Affaire Enoh Meyomesse: Les zones d'ombre d'une enquête bâclée

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Chronique d'un montage mal ficellé: au-delà de l'émotion
Une enquête minutieuse permet-elle de démêler l'écheveau des intrigues autour d’une affaire qui fait couler encre et salive?
La cour des visites de la prison centrale de Kondengui (Yaoundé) est encore bondée de monde ce jeudi 12 janvier 2012. Soudain, le reporter de Germinal qui vient de nouveau de franchir la grille qui sépare ce lieu de la cour d’honneur où est logée l’administration aperçoit, dans un coin non loin du hangar destiné à accueillir les visiteurs, Ndi Benoit, coaccusé d’Enoh Dieudonné, lui aussi incarcéré, dans ce lieu malfamé, depuis le 22 décembre 2011. Sandales aux pieds, chemise kaki à manches légèrement retroussées au niveau du poignet, pantalon velours noir troué au niveau du genou gauche, Ndi Benoît affiche un léger sourire quand il aperçoit le reporter de Germinal. Après quelques civilités, il n’hésite pas à remercier les médias et journalistes camerounais qui ont porté leur problème sur la place publique. « Sans les médias, on nous aurait envoyé au Kosovo », déclare-t-il. Aussi ne doute-t-il pas que les médias continueront

de jouer leur rôle jusqu’au jour où la vérité finira pas éclater. Il devine l’objet de notre présence en ce lieu et sans hésiter, il nous apprend que son « complice » Enoh Dieudonné est maintenant logé au quartier 3. Immédiatement, un « taximan » est sollicité pour aller chercher le « chef » d’un gang qui aurait perpétré un braquage à main armée dans localité de Betaré Oya (Est-Cameroun). Deux minutes environ après, souriant, Enoh Dieudonné, scandales aux pieds, tricot blanc rayé et pantalon flottant belge, franchit le portail du quartier 3. Sur le carnet à lui remis, le « taximan » a pris soin d’écrire L31, numéro du local, sorte de cagibi où il est désormais logé. Après avoir pris connaissance de l’objet de la visite du reporter de Germinal, il fait quelques éclaircissements et demande à Ndi Benoît de dire la vérité, toute la vérité. Aussi le reporter de Germinal demande-t-il à rencontrer Manda Bernard, qui arrive environ trois minutes après.
Après avoir écouté les uns et autres, et après avoir pris connaissance de (presque) tout ce qui a été écrit sur cette affaire, il est possible aujourd’hui de reconstituer le film des événements.

Au commencement

Tout commence par le déplacement de Ndi Benoît à « Eden », localité située entre Abong Mbang et Lomié. Par la suite, Enoh Dieudonné se déplace de Yaoundé pour Bipindi (Sud Cameroun), village de sa mère où il se rend compte de l’existence de l’or exploité de manière artisanale par ses compatriotes. C’est alors qu’il décide de s’adresser aux investisseurs singapouriens qu’il convainc de venir investir au Cameroun dans le secteur minier.
Selon des sources proches d’Enoh Dieudonné, de retour à Yaoundé, il envoie une équipe pour faire la prospection à d’autres endroits à l’Est-Cameroun. Y étant, les missionnaires sont à court d’argent et le lui font savoir. Enoh Dieudonné se déporte vers les bureaux de ses amis et frères sis en face du Mess des officiers pour essayer d’avoir 20 000 FCfa (30,49€) nécessaires pour la survie de l’équipe de prospection. Il rentre bredouille et sollicite Ndi Benoît qui se débrouille pour leur envoyer successivement 4 500 FCfa (6,86€), 6 500 FCfa (9,90€) et 9 500 FCfa(14,49€).
Avant  l’arrivée de Manda Bernard, en mission de prospection à Bétaré Oya, localité où les étrangers sont vite identifiés, il y avait eu braquage, affirment certaines sources à la légion de gendarmerie de Bertoua. Selon ces sources « ce sont des Centrafricains qui sont à l’origine de ce braquage, les mêmes qui probablement ont brûlé le drapeau camerounais quelques jours plus tard à Garoua Boulaï et dont trois des leurs soldats avaient été arrêtés et incarcérés à la légion de gendarmerie de Bertoua. » Selon un enquêteur, cette information aurait été étouffé à la légion de gendarmerie de Bertoua prétendument pour ne pas brouiller les relations entre le Cameroun et la Centrafrique.
Vrai ou faux ? Toujours est-il qu’au lieu de retourner sur Yaoundé le 10 novembre 2011, comme prévu, après avoir effectué la mission de prospection qui lui avait été confiée, et après avoir obtenu quelques pépites d’or (environ 5 à 10g), Manda Bernard décide d’aller à la rencontre d’un tradi-praticien auprès de qui il cherche à entrer en possession d’un antidote contre le poison. Hélas, mal l’a pris de prolonger son séjour. Puisque le 11 novembre 2011, il est appréhendé, par les gendarmes qui le torturent sans ménagement et lui demandent de dénoncer ses complices et les Centrafricains qui ont braqué les Coréens, sinon ses complices et lui seront considérés comme étant les véritables  responsables du braquage. C’est donc à partir de Manda Bernard que les gendarmes de Bertoua tentent de remonter la « filière » tout en essayant, à travers des manœuvres d’intimidation, de le pousser à dire que c’est Enoh Dieudonné qui les a envoyés pour braquer les Coréens.
Entre temps Song Kanga qui faisait partie de la mission de prospection qui devait sillonner certaines localités était rentré sur Yaoundé, après avoir reçu un coup de fil l’informant de l’état de santé très préoccupant de son enfant.

