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Les injustices de la Justice

Les injustices de la Justice

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Index de l'article
Les injustices de la Justice
Les défauts de la cuirasse
Aux sources de l’affaire
Jeux troubles d’Amadou Ali et de Me Mbiam Emmanuel
Des manœuvres cousues de fil blanc
Paul Biya
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Affaire État du Cameroun c/Me Eyoum et Cie: Quand le magistrat décide en catimini
Le président de la cour d’appel du Mfoundi confirme l’ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance, Gilbert Schlick, le 27 mai 2010, sans donner  la possibilité à Me Yen Eyoum Lydienne de présenter sa demande.
Suite à l’ordonnance n°33/HC rendue le 27 mai 2010 par Schlick Gilbert, président du tribunal de grande instance du Mfoundi, statuant en matière d’Habeas Corpus et siégeant en la salle ordinaire de ses audiences sis au palais de justice de Yaoundé, la demande de libération immédiate présentée par Me Lydienne Yen Eyoum est rejetée. Le 1er juin 2010, l’intéressée interjette appel de cette décision devant le président de la cour d’appel du Centre. Le 22 septembre 2010, c’est-à-dire environ quatre (4) mois après avoir été saisi, le président de la cour d’appel du Centre reçoit ledit appel et par ordonnance sur requête n°53/Cab/Pca/Ydé, confirme, avec une grande discrétion, selon des sources crédibles, l’ordonnance entreprise en adoptant les motifs, tout en omettant d’informer l’inculpée et ses conseils de l’enrôlement de l’affaire et en évitant de l’extraire pour de la prison centrale de Yaoundé où elle est détenue depuis le 11 janvier 2010, afin qu’elle présente sa demande.  

Pourtant, se fondant uniquement sur les réquisitions du ministère public du 19 août 2010 qui demande de « confirmer la décision du premier juge, et laisser les dépens à [la] charge [de Me Yen  Eyoum] », le président de la cour d’appel écrit : « Statuant contradictoirement à l’égard de Maître Yen Eyoum Lydienne, en matière d’habeas corpus, recevons l’appel en la forme ; au fond confirmons l’ordonnance entreprise. Condamnons l’appelant aux dépens.»

Au palais de justice de Yaoundé, avocats et magistrats rencontrés ne sont pas surpris de la tournure que prennent les événements. Selon certains avocats rencontrés, le 26 octobre 2010, dans la salle des avocats, cette affaire est passée inaperçue. « C’est vous qui nous informez de son issue. Nous ne savons pas quand et où elle a été appelée et jugée. Nous ne savons pas si elle a même été inscrite à un rôle ». Et un autre de renchérir : « Ainsi va la justice camerounaise. Cette manière de procéder ne nous étonne plus. Nous sommes habitués à ces mascarades et parodies de procès. Certains magistrats bafouent volontairement les dispositions pertinentes du code de procédure pénale juste pour contenter la chancellerie et éviter certains désagréments tels que des affections disciplinaires déguisées dans des zones où il n’y a rien à mettre sous la dent. »

Un magistrat rencontré dans son bureau au palais de justice de Yaoundé, visiblement révulsé, raconte sous le couvert de l’anonymat : « Nous subissons de multiples pressions de la part de la chancellerie. Nous ne pouvons rien. Nous ne sommes pas organisés en syndicat pouvant défendre nos intérêts collectifs. Si individuellement un magistrat engage une action pour changer la situation, c’est à ses risques et périls. Dans votre cas par exemple [Aff ministère public contre Talla Jean-Bosco, ndlr], le ministre de la Justice avait appelé le magistrat pour lui demander de trouver un procureur de confiance pour s’occuper de  votre affaire. Celui à qui votre dossier avait été d’abord confié avait trouvé qu’il était vide. C’est bien après que le dossier avait été confié au juge Awono surpris [aujourd’hui en service à Mbalmayo, ndlr], qui avait pris connaissance du contenu du dossier à l’audience, le jour de l’ouverture des débats. Ce qui est paradoxal. Dans le cas de Me Eyoum, elle est dans son droit. Son affaire n’aurait jamais prospérer si la chancellerie n’était pas derrière. Les multiples violations de ses droits et ceux de la défense sont des preuves que mes collègues en charge dudit dossier n’ont pas les mains libres. S’ils tentent de manifester une velléité d’indépendance dans cette affaire, ils seront affectés hors de Yaoundé. Un collègue honnête qui était à Douala et dont l’indépendance était légendaire en sait quelque chose. Il poirote aujourd’hui quelque part dans le septentrion simplement parce qu’il a voulu bien faire son travail. Au stade actuel de l’ «Opération épervier », les magistrats ont les mains liées et aucun d’entre eux ne peut oser aller à l’encontre des directives de l’exécutif transmises via la chancellerie. Vous comprenez pourquoi les arrestations opérées dans le cadre de l’ «Opération épervier » ne sont pas des initiatives du parquet, de la justice. C’est toujours l’exécutif qui demande d’arrêter Untel. C’est dommage pour notre justice et pour l’image du Cameroun. » No comment !

Cette déclaration du magistrat traduit la réalité vécue dans cette affaire qui avait été déclenchée après que le secrétaire général de la présidence de la République, Laurent Esso ait instruit, dans la correspondance n°156/c6/Sg/Pr du 29 décembre 2009, le ministre de la justice, Amadou Ali de faire déférer Mes Eyoum et Cie devant le tribunal de Grande instance du Mfoundi (Cf Germinal n°057 du 26 mai 2010). Dans ladite correspondance le secrétaire général de la présidence de la République écrivait : « Faisant suite à votre correspondance de référence, j’ai l’honneur de vous notifier l’Accord du chef de l’État à vos propositions tendant à faire déférer Maîtres Eyoum Yen Lydienne, Baleng Maah Célestin, les nommés Abah Abah Polycarpe, Engoulou Henri et Ngwem au Parquet du Tribunal de Grande Instance du Mfoundi en vue de l’ouverture d’une information judiciaire contre eux, avec mandat de détention provisoire, du chef d’accusation de détournement de deniers publics et complicité. Vous voudrez bien me faire connaître, pour la Très Haute Information du chef de l’État, l’exécution de ces diligences ».

«Mon brillant collègue Gilbert Schlick, peut bien se tuer, comme il l’avait fait à l’audience, pour démontrer que les magistrats n’ont pas vu cette directive de l’exécutif, il ne convaincra personne, puisque celles-ci sont antérieures à la décision qu’il a prise. De plus, il a été décerné aux concernés un mandat de détention provisoire, comme il est stipulé dans cette lettre du ministre d’État. Si moi je l’ai vu circulé à plus forte raison ceux qui ont le dossier entre les mains», conclut ce magistrat prêt à quitter le corps ou à trouver mieux ailleurs si l’opportunité s’offre à lui.
J.-B Talla