant les présidentielles en 2011. Le prochain sur la liste serait bien Idriss Déby Itno qui ose dire qu’il n’a de « leçon de démocratie à recevoir de personne » et qui est appelé vicieusement « dictateur » par la communauté internationale. On observera avec beaucoup d’attention les élections au Tchad à moins que ce dernier décide de se faire élire comme certains à 80%.
Si le discours de Gbagbo est impoli, ses intentions sont plus réalistes que celles de son adversaire Ouattara qui sont manipulatoires au sens scientifique du terme. En effet, ce dernier ne fait pas cas de l’opérationnalité de son poème sur « l’avenir radieux » de la Côte d’Ivoire à travers « un nouveau pacte d’amour, de fraternité et de solidarité ». Les discours de fin d’année des chefs d’État sont souvent des « discours-bilan » d’une part et des « discours-programme » d’autre part. Si le bilan du Président de la République du Golf, « véritable motif de satisfaction », se résume dans son discours en la nomination dans l’administration et la diplomatie, et en l’obtention des instruments de la « souveraineté d’un pays » des mains des « grandes institutions qui régulent l’économie mondiale », le ton de son discours est contradictoire. Il chante l’amour en incitant à la rébellion. On observe cela à travers la forte récurrence (06 fois) de l’appel « Mes chers compatriotes » qui assure une fonction phatique. Il les « caresse dans le sens du poil » en louant leur « cette grande maturité » et commence à les appeler « mes frères et sœurs » à partir du moment où il les incite à la rébellion : il parle d’impatiences qui montent, de temps perdu, des risques de faillites et de chômage, de préjudice au «bien-être moral et matériel » ; il parle aussi de l’appartenance à « cette grande civilisation universelle qui tient pour sacrée la vie humaine » et qui veut qu’on évite « des souffrances supplémentaires à notre peuple ». On reconnaît les extraits du discours de Bush qui se prépare à attaquer l’Irak. Ouattara évoque alors le rebelle et putschiste « Guillaume Kigbafori Soro » qui a « pris des mesures urgentes pour faire face à cette situation inédite » et ce, « sans nous lancer dans une chasse aux sorcières ». Cette déclaration est contre-nature parce que l’actualité des activités de ce qu’on pourrait appeler abusivement « shadow government », fait état de ce que Guillaume Soro a instruit son gouvernement de faire la liste de tous les fonctionnaires qui ne lui feraient pas allégeance. Cette approche liberticide peut inquiéter et susciter des interrogations sur les méthodes du candidat Ouattara formé dans le moule du parti unique. Cela est de nature à alimenter le doute sur les irrégularités des élections dans son fief du Nord. D’ailleurs, dans son discours, il invite ses compatriotes à se « tourner vers les enseignements fondamentaux que le père de la nation, le Président Félix Houphouët-Boigny nous a donnés ». Il informe les Ivoiriens qu’il va lutter en leur « nom à tous et à toutes, au nom de nos enfants et petits-enfants, au nom de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique ». En effet, après l’échec des pressions médiatiques et diplomatiques, il ne reste plus au camp Ouattara que de relancer la rébellion pour continuer à exister. Cela permettrait de justifier la présence de la France et des autres impérialistes/humanitaires qui, à leur tour, risquent de sérieuses sanctions économiques de la part du gouvernement de Gbagbo en 2011. Il s’agit notamment de la renégociation des contrats économiques avec l’arrivée en Côte d’Ivoire des spécialistes en la matière comme Maîtres Verges et Dumas et de la création de la Banque Centrale Ivoirienne. Comme nous a appris de façon inédite la chaîne publique France 2, la France aura du mal à justifier à l’opinion internationale qu’elle fait payé individuellement aux « pauvres » pays de la zone du franc CFA, des sommes « horribles » pouvant aller jusqu’à 10 milliards d’euros pour garantir leur monnaie (environ 6560 milliards de F CFA). Si tel est vraiment le montant du compte d’opération de la Côte d’Ivoire au Trésor Français, cela suscitera la montée du sentiment anti-français.