Enoh Dieudonné voyage

Le 15 novembre 2011, aux environs de 9 heures, sur invitation de ses partenaires qui ont entièrement financé le voyage, Enoh Dieudonné prend le vol de Kenya Airways en partance pour Singapour.

Faut-il le souligner, le voyage d’Enoh Dieudonné avait été par deux fois reporté. La première fois parce qu’il n’avait pas d’argent pour payer les taxes d’aéroport, la seconde à cause du décès de son père survenu le 08 novembre 2011.  En outre, avant son déplacement, il s’était rendu chez le notaire Ada, sis à la montée Anne Rouge à Yaoundé, dans l’optique de connaître la constitution du dossier à fournir et les démarches à suivre lorsqu’un entrepreneur veut créer une entreprise en partenariat avec des étrangers. Maître Ada a mis à sa disposition lesdits documents. Aussi avait-il souhaité obtenir un visa au niveau de la Dgsn pour ses partenaires, mais son cousin, commissaire de police à l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen, lui avait dit qu’il suffisait à ces étrangers de détenir une lettre d’invitation pour obtenir un visa d’entrée au Cameroun dès leur arrivée à l’aéroport.

Enoh Meyomesse voyage donc normalement ce 15 novembre sans être inquiété et ignorant que Manda Bernard a été arrêté.

Ce même jour, dans l’après-midi, Song Kanga est appréhendé.

En se fondant sur les bordereaux de retrait d’argent retrouvés probablement dans les effets de Manda Bernard, Ndi Benoït tombe lui aussi dans les filets des gendarmes le 18 novembre 2011. Ce jour-là, de 16h30 mn à environ 17h30 mn, son domicile est fouillé de fond en comble, sans mandat de perquisition, par ces « corps habillés » d’un autre genre.

« Perquisition »

À la fin de la fouille, ils se déportent aux environs de 19 heures au domicile de l’ex-candidat recalé à l’élection présidentielle du 09 octobre 2011 où, sans mandat de perquisition dûment délivré par le procureur de a République et en son absence, ils défoncent la porte et mettent la maison sens dessus-dessous. Le saccage dure 2 heures de 19h à 21 h. Enoh Meyomesse raconte: « pendant que je me trouvais  hors du Cameroun. Sans même s’embarrasser  de se  munir d’un tout petit mandat de perquisition du Procureur de la République, il a envoyé quatre de ses meilleurs  éléments chez  moi, accompagné d’un lieutenant en  service au Sed  à Yaoundé. [ils] ont cassé sans ménagement ma porte, fouillé de fond en comble mon domicile, éventrant mon mobilier, renversant tout, et au bout du compte…..rien. Ils n’y ont trouvé aucune arme. Zéro ! Pas même une aiguille. Devant  leur échec, il ne leur restait plus qu’à dérober mes clés USB dans l’espoir d’y trouver le plan du coup d’État, des manuscrits de mes livres et des photographies  de moi qu’ils   projetaient  de transmettre  à Interpol pour que je  sois recherché et arrêté aux quatre coins de la planète. »
Après cette perquisition d’un autre genre, le gendarme major Edou, celui-là même qui avait fracassé la porte du domicile d’Enoh remet, selon l'infortuné, une somme de 5000 FCfa (7,67€) à un voisin pour le remplacement de la serrure qu’il venait de détruire.
Arrivé au Singapour, Enoh Dieudonné essaie de joindre Ndi Benoît le 18 novembre 2011. Celui-ci prend le combiné et répond comme s’il y avait un problème. Enoh a le pressentiment  que quelque chose ne tourne pas rond. Il promet de le rappeler le soir vers 19 heures. A l’heure convenue, Ndi est injoignable. Son téléphone est éteint. À chaque tentative, il est renvoyé à sa messagerie vocale. Après plusieurs tentatives infructueuses, il joint un ami sénégalais basé à Yaoundé qui l’informe que Ndi Benoît a été arrêté et qu’il se trouve à la gendarmerie. Cet ami sénégalais lui fait comprendre qu’il ne connait pas le motif de son arrestation.

Retour au pays

Le 22 novembre 2011, il prend le vol Kenya Airways, fait escale à Bangkok , et à Nairobi où deux vols sont respectivement en partance pour Bangui et pour Yaoundé. Ne se reprochant rien, il prend celui à destination du Cameroun. Arrivé à l’aéroport, il est surpris de constater que quelqu’un - le  lieutenant  Djakou Ghislain du Secrétariat d’État à la Défense (Sed)-  brandit sa photo qui se trouvait dans sa chambre. Le Lieutenant Djakou était accompagné de l’adjudant Koung Jean-Marie venant de Bertoua, du gendarme Major Edou et de l’élève gendarme Kissebe. Il  se dirige vers eux. Enoh Meyomesse relate : « À peine-ai-je mis ma main dans la poche de mon veston pour en extraire mon passeport, qu’un des gendarmes de sieur Oumarou s’est  jeté sur moi : «M. Enoh ? Oui ! Gendarmerie nationale vous êtes en état d’arrestation. Donnez-moi votre téléphone». En fait, il me l’avait arraché. Puis, j’ai été conduit dans les locaux du Sed où il m’a été signifié deux chefs d’accusation : 1/- tentative de coup d’État. 2 / vol avec port d’arme. J’ai volé quoi ? De l’or. D’abord  350 grammes s’étaient transformés en un kilogramme. Peu importe. En fait, c’est la tentative de coup d’État qui  était la préoccupation principale, en quelque sorte le plat de résistance ».
Au Sed, pendant qu’il essaie de donner les raisons de son déplacement au Singapour, il lui est demandé de vider le contenu de ses poches et de  déposer tout ce qui s’y trouvait sur la table. Au même moment, un gendarme inspecte le contenu de sa valise. Des 79€ déposés sur la table du lieutenant Djakou Ghislain, un billet de 50€ disparaît en une fraction de seconde. Il se rend à l’évidence que ces gendarmes sont plus rapides que Lucky Luke, ce personnage des dessins animés qui tirent plus vite que son ombre. Il passe sa première nuit en garde à vue au Sed.
Le 23 novembre 2011, le colonel Oumarou Ngalibou s’installe dans le fauteul de Djakou Gislain et conduit l’interrogatoire qui dure  deux interminables heures. « Il est 20 h. je vais ainsi  subir les foudres de cet individu qui sait déjà tout  sur le coup d’état que mes «complices» et moi préparons. Tout ce qu’il me demande c’est d’être «coopératif». Il désire «m’aider «, à savoir alléger l’affaire devant le juge de telle sorte que si l’on devait me passer au poteau d’exécution, que l’on ne m’inflige que…50 ans de prison !!! », souligne Enoh Dieudonné. Épuisé le colonel Oumarou Ngaibou se retire. Le directeur adjoint de la sécurité militaire prend le relais. Pendant près d’une heure, il essaie lui aussi en vain d’arracher les aveux.
Faut-il le souligner, à la fin du premier entretien l’adjudant Koung avait dit à Enoh Dieudonné qu’il ne faudrait pas qu'il s’amuse, car son problème était très grave. Aussi avait-il fait savoir au présumé putschiste et « chef de gang » que ses « complices » avaient été envoyés sur le terrain pour braquer des Coréens à l’Est-Cameroun. Etonné, le candidat recalé à l’élection présidentielle du 09 octobre apprend également que tous ces complices  étaient passés aux aveux et l’ont désigné comme étant leur chef. C’est alors qu’il commence à méditer sur tout ce qui lui arrive.

Embarquement pour Bertoua

Le 23 novembre 2011 à 23 heures 30mn, il est embarqué par cinq sbires dans un pick-up de la gendarmerie. Direction Bertoua où il arrive aux environs de 3h30mn, le jeudi 24 novembre 2011 et où il est jeté dans une cellule infeste et sombre de la légion de gendarmerie.
Selon certaines sources, après deux jours passés dans l’isolement total dans cette cellule qui n’a ni fenêtre, ni quelque autre ouverture que ce soit en dehors de la porte, l’adjudant Koung Jean-Marie, chargé des enquêtes à Bertoua, vient le voir pour lui faire la proposition suivante : «Nous avons essayé d’étudier ton problème. Nous sommes des hommes. Nous pouvons t’aider à te sortir de cette situation si tu parles bien. Je suis le bras droit du Commandant de légion (Colégion). Demain, le Colégion viendra avec des gens afin que nous puissions nous entendre. Si tu es direct, une solution peut être trouvée à ton problème.» En aparté, il demande à Enoh d’essayer d’imaginer combien il peut proposer au Colégion pour étouffer l’affaire.
Par la suite, le colonel Oumarou Ngalibou s’amène accompagné du lieutenant Djakou Ghislain du Sed, Koung Jean-Marie (Bertoua) et du directeur adjoint du Sémil.
Dans un premier temps, au cours de cette audition, il est plus question de coup d’État. Pendant qu’il est en train de subir l’interrogatoire musclé du colonel Ngalibou, Koung lui fait des gestes et des signes indiquant qu’il lui fallait « parler comme un homme », c’est-à-dire proposer quelque chose au colonel Oumarou Ngalibou. Très épuisé, et juste pour faire baisser cette pression et atténuer son acharnement, il  cède à cette tentation et lui propose une somme 10 000 dollars pour arrangement. Il soupire, lâche prise et, sourire aux lèvres, déclare :«voilà ce qui est bien dit, mais c’est trop peu. 10000 dollars, ça fait 10 000 0000 de FCfa ». Il précise en lui disant que cela faisait un peu plus de 4 500 000 FCfa.
Les gendarmes le remettent en cellule en attendant qu’il « parle bien ». Ainsi, l’enquête préliminaire est-elle bouclée le 27 novembre 2011. Mais, ce n’est que le 22 décembre 2011 qu’ils sont transférés à Yaoundé. Pourquoi ce silence qui a duré plus de deux semaines ?
En effet, selon des sources à la légion de gendarmerie de Bertoua, ce blackout s’explique par le fait que le colonel Oumarou Ngalibou et ses hommes attendaient que Enoh Dieudonné et compagnie trouvent de l’argent pour étouffer l’affaire.
Hélas, pendant cette trop longue attente, l’affaire arrive aux oreilles des journalistes qui se mettent à appeler le Colégion pour s’enquérir de la situation d’Enoh Dieudonné et avoir des éléments d’information sur le dossier. C’est ainsi qu’un organe d’information rédige un filet sur l’arrestation d’Enoh Meyomesse. Après la lecture de cet article, le lieutenant Koung Jean-Marie revient rencontrer Enoh Dieudonné dans sa cellule le 20 décembre 2011  et lui dit : « Voilà que tu as tout gâté. On t’avait dit de garder le silence. Tu as aggravé ton as en faisant en sorte que la presse se saisisse de cette affaire. Maintenant, il y a des gens qui appellent de Yaoundé. La présidence veut connaitre la suite de ton dossier. Nous ne pouvons plus te sauver. » Entre temps, le quotidien Le Jour était entré dans la danse et avait dévoilé l’affaire au grand jour. Les autres médias s’emparent également de l‘affaire

Panique dans les rangs

Le Colégion et ses éléments sont pris de panique. Ils sortent Enoh Meyomesse et ses « complices » de leur cellule le 21 novembre 2011. Selon Enoh Meyomesse, « Fait curieux, tous les gendarmes ont revêtu des uniformes tout neufs et tout propres. Nous sommes rapidement informés d’un fait inattendu : le gouverneur de l’Est a décidé de nous rendre visite. Personnellement, je trouve cela curieux. Aux alentours de 14 heures, nous sommes conduits dans la cour de la gendarmerie. Stupeur ! Nous y trouvons une immense foule et une table sur laquelle sont posés, un uniforme militaire, un fusil, un pistolet, des cartouches, en un mot l’arsenal de guerre gigantesque avec lequel je devais renverser le régime. Mes «complices» et moi le découvrons pour la première fois. Le gouverneur de l’Est, tout naïvement, s’exclame devant Oumarou aux anges : «Mais, ces armes sont toutes neuves ! D’où proviennent-elles ?». Réponse idiote d’Oumarou : «effectivement, ils les ont achetées à l’étranger… »
Le 22 décembre 2011, ils sont de nouveau sortis de leur cellule. On leur apprend qu’ils retournent à Yaoundé pour être présentés au tribunal militaire. Après un bref passage devant le tribunal militaire ; ils sont conduits à la prison centrale de Kondengui où ils arrivent vers 15h. Quelques jours plus, on leur délivré un mandat de détention provisoire d'une durée de 6 (six) mois.
Jean-Bosco Talla
*Toutes nos excuses à toutes les personnes dont les noms ont été mal écrits.

Les zones d'ombre d'une enquête bâclée
Malgré les assurances et les déclarations du colonel Oumarou Ngalibou, commandant de la légion de gendarmerie de l’Est à Bertoua, des zones d’ombre persistent. Elles laissent sceptiques plusieurs observateurs. L’image de la gendarmerie et celle du Cameroun prennent des sérieux coups. Le colonel Oumarou Ngalibou et ses élements font du Cameroun un Etat de non-droit. Dommage!
Le 21 décembre 2011, le colonel Oumarou Ngalibou était visiblement fier de sa prise de l’année quand il présentait au public et au gouverneur de la région de l’Est Adolphe Lélé Lafrique, Enoh Dieudonné 57 ans, Manda Bernard 57 ans ; Ndi Benoît 60 ans et Song Kanga 47 et adjudant-chef de l’armée camerounaise. Lui qui avait conduit l’opération ayant conduit à l’interpellation, le 22 novembre 2011, d’Enoh Meyomesse à l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen. Pour cet officier supérieur de l’armée camerounaise, Enoh Dieudonné est sinon le chef de gang du moins le commanditaire du braquage des Coréens ayant eu lieu, dit-on, dans la localité de Bétaré Oya à l’Est-Cameroun. Si l’on s’en tient à son récit publié dans plusieurs organes de presse au Cameroun, dont notamment les quotidiens Le Jour et Mutations, «les braqueurs ont intercepté un Toyota double cabine d’une société d’exploitation minière dénommée AKMSC. Ils ont récupéré et [sont] partis avec toute la production minière de la journée, d’une quantité d’or équivalente à 1000g, soit 650g d’or non panné et 350g d’or panné ». Les mêmes braqueurs, affirmait le Colégion de l’Est avait pris la voiture de la société et l’avait abandonnée sur le chemin ainsi qu’une kalachnikov et un pistolet automatique. Mis au parfum de ce coup, les gendarmes de la brigade de gendarmerie de Bétaré Oya se sont lancés aux trousses des braqueurs et ont réussi à mettre la main sur l’un d’eux, le nommé Manda Bernard. C’est l’exploitation de ce dernier qui a conduit à l’interpellation des autres membres du « gang».
Si on se limite à cette version des faits présentée par le Colégion de l‘Est, tout est clair comme l’eau des roches. Mais, une enquête approfondie et une confrontation de ladite version à celle relatée par les présumés braqueurs laissent apparaître des zones d’ombre et suscitent un questionnement.

10 questions sans réponses

1- Quand a réellement eu lieu le (soi-disant) braquage de Bétaré Oya ? À cette question nul ne donne la date exacte. Interrogé au téléphone au courant de la semaine dernière, le commandant Pascal Abondo n’a pu nous donner une réponse exacte à cette question. Il s’est contenté, après nous avoir renvoyé deux fois de suite à plus tard, de demander au reporter de Germinal, qui avait au préalable pris soin de décliner son identité, qui lui avait communiqué ses numéros de téléphone portable. Lorsqu’au troisième appel il décide de répondre, c’est pour lui dire qu’il ne répond pas aux questions relatives à cette affaire au téléphone, car il ne connaît à qui il s’adresse. « Si vous voulez en savoir plus, venez à Bertoua. Ou vous demandez à celui qui vous a passé mes numéros de téléphone de passer me voir », conclut-il avant de raccrocher son combiné rageusement.
2- Pourquoi le colonel Oumarou Ngalibou et ses hommes n’ont-ils pas empêché Enoh Dieudonné de sortir du Cameroun le 15 novembre 2011 aux environs de 09h alors qu’ils avaient déjà mis la main sur Manda Bernard quatre jours avant son départ pour Singapour, c’est-à-dire le 11 novembre 2011 ?
3- Si Enoh Dieudonné était ce véritable « chef de gang » et « commanditaire », du supposé braquage n’aurait-il pas décidé de rester à l’extérieur du pays, lui qui, au soir du 18 novembre 2011, était déjà informé de l’arrestation de Ndi Benoît (lire ci-contre) ?
4- Comment peut-on croire à la tentative de corruption évoquée par le colonel Oumarou Ngalibou, alors qu’il est établi que Enoh Dieudonné n’a ni compte bancaire, ni source de revenu lui permettant de débourser la somme de 5 millions de francs Cfa , alors que Enoh Meyomesse ne disposait sur lui au moment de son arrestation, en tout et pour tout, que la somme de 79€ dont 50€ ont été subtilisés par les gendarmes au Secrétariat d’État à la défense à Yaoundé ?
5- Le Secrétaire d’État à la défense, Jean-Baptiste Bokam était-il au courant de cette aventure rocambolesque du colonel Oumarou Ngalibou dans la région du Centre (Yaoundé) flanqué de certains éléments?
6- Pourquoi avoir « perquisitionné », pour ne pas dire violé le domicile de Enoh Dieudonné en son absence et sans mandat dûment signé par le procureur de la République ou par le commissaire du gouvernement ?
7- Le colonel Oumarou Ngalibou oublie-t-il que le président de la République Paul Biya et certaines autorités affirment que le Cameroun est un État de droit ?
8- Pourquoi le colonel Oumarou Ngalibou et ses hommes ont-ils gardé le silence durant la période comprise entre la clôture de l’enquête préliminaire, le 27 novembre 2011, et le 21 décembre 2011,  date de la présentation publique des présumés braqueurs ?
9- Quel rôle aurait joué une certaine Henriette « Bena », qui a été récemment faite officier de police 2e grade, ancienne de la Camair, proche parent de Manda Bernard, qui travaillerait pour le compte de la Direction générale de la recherche extérieure (Dgre) et qui aurait été chargé de suivre les faits et gestes d’Enoh Meyomesse ?
10- Pourquoi avoir détenu les prévenus en garde à vue au-delà des délais légaux prévus le Code de procédure pénal ?
Autant de questions et bien d’autres qui laissent dubitatives toutes personnes sensées qui tentent de comprendre les tenants et les aboutissants de cette « affaire » mal ficelée qui jette du discrédit non seulement sur tout le corps de la gendarmerie, mais également porte gravement atteinte à l’image déjà peu reluisante du Cameroun à l’extérieur.
Il reste à souhaiter que le juge d’instruction qui a déjà décerné un mandat de détention provisoire de 6 mois aux présumés braqueurs fasse sereinement son travail afin de faire surgir la vérité et d’éclairer l’opinion publique nationale et internationale sur une affaire qui fait couler beaucoup d’encre et de salive.
J.-B. Talla

Tous Enoh Meyomesse!
Une première vérité d’évidence : le registre de nos compétences nationales compte de nombreux atouts. Seconde évidence, plutôt douloureuse hélas : la plupart desdits atouts sont sous valorisés par minimalisme d’Etat. Cette sous valorisation des compétences porteuses d’avenir sont la conséquence directe des nos déficits de vision, l’inaptitude d’avenir ayant réduit le Cameroun à subir une gestion de comptables matières où  l’on s’étripe sur l’existant au lieu de s’élever à la production novatrice de valeurs et de richesses nouvelles.
Tel est le système qui a plombé le destin du Cameroun depuis l’indépendance. C’est ce système qui entend se perpétuer  aussi longtemps que ses promoteurs arriveront à bouger. Car comme tous les pouvoirs en panne de créativité, le pouvoir du Cameroun se défend et se protège contre le peuple du Cameroun.
Il faut donc en avoir une approche systémique et cesser de croire que le poisson peut se définir par sa queue et ses nageoires, à l’exclusion de sa tête. Tout système est une structure. Et l’anthropologie enseigne qu’« une structure offre un caractère de système. Elle consiste en éléments tels qu’une modification de l’un d’eux entraîne une modification de tous les autres » (Claude Lévi-Strauss).
Il faut aussi bien arrêter de s’imaginer que l’économie camerounaise peut prospérer si au Cameroun l’Education, la Justice, ou le Sport dépérissent.  Cessons de croire que le système académique est détachable du système judiciaire, du système agropastoral, du système industriel et inversement. C’est parce que « ça ne va pas » ici, dans le sous système où vous vous trouvez, que « ça ne va pas » là-bas, dans le sous système où se trouve votre voisin. Et c’est précisément parce que votre voisin a mal à son quotidien moral, social et financier que vous avez mal dans les vôtres. Plus qu’hier, les impératifs de solidarité pour la justice sociale s’imposent au bon sens patriotique.
Aujourd’hui en effet, bien des frustrations se sont exacerbées. Les Camerounais n’arrivent plus à solder leur passif quotidien avant de quitter leur domicile. Ils languissent et traînent  dans la rue une déprime croissante ; la moindre contrariété fait exploser le piéton, l’automobiliste ou le motocycliste qui semblait pourtant détendu. Ceux qui parviennent encore à se contenir n’affichent qu’un calme trompeur qui couve une éruption toujours probable.  Ce syndrome du volcan, appelons-le Syndrome du Mont Cameroun, est un indice social qu’il convient de gérer avec lucidité et générosité.
La conduite des affaires du Cameroun aura donc produit une drôle de psychologie,  psychologie de dynamite dont la mèche est en chacun de nous et partout, avec ceci d’inquiétant que ladite mèche peut s’enflammer par un simple frôlement dans la rue. Dans une société où la courtoisie agace celui ou celle à l’endroit de qui l’on se voulait courtois, il y a lieu de s’interroger sur les chances de convivialité au sein de ladite société. Car les enjeux sont largement au-delà de nos chétives morales de catéchumènes. Le Cameroun s’expose à se distinguer comme un pays sans société, parce qu’il n’y a plus de société dans un pays qui choisit la puissance - qui fonctionne par la coercition des uns sur les autres - au détriment du pouvoir - qui se définit comme relation entre les uns et les autres.
La phraséologie de nos sophistes impénitents n’y changera rien : le Cameroun de ces dernières années se fait remarquer comme une vaste prison de 475.000 Km². Dans notre bastille à ciel ouvert, la justice est ravalée au statut de gadget entre les mains des puissants du moment, elle qui devait s’imposer à tous comme une prérogative non négociable du peuple du Cameroun. Mais le propre de toute bastille c’est d’être prise. Faut-il s’en consoler ?
Dans un livre auquel il a brillamment contribué - L’Opération Epervier au Cameroun : un devoir d’Injustice ? - Enoh Meyomesse a démontré que la culture d’injustice qui prospère au Cameroun n’est pas un accident, mais le fruit d’une graine pernicieuse semée aux premières heures de l’indépendance du Cameroun. L’entrée du Cameroun en injustice date des tout premiers procès, tous politiques, des années 59-60. Et le procès dont Enoh Meyomesse est lui-même menacé rappelle que l’amnésie que nos princes ont voulu institutionnaliser au Cameroun n’a pas réussi à conjurer les atavismes autocratiques d’incarcération arbitraire, cinquante années après cette « entrée en injustice ». Notre Cameroun n’est donc plus qu’un vaste triangle carcéral où triomphent des réflexes d’enfermement qui se veulent compensatoires du laxisme trentenaire issu d’un minimalisme d’Etat trop longtemps autiste, narcissique et complaisant.
Comme co-auteur de l’ouvrage susmentionné, Enoh Meyomesse stigmatisait déjà « la politisation de la justice au Cameroun, avec sa cohorte d’injustices et d’internements politico judiciaires. Cinquante années plus tard, le Cameroun affiche sa difficulté à,  rattraper ce mauvais départ judiciaire ». (p.35)
Le septennat proclamé des ’’grandes réalisations’’ gagnerait sans doute à … réaliser que la Justice est son chantier prioritaire. Les ponts, les ports et ces barrages qu’on annonce ne sont que des infrastructures dont « la réalisation » est à confier à nos ingénieurs. Contrairement aux slogans assourdissants du discours dominant, ces tâches d’intendance restent, comme dit le terme, infrastructurelles. Elles ne peuvent se prétendre structurantes : adjuvantes, elles viennent en appui comme simple logistique de soutien à l’idée supra structurelle qu’on pourrait avoir d’un Etat, d’une Nation, ou d’un quelconque processus de développement. Affirmer d’une infrastructure qu’elle est structurante, c’est prétendre qu’un outil a la primauté sur le cerveau qui l’a conçu et qui le met au service de la main. C’est avec nos pieds que nous marchons, mais aucun pied ne pense ni ne conçoit la marche.    
La Justice en revanche relève de la superstructure sociale. Elle trône au cœur de la société du fait qu’elle est appelée à structurer et à réguler l’ensemble des rapports entre les différents membres de ladite société.  Comme valeur structurante, elle structure le pouvoir même qui doit s’exercer au sein de la société. C’est en cela que sa gestion, son fonctionnement, ses résultats et son image interpellent sans escale le détenteur du pouvoir politique. Il n’y a pas de dérobade à ce niveau, pas plus au Cameroun qu’ailleurs.
Or le système judiciaire qui prévaut au Cameroun tend à faire de notre pays une immense prison nationale pour cause d’arbitraire, du fait de la rupture active et corruptive du contrat moral entre les justiciables et les justiciers. Ce système judiciaire est socialement, économiquement, politiquement et humainement déstructurant. A cause de sa manière d’injustice, plus aucun citoyen du Cameroun ne peut se prétendre à l’abri d’un procès politique maquillé en délit de droit commun.
Pourtant, nous attendons humblement qu’il soit établi par des preuves non fabriquées qu’Enoh Meyomesse est déjà un promoteur actif du grand banditisme au Cameroun, et qu’il sait même déjà dépouiller des orpailleurs à la Kalachnikov ! Mais au vu des bégaiements des enquêteurs, nous voudrions comprendre comment on peut chercher à voler quelques poussières d’or quand on est soi-même de l’or. Car l’or que détient Enoh Meyomesse et que nous autres tentons lui extorquer, c’est sa liberté de penser et sa détermination à rester Enoh. Nous aurons ainsi parachevé notre inaptitude à valoriser une compétence avérée  par sa liquidation sommaire, « au nom de la loi ». Ce sera par respect et « autorité de la chose jugée » !
Notre système de Pouvoir ayant incité notre système judiciaire à se tromper de culpabilité, il appartient au peuple du Cameroun de ne pas se tromper d’innocence : l’arbitraire  judiciaire, c’était déjà hier pour certains. Vous et moi, ce sera peut-être demain ou après demain. Mais il vaut mieux se le dire : dans notre triangle carcéral, nous sommes tous Enoh Meyomesse !
Dieudonné, nous ne sommes pas à tes côtés.
Nous ne sommes pas avec toi.
Nous sommes toi.

 


Charly Gabriel Mbock